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Serbes, dépourvus d’officiers indigènes, étaient heureux de remettre à ces généreux auxiliaires le commandement de leurs milices. Les officiers de Tchernaïef n’en ont pas moins pu entendre les murmures qu’excitait parmi leurs frères slaves leur ingérence politique ou leur prépondérance militaire. Ces rivalités ne semblent même pas avoir été sans influence sur les dernières défaites de l’armée serbe et de ses cadres russes. Il n’y avait pas besoin d’une telle expérience pour savoir que si les Serbes réclamaient l’appui de la Russie, c’est uniquement au profit de la Serbie, et que, s’ils désiraient être indépendans du sultan, ce n’était point pour devenir les vassaux du tsar.
Serbes, dépourvus d’officiers indigènes, étaient heureux de remettre à ces généreux auxiliaires le commandement de leurs milices. Les officiers de Tchernaïef n’en ont pas moins pu entendre les murmures qu’excitait parmi leurs frères slaves leur ingérence politique ou leur prépondérance militaire. Ces rivalités ne semblent même pas avoir été sans influence sur les dernières défaites de l’armée serbe et de ses cadres russes. Il n’y avait pas besoin d’une telle expérience pour savoir que si les Serbes réclamaient l’appui de la Russie, c’est uniquement au profit de la Serbie, et que, s’ils désiraient être indépendans du sultan, ce n’était point pour devenir les vassaux du tsar.


Restent les Bulgares. Si en dehors de la Russie il y a quelques panslavistes dans le sens que nous donnons à ce mot, c’est parmi ces Bulgares. La raison en est simplement un plus long et plus complet abaissement, une sorte d’affaissement politique et d’aveuglement de la conscience nationale obscurcie par la privation séculaire de toute autonomie. Tandis que depuis trois quarts de siècle le raïa serbe peut lever les yeux vers Belgrade ou Tsettinié, le Bulgare, las du joug turc, ne savait où diriger les siens. Il était pour ainsi dire devant un ciel vide, et la nuit de sa servitude était sans étoiles. Abandonné d’autrui et sans confiance en lui-même, il n’est point étonnant que le désespoir lui ait fait regarder vers le tsar du Nord comme vers le dieu mystérieux d’où lui devait un jour venir le salut. Aujourd’hui, si ses yeux se dirigent encore du même côté, ce n’est plus avec le même sentiment. Au contact de leurs voisins, Serbes et Roumains, sous l’impulsion des comités de Boukarest ou de Belgrade, ces Bulgares tant abaissés ont relevé la tête; ils se sont mis, eux aussi, à rêver d’avenir, mais à rêver pour leur propre compte. S’ils ont avec les Russes plus d’affinité de race que n’en ont les Serbes, étant probablement, comme les Moscovites, nés d’une infusion du sang finnois dans le sang slave, les Bulgares sont moins que les Serbes rapprochés des Russes par le lien le plus apparent, le lien de la langue. Eux aussi du reste ont leur histoire, leurs traditions entièrement étrangères à celles de la Russie et récemment recueillies dans leurs chants populaires. Chez ce peuple si longtemps déprimé, l’orgueil national s’est déjà réveillé : faute de mieux, il s’exerce rétrospectivement, et, à l’aide de poèmes plus ou moins authentiques, le patriotisme bulgare revendique comme sienne une bonne part de l’héritage poétique ou héroïque des Grecs, d’Orphée de Thrace à Alexandre de Macédoine. Pour peu qu’on lui permette de goûter à l’autonomie, un tel peuple y prendra vite assez de goût pour se détourner du trouble breuvage panslaviste. Sa conscience nationale, déjà éveillée par l’indépendance de son église et la
Restent les Bulgares. Si en dehors de la Russie il y a quelques panslavistes dans le sens que nous donnons à ce mot, c’est parmi ces Bulgares. La raison en est simplement un plus long et plus complet abaissement, une sorte d’affaissement politique et d’aveuglement de la conscience nationale obscurcie par la privation séculaire de toute autonomie. Tandis que depuis trois quarts de siècle le raïa serbe peut lever les yeux vers Belgrade ou Tsettinié, le Bulgare, las du joug turc, ne savait où diriger les siens. Il était pour ainsi dire devant un ciel vide, et la nuit de sa servitude était sans étoiles. Abandonné d’autrui et sans confiance en lui-même, il n’est point étonnant que le désespoir lui ait fait regarder vers le tsar du Nord comme vers le dieu mystérieux d’où lui devait un jour venir le salut. Aujourd’hui, si ses yeux se dirigent encore du même côté, ce n’est plus avec le même sentiment. Au contact de leurs voisins, Serbes et Roumains, sous l’impulsion des comités de Boukarest ou de Belgrade, ces Bulgares tant abaissés ont relevé la tête ; ils se sont mis, eux aussi, à rêver d’avenir, mais à rêver pour leur propre compte. S’ils ont avec les Russes plus d’affinité de race que n’en ont les Serbes, étant probablement, comme les Moscovites, nés d’une infusion du sang finnois dans le sang slave, les Bulgares sont moins que les Serbes rapprochés des Russes par le lien le plus apparent, le lien de la langue. Eux aussi du reste ont leur histoire, leurs traditions entièrement étrangères à celles de la Russie et récemment recueillies dans leurs chants populaires. Chez ce peuple si longtemps déprimé, l’orgueil national s’est déjà réveillé : faute de mieux, il s’exerce rétrospectivement, et, à l’aide de poèmes plus ou moins authentiques, le patriotisme bulgare revendique comme sienne une bonne part de l’héritage poétique ou héroïque des Grecs, d’Orphée de Thrace à Alexandre de Macédoine. Pour peu qu’on lui permette de goûter à l’autonomie, un tel peuple y prendra vite assez de goût pour se détourner du trouble breuvage panslaviste. Sa conscience nationale, déjà éveillée par l’indépendance de son église et la