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comme à tâtons, sans réussir à se retrouver, n’ait enfin revu la lumière du jour qu’avec le lever de la grande aurore de la renaissance italienne. Allons plus loin : homme pour homme, les plus illustres de l’antiquité païenne, ces politiques subtils et raffinés de la Grèce classique ou ces durs héros de l’insensibilité romaine, sont petits quand on les compare à ces rois, à ces chevaliers, à ces moines du moyen âge que soulève au-dessus de terre la folie de la Croix. Et nous-mêmes nous sommes petits en face de tant d’exemples d’abnégation simplement, naïvement donnés, par tant de saints héroïques, tant de saintes adorables, par les rois sur leur trône, comme par les pauvres écoliers dans leurs taudis de la montagne Sainte-Geneviève ou par tant de milliers encore de nos humbles ancêtres sur les chemins poudreux qui menaient vers Jérusalem. Et nous ne craignons pas de répéter avec Michelet, le Michelet d’avant 1840, celui que l’on rencontre partout où il y avait à exprimer une pensée vraie sur le moyen âge: «Nous pouvons nous enorgueillir à bon droit de tant de progrès accomplis, et cependant le cœur se serre quand on voit que dans ce progrès de toutes choses, la force morale n’a point augmenté. » Pourquoi faut-il seulement que cette « force morale » ne se soit déployée que dans le domaine de l’action et que rien, comme on l’a pu voir, n’en ait passé dans la littérature?
comme à tâtons, sans réussir à se retrouver, n’ait enfin revu la lumière du jour qu’avec le lever de la grande aurore de la renaissance italienne. Allons plus loin : homme pour homme, les plus illustres de l’antiquité païenne, ces politiques subtils et raffinés de la Grèce classique ou ces durs héros de l’insensibilité romaine, sont petits quand on les compare à ces rois, à ces chevaliers, à ces moines du moyen âge que soulève au-dessus de terre la folie de la Croix. Et nous-mêmes nous sommes petits en face de tant d’exemples d’abnégation simplement, naïvement donnés, par tant de saints héroïques, tant de saintes adorables, par les rois sur leur trône, comme par les pauvres écoliers dans leurs taudis de la montagne Sainte-Geneviève ou par tant de milliers encore de nos humbles ancêtres sur les chemins poudreux qui menaient vers Jérusalem. Et nous ne craignons pas de répéter avec Michelet, le Michelet d’avant 1840, celui que l’on rencontre partout où il y avait à exprimer une pensée vraie sur le moyen âge : « Nous pouvons nous enorgueillir à bon droit de tant de progrès accomplis, et cependant le cœur se serre quand on voit que dans ce progrès de toutes choses, la force morale n’a point augmenté. » Pourquoi faut-il seulement que cette « force morale » ne se soit déployée que dans le domaine de l’action et que rien, comme on l’a pu voir, n’en ait passé dans la littérature ?


Mais, aux yeux mêmes de l’historien, les regrets ne sauraient faire que quand la renaissance parut, le moyen âge ne fut mort et bien mort. lui avait accompli son destin. La renaissance n’a rien détruit. Comme toute chose de ce monde périssable, où la vie naît de la mort, elle a été engendrée de la corruption même de l’âge auquel elle succédait. Elle ne s’est établie que sur des ruines. Le grand siècle du moyen âge, celui que mous pouvons en nommer le siècle classique, c’est le XIIe avec le XIIIe siècle finissant, la décadence commence; au XIVe siècle, c’est la dissolution. En religion, c’est la forte discipline des âges précédens qui se relâche et se brise, tandis qu’au loin grossit l’orage d’où sortira l’effroyable tempête de la réforme; en politique, c’est l’édifice féodal vermoulu qui craque de toutes parts sous les coups redoublés d’une royauté jalouse enfin de régner; en philosophie, c’est la gloire des plus illustres docteurs qui commence à pâlir et la superstition de leur infaillibilité qui chancelle; jusque dans l’art enfin, c’est le style gothique, ce merveilleux contre-sens architectural, qui dépérit et qui marche à la ruine prochaine, victime du « principe de mort » <ref> E. Renan, ''Histoire littéraire'', t. XXIV.</ref> qu’il avait apporté en naissant. En effet, ce n’est pas d’une mort imprévue que meurt le moyen âge. Depuis longtemps déjà malade, tout ici succombe sous l’excès de son propre principe : l’église, pour avoir oublié, dans son avidité de
Mais, aux yeux mêmes de l’historien, les regrets ne sauraient faire que quand la renaissance parut, le moyen âge ne fut mort et bien mort. lui avait accompli son destin. La renaissance n’a rien détruit. Comme toute chose de ce monde périssable, où la vie naît de la mort, elle a été engendrée de la corruption même de l’âge auquel elle succédait. Elle ne s’est établie que sur des ruines. Le grand siècle du moyen âge, celui que mous pouvons en nommer le siècle classique, c’est le XIIe avec le XIIIe siècle finissant, la décadence commence ; au XIVe siècle, c’est la dissolution. En religion, c’est la forte discipline des âges précédens qui se relâche et se brise, tandis qu’au loin grossit l’orage d’où sortira l’effroyable tempête de la réforme ; en politique, c’est l’édifice féodal vermoulu qui craque de toutes parts sous les coups redoublés d’une royauté jalouse enfin de régner ; en philosophie, c’est la gloire des plus illustres docteurs qui commence à pâlir et la superstition de leur infaillibilité qui chancelle ; jusque dans l’art enfin, c’est le style gothique, ce merveilleux contre-sens architectural, qui dépérit et qui marche à la ruine prochaine, victime du « principe de mort » <ref> E. Renan, ''Histoire littéraire'', t. XXIV.</ref> qu’il avait apporté en naissant. En effet, ce n’est pas d’une mort imprévue que meurt le moyen âge. Depuis longtemps déjà malade, tout ici succombe sous l’excès de son propre principe : l’église, pour avoir oublié, dans son avidité de