« Un prêtre marié/IV » : différence entre les versions

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Il était environ six heures du soir. Le soleil, qui passait obliquement ses rayons par-dessus la saussaie et enflammait un couchant teint de vermillon, semblable à un rideau de pourpre auquel le feu vient d’être mis, allumait aussi les toiles cirées des caisses, empilées dans les cours et attachait ses rosaces flamboyantes aux vitres des fenêtres, qu’on avait nettoyées au blanc d’Espagne, il y avait quelques jours. Les Herpin, qui venaient de rentrer des champs pour la collation, allaient et venaient dans la cour, et ils parlaient à travers la grille à un jeune homme qui ne passait jamais par là d’ordinaire : mais on ne fuit pas sa destinée. Ce jeune homme à cheval, qui n’en était pas descendu, disait alors aux Herpin :
 
« Hé ! les fils à Jacques ! quel jour attendez-vous vos misérables maîtres, et le Quesnay va-t-il bientôt être infecté de la charogne de votre vieux scélérat de Sombreval ?... »
 
Il n’avait pas fini cette phrase d’un mépris vomissant qu’un vigoureux coup du plat de la main fut appliqué sur la croupe de son cheval. La main qui l’appliqua, large comme une roue de charrette, était si puissante que le cheval, surpris, se cabra sous cette claque retentissante, qui fit le bruit d’un coup de battoir sur du linge mouillé, et qu’en s’enlevant il fit porter la tête du cavalier, négligent et distrait, contre la grille de fer à laquelle il se blessa. Il ne tomba pas cependant de la force du coup, et même il leva sa cravache...cravache… Mais un nuage passa sur ses yeux et la tête blessée s’affaissa sur la crinière de l’animal qui ne s’était pas renversé.
 
« La charogne n’est pas encore trop pourrie, hein ? » — dit Sombreval d’une voix qui emplit toute la cour et qui attira les Herpin à la grille où ceci venait de se passer avec la rapidité de l’éclair.
 
C’était Sombreval, en effet. Il avait laissé à moitié chemin la carriole de S...S… qui l’amenait au Quesnay avec sa fille, et tenté par ce beau soleil couchant, le vrai soleil de Normandie, pays d’automne et de couchers de soleil, il était venu à pied, Calixte à son bras, voulant lui montrer, à pleine vue, le paysage au sein duquel elle allait désormais habiter.
 
Elle était encore à son bras, mais elle y était toute tremblante...tremblante… Quand le cavalier inconnu s’était heurté contre la grille, elle avait poussé un cri, en se pressant contre son père, et par ce cri et par ce mouvement elle avait arrêté Sombreval, dont la main s’étendait de nouveau pour châtier l’insolent qui avait parlé et que, par hasard, il avait entendu.
 
« Père ! lui dit-elle, pardonnez-lui, puisqu’il est blessé !
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« De l’eau ! » leur dit-il avec sa brusquerie impérieuse, et l’un d’eux étant allé lui en chercher à la ferme, il y trempa le mouchoir de sa fille et il en lava le front du blessé qui rouvrit les yeux.
 
En apercevant Sombreval, le jeune homme se dressa sur son séant et, d’un geste plein de ressentiment, fut pour repousser la main qui pansait sa blessure ; mais Calixte qui vit le mouvement prit le mouchoir des mains de son père...père… et le jeune inconnu s’arrêta — il l’a dit lui-même — comme s’il avait vu Dieu, et il tendit son front à la main de la fille du prêtre, quoique ce fût pour lui, en chair et en os, la fille du Démon !
 
De tous les hommes de ce pays, fermé si longtemps à l’esprit nouveau et qui avait encore l’arome des mœurs anciennes, comme le linge serré dans les armoires de ses ménagères garde la senteur des prairies où il a séché, l’inconnu, en effet, que le hasard et l’injure venaient de livrer au bras robuste de Sombreval et à la main bienfaisante de sa fille était certainement celui-là qui devait le plus énergiquement résumer en sa personne l’horreur et les superstitions de la contrée.