« Point de lendemain (version de 1777) » : différence entre les versions
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<small>''La narration de ce conte m’a paru piquante, spirituelle et originale. Le fond d’ailleurs en est vrai, et il est bon, pour l’histoire des
::<small>Commentaire de [[Claude-Joseph Dorat]]</small>
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La Comtesse de *** me prit sans m’aimer, continua Damon : elle me trompa. Je me fâchai, elle me quitta : cela était dans l’ordre. Je l’aimais alors, et, pour me venger mieux, j’eus le caprice de la ''ravoir'', quand à mon tour, je ne l’aimai plus. J’y réussis et lui tournai la tête : c’est ce que je demandais. Elle était amie de Mme de T*** qui me lorgnait depuis quelque temps, et semblait avoir de grands desseins sur ma personne. Elle y mettait de la suite, se trouvait partout où j’étais, et menaçait de m’aimer à la folie, sans cependant que cela prît sur sa dignité et sur son goût pour les décences; car, comme on le verra, elle y était scrupuleusement attachée.
Un jour que j’allais attendre la Comtesse dans sa loge à l’Opéra, j’arrivai de si bonne heure, que j’en avais honte : on n’avait pas commencé. À peine entrais-je, je m’entends appeler de la loge d’à côté. N’était-ce pas encore la décente Mme de T*** ! « Quoi! déjà, me dit-on, quel
Chaque fois que je hasardais une question, on répondait par un éclat de rire. Si je n’avais bien su qu’elle était femme à grande passion, et que dans l’instant même elle avait une inclination bien reconnue, inclination dont elle ne pouvait ignorer que je fusse instruit, j’aurais été tenté de me croire en bonne fortune : elle était également instruite de la situation de mon
— Pas du tout.
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Elle me força à reprendre le chemin du château.
Je ne sais, je ne savais du moins si ce parti était une violence qu’elle se faisait, si c’était une résolution bien décidée, ou si elle partageait le chagrin que j’avais de voir terminer ainsi une scène aussi agréablement commencée; mais, par un mutuel instinct, nos pas se ralentissaient, et nous cheminions tristement, mécontents l’un de l’autre et de nous-mêmes. Nous ne savions ni à qui, ni à quoi nous en prendre. Nous n’étions ni l’un ni l’autre en droit de rien exiger, de rien demander : nous n’avions pas seulement la ressource d’un reproche. De sorte que tous nos sentiments restaient renfermés et contraints au fond de nos
Nous étions à la porte fatale, lorsque enfin Mme de T*** parla : « Je ne suis guère contente de vous… Après la confiance que je vous ai montrée, il est mal à vous de ne m’en accorder aucune. Voyez si, depuis que nous sommes ensemble, vous m’avez dit un mot de la Comtesse. Il est pourtant si doux de parler de ce qu’on aime! et vous ne pouvez douter que je ne vous eusse écouté avec intérêt. C’était bien le moins que j’eusse pour vous cette complaisance, après avoir risqué de vous priver d’elle.
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Je ne concevais rien à tout ce que j’entendais. Nous suivions, sans nous en douter, la grande route du sentiment, et la reprenions de si haut, qu’il était impossible d’entrevoir le terme du voyage. Après beaucoup d’écarts, presque méthodiques, on me fit apercevoir, au bout d’une terrasse, un pavillon qui avait été le témoin des plus doux moments. On me détaillait sa situation, son ameublement. Quel dommage de n’en avoir pas la clef! Tout en causant, nous approchions. Il se trouva ouvert; il ne lui manquait plus que la clarté du jour. Mais l’obscurité pouvait aussi lui prêter quelques charmes. D’ailleurs, je savais combien était charmant l’objet qui devait l’embellir.
Nous frémîmes en entrant : c’était un Sanctuaire, et c’était celui de l’Amour! Il s’empara de nous, nos genoux fléchirent. Il ne nous resta de force que celle que donne ce Dieu. Nos bras défaillants s’enlacèrent, et nous allâmes tomber, sans le moindre projet, sur un canapé qui occupait une partie du Temple. La lune se couchait, et le dernier de ses rayons emporta bientôt le voile d’une pudeur qui, je crois, devenait importune. Tout se confondait dans les ténèbres. La main qui voulait me repousser sentait battre mon
Cet amour, qui l’effrayait dans un autre instant, la rassurait dans celui-ci. Si d’un côté on veut donner ce qu’on a laissé prendre, on veut de l’autre recevoir ce qu’on a dérobé; et, de part et d’autre, on se hâte d’obtenir une seconde victoire, pour s’assurer de sa conquête.
Tout ceci avait été un peu brusqué. Nous sentîmes notre faute. Nous reprîmes ce qui nous était échappé, avec plus de détail. Trop ardent, on est moins délicat. On court à la jouissance, en confondant toutes les délices qui la précèdent. On arrache un
Plus calmes, l’air nous parut plus pur, plus frais. Nous n’avions pas entendu que la rivière, qui baignait les murs du pavillon, rompait le silence de la nuit par un murmure doux qui semblait d’accord avec la tendre palpitation de nos
« Ah! me dit-elle, avec un son de voix céleste, sortons de ce dangereux séjour; sans cesse les désirs s’y reproduisent, et l’on est sans force pour leur résister. » Elle m’entraîne.
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Nous sommes tellement ''machines'' (et j’en rougis), qu’au lieu de toute la délicatesse qui me tourmentait, avant la scène qui venait de se passer, j’entrais au moins pour moitié dans la hardiesse de ces principes; je les trouvais sublimes, et je me sentais déjà une disposition très prochaine à l’amour de la liberté.
« La belle nuit, me disait-elle, les beaux lieux! Il y a huit ans que je les avais quittés; mais ils n’ont rien perdu de leurs charmes; ils viennent de reprendre pour moi tous ceux de la nouveauté. Nous n’oublierons jamais ce cabinet, n’est-il pas vrai? Le château en recèle un plus charmant encore; mais on ne peut rien vous montrer : vous êtes comme un enfant qui veut toucher à tout ce qu’il voit, et qui brise tout ce qu’il touche. » Un mouvement de curiosité, qui me surprit moi-même, me fit promettre de n’être que ce que l’on voudrait. Je protestai que j’étais devenu bien raisonnable. On changea de propos. Mme de T*** aimait mieux les raisons que la raison. « Cette nuit, dit-elle, me paraîtrait complètement agréable, si je ne me faisais un reproche. Je suis fâchée, vraiment fâchée de ce que je vous ai dit de la Comtesse. Ce n’est pas que je veuille me plaindre de vous. Vous vous êtes conduit aussi ''décemment'' qu’il soit possible. La nouveauté pique, vous m’avez trouvée aimable, et j’aime à croire que vous étiez de bonne foi; mais l’empire de l’habitude est si long à détruire, que je sens moi-même que je n’ai pas ce qu’il faut pour en venir à bout. J’ai d’ailleurs épuisé tout ce que le
C’est ainsi que par intervalle elle excitait ma curiosité sur ce cabinet. « Il tient à votre appartement, lui dis-je; quel plaisir d’y venger vos attraits offensés, de leur y restituer les vols qu’on leur a faits! » On trouva ceci d’un meilleur ton. « Ah! lui dis-je, si j’étais choisi pour être le héros de cette vengeance, si le goût du moment pouvait faire oublier et réparer les langueurs de l’habitude… » Elle saisit, avec une intelligence très prompte, ce que je voulais dire; et plus surprise que fâchée, elle reprit : « Si vous me promettiez d’être sage… » Il faut l’avouer, je ne me sentais pas encore toute la ferveur, toute la dévotion qu’il fallait pour visiter les saints lieux; mais j’avais beaucoup de curiosité; ce n’était plus Mme de T*** que je désirais; c’était le cabinet. Nous étions rentrés. Les lampes des escaliers et des corridors étaient éteintes; nous errions dans un dédale. La maîtresse même du château en avait oublié les issues; enfin, nous arrivâmes à la porte de son appartement, de cet appartement qui renfermait ce réduit si vanté. « Qu’allez-vous faire de moi ? lui dis-je, que voulez-vous que je devienne? Me renverrez-vous ainsi seul dans l’obscurité? M’exposerez-vous à faire du bruit, à nous déceler, à nous trahir, à vous perdre? »
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— Tout… tout au monde. »
On reçut mon serment avec l’espérance, bien entendu, que j’étais encore très capable d’être parjure. Nous ouvrîmes doucement la porte : nous trouvâmes deux femmes endormies; l’une jeune, l’autre plus âgée. Cette dernière était celle de confiance; ce fut elle qu’on éveilla. On lui parla à l’oreille. Bientôt je la vis sortir par une porte secrète artistement fabriquée dans un lambris de la boiserie. Moi, je m’offris à remplir l’office de la femme qui dormait : on accepta mes services, on se débarrassa de tout ornement superflu. Un simple ruban retenait tous les cheveux, qui s’échappèrent en boucles flottantes. On y ajouta seulement une rose que j’avais cueillie dans le jardin et que je tenais encore par distraction; une robe ouverte remplaça tous les autres ajustements. Il n’y avait pas un
Près d’entrer, on m’arrêta : « Souvenez-vous, me dit-on gravement, que vous serez censé n’avoir jamais vu, ni même soupçonné l’asile où vous allez être introduit. Point d’étourderie; je suis tranquille sur le reste.
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— La discrétion est ma vertu favorite; on lui doit bien des instants de bonheur. »
Tout cela avait l’air d’une initiation. On me fit traverser un petit corridor obscur, en me conduisant par la main. Mon
Ce fut là qu’alla se jeter nonchalamment la Reine de ce lieu. Je tombai à ses pieds : elle se pencha vers moi, elle tendit les bras, et dans l’instant, grâce à ce groupe répété dans tous ses aspects, je vis cette île toute peuplée d’amants heureux.
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