« Bourses de voyage (1904)/Première partie/Chapitre III » : différence entre les versions

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Si M. Horatio Patterson occupait la place d’économe à Antilian School, c’est qu’il avait abandonné la carrière du professorat pour celle de l’administration. Latiniste convaincu, il regrettait qu’en Angleterre la langue de Virgile et de Cicéron n’eût pas la considération dont elle jouit en France, où un haut rang lui est réservé dans le monde universitaire. La race française, il est vrai, peut revendiquer une origine latine à laquelle ne prétendent point les fils d’Albion, et peut-être, dans ce pays, le latin résistera-t-il aux envahissements de l’enseignement moderne ?
 
Mais, s’il ne professait plus, M. Patterson n’en restait pas moins fidèle, dans le fond de
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son coeur, à ces maîtres de l’antiquité romaine dont il avait le culte. Tout en se remémorant nombre de citations de Virgile, d’Ovide ou d’Horace, il consacrait ses qualités de comptable exact et méthodique à l’administration des finances d’Antilian School. Avec la précision, la minutie même qui le caractérisaient, il donnait l’impression d’un économe modèle, qui n’ignore rien des mystères du doit et avoir ni des plus menus détails de la comptabilité. Après avoir été jadis primé aux examens des langues anciennes, il aurait pu l’être actuellement dans un concours pour la tenue des livres ou l’établissement d’un budget scolaire.
 
Très vraisemblablement, d’ailleurs, c’était M. Horatio Patterson qui prendrait la direction d’Antilian School, lorsque M. Ardagh se retirerait, après fortune faite, car l’institution se trouvait en état de parfaite prospérité, et elle ne péricliterait pas entre des mains si dignes de recueillir cette importante succession.
 
M. Horatio Patterson n’avait dépassé que de quelques mois la quarantaine. Homme d’étude plus qu’homme de sport, il jouissait d’une excellente santé qu’il n’avait jamais ébranlée par aucun excès : bon estomac, coeur
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admirablement réglé, bronches de qualité supérieure. C’était un personnage discret et réservé, en équilibre constant, ayant toujours su ne point se compromettre ni par ses actes ni par ses paroles, tempérament théorique et pratique à la fois, incapable de désobliger personne, d’une parfaite tolérance, et, pour lui appliquer une locution qui ne saurait lui déplaire, très sui compos.
 
M. Horatio Patterson, d’une taille au-dessus de la moyenne, sans carrure, les épaules un peu fuyantes, était plutôt gauche dans sa démarche et sans élégance dans son attitude. Un geste naturellement emphatique accompagnait sa parole d’une articulation légèrement prétentieuse. Bien que de physionomie grave, il ne dédaignait pas de sourire à l’occasion. Il avait les yeux bleu pâle, à demi éteints du myope, ce qui l’obligeait à porter des lunettes d’un fort numéro, qu’il posait sur le bout de son nez proéminent. En somme, et plus souvent embarrassé de ses longues jambes, il marchait les talons trop rapprochés, il s’asseyait maladroitement à faire craindre qu’il ne glissât de son siège, et, s’il s’étendait bien ou mal dans le lit, il n’y avait que lui à le savoir.
 
Il existait une Mrs Patterson, alors âgée
Il existait une Mrs Patterson, alors âgée de trente-sept ans, une femme assez intelligente, sans prétention ni coquetterie. Son mari ne lui semblait pas ridicule, et il savait apprécier ses services, lorsqu’elle l’aidait dans ses travaux de comptabilité. D’ailleurs, de ce que l’économe d’Antilian School était un homme de chiffres, il ne faudrait pas s’imaginer qu’il fût négligé dans sa tenue, peu soucieux de sa toilette. On ferait erreur. Non ! il n’y avait rien de mieux disposé que le noeud de sa cravate blanche, de mieux ciré que ses bottines à bout de cuir verni, de plus empesé que sa chemise si ce n’est sa personne, de plus irréprochable que son pantalon noir, de plus fermé que son gilet semblable à celui d’un clergyman, de plus boutonné que son ample redingote qui lui descendait à mi-jambes.
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Il existait une Mrs Patterson, alors âgée de trente-sept ans, une femme assez intelligente, sans prétention ni coquetterie. Son mari ne lui semblait pas ridicule, et il savait apprécier ses services, lorsqu’elle l’aidait dans ses travaux de comptabilité. D’ailleurs, de ce que l’économe d’Antilian School était un homme de chiffres, il ne faudrait pas s’imaginer qu’il fût négligé dans sa tenue, peu soucieux de sa toilette. On ferait erreur. Non ! il n’y avait rien de mieux disposé que le noeud de sa cravate blanche, de mieux ciré que ses bottines à bout de cuir verni, de plus empesé que sa chemise si ce n’est sa personne, de plus irréprochable que son pantalon noir, de plus fermé que son gilet semblable à celui d’un clergyman, de plus boutonné que son ample redingote qui lui descendait à mi-jambes.
 
M. et Mrs Patterson occupaient dans les bâtiments de l’école un appartement confortable. Les fenêtres prenaient jour d’un côté sur la grande cour, de l’autre sur le jardin, planté de vieux arbres, dont les pelouses étaient entretenues dans un agréable état de fraîcheur. Il se composait d’une demi-douzaine de pièces situées au premier étage.
 
C’est dans cet appartement que rentra M. Horatio Patterson, après sa visite au
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directeur. Il ne s’était point hâté, désireux de donner à ses réflexions pleine maturité. Sans doute, elles ne seraient plus vieilles que des quelques minutes dont il aurait prolongé son absence. Néanmoins, avec un personnage habitué à voir juste, à observer les choses sous leur véritable aspect, à balancer dans une question le pour et le contre, comme il balançait le doit et l’avoir sur son grand-livre, le parti serait vite et définitivement pris. Cette fois, cependant, il convenait de ne pas s’embarquer, — c’est le mot, — à la légère dans cette aventure.
 
Aussi, avant de rentrer, M. Horatio Patterson fit-il les cent pas dans la cour, vide à cette heure-là, toujours droit comme un paratonnerre, raide comme un pieu, s’arrêtant, reprenant sa marche, tantôt les mains derrière le dos, tantôt les bras croisés sur la poitrine, le regard perdu en quelque horizon lointain, bien au-delà des murs d’Antilian School.
 
Puis, avant d’aller conférer avec Mrs Patterson, il ne résista pas au désir de regagner son bureau, afin de terminer ses comptes de la veille. Et alors, une dernière vérification faite, l’esprit absolument libre, il pourrait discuter sans préoccupation d’aucune
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sorte les avantages ou inconvénients de la communication qu’il avait reçue de son directeur.
 
En somme, tout cela n’exigea que peu de temps, et, quittant son bureau situé au rez-de-chaussée, il remonta au premier étage à l’instant où les pensionnaires descendaient des classes.
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Toutefois, si la question de ce voyage aux Antilles était résolue, il y en avait une autre qui pour eux ne l’était pas encore. Seraient-ils ou non accompagnés depuis le départ jusqu’à l’arrivée ?… Au total, il leur semblait assez indiqué qu’on ne les laisserait pas aller seuls à travers l’Atlantique… Mais Mrs Kethlen Seymour avait-elle désigné spécialement quelqu’un, ou s’en était-elle remise de ce soin à M. Ardagh ?… Or, il semblait difficile que le directeur de l’établissement pût s’absenter à cette époque… Dès lors, à qui seraient confiées ces fonctions, et M. Ardagh avait-il déjà fait son choix ?…
 
Peut-être vint-il à l’idée de quelques-uns que ce serait précisément M. Patterson. Il
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est vrai, l’économe, tranquille et casanier, n’ayant jamais quitté le foyer domestique, consentirait-il à changer toutes ses habitudes, à se séparer pendant plusieurs semaines de Mrs Patterson ?… Accepterait-il ces fonctions avec la responsabilité qu’elles entraînaient ?… Cela paraissait improbable.
 
Assurément, si M. Horatio Patterson éprouva quelque étonnement lorsque le directeur lui eut fait la communication susdite, on comprendra que Mrs Patterson devrait être non moins surprise, lorsque son mari la mettrait au courant. Jamais il ne serait venu à l’idée de personne que deux éléments si étroitement unis, — on pourrait dire si chimiquement combinés l’un avec l’autre, — pussent être séparés, dissociés, ne fût-ce que pendant quelques semaines. Et, pourtant, il était inadmissible que Mrs Patterson fût du voyage.