« La Religion des Celtes » : différence entre les versions

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Tous les renseignements directs que nous pouvons recueillir sur la religion des Celtes proviennent des écrivains de l’antiquité et des monuments épigraphiques.
 
Un grand nombre d’écrivains grecs et latins nous font connaître les divinités, les idées et les pratiques religieuses, les prêtres des peuples celtiques. Parmi les Grecs on peut citer Timée dans un passage conservé par Diodore de Sicile ; Callimaque ; Polybe ; Sotion d’Alexandrie cité par Diogène Laërce ; le voyageur syrien Poseidonios qui visita la Gaule au premier siècle avant notre ère et dont l’histoire a été analysée par Strabon ; Diodore de Sicile ; Timagène traduit par Ammien Marcellin ; Denys d’Halicarnasse ; Nicolas de Damas, cité par Stobée ; Strabon ; Plutarque dans la Vie de Marius et dans un traité, Des fleuves qui lui est à tort attribué ; Pausanias ; Lucien dans son Héraklès ; Dion Cassius. Quant aux principaux écrivains latins qui nous intéressent ici, ce sont : César, le seul auteur qui nous ait laissé un exposé quelque peu détaillé de la religion des Gaulois ; Cicéron dans le Pro Fonteio et le De Divinatione ; Tite-Live ; Trogue Pompée, de la tribu des Voconces, dont l’oeuvrel’œuvre historique nous a été conservée sous forme d’un abrégé par Justin ; Valère Maxime ; Pomponius Méla ; Lucain ; Pline l’Ancien ; Silius Italicus ; Tacite ; Florus ; Suétone ; les historiens de l’histoire Auguste ; Ammien Marcellin.
 
Cette longue liste ne doit pas faire illusion. La plupart des écrivains que nous venons d’énumérer ne contribuent que par quelques mots ou quelques phrases à enrichir le fonds de nos connaissances sur la religion des Celtes. Les renseignements donnés incidemment sont souvent peu précis et on risque en les serrant de trop près d’en tirer un sens qu’ils n’ont point. De plus, les anciens indiquent rarement les sources auxquelles ils ont puisé, et les éléments essentiels de la critique historique nous font le plus souvent défaut. Quand les sources sont indiquées, nous ne pouvons déterminer dans quelle mesure et avec quelle probité l’écrivain s’en est servi ; les citations sont-elles faites de mémoire ou exactement copiées ; Enfin les notions que nous pouvons glaner chez les auteurs de l’antiquité se répartissent sur plusieurs siècles et s’étendent à toutes les contrées où les Celtes ont séjourné. Nul n’oserait affirmer que du troisième siècle avant J.-C., où vivait Timée, au temps d’Ammien Marcellin (Ive siècle après J.-C.), les pratiques religieuses des Gaulois fussent demeurées immuables. On ne pourrait avec plus de raison soutenir que les Galates d’Asie Mineure, les Celtibères d’Espagne, les Gaulois de la Cisalpine, les Celtes qui pillèrent Delphes et ceux qui prirent Rome, les Gaulois transalpins et les Celtes de Grande-Bretagne eussent professé les mêmes doctrines et adoré les mêmes dieux, sans que le contact avec des nations étrangères eût en rien altéré les vieilles croyances de la race. Les témoignages des anciens sur la religion des Celtes ne peuvent donc être utilisés qu’avec prudence ; dispersés dans l’espace et dans le temps, de valeur et d’importance variable, ils se prêtent malaisément à une construction d’ensemble.
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Enfin, on s’est demandé si l’on ne pouvait trouver dans l’ancienne littérature des Irlandais et des Gallois des traces de la mythologie celtique. En Irlande, l’épopée a pris la forme de longues compositions en prose, mélangées de dialogues et de monologues lyriques en vers. Ces compositions se répartissent en trois cycles ; le cycle qui retrace les luttes des premiers habitants de l’Irlande contre les envahisseurs, le cycle d’Ulster dont les principaux héros sont Cûchulainn et le roi Conchobar, le cycle de Leinster où sont racontés les hauts faits de Finn mac Cumaill (le Fingal de Macpherson) d’Oisin(Ossian) et de leurs compagnons. Les Annales irlandaises placent Finn au IIIe siècle de notre ère. Conchobar et Cûchulainn vivaient vers le début de l’ère chrétienne. Le premier cycle, que nous ne connaissons que par des résumés du XVIe siècle, retrace des événements plus anciens antérieurs de quelques siècles à notre ère. Sur quelles données historiques est fondée l’épopée irlandaise ? C’est une question à laquelle on ne pourra répondre qu’après un examen critique approfondi des Annales irlandaises. Toujours est-il que cette épopée a été remaniée sous l’influence des idées chrétiennes, et qu’on n’y trouve aucune trace d’offrandes ou de prières à des divinités. Les éléments merveilleux qui y abondent sont des faits de magie et de sorcellerie ainsi que les prodiges variés que l’on rencontre dans les contes populaires. Essayer de déterminer à l’aide des épisodes de la vie d’un héros irlandais les attributs primitifs de la divinité dont il est une transformation évhémériste demande beaucoup d’ingéniosité et d’érudition ; je doute que les résultats acquis à la science soient jamais équivalents aux efforts dépensés à ces recherches curieuses. La comparaison de l’épopée irlandaise avec les textes grecs et latins et les monuments de l’épigraphie gallo-romaine ne peut nous donner que des rapprochements de coutumes ou de noms propres ; coutumes signalées comme particulières aux Celtes et conservées ou modifiées dans quelque mesure par les Gaëls d’Irlande ; noms ou épithètes de dieux gallo-romains servant en Irlande à désigner des guerriers ou des artisans fameux. Mais il est invraisemblable que les idées religieuses des Celtes de l’île d’Erin telles qu’elles nous apparaissent dans des poèmes épiques rédigés sans doute au VIIe siècle ne soient pas très différentes des conceptions théologiques des Gaulois du temps de César, et il serait sans doute imprudent de restituer à l’aide de l’épopée irlandaise le vieux Panthéon celtique.
 
La littérature du Pays de Galles ne nous offre pas plus de ressources pour l’étude de la mythologie celtique. L’épopée en prose mélangée de poèmes lyriques s’est scindée chez les Gallois en deux genres distincts : le roman de chevalerie en prose et l’ode. Les plus anciennes odes sont l’oeuvrel’œuvre de bardes du XIe siècle. Les plus anciens romans connus sous le nom de Mabinogion ne sont pas antérieurs au commencement du XIIe siècle. On peut retrouver dans les poèmes lyriques quelques éléments épiques, et y reconnaître des personnages de la légende celtique ; mais l’obscurité de la poésie galloise, qui est surtout fondée sur l’harmonie des voyelles et des consonnes, ne permet pas de tirer grand profit des rapprochements que ces poèmes peuvent suggérer. Quant aux Mabinogion, quatre d’entre eux nous retracent plus spécialement les traditions communes aux Gaëls et aux Bretons. On y peut trouver quelques éléments des mythes familiers aux Celtes des Iles Britanniques sans que l’on puisse déterminer si ces mythes ont été connus des Celtes du continent.
 
Il est peut-être superflu d’ajouter ici que le néo-druidisme est une création de l’imagination fertile et facétieuse de quelques érudits gallois du XVIIIe siècle. C’est en vain qu’Edward Williams et, après lui, Edward Ravies ont essayé de démontrer que les bardes gallois étaient restés les dépositaires des secrets des anciens druides de l’île de Bretagne et qu’ils avaient continué à pratiquer en secret depuis l’introduction du christianisme, la religion druidique. Ces deux ingénieux savants n’ont pu fonder leur doctrine que sur un roman merveilleux du commencement du XVIIe siècle, l’Histoire de Taliesin, qui reproduit quelques pièces attribuées faussement au célèbre barde du VIe siècle, et sur une collection d’écrits plus ou moins authentiques réunis par Llywelyn Sion de Llangewydd qui, vivait au XVIe siècle. Ils n’ont réussi à trouver dans des textes plus anciens des traces de mythologie cosmique qu’en expliquant par des symboles les phrases les plus simples, à la manière de H. de la Villemarqué qui publia dans le Barzaz-Breiz comme poème druidique une formulette bretonne destinée à apprendre à compter aux petits enfants et connue sous le nom de Vêpres des grenouilles.
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Les divinités assimilées chez les écrivains de l’antiquité et dans les inscriptions gallo-romaines. - Les divinités à nom celtique. - Les monuments figurés. - Les Triades. - Signes symboliques.
 
Le texte le plus explicite que nous ayons sur les dieux gaulois se trouve chez César [2] . Il semble bien que César rapporte non le résultat de ses observations personnelles, mais l’opinion d’écrivains antérieurs à lui. S’il eût étudié lui-même la religion gauloise, il est probable qu’il aurait été à la fois moins précis et plus exact. D’après César, le dieu que les Gaulois honorent le plus est Mercure ; ils le regardent comme l’inventeur de tous les arts, comme le guide des voyageurs et comme présidant à toute sorte de gains et de commerce. Après lui, ils adorent Apollon, Mars, Jupiter et Minerve ; ils ont de ces divinités à peu près la même idée que les autres nations. Apollon guérit les maladies ; Minerve enseigne les éléments de l’industrie et des arts ; Jupiter tient l’empire du ciel ; Mars celui de la guerre ; c’est à lui, lorsqu’ils ont résolu de combattre, qu’ils font voeuvœu d’ordinaire de consacrer les dépouilles de l’ennemi.
 
Ce passage ne laisse pas de prêter à la critique. Est-il possible que toutes les tribus gauloises que César nous représente comme différant entre elles par la langue, les moeursmœurs et les lois [3] , aient eu les mêmes cinq divinités Quels étaient les noms de ces dieux et de cette déesse dans la langue des Celtes ? Une assimilation aussi complète entre ces cinq divinités et cinq divinités romaines est-elle vraisemblable ? On est tenté de rappeler l’opinion d’Asinius Pollion qui pensait que les Commentaires de César étaient composés avec peu de soin et d’exactitude ; César aurait étourdiment ajouté foi la plupart du temps à ce qu’on lui racontait des actions des autres et quant à ce qu’il avait fait lui-même, il l’avait mal rapporté, soit à dessein, soit faute de mémoire [4] . Mais César lui-même prend soin de nous avertir que ces assimilations ne sont que des à peu près : de his eandem fere quam reliquae gentes habent opinionem ; et il assimilé les attributs des dieux celtiques non pas tant à ceux des dieux romains qu’à ceux des dieux des autres nations.
 
Quoiqu’il en soit, César ne nous donne des dieux gaulois qu’une physionomie incomplète, sinon inexacte. La plupart des auteurs de l’antiquité ne font pas preuve d’un sens critique plus affiné. Au temps des migrations des Gaulois, leur plus grand dieu semble Arès-Mars [5] . Chez les Insubres, il y a un temple d’Athéna où l’on abrite les enseignes de guerre [6] . En 223, des Celtes vouent à Vulcain les armes romaines [7] . Il faudrait donc ajouter au panthéon celtique restitué par César, un sixième dieu qui pourrait être assimilé au Vulcain romain.
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Parmi les épithètes de Mercure : Arverno-rix signifie roi des Arvernes ; Arvernus est le nom du peuple gaulois bien connu ; Ate-smerius est un nom dont on retrouve le premier terme dans les noms gaulois Ate-boduus, Ate-spatus et le second terme dans Smertu-litanus, Ro-smerta : Dumias est le nom de la montagne du Puy de Dôme ; Moccus est la forme ancienne du breton moc’h cochon ; Vasso-caletus est formé de deux mots celtiques : vassos, actuellement en breton gwaz garçon et Caletes nom de la peuplade gauloise qui occupait le pays de Caux ; Vellaunus est conservé comme second terme dans le nom propre breton Cat-wallaun qui signifie brave au combat.
 
Parmi les surnoms d’Apollon : Anextio-marus qui a pour second terme l’adjectif maros, en breton coeurcœur grand ; dans Cobledu-litavus, le second terme est apparenté à litanus de Srmertu-litanus ; Mogounus est apparenté au nom gaulois Mogetilla ; Vero-tutus à Vero-dunum ; Vindonnus dont le premier terme se trouve dans le nom de ville celtique Vindo-bona et est conservé en irlandais sous la forme find, en breton sous la forme guenn blanc ; les deux termes deToutio-rix sont celtiques.
 
Les surnoms de Jupiter s’expliquent difficilement dans les langues celtiques ; il en est de même de ceux d’Hercule, de Silvain et de Minerve à l’exception peut-être du surnom Beli-sama que l’on peut comparer pour le second terme à Rigi-samus.
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Ce dualisme n’a rien de particulier aux Celtes. On le trouve fréquemment ailleurs. Le groupement des divinités en triades a plutôt un caractère celtique. Nous avons parlé plus haut de l’autel de Reims, où un dieu cornu figure avec Apollon et Mercure ; on peut citer encore l’autel de Beaune et l’autel de Dennevy : dans chacun de ces autels figurent trois personnages dont un tricéphale. Le dieu tricéphale lui-même semble une représentation réduite de la triade. On a souvent fait remarquer que Teutatès, Esus et Taranis, les trois divinités sanguinaires citées par Lucain, pouvaient constituer une triade. Ce qui fait que l’on est tenté de regarder la triade comme une conception celtique, c’est que la triade est dans la littérature des Bretons du Pays de Galles un genre de composition qui a eu un grand succès et qui a été appliqué au droit, à la littérature, à l’histoire. Mais la plus ancienne triade galloise provient d’un manuscrit du XIIe siècle et chez les Irlandais la triade n’a point eu la fortune prodigieuse qu’elle eut chez les Gallois. Saurons-nous jamais si quelque lien relie la triade religieuse des Gallo-Romains au genre littéraire si en honneur chez les Bretons d’Outre-Manche ?
 
Pour terminer ce qui a trait aux divinités celtiques et à leur représentation, il faut dire quelques mots de certains signes symboliques que l’on trouve sur divers monuments. On a depuis longtemps renoncé à voir dans les monuments mégalithiques l’oeuvrel’œuvre d’un peuple celtique et les cupules creusées dans ces monuments et environnées d’un nombre plus ou moins grand de lignes circulaires ne sauraient appartenir à notre sujet. Mais il est possible que les Celtes aient anciennement attaché une idée religieuse au stwastika ou croix gammée ainsi appelée parce qu’elle est formée de quatre gammas grecs dont la barre horizontale est tournée dans le même sens ; ce signe est souvent associé à la roue ou rouelle formée d’un cercle et d’un nombre variable de rayons, que l’on trouve aussi employée seule. On trouve la croix gammée sur des médailles et des monnaies gauloises, quelquefois associée à une tête d’Apollon ; et aussi sur des cippes sans inscriptions de la région pyrénéenne, et des stèles irlandaises du VIIe siècle. On sait que la croix gammée se trouve sur les vêtements de plusieurs personnages représentés sur des peintures des catacombes, où elle semble bien n’avoir qu’une valeur ornementale. Quant aux rouelles, on les trouve figurées avec la croix gammée sur les cippes pyrénéens dont nous venons de parler ; dans de nombreuses enceintes gauloises, on a trouvé en abondance des rouelles en or, en argent, en bronze, en plomb qui servaient sans doute d’amulettes et étaient peut-être, comme l’a pensé M. H. Gaidoz [19] , un symbole du culte du Soleil. Rien ne nous prouve que les Celtes l’aient ainsi interprété.
 
Ainsi donc, divinités à noms et à attributs romains, divinités gallo-romaines à noms celtiques, triade de Lucain, Ogmios de Lucien, symboles dont nous ne pouvons pénétrer que par conjecture la signification, voilà les éléments dont se compose le panthéon celtique. Si nous essayons de restituer la physionomie de ces divinités mystérieuses, il faut nous les figurer, non pas semblables aux mythiques habitants de l’Olympe grec dont chacun représente une idée distincte, force de la nature, ou conception de l’esprit, mais plutôt apparentés aux dieux rustiques et guerriers du Latium, dont les aspects sont multiples et les pouvoirs variés. A l’époque des grandes invasions, les dieux des diverses tribus gauloises étaient sans doute presque exclusivement des dieux guerriers. Lorsque les Celtes s’établirent à demeure dans les pays qu’ils avaient conquis, ces mêmes dieux eurent à protéger les villes fortes et les maisons de culture répandues sur le territoire, à distribuer la pluie et le soleil aux champs fertiles ; ainsi qu’aux forêts immenses et impénétrables ; dans la Cisalpine et dans la province romaine, de bonne heure ils présidèrent aux transactions et aux échanges que faisaient les Gaulois avec les marchands romains et les négociants grecs de Marseille ; enfin, de temps à autre leur vertu guerrière se réveillait lorsqu’il fallait défendre l’indépendance du pays, ou essayer de secouer le joug des vainqueurs. Et l’on conçoit que les Romains, étonnés de la multiplicité des attributs de ces divinités complexes, ne surent s’ils devaient les appeler Mars ou Mercure, ou Jupiter ou Apollon ou Minerve, et essayèrent de rattacher au nom d’un dieu ou d’une déesse du panthéon hellénique et romain chaque aspect différent des divinités celtiques.
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Comme les Romains, les Celtes cherchent à connattre l’avenir par les entrailles des victimes [30] ; ils ajoutent foi aux indications données parles songes [31] .
 
Nous n’avons point trouvé de monument figuré qui nous attestât le culte des arbres, à moins qu’on ne regarde comme tels les deux faces de l’autel de Paris et l’autel de Trèves où sont figurés soit un arbre, soit des feuillages. Mais nous savons par Pline que le chêne rouvre est chez les Gaulois l’arbre des bois sacrés et qu’on n’accomplit aucune cérémonie sans son feuillage. Maxime de Tyr [32] nous apprend qu’un chêne élevé est la représentation (agalma [33] ) celtique de Zeus. Nous trouvons dans un passage de Pline que le lycopodium selago était en Gaule un préservatif contre les accidents et que le gui, que l’on appelait d’un nom qui signifie remède universel, était un remède contre les poisons et qu’il donnait la fécondité à tout animal stérile. Le gui venant sur le rouvre est extrêmement rare ; aussi le regardait-on comme envoyé du ciel. La cueillette du gui, nous dit Pline, se fait le sixième jour de la lune. Après avoir préparé selon les rites, sous l’arbre, des sacrifices et un repas, on fait approcher deux taureaux de couleur blanche dont les cornes sont attachées alors pour la première fois. Un prêtre, vêtu de blanc, monte sur l’arbre et coupe le gui avec une serpe d’or ; on le reçoit sur une saie blanche ; puis on immole les victimes en priant que le dieu rende le don qu’il a fait, propice à ceux auxquels il l’accorde [34] . A ces plantes à vertus merveilleuses il faut encore ajouter le Samolus Valerandi remède contre la maladie des boeufsbœufs et des porcs dont la cueillette donne lieu à des procédés magiques ; il faut que celui qui le cueille soit à jeun, l’arrache de la main gauche, ne le regarde pas et ne le mette pas ailleurs que dans l’auge où on le broie [35] . Des pratiques superstitieuses identiques ou analogues sont encore en usage dans certaines de rios campagnes.
 
Les bois sacrés des Gaulois dont, au temps de Pline, le chêne rouvre était le principal élément, sont mentionnés par les auteurs de l’antiquité [36] . Les Galates d’Asie Mineure avaient un sénat qui se réunissait pour juger les causes de meurtre dans un endroit appelé Drynémeton [37] ; or, le second terme de ce mot signifie en gaulois bois sacré. Ces bois sacrés tenaient-ils lieu de temples aux Gaulois transalpins ? On serait tenté de le croire, car César ne parle que de l’endroit consacré, in loco consecrato, où sur le territoire des Carnutes les druides s’assemblaient chaque année à époque fixe pour rendre la justice [38] . Il n’y a rien à conclure pour l’ancienne religion gauloise de l’existence de nombreux temples en Gaule à l’époque gallo-romaine. Tout au plus, peut-on remarquer qu’un grand nombre de ces temples sont consacrés à Mercure, quelques uns seulement à Apollon, et qu’il y a là une confirmation intéressante du texte de César : Deum maximum Mercurium colunt. Mais chez les Gaulois cisalpins, il n’est pas douteux qu’il y ait eu des temples. Tite-Live nous rapporte qu’en 216 avant J.-C, les dépouilles et la tête du consul désigné Postumius furent portées par les Boïens dans le temple le plus respecté de leur nation [39] . il y avait chez les Insubres un temple d’Athéna [40] .
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Les sacrifices étaient souvent des sacrifices humains. Cicéron en l’an 75 avant J.-C., parle de la coutume atroce et barbare qu’ont les Gaulois de sacrifier des hommes [55] . Les Gaulois, nous dit César, croient que la vie d’un homme est nécessaire pour racheter la vie d’un autre homme, et qu’on ne peut apaiser autrement les dieux immortels. Chez certains peuples les sacrifices de ce genre font même partie des institutions de l’Etat. D’autres ont d’immenses mannequins (simulacra) aux membres d’osier tressé qu’ils remplissent d’hommes vivants ; ils y mettent le feu et ces hommes périssent enveloppés par les flammes. Ils croient que le supplice de ceux qui sont convaincus de vol, de brigandage ou de quelque autre crime est celui qui plaît le plus aux dieux immortels ; mais quand ces sortes de victimes ne sont point assez nombreuses, ils y suppléent en sacrifiant des innocents [56] . Avant et après César, il est aussi question de sacrifices humains, surtout à la guerre. Dans la première moitié du troisième siècle avant J.-C., Sopatros de Paphos, cité par Athénée, accuse les Gaulois de tuer les prisonniers de guerre. Dion Cassius [57] nous rapporte que les Bretons de Boudicca massacrèrent avec des raffinements de cruauté les femmes captives, en l’honneur de la déesse Adraste. Justin nous apprend que les Gallo-Grecs font des sacrifices avant de livrer bataille et que si les présages sont funestes,- ils égorgent même leurs femmes et leurs enfants pour apaiser la colère divine [58] . Le géographe Strabon rapporte qu’en Gaule on prédisait l’avenir au moyen de victimes humaines [59] et Tacite nous parle de l’horrible superstition des habitants de Mona qui regardaient comme un acte religieux d’arroser les autels du sang des victimes et de consulter les dieux dans les entrailles humaines [60] .
 
Dès l’an 97 avant J,-C., un sénatus-consulte prohibait les sacrifices humains. Denys d’Halicarnasse, qui termina ses Antiquités romaines vers l’an 8 avant J. C., constate que les sacrifices humains sont encore en usage dans la Gaule de son temps [61] . Lorsque Lucain (39-65) nous parle des horribles sacrifices offerts à Esus, Taranis et Teutates [62] , il est probable qu’il faisait allusion à des coutumes disparues au moins dans le pays soumis à la domination romaine. En 77, Pline [63] écrivait que les sacrifices humains subsistaient encore dans les parties de la Grande-Bretagne restées indépendantes ; mais en Gaule, vers 40 après J.-C., les druides attiraient à leurs autels des hommes liés par des voeuxvœux et leur faisaient couler un peu de sang, sans les mettre à mort. L’ancienne barbarie n’était plus alors qu’un souvenir [64] .
 
Parmi les croyances religieuses, une de celles qui ont le plus étonné les anciens est la croyance à l’immortalité de l’âme. « Je traiterais les Celtes d’insensés » écrit Valère Maxime « si l’opinion de ces gens à braies n’était celle de Pythagore vêtu du pallium ». Pour d’autres écrivains, cette doctrine était venue aux Celtes par les druides. Toujours est-il qu’elle était très répandue et très populaire. De là l’usage de se prêter entre eux des sommes remboursables dans l’autre monde, de fixer les enfers comme lieu de règlement de leurs affaires commerciales [65] , de brûler et d’enterrer avec les morts ce qui sert aux vivants [66] . On a même vu, dit Pomponius Mela, des parents se jeter volontairement dans le bûcher de leurs proches dans l’espoir d’aller vivre avec eux [67] . Les Celtes prétendent ne craindre ni les tremblements de terre ni les inondations : ils s’avancent tout armés au devant des flots [68] . C’est que la foi en une autre vie est éminemment propre à exalter le courage [69] ; elle était sans doute aussi la cause de ces suicides d’un caractère religieux que l’on a signalés chez les Celtes [70] ; elle peut de même, dans certains cas rendre compte des sacrifices humains, dont nous venons de parler.
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La divination était au nombre des sciences qu’ils pratiquaient. Diviciacus annonçait l’avenir tant par l’observation des oiseaux que par conjecture [90] . D’après César, les druides interprètent la volonté des dieux : religiones interpretantur [91] . Au temps de Tacite, les druides gaulois annonçaient que l’incendie du Capitole présageait la chute prochaine de l’empire romain [92] .
 
A l’époque de Pline, la magie est en grande faveur en Gaule, et les druides, dont il interprète le nom par magi, sont pour lui des sortes de sorciers et de féticheurs dépositaires de secrets magiques et de recettes médicales. Ce sont les druides gaulois qui prétendent que le lycopodium selago préserve des accidents et que la fumée en est utile pour toutes les maladies des yeux. Ce sont eux qui regardent le gui du rouvre comme sacré. Enfin ils ont indiqué les prescriptions à remplir pour s’emparer de l’oeufl’œuf de serpent. Il faut le jeter en l’air, le recevoir sur une saie avant qu’il ait touché à terre ; s’enfuir à cheval, car les serpents poursuivent jusqu’à ce qu’ils rencontrent un cours d’eau.
 
Tout cela doit être fait à une certaine époque de la lune. Cet oeufœuf fait gagner les procès et donne accès auprès des souverains. Toutefois Pline rapporte qu’un chevalier du pays des Voconces qui en portait un dans sa tunique fut, sans motif, mis à mort par l’empereur Claude [93] .
 
Si les sacrifices et la divination sont dans l’antiquité deux pratiques religieuses importantes, les secrets magiques, dont au temps de Pline les druides sont les dépositaires, étaient laissés à des sorciers peu estimés. Comment concilier l’idée que les druides étaient des philosophes à la fois physiciens et moralistes avec le rôle assez méprisable que leur fait jouer Pline le naturaliste ? On peut sans doute s’expliquer cette contradiction en tenant compte de la différence des dates. Entre l’époque de César et celle de Pline se placent le règne de Tibère qui supprima les druides : Tiberii Caesaris principatus sustulit druidas eorum et hoc genus vatum medicorumque [94] , et le règne de Claude qui abolit complètement cette religion des druides si effroyablement cruelle, qui sous Auguste n’avait été qu’interdite aux citoyens romains [95] . Au temps de Pomponius Mela, les druides donnent leur enseignement soit dans un antre, specu, soit dans des clairières cachées [96] . La persécution n’aurait donc pas été favorable au maintien des hautes traditions morales qui avaient fait des druides les premiers personnages de la Gaule et les plus justes des hommes. Ou bien faut-il croire que de tout temps, les druides avaient cherché à assurer leur pouvoir non seulement par leur science, mais par des pratiques magiques dont ils étaient les premiers à connaître l’inanité, et que, lorsque la domination romaine leur eut supprimé toute action judiciaire et politique, il ne leur resta plus que l’exercice misérable d’un charlatanisme grossier ?
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Le meilleur commentaire du texte de Dion Chrysostome se trouve dans une épopée irlandaise intitulée l’Enlèvement des vaches de Cualngé. Cûchulainn le héros d’Ulster, après avoir essayé de repousser à lui tout seul l’invasion des hommes de Connaught, est grièvement blessé ; il se voit alors forcé d’envoyer prévenir le roi Conchobar et l’armée des Ulates du danger qui les menace. Le messager arrive en vue de la forteresse et s’écrie : « On tue, les hommes, on enlève les femmes, on emmène les vaches, ô habitants d’Ulster » ! Mais il n’obtient pas de réponse. Il va sous les murs de la forteresse et renouvelle son appel : «On tue les hommes, on enlève les femmes, on emmène les vaches, ô habitants d’Ulster ! » Et personne ne lui répond. Alors il s’avance encore ; il s’arrête sur la pierre des hôtes dans la forteresse et il répète : « On tue les hommes, on enlève les femmes, on emmène les vaches», et c’est alors seulement que le druide Cathbad ouvre la bouche : « Qui donc tue les hommes, qui enlève les femmes, qui emmène les vaches ? » Car, explique le narrateur, telle était la règle en Ulster : défense aux Ulates de parler avant le roi, défense au roi de parler avant son druide.
 
Un des sujets qui ont le plus passionné ceux qui, en l’absence de renseignements suffisants, essayaient de restituer le druidisme à l’aide des seules ressources de leur imagination est celui des druidesses. Velléda, qui a donné son nom à une des figures les plus dramatiques des Martyrs de Chateaubriand, est une prophétesse de Germanie [114] . Mais le géographe romain [115] Pomponius Méla nous parle des prêtresses de l’île de Sein, dans la mer de Bretagne en face des rivages des Osismii. Elles ont fait voeuvœu de virginité perpétuelle ; elles sont au nombre de neuf. On les appelle Barrigenae ; on les croit douées de talents singuliers ; elles excitent par leurs chants la mer et les vagues, elles se changent en animal à leur volonté, elles guérissent des maux qui sont inguérissables chez d’autres ; elles connaissent l’avenir et le prédisent aux navigateurs lorsqu’ils viennent les consulter.
 
Il semble bien que cette histoire ne soit qu’un résumé de quelque récit fabuleux comprenant beaucoup d’éléments empruntés à l’histoire de Circé. Remarquons de plus que le nom de druidesse n’y est pas prononcé. Si nous n’acceptons qu’avec réserve le témoignage de Mela sur les vierges de Sein, nous ne trouvons qu’au IIIe siècle en Gaule des prophétesses appelées dryades. L’une aurait prédit en gaulois à Alexandre Sévère sa fin prochaine [116] . L’empereur Aurélien avait consulté des prophètesses gauloises, Gallicanes Dryadas, sur l’avenir de sa postérité [117] . Une de ces femmes aurait promis l’empire à Dioclétien [118] . Cette dernière était une aubergiste de Tongres. Les druidesses gauloises, si tant est qu’il y en ait eu, n’étaient plus à cette époque que de simples diseuses de bonne aventure.
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Une première question se pose. Le texte d’Ammien Marcellin a-t-il bien le sens que lui donne A. Bertrand : Le sens de sodalicius n’est pas douteux. Il signifie « relatif à une corporation » ; les sodalicia sont le plus souvent des corporations religieuses, mais le mot désigne aussi des corporations d’artisans ; en tout cas, il ne signifie point communautés. Quant à consortium il est difficile de déterminer si ce mot est pris au sens restreint ou au sens large, car il n’est pas employé dans un autre passage d’Ammien Marcellin et en eût-on d’autre exemple chez le même auteur, qu’on ne saurait prétendre qu’il y fût toujours employé dans le même sens. Au sens restreint, consortium se dit de la communauté de biens ; il est employé ainsi par Ulpien au Digeste, XVII, 2, 52, et par Suétone Claude 28. Mais au sens large il signifie simplement communauté au figuré, participation à, consortium reipublicae chez Tite-Live, consortium regni chez Tacite, Annales, IV, 3 ; consortium studiorum chez Pétrone, Satyricon, 101. S’il faut entendre dans la phrase d’Ammien Marcellin le mot consortium au sens restreint, on pourra peut-être donner à l’expression consortiis sodaliciis le sens d’associations cénobitiques. Si consortium est pris dans l’acception la plus large, consortiis sodaliciis ne signifie pas autre chose qu’associations corporatives, collèges, plus ou moins analogues aux collèges sacerdotaux des Romains.
 
On ne peut donc tirer une conclusion claire de ce texte obscur. Les raisons, qu’on pourrait opposer directement à la thèse de A. Bertrand sont surtout négatives. Comment se fait-il que si les druides ont une organisation si remarquable et si étonnante pour un Romain, César n’en ait rien dit ? On pourrait répondre que César n’a raconté avec soin et précision que ses campagnes et qu’il a peu étudié les moeursmœurs et les coutumes des Gaulois. Mais il nous donne sur les druides assez de détails pour qu’on ne puisse supposer qu’il n’aurait pas mentionné le fait le plus caractéristique et le plus original de l’organisation druidique, d’autant qu’il nous fournit quelques renseignements sur la hiérarchie des druides. De plus, comment concilier l’hypothèse de druides vivant en communauté avec ce que nous savons de la vie du druide Diviciacus, qui est marié, a des enfants, prend part aux affaires publiques et même aux expéditions guerrières ?
 
Quant aux monastères celtiques, il est fort douteux qu’ils aient remplacé des communautés druidiques. Les premiers apôtres de l’Irlande avaient pris à tâche de faire disparaître toute trace de l’ancienne religion. Saint Patrice exigea des filé qu’ils renonçassent à toute pratique qui ne pourrait s’exécuter sans un sacrifice aux faux dieux. La prière de Nininé dit que Patrice combattit les druides au coeurcœur dur et écrasa ces orgueilleux. Dans une prière qui lui est attribuée, Patrice prie Dieu de le protéger contre les incantations des druides. D’autre part, M. d’Arbois de Jubainville a fait remarquer que le premier monastère de Gaule fut fondé en 387 et qu’il y avait déjà plusieurs monastères en Gaule quand furent établis, au VIe siècle, les premiers monastères irlandais. Enfin nous ne savons rien de précis sur l’enseignement des druides. Dans les affaires publiques et privées, ils se servaient de lettres grecques. Mais faut-il croire qu’ils enseignaient le grec ? Et même qu’ils enseignaient le latin ? Le succès qu’eurent en Gaule les écoles romaines semble démontrer le contraire. Leur enseignement était oral et s’adressait à la mémoire. Il n’était pas permis de confier à l’écriture les vers où était contenue leur science. Il est très peu probable que la calligraphie fût en honneur chez eux. Aucun document historique ne vient fortifier la séduisante hypothèse de A. Bertrand, en ce qui concerne la Gaule et l’Irlande. Le fait que les moines irlandais ont orné de miniatures remarquables les manuscrits, le fait qu’ils ont ajouté des gloses à un grand nombre de textes latins et même grecs témoigne de la culture littéraire et artistique de ces moines, et ne saurait fournir d’argument à qui voudrait démontrer que les druides étaient des littérateurs et des artistes.