« Le Livre de la jungle (trad. Fabulet et Humières, ill. Becque)/Au tigre, au tigre ! » : différence entre les versions

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— Très bien, fit Mowgli. Aussi longtemps qu’il sera loin, viens t’asseoir sur un rocher, toi ou l’un de tes frères, de façon que je puisse vous voir en sortant du village. Quand il reviendra, attends-moi dans le ravin proche de l’arbre dhâk, au milieu de la plaine. Il n’est pas nécessaire de courir dans la gueule de Shere Khan.
 
Puis Mowgli choisit une place à l’ombre, se coucha et dormit pendant que les buffles paissaient autour de lui. La garde des troupeaux, dans l’Inde, est un des métiers les plus paresseux du monde. Le bétail change de place et broute, puis se couche et change de place encore, sans mugir presque jamais. Il grogne seulement. Quant aux buffles, ils disent rarement quelque chose, mais entrent l’un après l’autre dans les mares bourbeuses, s’enfoncent dans la boue jusqu’à ce que leurs mufles et leurs grands yeux bleu faïence se montrent seuls à la surface, et là, ils restent immobiles, comme des blocs. Le soleil fait vibrer les rochers dans la chaleur de l’atmosphère et les petits bergers entendent un vautour — jamais plus — siffler presque hors de vue au-dessus de leur tête ; et ils savent que s’ils mouraient, ou si une vache mourait, ce vautour descendrait en fauchant l’air, que le plus
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proche vautour, à des milles plus loin, le verrait choir et suivrait, et ainsi de suite, de proche en proche, et qu’avant même qu’ils fussent morts, il y aurait là une vingtaine de vautours affamés venus de nulle part.
 
Tantôt ils dorment, veillent, se rendorment ; ils tressent de petits paniers d’herbe sèche et y mettent des sauterelles, ou attrapent deux mantes religieuses pour les faire lutter ; ils enfilent en colliers des noix de jungle rouges et noires, guettent le lézard qui se chauffe sur la roche ou le serpent à la poursuite d’une grenouille près des fondrières. Tantôt ils chantent de longues, longues chansons avec de bizarres trilles indigènes à la chute des phrases, et le jour leur semble plus long qu’à la plupart des hommes la vie entière ; parfois ils élèvent un château de boue avec des figurines d’hommes, de chevaux, de buffles, modelées en boue également, et placent des roseaux dans la main des hommes, et prétendent que ce sont des rois avec leurs armées ou les dieux qu’il faut adorer. Puis le soir vient, les enfants rassemblent les bêtes en criant, les buffles s’s’arrachent de la boue gluante avec un bruit semblable à des coups de fusil partant l’un après l’autre, et tous prennent la file à travers la plaine grise pour retourner vers les lumières qui scintillent là-bas au village.
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arrachent de la boue gluante avec un bruit semblable à des coups de fusil partant l’un après l’autre, et tous prennent la file à travers la plaine grise pour retourner vers les lumières qui scintillent là-bas au village.
 
Chaque jour, Mowgli conduisait les buffles à leurs marécages et chaque jour il voyait le dos de Frère Gris à un mille et demi dans la plaine — il savait ainsi que Shere Khan n’était pas de retour — et chaque jour il se couchait sur l’herbe, écoutant les rumeurs qui s’élevaient autour de lui et rêvant aux anciens jours de la Jungle. Shere Khan aurait fait un faux pas de sa patte boiteuse, là-haut dans les fourrés, au bord de la Waingunga, que Mowgli l’eût entendu par ces longs matins silencieux.