« Mademoiselle Fifi (recueil, Ollendorff 1898)/Marroca » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
ThomasBot (discussion | contributions)
m Marc : prose
MarcBot (discussion | contributions)
m Bot : Remplacement de texte automatisé (-oeu +œu)
Ligne 15 :
" Quand je sais comment on aime dans un pays, je connais ce pays à le décrire, bien que ne l'ayant jamais vu. " Sache qu'ici on aime furieusement. On sent, dès les premiers jours, une sorte d'ardeur frémissante, un soulèvement, une brusque tension des désirs, un énervement courant au bout des doigts, qui surexcitent à les exaspérer nos puissances amoureuses et toutes nos facultés de sensation physique, depuis le simple contact des mains jusqu'à cet innommable besoin qui nous fait commettre tant de sottises.
 
Entendons-nous bien. Je ne sais si ce que vous appelez l'amour du coeurcœur, l'amour des âmes, si l'idéalisme sentimental, le platonisme enfin, peut exister sous ce ciel ; j'en doute même. Mais l'autre amour, celui des sens, qui a du bon, et beaucoup de bon, est véritablement terrible en ce climat. La chaleur, cette constante brûlure de l'air qui vous enfièvre, ces souffles suffocants du sud, ces marées de feu venues du grand désert si proche, ce lourd siroco, plus ravageant, plus desséchant que la flamme, ce perpétuel incendie d'un continent tout entier brûlé jusqu'aux pierres par un énorme et dévorant soleil, embrasent le sang, affolent la chair, embestialisent.
 
Mais j'arrive à mon histoire. Je ne te dis rien de mes premiers temps de séjour en Algérie. Après avoir visité Bône, Constantine, Biskra et Sétif, je suis venu à Bougie par les gorges du Chabet, et une incomparable route au milieu des forêts kabyles, qui suit la mer en la dominant de deux cents mètres, et serpente selon les festons de la haute montagne, jusqu'à ce merveilleux golfe de Bougie aussi beau que celui de Naples, que celui d'Ajaccio et que celui de Douarnenez, les plus admirables que je connaisse. J'excepte dans ma comparaison cette invraisemblable baie de Porto, ceinte de granit rouge, et habitée par les fantastiques et sanglants géants de pierre qu'on appelle les " Calanche " de Piana, sur les côtes ouest de la Corse.
Ligne 119 :
Elle me fixa avec ses larges yeux étonnés.
 
" Si, je l'aime beaucoup, au contraire, beaucoup, beaucoup, mais pas tant que toi, mon coeurrrcœurrr. "
 
Je ne comprenais plus du tout, et comme je cherchais à deviner, elle appuya sur ma bouche une de ces caresses dont elle connaissait le pouvoir, puis elle murmura :
Ligne 155 :
L'homme entra. Je ne vis que ses pieds, des pieds énormes. Si le reste se trouvait en proportion, il devait être un colosse.
 
J'entendis des baisers, une tape sur de la chair nue, un rire ; puis il dit avec un accent marseillais : " Zé oublié ma bourse, té, il a fallu revenir. Autrement, je crois que tu dormais de bon coeurcœur. " Il alla vers la commode, chercha longtemps ce qu'il lui fallait ; puis Marroca s'étant étendue sur le lit comme accablée de fatigue, il revient à elle, et sans doute il essayait de la caresser, car elle lui envoya, en phrases irritées, une mitraille d'r furieux.
 
Les pieds étaient si près de moi qu'une envie folle, stupide, inexplicable, me saisit de les toucher tout doucement. Je me retins.