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Sari-Sou, on entre dans celle du Doloman-Tschaï, l’ancien Indus, qui formait à peu près la frontière entre la Carie et la Lycie. Le fleuve, dont le volume d’eau est considérable pendant la saison des pluies, devient guéable au printemps, et la traversée s’opère sans encombre. On hausse les étriers, on relève sur la croupe du cheval les bissacs accrochés à la selle, et l’on pousse droit dans le lit du fleuve, où percent par endroits de larges bancs de galets. Sur la rive opposée s’élève un village de Tartares de Crimée, ou Nogaïs, qui ont suivi en Anatolie les Tcherkesses émigrés. Les paysans turcs ne distinguent guère les Tartares des Tcherkesses, et le village a reçu le nom de Tcherkess-Keuï. Il se compose de quelques maisons bâties en torchis et en pisé; à côté se dressent sur des pieux des kiosques en clayonnage qui forment comme des greniers élevés sur pilotis. Les habitans de ces masures ont conservé le costume national, le bonnet fourré, la longue robe ornée de cartouchières sur la poitrine. Leurs chevaux, toujours sellés en vue d’un coup de main possible, paissent dans un enclos voisin. Les habitans de la région redoutent beaucoup ces voisins incommodes, dont la spécialité est de faire des razzias de chevaux et de bétail.
Sari-Sou, on entre dans celle du Doloman-Tschaï, l’ancien Indus, qui formait à peu près la frontière entre la Carie et la Lycie. Le fleuve, dont le volume d’eau est considérable pendant la saison des pluies, devient guéable au printemps, et la traversée s’opère sans encombre. On hausse les étriers, on relève sur la croupe du cheval les bissacs accrochés à la selle, et l’on pousse droit dans le lit du fleuve, où percent par endroits de larges bancs de galets. Sur la rive opposée s’élève un village de Tartares de Crimée, ou Nogaïs, qui ont suivi en Anatolie les Tcherkesses émigrés. Les paysans turcs ne distinguent guère les Tartares des Tcherkesses, et le village a reçu le nom de Tcherkess-Keuï. Il se compose de quelques maisons bâties en torchis et en pisé ; à côté se dressent sur des pieux des kiosques en clayonnage qui forment comme des greniers élevés sur pilotis. Les habitans de ces masures ont conservé le costume national, le bonnet fourré, la longue robe ornée de cartouchières sur la poitrine. Leurs chevaux, toujours sellés en vue d’un coup de main possible, paissent dans un enclos voisin. Les habitans de la région redoutent beaucoup ces voisins incommodes, dont la spécialité est de faire des razzias de chevaux et de bétail.


Quelques heures de marche dans la montagne nous amènent au village de Métrésadis, qui domine toute la vallée, coquettement posé sur un plateau boisé. Un vieux Turc à figure souriante, Abdullah-bey, nous accueille avec cette courtoisie pleine de dignité dont les Osmanlis ont gardé la tradition. Il s’excuse de ne pouvoir nous offrir l’hospitalité dans la ''chambre des étrangers (mussafir-oda'') qu’il fait bâtir par des maçons grecs de Makry; à défaut de l’''oda'', notre hôte fait préparer pour notre gîte une sorte de grenier à blé, qui sert souvent aux Turcs de pavillon d’été. Ces constructions sont d’un usage fréquent dans toute la Lycie. Sir Charles Fellows en a dessiné de curieux spécimens <ref> Fellows : ''Travels in Lycia''. </ref>. Au-dessus d’une huche ayant à peine un mètre de hauteur règne un toit aigu, qui descend jusqu’au sol. Abdullah-bey fait entasser dans cette niche des tapis et des coussins, qui la transforment en un gîte très confortable. Le soleil couché, on apporte le repas, et tandis que tous les hôtes du bey, y compris le zaptié, font honneur aux galettes de blé noir et au ''kébab'', les domestiques d’Abdullah éclairent avec des torches de pin cette scène d’hospitalité. Le repas fini, on allume les chibouques et les cigarettes, et alors commence la scène de la veillée. On se laisse aller avec une sorte de langueur à cette demi-somnolence que causent la fatigue, le bruit des conversations à voix basse dans une langue douce et gutturale, les aspects étranges des personnages groupés autour du foyer, qui entraînent l’esprit assoupi dans les régions du rêve. Tous les voyageurs en Orient connaissent cette
Quelques heures de marche dans la montagne nous amènent au village de Métrésadis, qui domine toute la vallée, coquettement posé sur un plateau boisé. Un vieux Turc à figure souriante, Abdullah-bey, nous accueille avec cette courtoisie pleine de dignité dont les Osmanlis ont gardé la tradition. Il s’excuse de ne pouvoir nous offrir l’hospitalité dans la ''chambre des étrangers (mussafir-oda'') qu’il fait bâtir par des maçons grecs de Makry ; à défaut de l’''oda'', notre hôte fait préparer pour notre gîte une sorte de grenier à blé, qui sert souvent aux Turcs de pavillon d’été. Ces constructions sont d’un usage fréquent dans toute la Lycie. Sir Charles Fellows en a dessiné de curieux spécimens <ref> Fellows : ''Travels in Lycia''.</ref>. Au-dessus d’une huche ayant à peine un mètre de hauteur règne un toit aigu, qui descend jusqu’au sol. Abdullah-bey fait entasser dans cette niche des tapis et des coussins, qui la transforment en un gîte très confortable. Le soleil couché, on apporte le repas, et tandis que tous les hôtes du bey, y compris le zaptié, font honneur aux galettes de blé noir et au ''kébab'', les domestiques d’Abdullah éclairent avec des torches de pin cette scène d’hospitalité. Le repas fini, on allume les chibouques et les cigarettes, et alors commence la scène de la veillée. On se laisse aller avec une sorte de langueur à cette demi-somnolence que causent la fatigue, le bruit des conversations à voix basse dans une langue douce et gutturale, les aspects étranges des personnages groupés autour du foyer, qui entraînent l’esprit assoupi dans les régions du rêve. Tous les voyageurs en Orient connaissent cette