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Mais l’art d’agencer les phrases, de trouver les proportions qui leur conviennent, ne s’acquiert pas du premier coup. D’ordinaire les littératures qui débutent ne le possèdent pas, et le français de Rabelais et de Montaigne, si étincelant de mots heureux et d’expressions trouvées, ne connaît pas encore très bien la conduite régulière et la juste proportion des phrases. Ce sont des qualités que le XVIIe siècle a le premier découvertes et pratiquées. Encore ne les retrouve-t-on alors que dans la langue écrite et littéraire. Les écrivains de profession et les gens qui se piquent de littérature cherchent à construire des périodes plus simples et qui marchent d’un tour plus aisé; le reste conserve les habitudes du siècle précédent. Les correspondances de cette époque, même celles des femmes les plus spirituelles, quand elles n’étaient pas aussi lettrées que Mme de Sévigné, sont pleines de ces phrases interminables, mal coupées, où l’on s’égare comme dans un labyrinthe, et qu’on aurait grand’peine à mener jusqu’au bout, si la justesse et le bonheur des détails ne rachetaient la lenteur et l’obscurité de l’ensemble. Il fallut un siècle encore pour que la réforme fût complète. La littérature s’imposant de plus à la société et la pénétrant dans toutes ses couches fit prévaloir partout les formes qu’elle avait préférées. A l’exception de quelques retardataires de plus en plus rares, tout le monde accepte alors cette façon d’écrire plus vive, plus courte, plus incisive, et la période lente et diffuse de l’époque précédente a pour jamais disparu.
Mais l’art d’agencer les phrases, de trouver les proportions qui leur conviennent, ne s’acquiert pas du premier coup. D’ordinaire les littératures qui débutent ne le possèdent pas, et le français de Rabelais et de Montaigne, si étincelant de mots heureux et d’expressions trouvées, ne connaît pas encore très bien la conduite régulière et la juste proportion des phrases. Ce sont des qualités que le XVIIe siècle a le premier découvertes et pratiquées. Encore ne les retrouve-t-on alors que dans la langue écrite et littéraire. Les écrivains de profession et les gens qui se piquent de littérature cherchent à construire des périodes plus simples et qui marchent d’un tour plus aisé ; le reste conserve les habitudes du siècle précédent. Les correspondances de cette époque, même celles des femmes les plus spirituelles, quand elles n’étaient pas aussi lettrées que Mme de Sévigné, sont pleines de ces phrases interminables, mal coupées, où l’on s’égare comme dans un labyrinthe, et qu’on aurait grand’peine à mener jusqu’au bout, si la justesse et le bonheur des détails ne rachetaient la lenteur et l’obscurité de l’ensemble. Il fallut un siècle encore pour que la réforme fût complète. La littérature s’imposant de plus à la société et la pénétrant dans toutes ses couches fit prévaloir partout les formes qu’elle avait préférées. A l’exception de quelques retardataires de plus en plus rares, tout le monde accepte alors cette façon d’écrire plus vive, plus courte, plus incisive, et la période lente et diffuse de l’époque précédente a pour jamais disparu.


Saint-Simon écrivit ses ''Mémoires'' en plein XVIIIe siècle, de 1739 à 1751 ; mais il vivait par l’esprit avec les gens du siècle précédent. Quoique fort instruit, il n’était pas tout à fait un lettré, et ne voulait pas l’être. Il faut voir avec quel dédain il dit quelque part : « Je ne fus jamais un sujet académique. » On dirait pourtant qu’il a par moment quelque souci du public devant lequel il va paraître et qu’il fait, presque à son insu, quelque sacrifice pour lui plaire. Quand on compare les additions au ''Journal'' de Dangeau, que M. de Boislisle nous donne à la fin de ses deux volumes, et qui sont comme le premier jet de la pensée de Saint-Simon, avec les ''Mémoires'', qui en sont la rédaction définitive, on s’aperçoit que, n’écrivant plus pour lui, mais pour tout le monde, il tient parfois à paraître un peu moins négligé. Il supprime quelques expressions trop vives ou trop familières. C’est ainsi qu’à propos du mariage du duc de Chartres et de la façon dont Madame traita son fils devant la cour, on lit dans les additions à Dangeau la phrase suivante : « Elle lui décocha un soufflet à lui faire voir des chandelles. » On a vu que, dans les ''Mémoires'', cette expression vulgaire a disparu. Mais c’est une exception. A tout prendre, Saint-Simon se préoccupe peu
Saint-Simon écrivit ses ''Mémoires'' en plein XVIIIe siècle, de 1739 à 1751 ; mais il vivait par l’esprit avec les gens du siècle précédent. Quoique fort instruit, il n’était pas tout à fait un lettré, et ne voulait pas l’être. Il faut voir avec quel dédain il dit quelque part : « Je ne fus jamais un sujet académique. » On dirait pourtant qu’il a par moment quelque souci du public devant lequel il va paraître et qu’il fait, presque à son insu, quelque sacrifice pour lui plaire. Quand on compare les additions au ''Journal'' de Dangeau, que M. de Boislisle nous donne à la fin de ses deux volumes, et qui sont comme le premier jet de la pensée de Saint-Simon, avec les ''Mémoires'', qui en sont la rédaction définitive, on s’aperçoit que, n’écrivant plus pour lui, mais pour tout le monde, il tient parfois à paraître un peu moins négligé. Il supprime quelques expressions trop vives ou trop familières. C’est ainsi qu’à propos du mariage du duc de Chartres et de la façon dont Madame traita son fils devant la cour, on lit dans les additions à Dangeau la phrase suivante : « Elle lui décocha un soufflet à lui faire voir des chandelles. » On a vu que, dans les ''Mémoires'', cette expression vulgaire a disparu. Mais c’est une exception. A tout prendre, Saint-Simon se préoccupe peu