« Les Aventures de Télémaque/Quinzième livre » : différence entre les versions

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O rois sages et magnanimes, ô vous qui commandez avec tant d'expérience sur des peuples innombrables, ne dédaignez pas d'écouter les conseils d'un jeune homme. Si vous tombiez dans les plus affreuses extrémités où la guerre précipite quelquefois les hommes, il faudrait vous relever par votre vigilance et par les efforts de votre vertu; car le vrai courage ne se laisse jamais abattre. Mais si vous aviez une fois rompu la barrière de l'honneur et de la bonne foi, cette perte est irréparable: vous ne pourriez plus rétablir ni la confiance nécessaire aux succès de toutes les affaires importantes, ni ramener les hommes aux principes de la vertu, après que vous leur auriez appris à les mépriser. Que craignez-vous? N'avez-vous pas assez de courage pour vaincre sans tromper? Votre vertu, jointe aux forces de tant de peuples, ne vous suffit-elle pas? Combattons, mourons, s'il le faut, plutôt que de vaincre si indignement. Adraste, l'impie Adraste est dans nos mains, pourvu que nous ayons horreur d'imiter sa lâcheté et sa mauvaise foi."
 
Lorsque Télémaque acheva ce discours, il sentit que la douce persuasion avait coulé de ses lèvres et avait passé jusqu'au fond des coeurscœurs. Il remarqua un profond silence dans l'assemblée; chacun pensait, non à lui ni aux grâces de ses paroles, mais à la force de la vérité qui se faisait sentir dans la suite de son raisonnement: l'étonnement était peint sur les visages. Enfin on entendit un murmure sourd, qui se répandait peu à peu dans l'assemblée: les uns regardaient les autres et n'osaient parler les premiers; on attendait que les chefs de l'armée se déclarassent, et chacun avait de la peine à retenir ses sentiments. Enfin, le grave Nestor prononça ces paroles:
 
- Digne fils d'Ulysse, les dieux vous ont fait parler, et Minerve, qui a tant de fois inspiré votre père, a mis dans votre coeurcœur le conseil sage et généreux que vous avez donné. Je ne regarde point votre jeunesse; je ne considère que Minerve dans tout ce que vous venez de dire. Vous avez parlé pour la vertu; sans elle les plus grands avantages sont de vraies pertes; sans elle on s'attire bientôt la vengeance de ses ennemis, la défiance de ses alliés, l'horreur de tous les gens de bien et la juste colère des dieux. Laissons donc Venuse entre les mains des Lucaniens et ne songeons plus qu'à vaincre Adraste par notre courage.
 
Toujours attachés sur lui, l'aperçut; il prit cet anneau.
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Le jour du combat étant venu, à peine l'Aurore ouvrait au soleil les portes de l'Orient, dans un chemin semé de roses, que le jeune Télémaque, prévenant par ses soins la vigilance des plus vieux capitaines, s'arracha d'entre les bras du doux sommeil et mit en mouvement tous les officiers. Son casque, couvert de crins flottants, brillait déjà sur sa tête, et sa cuirasse sur son dos éblouissait les yeux de toute l'armée: l'ouvrage de Vulcain avait, outre sa beauté naturelle, l'éclat de l'égide qui y était cachée. Il tenait sa lance d'une main; de l'autre il montrait les divers postes qu'il fallait occuper. Minerve avait mis dans ses yeux un feu divin, et sur son visage une majesté fière qui promettait déjà la victoire.
 
Il marchait; et tous les rois, oubliant leur âge et leur dignité, se sentaient entraînés par une force supérieure qui leur faisait suivre ses pas. La faible jalousie ne peut plus entrer dans les coeurscœurs; tout cède à celui que Minerve conduit invisiblement par la main. Son action n'avait rien d'impétueux ni de précipité; il était doux, tranquille, patient, toujours prêt à écouter les autres et à profiter de leurs conseils, mais actif, prévoyant, attentif aux besoins les plus éloignés, arrangeant toutes choses à propos, ne s'embarrassant de rien et m'embarrassant point les autres, excusant les fautes, réparant les mécomptes, prévenant les difficultés, ne demandant jamais rien de trop à personne, inspirant partout la liberté et la confiance. Donnait-il un ordre, c'était dans les termes les plus simples et les plus clairs. Il le répétait pour mieux instruire celui qui devait l'exécuter: il voyait dans ses yeux s'il l'avait bien compris; il lui faisait ensuite expliquer familièrement comment il avait compris ses paroles et le principal but de son entreprise. Quand il avait ainsi éprouvé le bon sens de celui qu'il envoyait et qu'il l'avait fait entrer dans ses vues, il ne le faisait partir qu'après lui avoir donné quelque marque d'estime et de confiance pour l'encourager. Ainsi tous ceux qu'il envoyait étaient pleins d'ardeur pour lui plaire et pour réussir; mais ils n'étaient point gênés par la crainte qu'il leur imputerait les mauvais succès: car il excusait toutes les fautes qui ne venaient point de mauvaise volonté.
 
L'horizon paraissait rouge et enflammé par les premiers rayons du soleil; la mer était pleine des feux du jour naissant. Toute la côte était couverte d'hommes, d'armes, de chevaux et de chariots en mouvement: c'était un bruit confus, semblable à celui des flots en courroux, quand Neptune excite, au fond de ses abîmes, les noires tempêtes. Ainsi Mars commençait, par le bruit des armes et par l'appareil frémissant de la guerre, à semer la rage dans tous les coeurscœurs. La campagne était pleine de piques hérissées, semblables aux épis qui couvrent les sillons fertiles dans le temps des moissons. Déjà s'élevait un nuage de poussière, qui dérobait peu à peu aux yeux des hommes la terre et le ciel. La confusion, l'horreur, le carnage, l'impitoyable mort s'avançait.
 
A peine les premiers traits étaient jetés, que Télémaque, levant les yeux et les mains vers le ciel, prononça ces paroles:
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Cependant Adraste, qui apprit que Télémaque répandait de tous côtés la terreur, le cherchait avec empressement. Il espérait de vaincre facilement le fils d'Ulysse dans un âge encore si tendre, et il menait autour de lui trente Dauniens d'une force, d'une adresse et d'une audace extraordinaire, auxquels il avait promis de grandes récompenses, s'ils pouvaient, dans le combat, faire périr Télémaque, de quelque manière que ce pût être. S'il l'eût rencontré dans ce commencement du combat, sans doute ces trente hommes, environnant le char de Télémaque, pendant qu'Adraste l'aurait attaqué de front, n'auraient eu aucune peine à le tuer: mais Minerve les fit égarer.
 
Adraste crut voir et entendre Télémaque dans un endroit de la plaine enfoncé au pied d'une colline, où il y avait une foule de combattants: il court, il vole, il veut se rassasier de sang; mais, au lieu de Télémaque, il aperçoit le vieux Nestor, qui, d'une main tremblante, jetait au hasard quelques traits inutiles. Adraste, dans sa fureur, veut le percer; mais une troupe de Pyliens se jeta autour de Nestor. Alors une nuée de traits obscurcit l'air et couvrit tous les combattants; on n'entendait que les cris plaintifs des mourants et le bruit des armes de ceux qui tombaient dans la mêlée; la terre gémissait sous un monceau de morts; des ruisseaux de sang coulaient de toutes parts. Bellone et Mars, avec les Furies infernales, vêtues de robes toutes dégouttantes de sang, repaissaient leurs yeux cruels de ce spectacle et renouvelaient sans cesse la rage dans les coeurscœurs. Ces divinités ennemies des hommes repoussaient loin des deux partis la pitié généreuse, la valeur modérée, la douce humanité. Ce n'était plus, dans cet amas confus d'hommes acharnés les uns sur les autres, que massacre, vengeance, désespoir et fureur brutale; la sage et invincible Pallas elle-même, l'ayant vu, frémit et recula d'horreur.
 
Cependant Philoctète, marchant à pas lents et tenant dans ses mains les flèches d'Hercule, se hâtait d'aller au secours de Nestor. Adraste, n'ayant pu atteindre le divin vieillard, avait lancé ses traits sur plusieurs Phyliens, auxquels il avait fait mordre la poudre. Déjà il avait abattu Ctésilas, si léger à la course, qu'à peine il imprimait la trace de ses pas dans le sable et qu'il devançait, dans son pays, les plus rapides flots de l'Eurotas et de l'Alphée. A ses pieds étaient tombés Eutyphron, plus beau qu'Hylas et aussi ardent chasseur qu'Hippolyte; Ptérélas, qui avait suivi Nestor au siège de Troie, et qu'Achille même avait aimé à cause de son courage et de sa force; Aristogiton, qui, s'étant baigné, disait-on, dans les ondes du fleuve Achéloüs, avait reçu secrètement de ce dieu la vertu de prendre toutes sortes de formes. En effet, il était si souple et si prompt dans tous ses mouvements qu'il échappait aux mains les plus fortes: mais Adraste, d'un coup de lance, le rendit immobile, et son âme s'enfuit d'abord avec son sang.
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Pendant que Philoctète répandait autour de lui le carnage et l'horreur pour repousser les efforts d'Adraste, Nestor tenait serré entre ses bras le corps de son fils: il remplissait l'air de ses cris, et ne pouvait souffrir la lumière.
 
- Malheureux - disait-il - d'avoir été père et d'avoir vécu si longtemps! Hélas! cruelles destinées, pourquoi n'avez-vous pas fini ma vie ou à la chasse du sanglier de Calydon, ou au voyage de Colchos, ou au premier siège de Troie? Je serais mort avec gloire et sans amertume. Maintenant, je traîne une vieillesse douloureuse, méprisée et impuissante: je ne vis plus que pour les maux; je n'ai plus de sentiment que pour la tristesse. O mon fils, ô mon fils, ô cher fils Pisistrate, quand je perdis ton frère Antiloque, je t'avais pour me consoler: je ne t'ai plus; je n'ai plus rien, et rien ne me consolera; tout est fini pour moi. L'espérance, seul adoucissement des peines des hommes, n'est plus un bien qui me regarde. Antiloque, Pisistrate, ô chers enfants, je crois que c'est aujourd'hui que je vous perds tous deux: la mort de l'un rouvre la plaie que l'autre avait faite au fond de mon coeurcœur. Je ne vous verrai plus! Qui fermera mes yeux? Qui recueillera mes cendres? O Pisistrate, tu es mort, comme ton frère, en homme courageux; il n'y a que moi qui ne puis mourir.
 
En disant ces paroles, il voulut se percer lui-même d'un dard qu'il tenait; mais on arrêta sa main: on lui arracha le corps de son fils, et, comme cet infortuné vieillard tombait en défaillance, on le porta dans sa tente, où ayant un peu repris ses forces, il voulut retourner au combat; mais on le retint malgré lui.
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Cependant Adraste et Philoctète se cherchaient; leurs yeux étaient étincelants, comme ceux d'un lion et d'un léopard qui cherchent à se déchirer l'un l'autre dans les campagnes qu'arrose le Caïstre. Les menaces, la fureur guerrière et la cruelle vengeance éclatent dans leurs yeux farouches; ils portent une mort certaine partout où ils lancent leurs traits; tous les combattants les regardent avec effroi. Déjà ils se voient l'un l'autre, et Philoctète tient en main une de ces flèches terribles qui n'ont jamais manqué leur coup dans ses mains et dont les blessures sont irrémédiables: mais Mars, qui favorisait le cruel et intrépide Adraste, ne put souffrir qu'il pérît si tôt; il voulait, par lui, prolonger les horreurs de la guerre et multiplier les carnages. Adraste était encore dû à la justice des dieux pour punir les hommes et pour verser leur sang.
 
Dans le moment où Philoctète veut l'attaquer, il est blessé lui-même par un coup de lance que lui donne Amphimaque, jeune Lucanien, plus beau que le fameux Nirée, dont la beauté ne cédait qu'à celle d'Achille parmi tous les Grecs qui combattirent au siège de Troie. A peine Philoctète eut reçu le coup, qu'il tira sa flèche contre Amphimaque: elle lui perça le coeurcœur. Aussitôt ses beaux yeux noirs s'éteignirent et furent couverts des ténèbres de la mort; sa bouche, plus vermeille que les roses dont l'Aurore naissante sème l'horizon, se flétrit; une pâleur affreuse ternit ses joues; ce visage si tendre et si gracieux se défigura tout à coup. Philoctète lui-même en eut pitié. Tous les combattants gémirent, en voyant ce jeune homme tomber dans son sang, où il se roulait, et ses cheveux, aussi beaux que ceux d'Apollon, traînés dans la poussière.
 
Philoctète, ayant vaincu Amphimaque, fut contraint de se retirer du combat: il perdait son sang et ses forces; son ancienne blessure même, dans l'effort du combat, semblait prête à se rouvrir et à renouveler ses douleurs: car les enfants d'Esculape, avec leur science divine, n'avaient pu le guérir entièrement. Le voilà prêt à tomber dans un monceau de corps sanglants qui l'environnent. Archidame, le plus fier et le plus adroit de tous les Oebaliens qu'il avait menés avec lui pour fonder Pétilie, l'enlève du combat dans le moment où Adraste l'aurait abattu sans peine à ses pieds. Adraste ne trouve plus rien qui ose lui résister ni retarder sa victoire. Tout tombe, tout s'enfuit: c'est un torrent, qui, ayant surmonté ses bords, entraîne, par ses vagues furieuses, les moissons, les troupeaux, les bergers et les villages.
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Télémaque entendit de loin les cris des vainqueurs et il vit le désordre des siens, qui fuyaient devant Adraste, comme une troupe de cerfs timides traverse les vastes campagnes, les bois, les montagnes, les fleuves même les plus rapides, quand ils sont poursuivis par des chasseurs. Télémaque gémit; l'indignation paraît dans ses yeux; il quitte les lieux où il a combattu longtemps avec tant de danger et de gloire. Il court pour soutenir les siens; il s'avance tout couvert du sang d'une multitude d'ennemis qu'il a étendus sur la poussière. De loin, il pousse un cri qui se fait entendre aux deux armées. Minerve avait mis je ne sais quoi de terrible dans sa voix, dont les montagnes voisines retentirent. Jamais Mars, dans la Thrace, n'a fait entendre plus fortement sa cruelle voix quand il appelle les furies infernales, la guerre et la mort.
 
Ce cri de Télémaque porte le courage et l'audace dans le coeurcœur des siens; il glace d'épouvante les ennemis: Adraste même a honte de se sentir troublé. Je ne sais combien de funestes présages le font frémir, et ce qui l'anime est plutôt un désespoir qu'une valeur tranquille. Trois fois ses genoux tremblants commencèrent à se dérober sous lui; trois fois il recula sans songer à ce qu'il faisait. Une pâleur de défaillance et une sueur froide se répandit dans tous ses membres; sa voix enrouée et hésitante ne pouvait achever aucune parole; ses yeux, pleins d'un feu sombre et étincelant, paraissaient sortir de sa tête; on le voyait, comme Oreste, agité par les Furies; tous ses mouvements étaient convulsifs. Alors il commença à croire qu'il y avait des dieux. Il s'imaginait les voir irrités et entendre une voix sourde qui sortait du fond de l'abîme pour l'appeler dans le noir Tartare; tout lui faisait sentir une main céleste et invisible, suspendue sur sa tête, qui allait s'appesantir pour le frapper. L'espérance était éteinte au fond de son coeurcœur; son audace se dissipait, comme la lumière du jour disparaît quand le soleil se couche dans le sein des ondes et que la terre s'enveloppe des ombres de la nuit.
 
L'impie Adraste, trop longtemps souffert sur la terre, si les hommes n'eussent eu besoin d'un tel châtiment, l'impie Adraste touchait enfin à sa dernière heure. Il court forcené au-devant de son inévitable destin: l'horreur, les cuisants remords, la consternation, la fureur, la rage, le désespoir, marchent avec lui. A peine voit-il Télémaque, qu'il croit voir l'Averne qui s'ouvre et les tourbillons de flammes qui sortent du noir Phlégéthon prêtes à le dévorer. Il s'écrie, et sa bouche demeure ouverte sans qu'il puisse prononcer aucune parole: tel qu'un homme dormant, qui, dans un songe affreux, ouvre la bouche et fait des efforts pour parler; mais la parole lui manque toujours, et il la cherche en vain. D'une main tremblante et précipitée, Adraste lance son dard contre Télémaque. Celui-ci intrépide comme l'ami des dieux, se couvre de son bouclier; il semble que la victoire, le couvrant de ses ailes, tient déjà une couronne suspendue au-dessus de sa tête: le courage doux et paisible reluit dans ses yeux; on le prendrait pour Minerve même, tant il paraît sage et mesuré au milieu des plus grands périls. Le dard lancé par Adraste est repoussé par le bouclier. Alors Adraste se hâte de tirer son épée, pour ôter au fils d'Ulysse l'avantage de lancer son dard à son tour. Télémaque, voyant Adraste l'épée à la main, se hâte de la mettre aussi et laisse son dard inutile.
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Quand on les vit ainsi tous deux combattre de près, tous les autres combattants, en silence, mirent bas les armes pour les regarder attentivement, et on attendit de leur combat la décision de toute la guerre. Les deux glaives, brillants comme les éclairs d'où partent les foudres, se croisent plusieurs fois et portent des coups inutiles sur les armes polies, qui en retentissent. Les deux combattants s'allongent, se replient, s'abaissent, se relèvent tout à coup, et enfin se saisissent. Le lierre, en naissant au pied d'un ormeau, n'enserre pas plus étroitement le tronc dur et noueux par ses rameaux entrelacés jusqu'aux plus hautes branches de l'arbre, que ces deux combattants se serrent l'un l'autre. Adraste n'avait encore rien perdu de sa force; Télémaque n'avait pas encore toute la sienne. Adraste fait plusieurs efforts pour surprendre son ennemi et pour l'ébranler. Il tâche de saisir l'épée du jeune Grec, mais en vain: dans le moment où il la cherche, Télémaque l'enlève de terre et le renverse sur le sable. Alors cet impie, qui avait toujours méprisé les dieux, montre une lâche crainte de la mort; il a honte de demander la vie, et il ne peut s'empêcher de témoigner qu'il la désire; il tâche d'émouvoir la compassion de Télémaque.
 
- Fils d'Ulysse - dit-il - enfin c'est maintenant que je connais les justes dieux: ils me punissent comme je l'ai mérité. Il n'y a que le malheur qui ouvre les yeux des hommes pour voir la vérité: je la vois, elle me condamne. Mais qu'un roi malheureux vous fasse souvenir de votre père, qui est loin d'Ithaque, et touche votre coeurcœur.
 
Télémaque, qui, le tenant sous ses genoux, avait le glaive déjà levé pour lui percer la gorge, répondit aussitôt:
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- Dauniens, vous le voyez, la victoire est à nous l'impie ne se sauve que par la trahison. Celui qui ne craint point les dieux craint la mort; au contraire, celui que les craint ne craint rien qu'eux.
 
En disant ces paroles, il s'avance vers les Dauniens et fait signe aux siens, qui étaient de l'autre côté de l'arbre, de couper chemin au perfide Adraste. Adraste craint d'être surpris, fait semblant de retourner sur ses pas et veut renverser les Crétois qui se présentent à son passage; mais tout à coup Télémaque, prompt comme la foudre que la main du père des dieux lance du haut Olympe sur les têtes coupables, vient fondre sur son ennemi: il le saisit d'une main victorieuse; il le renverse comme le tendre aquilon abat les tendres moissons qui dorent les campagnes. Il ne l'écoute plus, quoique l'impie ose encore une fois essayer d'abuser de la bonté de son coeurcœur: il enfonce son glaive, et le précipite dans les flammes du noir Tartare, digne châtiment de ses crimes.
 
A peine Adraste fut mort, que tous les Dauniens, loin de déplorer leur défaite et la perte de leur chef, se réjouirent de leur délivrance; ils tendirent les mains aux alliés en signe de paix et de réconciliation.