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On sait trop ce qu’a été le luxe antique pour que nous essayions d’en retracer le tableau. Du luxe romain, on peut dire qu’il est un monstre dans l’histoire. Les traits qu’on en cite tiennent du délire. C’est d’ailleurs d’une manière continue qu’il exerçait ses ravages; il dévorait des provinces, et mettait à son service des légions d’esclaves. Les Lucullus, les Néron, les Commode, les Héliogabale, ont réalisé toutes les folies qu’une imagination malade pourrait prendre à tâche d’inventer. Ces types éhontés du luxe romain seraient à tort considérés comme des exceptions. Ils ne faisaient que reproduire dans une proportion agrandie le mal qui avait gagné les hautes classes, et qui, sous la forme de jeux, de distributions de vivres et d’argent, avait fait profondément sentir ses effets jusque dans le peuple. De tels excès ébranlaient, faussaient tous les ressorts de l’état. Les vices privés devenaient des vices publics, se changeaient en vénalité, en exactions, en oppressions de tout genre. De là les efforts tentés par les lois somptuaires; de là l’unanime accord des écrivains pour maudire un faste immoral et destructeur. L’expression énergique de ''luxus, luxuries'', bien mieux que notre mot de luxe, dont la signification est si restreinte et parfois si vague, désigne tous les vices lâches, toutes les corruptions sensuelles. La philosophie y ajoutait ses motifs de condamnation; inspirée du stoïcisme, on doit même dire qu’elle les exagéra. A force de blâmer tout superflu, elle accuse d’immoralité les premiers élémens de la vie civilisée, la monnaie, le commerce, toutes les élégantes recherches, tous les usages qui par le progrès de l’industrie tendent à se raffiner. Peu s’en faut qu’elle ne renvoie l’homme, couvert de peaux de bêtes, coucher à la belle étoile et puiser l’eau de la source dans le creux de sa main. Les poètes, qui ne reculent devant aucune extrémité, n’y manquent pas, et les moralistes, qu’enflamme un si beau texte de prédication, donnent aux contemporains des césars de durs conseils qui risquent peu d’être suivis, et qu’eux-mêmes laissent dans leurs livres la plupart du temps.
On sait trop ce qu’a été le luxe antique pour que nous essayions d’en retracer le tableau. Du luxe romain, on peut dire qu’il est un monstre dans l’histoire. Les traits qu’on en cite tiennent du délire. C’est d’ailleurs d’une manière continue qu’il exerçait ses ravages ; il dévorait des provinces, et mettait à son service des légions d’esclaves. Les Lucullus, les Néron, les Commode, les Héliogabale, ont réalisé toutes les folies qu’une imagination malade pourrait prendre à tâche d’inventer. Ces types éhontés du luxe romain seraient à tort considérés comme des exceptions. Ils ne faisaient que reproduire dans une proportion agrandie le mal qui avait gagné les hautes classes, et qui, sous la forme de jeux, de distributions de vivres et d’argent, avait fait profondément sentir ses effets jusque dans le peuple. De tels excès ébranlaient, faussaient tous les ressorts de l’état. Les vices privés devenaient des vices publics, se changeaient en vénalité, en exactions, en oppressions de tout genre. De là les efforts tentés par les lois somptuaires ; de là l’unanime accord des écrivains pour maudire un faste immoral et destructeur. L’expression énergique de ''luxus, luxuries'', bien mieux que notre mot de luxe, dont la signification est si restreinte et parfois si vague, désigne tous les vices lâches, toutes les corruptions sensuelles. La philosophie y ajoutait ses motifs de condamnation ; inspirée du stoïcisme, on doit même dire qu’elle les exagéra. A force de blâmer tout superflu, elle accuse d’immoralité les premiers élémens de la vie civilisée, la monnaie, le commerce, toutes les élégantes recherches, tous les usages qui par le progrès de l’industrie tendent à se raffiner. Peu s’en faut qu’elle ne renvoie l’homme, couvert de peaux de bêtes, coucher à la belle étoile et puiser l’eau de la source dans le creux de sa main. Les poètes, qui ne reculent devant aucune extrémité, n’y manquent pas, et les moralistes, qu’enflamme un si beau texte de prédication, donnent aux contemporains des césars de durs conseils qui risquent peu d’être suivis, et qu’eux-mêmes laissent dans leurs livres la plupart du temps.


Telle est la censure du luxe dans l’antiquité : ses exagérations s’expliquent par celles qu’elle est tenue de combattre; elles s’expliquent par des théories morales qui prenaient pour point de départ ce principe, que l’homme ne doit pas développer ses besoins, que l’état de simplicité primitive est la perfection, que dans cette voie tout pas fait en avant est une déchéance. Les paradoxes qui étonnent dans J.-J. Rousseau n’ont pas d’autre origine. Au fond, ces théories très peu neuves ne sont que le lieu-commun de la sagesse
Telle est la censure du luxe dans l’antiquité : ses exagérations s’expliquent par celles qu’elle est tenue de combattre ; elles s’expliquent par des théories morales qui prenaient pour point de départ ce principe, que l’homme ne doit pas développer ses besoins, que l’état de simplicité primitive est la perfection, que dans cette voie tout pas fait en avant est une déchéance. Les paradoxes qui étonnent dans J.-J. Rousseau n’ont pas d’autre origine. Au fond, ces théories très peu neuves ne sont que le lieu-commun de la sagesse