« Poètes et romanciers modernes de la France/Charles Loyson, Jean Polonius, Aimé de Loy » : différence entre les versions

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{{journal|[[Revue des Deux Mondes]], tome 22, 1840|[[Sainte-Beuve]]|Poètes et romanciers modernes de la France – Charles Loyson.- Jean Polonius. – Aimé De Loy.}}
 
La série entreprise, il y a quelques années, dans cette ''Revue'', un peu au hasard d'abord et sans un si grand dessein, est arrivée à compter déjà bien des noms. Les principaux et les plus fins de la littérature moderne y ont passé; très peu d'essentiels y manquent encore, et nous n'allons bientôt plus avoir qu'à nous tenir au courant des nouveaux venus et des chefs-d'oeuvreœuvre quotidiens qui pourront surgir; nous aurons épuise tout ce passé d'hier auquel nous nous sommes montré si attentif et si fidèle. Il y a des personnes d'une susceptibilité extrême (''genus irritabile'') à qui il semble que la ''Revue'' a été ingrate pour les poètes. ''Ingrate''! mais y pense-t-on? une telle idée est-elle raisonnable vraiment? Et qui donc s'est plus appliqué que nous à les reconnaître, à les proclamer, à les découvrir, je ne veux pas dire à les inventer parfois? Il est vrai qu'en fait de poètes chacun veut être admis, chacun veut être roi,
 
::Tout prince a des ambassadeurs,
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et qu'admettre tant de noms, c'est presque paraître ingrat envers chacun. Tant de justice rendue devient quasi une injure. Qu'y faire? Nous préparons des matériaux à l'histoire littéraire future, nous notons les émotions sincères et variées de chaque moment. Nous ne sommes d'aucune coterie, et, s'il nous arrive d'en traverser à la rencontre, nous n'y restons pas. Plusieurs romanciers pourtant auraient droit encore de réclamer contre nos lenteurs; leur tour viendra. Un coup d'oeil général en rassemblerait utilement plusieurs comme assez voisins de procédé et de couleurs, et comme caractéristiques surtout des goûts du jour. Le plus célèbre, l'unique par sa position et son influence, George Sand est encore à apprécier dignement dans son ensemble. Les poètes, eux, ont bien moins à nous demander. Mais ce serait injustice de ne pas, un jour ou l'autre, s'occuper avec quelque détail d'une des femmes poètes les plus en renom, Mme de Girardin, malgré l'apparente difficulté d'aborder, même avec toutes sortes d'hommages, un écrivain dès long-temps si armé d'esprit: ce n'est là, à le bien prendre, qu'un attrait de plus. Les frères Deschamps, nos vieux amis, sont bien faits pour contraster de profil dans un même cadre. M. Brizeux pourrait se plaindre de n'avoir pas été classé encore comme auteur de ''Marie'', s'il ne semblait en train de viser à une seconde manière sur laquelle il nous trouverait téméraire de vouloir anticiper. Revenant, sur les succès sérieux au théâtre durant la restauration, un même article trouverait moyen d'atteindre M. Lebrun pour ''Marie Stuart'', M. Soumet pour ''Clytemnestre'', Pichald pour ''Léonidas''. Mais on voit qu'après tout, nous tirons à la fin de la série, et que, sans la clore, nous n'aurons plus qu'à la tenir ouverte, l'arriéré étant tout-à-fait payé.
 
Il y a plus : on peut, en thèse générale, soupçonner qu'il ne se trouvera plus guère, dans les chemins battus par l'école moderne, de fruits immédiats à cueillir, et que, si l'on a encore à courir quelque temps ainsi, ce n'est qu'en sortant de ce qui fait déjà ornière que l'imprévu recommencera.. Tout mouvement littéraire a son développement plus ou moins long, après quoi il s'épuise, languit et tourne sur lui-même, jusqu'à ce qu'une autre impulsion reprenne et mène au-delà. « Percez-nous-en d'un autre, » disait Mme Desloges à Voiture, à propos d'un calembourg qui n'allait plus : de même en haute poésie. Deux signes sont à relever, qui montrent en général qu'une école est à bout, ou du moins qu'elle n'a plus à gagner et que ce n'est plus qu'une suite : 1° quand les chefs ne se renouvellent plus; 2° quand les disciples et les survenans en foule pratiquent presque aussi bien que les maîtres pour le détail, et que la main-d'oeuvreœuvre du genre a haussé et gagné de façon à faire douter de l'art. Or ceci s'est produit de tout temps, et particulièrement au XVIe siècle comme au nôtre, dans une ressemblance frappante. Étienne Pasquier écrivait à Ronsard en 1555, six ans seulement après que Du Bellay, dans ''l'Illustration de la Langue'', avait sonné la charge et prêché la croisade « En bonne foi on ne vit jamais en la France telle foison de poètes... Je crains qu'à la longue le peuple ne s'en lasse; mais c'est un vice qui nous est propre, que, soudain que voyons quelque chose succéder heureusement à quelqu'un, chacun veut être de sa partie sous une même promesse et imagination qu'il conçoit en soi de même succès. » Pasquier veut bien croire que ''tous ces nouveaux écrivasseurs donneront tant plus de lustre aux écrits'' de Ronsard, « lesquels, pour vous dire en ami, continue-t-il, je trouve très beaux lorsqu'avez seulement voulu contenter votre esprit; mais, quand, par une servitude à demi courtisane, êtes sorti de vous-même pour étudier au contentement, tantôt des grands, tantôt de la populace, je ne les trouve de tel alloi. » En sachant gré au poète de l'avoir nommé en ami dans ses écrits, il ajoutait : « Mais, en vous remerciant, je souhaiterais que ne fissiez si bon marché de votre plume à haut louer quelques-uns que nous savons notoirement n'en être dignes; car ce fesant vous faites tort aux gens d'honneur. Je sais bien que vous me direz qu'êtes contraint par leurs importunités de ce faire, ores que n'en ayez envie. » De Thou, dans son ''Histoire'' (année 1559, liv. XXII), s'élève en des termes approchans contre cette cohue de poètes. C'était se révolter contre le propre triomphe de leur cause; chaque école victorieuse meurt vite de l'abondance de son succès; même sans avoir pris Rome, elle a sa Capoue. Selon moi, des traits pareils se reproduisent assez exactement aujourd'hui.
 
Et d'abord, ''les chefs ne se renouvellent plus''; ils se dissipent ou ne font que récidiver. Je ne rappelle ici que les deux principaux. Il faut tout voir sur M. de Lamartine, et, en étant sévère là où il convient, ne pas chicaner en détail une si noble nature. Ce qui est moins à nier que jamais en lui, c'est la masse immense du talent : seulement cette masse entière s'est déplacée. Elle était à la poésie, elle roule désormais à la politique; il est orateur. Son Océan regagne en Amérique ce qu'il a perdu dans nos landes. A nous habitans des bords que ce retrait désole, il nous est naturel de nous plaindre, de crier à la dissipation et à la ruine, tout en sachant qu'ailleurs on applaudit. Et à lui-même il lui importe assez peu maintenant de perdre la bataille là où il n'est plus tout entier. Il a transféré son siège d'empire de Rome à Byzance.
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::Et je mourrai du moins dans les bras de ma mère.
 
Charles Loyson vit paraître les vers d'André Chénier et ceux de Lamartine; on a les jugemens qu'il en porta. Il fit, dans le ''Lycée'', quatre articles sur Chénier (3); le premier est un petit chef-d'oeuvreœuvre de grace, de critique émue et ornée. L'écrivain nous y raconte ce qu'il appelle son château en Espagne, son rêve à la façon d'Horace, de Jean-Jacques et de Bernardin de Saint-Pierre : une maisonnette couverte en tuiles, avec la façade blanche et les contrevents verts, la source auprès, et au-dessus le bois de quelques arpens, et ''paulum silvœ''. «Ce dernier point est pour moi, dit-il, de première nécessité; je n'y tiens pas moins que le favori de Mécène : encore veux-je qu'il soit enclos, non pas d'un fossé seulement ou d'une haie vive, mais d'un bon mur de hauteur avec des portes solides et bien fermées. L'autre manière est plus pastorale et rappelle mieux l'âge d'or, je le sais; mais celle-ci me convient davantage, et d'ailleurs je suis d'avis qu'on ne peut plus trouver l'âge d'or que chez soi. » Quand sa muraille est élevée, il s'occupe du dedans; il dispose son jardin anglais, groupe ses arbres, fait tourner ses allées, creuse son lac, dirige ses eaux, n'oublie ni le pont, ni les kiosques, ni les ruines; c'est alors qu'il exécute un projet favori, et dont nul ne s'est avisé encore. Dans l'endroit le plus retiré des bocages, il consacre un petit bouquet de cyprès, de bouleaux et d'arbres verts, aux jeunes écrivains morts avant le temps. Le détail d'exécution est à ravir. Une urne cinéraire, placée sur un tertre de gazon, porte le nom de Tibulle, et sur l'écorce du bouleau voisin on lit ces deux vers de Domitius Marsus :
 
::Te quoque Virgilio comitem non aequa, Tibulle,
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J'ai noté les mérites, le sens précoce, les vers élevés ou touchans de Loyson : j'omets ce qui chez lui est pure bagatelle, bouts rimés et madrigaux; car il en a, et la mode le voulait ou du moins le souffrait encore. Son premier recueil de 1817 offre en tête une image du ''poète mourant'', où les assistans portent des bottes à retroussis. C'est un poète de la restauration, avons-nous dit, mais des trois ou quatre premières années de la restauration, ne l'oublions pas. Ses poésies d'essai, dédiées à Louis XVIII, dont la ''critique auguste'' lui avait fait faire dans la dédicace une grave correction (''faveurs'' au lieu de ''bienfaits''!), devaient plaire au monarque gourmet par plus d'un endroit (6). - Chose singulière! l'École normale a donné deux poètes morts de bonne heure, qui ont comme ouvert et fermé la restauration, l'un la servant, l'autre la combattant, mais modérés tous deux, Loyson et Farcy.
 
Jean Polonius, à qui nous passons maintenant, n'est pas un précurseur de Lamartine, il l'a suivi et peut servir très distinctement à représenter la quantité d'esprits distingués, d'ames nobles et sensibles qui le rappellent avec pureté dans leurs accens. Les premières ''Poésies'' de Jean Polonius parurent en 1827, les secondes en 1829 (7). Un poème intitulé Erostrate (8), comme celui de M. Auguste Barbier, avec lequel il n'a d'ailleurs que peu de rapports, vient d'apprendre au public le vrai nom de l'auteur jusqu'ici pseudonyme. Polonius n'est autre que M. X. Labinsky, long-temps attaché à la légation russe à Londres et aujourd'hui à la chancellerie de Saint-Pétersbourg. Ses premières poésies attirèrent l'attention dans le moment; un peu antérieures, par la date de leur publication, à l'éclat de la seconde école romantique de 1828, on les trouva pures, sensibles, élégantes; on ne les jugea pas d'abord trop pâles de style et de couleur. C'est l'amour qui inspire et remplit ces premiers chants de Polonius; ils rentrent presque tous dans l'élégie. Plus de Parny, plus même de Millevoye : les deux ou trois petites et adorables élégies de Lamartine : ''Oui, l'Anio murmure encore, etc., etc.; Lorsque seul avec toi pensive et recueillie, etc., etc''.; semblent ici donner le ton; mais, si le poète profite des nouvelles cordes toutes trouvées de cette lyre, il n'y fait entendre, on le sent, que les propres et vraies émotions de son coeurcœur. Ce gracieux recueil se peut relire quand on aime la douce poésie et qu'on est en veine tendre; mais je cherche vainement à en rien détacher ici pour le faire saillir. Les étrangers qui écrivent dans notre langue, même quand ils y réussissent le mieux, sont dans une position difficile; le comble de leur gloire, par rapport au style, est de faire oublier qu'ils sont étrangers; avec M. Labinsky on l'oublie complètement; mais, en parlant si bien la langue d'alentour, ont-ils la leur propre, comme il sied aux poètes et à tous écrivains originaux? Jean Polonius chante, comme un naturel, dans la dernière langue poétique courante, qui était alors celle de Lamartine; mais il ne la refrappe pas pour son compte, il ne la réinvente pas.
 
Aux diverses époques, les hommes du Nord ont eu cette facilité merveilleuse à se produire dans notre langue, mais toujours jusqu'à l'originalité exclusivement. Lorsqu'il y a un on deux ans, le prince Metcherski publia ses ingénieuses poésies, tout empreintes du cachet romantique le plus récent, je ne sais quel critique en tira grand parti contre la façon moderne, et affirma qu'on n'aurait pas si aisément contrefait la muse classique; c'est une sottise. Du temps de Voltaire et de La Harpe, le comte de Schouwaloff était passé maître sur la double colline d'alors, et avait ses brevets signés et datés de Ferney et autres lieux. Ses descendans aujourd'hui ne réussissent pas moins spirituellement dans les genres de M. Hugo ou de M. de Musset.
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::Le lierre chaque jour t'enlace de verdure,
::Et ses noeudsnœuds étouffans
::Par degrés chaque jour éteignent le murmure
::De tes derniers accens.
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::S'envolent dans les airs!
 
::Être selon mon coeurcœur, hâte-toi, l'heure presse,
::Viens si tu dois venir
::Hâte-toi! chaque jour enlève à ma jeunesse
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::De ces vers lusitains échappés à mes muses?...
 
Il y a dans les vers de De Loy, souvent redondans, faibles de pensée, vulgaires d'éloges, je ne sais quoi de limpide, de naturel, et de captivant à l'oreille et au coeurcœur, qui fait comprendre qu'on l'ait aimé.
 
Revenu en France dès 1824, on l'aperçoit à quelques années de là en Portugal, y promenant son humeur vagabonde, non plus en gentilhomme de la chambre, mais avec le louable dessein d'y servir la cause de dona Maria, par reconnaissance pour don Pedro, son bienfaiteur. Il parlait et écrivait, dit-on, le portugais à merveille; l'idiome de Camoëns était devenu sa langue favorite, et il lui fallut quelque temps avant de reprendre sa fluidité française. Je ne pousserai pas plus loin les détails de son odyssée dont on vient de toucher le point le plus extrême, mais qui fut continuelle jusqu'à son dernier soupir. Ses ''Préludes poétiques'', publiés en 1827 comme le ballon d'essai d'une ''Académie provinciale'' qui protestait contre la centralisation de Paris, n'attirèrent que très peu l'attention et ne pouvaient la fixer. La province revendique De Loy avec une sorte d'orgueil que l'on conçoit, mais qu'il serait mieux de réduire. La province, certes, possède mille dons d'étude, de sensibilité, de vertu; mais le goût, il faut le dire, y est chose plus rare et plus cachée qu'à Paris, où, du reste, on le paie si cher. La banalité gâte les vers de De Loy; tout ce qu'il rencontre lui est Pollion et Mécène, chaque gîte qui l'héberge lui est Tibur et Lucrétile; que d'ivraie dans sa gerbe! que de foin dans ses fleurs! Cela ressemble avec moins de grace à cette couronne mélangée d'Ophélie. Que ce soit amitié, reconnaissance, dette acquittée dans la monnaie des poètes, je ne l'en blâme pas moralement, si tant est que sa dignité n'en ait pas souffert; mais la poésie vit de choix, et la sienne n'y a pas songé. Ce qui ne m'empêche pas de reconnaître, croyez-le bien, tout ce qu'il y a de naturel, de sincère et de bien vite pardonné dans ses perpétuels et affectueux retours à Sattendras ou à Longiron.
 
Il serait injuste d'environner d'un trop grand appareil de critique l'oeuvreœuvre posthume et véritablement aimable d'un poète mort et qui a vécu si malheureux. Il était un peu de ces gens dont on dit bien du mal quand ils sont loin, et qu'on embrasse, qu'on se remet à aimer irrésistiblement sitôt qu'on les revoit; de même pour ses vers la meilleure manière d'adoucir le jugement raisonné qu'on en porte, c'est de les revoir et de les introduire en personne. Voici de bien simples stances qui achèveront de plaider pour lui
 
<center> LES REGRETS.</center>
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::C'est qu'ils n'ont pu se faire aimer.
 
::Le coeurcœur est né pour ces échanges,
::Notre ame y double son pouvoir :
::Et pour nous, comme pour les anges,
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<small>(9) ''Feuilles aux Vents''; imprimé à Lyon, chez M. Boitel, avec une dédicace de Mme Desbordes-Valmore.</small><br />
<small>(10) M. Couturier en tête du volume, et M. Marmier dans la ''Revue de Paris'', 29 mars 1835.</small><br />
<small>(11) L'impératrice du Brésil était archiduchesse d'Autriche et soeursœur de Marie-¬Louise.</small><br />