« Les Anciens Canadiens/1 » : différence entre les versions

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– Diable! pensais-je, il paraît que les hommes d’esprit ne sont pas difficiles, si c’est de l’esprit que je viens de faire: j’en ai alors une bonne provision; je ne m’en étais pourtant jamais douté.<br>
 
Tout fier de cette découverte, et en me disant à moi-même que j’avais plus d’esprit que les onze imbéciles dont m’avait parlé mon ami, je vole chez mon libraire, j’achète une rame de papier ''foolscap'' (C’est-à-dire, peut-être, ''papier-bonnet'' ou ''tête de fou'', comme il plaira au traducteur), et je me mets à l’oeuvrel’œuvre.<br>
 
J’écris pour m’amuser, au risque de bien ennuyer le lecteur qui aura la patience de lire ce volume; mais comme je suis d’une nature compatissante, j’ai un excellent conseil à donner à ce cher lecteur: c’est de jeter promptement le malencontreux livre, sans se donner la peine de le critiquer: ce serait lui accorder trop d’importance, et, en outre, ce serait un labeur inutile pour le critiquer de bonne foi car, à l’encontre de ce vieil archevêque de Grenade dont parle Gil Blas, si chatouilleux à l’endroit des homélies, je suis, moi, de bonne composition et, au lieu de dire à ce cher critique: « Je vous souhaite toutes sortes de prospérités avec plus de goût », j’admettrai franchement qu’il y a mille défauts dans ce livre, et que je les connais.<br>
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Quant au critique malveillant, ce serait pour lui un travail en pure perte, privé qu’il serait d’engager une polémique avec moi. Je suis, d’avance, bien peiné de lui enlever cette douce jouissance, et de lui rogner si promptement les griffes. Je suis très vieux et paresseux avec délice, comme le Figaro d’ironique mémoire. D’ailleurs, je n’ai pas assez d’amour- propre pour tenir le moins du monde à mes productions littéraires. Consigner quelques épisodes du bon vieux temps, quelques souvenirs d’une jeunesse, hélas! bien éloignée, voilà toute mon ambition.<br>
 
Plusieurs anecdotes paraîtront, sans doute, insignifiantes et puériles à bien des lecteurs: qu’ils jettent le blâme sur quelques-uns de nos meilleurs littérateurs, qui m’ont prié de ne rien omettre sur les moeursmœurs des anciens Canadiens. « Ce qui paraîtra insignifiant et puéril aux yeux des étrangers, me disaient-ils, ne laissera pas d’intéresser les vrais Canadiens, dans la chronique d’un septuagénaire né vingt-huit ans seulement après la conquête de la Nouvelle-France. »
 
Ce livre ne sera ni trop bête ni trop spirituel. Trop bête! certes, un auteur doit se respecter tant soit peu. Trop spirituel! il ne serait apprécié que des personnes qui ont beaucoup d’esprit, et, sous un gouvernement constitutionnel, le candidat préfère la quantité à la qualité.<br>
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:''L’étendard de la France et la croix du vrai Dieu.''
 
Que ceux qui connaissent notre bonne cité de Québec se transportent, en corps ou en esprit, sur le marché de la haute ville, ne serait-ce que pour juger des changements survenus dans cette localité depuis l’an de grâce 1757, époque à laquelle commence cette histoire. C’est toujours la même cathédrale par la structure, minus sa tour moderne, qui semble supplier les âmes charitables, soit de l’exhausser, soit de couper la tête à sa soeursœur géante, qui a l’air de la regarder sous cape, avec mépris, du haut de sa grandeur.<br>
 
Le collège des Jésuites, plus tard métamorphosé en caserne, présentait bien le même aspect qu’aujourd’hui; mais qu’est devenue l’église construite jadis à la place des halles actuelles? Où est le bocage d’arbres séculaires, derrière ce temple, qui ornaient la cour maintenant si nue, si déserte, de cette maison consacrée à l’éducation de la jeunesse canadienne? La hache et le temps, hélas! ont fait leur oeuvreœuvre de destruction. Aux joyeux ébats, aux saillies spirituelles des jeunes élèves, aux pas graves des professeurs qui s’y promenaient pour se délasser d’études profondes, aux entretiens de haute philosophie, ont succédé le cliquetis des armes, les propos de corps de garde, souvent libres et saugrenus!<br>
 
À la place du marché actuel, des boucheries très basses, contenant, tout au plus, sept ou huit étaux, occupaient une petite partie du terrain, entre la cathédrale et le collège. Entre ces boucheries et le collège, coulait un ruisseau, qui descendait de la rue Saint-Louis, passait au beau milieu de la rue de la Fabrique, traversait la rue Couillard et le jardin de l’Hôtel-Dieu, dans sa course vers la rivière Saint-Charles. Nos ancêtres avaient des goûts bucoliques très prononcés!<br>
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– Promets-nous de revenir, cria-t-on de toutes parts.<br>
 
Pendant ce colloque, Jules part comme un trait au-devant de deux hommes s’avançant à grands pas, le long de la cathédrale, avec chacun un aviron sur l’épaule droite. L’un d’eux porte le costume des habitants de la campagne: capot d’étoffe noire tissés dans le pays, bonnet de laine grise, mitasses et jarretières de la même teinte, ceinture aux couleurs variées, et gros souliers de peau de boeufbœuf du pays, plissés à l’iroquoise. Le costume de l’autre est à peu près celui des deux jeunes voyageurs, mais beaucoup moins riche. Le premier, d’une haute stature, aux manières brusques, est un traversier de la Pointe-Lévis'''(a)'''. Le second, d’une taille moyenne, aux formes athlétiques, est au service du capitaine d’Haberville, père de Jules: soldat pendant la guerre, il prend ses quartiers chez lui pendant la paix. Il est du même âge que son capitaine, et son frère de lait. C’est l’homme de confiance de famille; il a bercé Jules, il l’a souvent endormi dans ses bras, en chantant les gais refrains de nos voyageurs des pays hauts.<br>
– Comment te portes-tu, mon cher José? Comment as-tu laissé ma famille? dit Jules, en se jetant dans ses bras.<br>
– Tou bin, yeux (Dieu) merci, fit José; ils vous mandent bin des compliments, et ils ont grand hâte de vous voir. Mais comme vous avez profité depuis huit mois que je ne vous ai vu! ma frine (foi), M. Jules, ça fait plaisir à voir.<ref>L'auteur met dans la bouche de José le langage des anciens habitants de nos campagnes, sans néanmoins s'y astreindre toujours.</ref><br>
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Les dernières paroles d’Arché furent:<br>
– Adieu, vous tous qui avez ouvert vos bras et vos coeurscœurs à l’enfant proscrit; adieu, amis généreux, dont les efforts constants ont été de faire oublier au pauvre exilé qu’il appartenait à une race étrangère à la vôtre! Adieu! Adieu! peut-être pour toujours.<br>
 
Jules était très affecté.<br>
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S’adressant ensuite aux régents du collège, il leur dit:<br>
– J’ai beaucoup abusé de votre indulgence, messieurs, mais vous savez tous que mon coeurcœur a toujours mieux valu que ma tête; pardonnez à l’une, je vous prie, en faveur de l’autre. Quant à vous, mes chers condisciples, ajouta-t-il d’une voix qu’il s’efforçait inutilement de rendre gaie, avouez que si je vous ai beaucoup tourmentés, par mes espiègleries, pendant mes dix années de collège, je vous ai par compensation fait beaucoup rire.<br>
 
Et, prenant le bras d’Arché, il l’entraîna pour cacher son émotion.<br>