« La Place royale » : différence entre les versions

Je ne puis dire tant de bien de celle-ci que de la précédente. Les vers en sont plus forts; mais il y a manifestement une duplicité d'action. Alidor, dont l'esprit extravagant se trouve incommodé d'un amour qui l'attache trop, veut faire en sorte qu'Angélique sa maîtresse se donne à son ami Cléandre; et c'est pour cela qu'il lui fait rendre une fausse lettre qui le convainc de légèreté, et qu'il joint à cette supposition des mépris assez piquants pour l'obliger dans sa colère à accepter les affections d'un autre. Ce dessein avorte, et la donne à Doraste contre son intention; et cela l'oblige à en faire un nouveau pour la porter à un enlèvement. Ces deux desseins, formés ainsi l'un après l'autre, font deux actions, et donnent deux âmes au poème, qui d'ailleurs finit assez mal par un mariage de deux personnes épisodiques, qui ne tiennent que le second rang dans la pièce. Les premiers acteurs y achèvent bizarrement, et tout ce qui les regarde fait languir le cinquième acte, où ils ne paraissent plus, à le bien prendre, que comme seconds acteurs. L'épilogue d'Alidor n'a pas la grâce de celui de la Suivante, qui ayant été très intéressée dans l'action principale, et demeurant enfin sans amant, n'ose expliquer ses sentiments en la présence de sa maîtresse et de son père, qui ont tous deux leur compte, et les laisse rentrer pour pester en liberté contre eux et contre sa mauvaise fortune, dont elle se plaint en elle-même, et fait par là connaître au spectateur l'assiette de son esprit après un effet si contraire à ses souhaits.

 

 

Le caractère d'Angélique sort de la bienséance, en ce qu'elle est trop amoureuse, et se résout trop tôt à se faire enlever par un homme qui lui doit être suspect. Cet enlèvement lui réussit mal; et il a été bon de lui donner un mauvais succès, bien qu'il ne soit pas besoin que les grands crimes soient punis dans la tragédie, parce que leur peinture imprime assez d'horreur pour en détourner les spectateurs. Il n'en est pas de même des fautes de cette nature, et elles pourraient engager un esprit jeune et amoureux à les imiter, si l'on voyait que ceux qui les commettent vinssent à bout, par ce mauvais moyen, de ce qu'ils désirent.

Angélique, maîtresse d'Alidor et de Doraste.

 

 

Polymas, domestique d'Alidor.

Le moyen qu'il te voie et ne t'adore pas?

 

 

On ne pourrait aussi m'y résoudre, en sa place;

Mais ce qui m'en déplaît, et qui me désespère,

 

 

Et me violenter à fuir ton entretien,

Vois-tu, j'aime Alidor, et c'est assez te dire.

 

 

Je suis aveugle, sourde, insensible pour eux;

On ne doit point avoir des amants par quartier;

 

 

En aimer deux, c'est être à tous deux infidèle.

Qu'Alidor seul te rende à tout autre cruelle,

 

 

Angélique

De mille que je rends l'un de l'autre jaloux,

 

 

Ainsi tous à l'envi s'efforcent à me plaire;

Si le seul Alidor te plaît dessous les cieux,

 

 

De mon frère par là soulage un peu les plaies;

Le voici.

 

 

Sa fuite n'est l'effet que de mon arrivée;

Et de peur de se voir trahi par imprudence,

 

 

Avec mes yeux ni mes soupirs:

 

 

S'enferme tout entière au-dedans de mon âme.

Jusqu'à faire le même choix?

 

 

Que de se laisser prendre au même oeil qui te blesse.

Je le hais, s'il me force: et quand j'aime, je veux

 

 

Que mon feu m'obéisse, au lieu de me contraindre;

Alidor

 

 

J'idolâtre Angélique: elle est belle aujourd'hui,

Causer un médisant, et rêver un jaloux.

 

 

Je veux pouvoir prétendre où ma bouche l'adresse,

Que leurs serments sont vains, et notre espoir trompeur!

 

 

Et que malaisément on sait ce qui les touche!

Angélique

 

 

Alidor

Ne présumiez-vous point que j'irais, à mains jointes,

 

 

Vous faire offre à genoux de mille repentirs?

Que j'eusse retranché de ses propos railleurs!

 

 

Puisqu'il m'était donné, je m'en fusse saisie;

Vains projets, vains discours, vaine et fausse allégeance!

 

 

Ciel, qui m'en vois donner de si justes sujets,

Qui doit à son défaut m'éprouver inhumaine?

 

 

Je suis seule punie, et je n'ai point failli.

Ah! laisse-moi plutôt soupirer en repos,

 

 

Phylis

Prépare tes dédains, arme-toi de rigueur,

 

 

Et je serai ravie alors de voir vos flammes

Sa faute a trop d'excès pour être rémissible,

 

 

Et si je présumais que mon trop de bonté

Venez; cette raison est de mauvaise mise.

 

 

Et n'aurais pas l'esprit d'en entretenir deux?

De vrai, si vous valiez beaucoup plus que les autres,

 

 

Mais mille aussi bien faits ne sont pas mieux traités,

Que ce que j'ai du tien je te le rende ici:

 

 

Et faisons entre nous toutes choses égales.

Inhumain! est-ce ainsi que je t'ai négligé?

 

 

Et rends-tu la pareille à ma juste poursuite?

Doraste sort de chez Angélique.

 

 

Jamais occasion ne se trouva mieux prise;

Oui, tu peux

 

 

Et qu'au sortir du bal, que je donne chez elle,

 

 

Dis-lui qu'il s'en console. Adieu: je vais pourvoir

Ce que tu m'as donné, Doraste le surprend.

 

 

Elle me tient les mains cependant qu'il me vole.

L'un et l'autre à la fois me perd, me désespère,

 

 

Etre sans Angélique, et sans ressentiment!

 

 

Cléandre, est-ce un forfait que l'ardeur qui te presse?

Malgré tout mon amour, prendre un orgueil farouche,

 

 

J'ai souffert ce supplice, et me suis feint léger,

Voici de qui j'aurai ma maîtresse ou la mort.

 

 

Et que l'épée au poing il la gagne ou la rende.

Et peux-tu conserver une âme assez hardie

 

 

Après que tu m'as fait un insolent aveu

Ne me présente plus les traits qui m'ont déçue;

 

 

Penses-tu que je sois, après ton changement,

Et je ne puis sortir d'erreur qu'à mon dommage.

 

 

Que te sert d'être aimé, quand il n'en est plus temps?

Alidor

 

 

Angélique

Retiens ce coup fatal; me voilà résolue:

 

 

Puisqu'il est tout à toi, tu peux tout commander;

Il vaut mieux que l'effet à tantôt se diffère.

 

 

De crainte que quelqu'un ne te découvre ici.

Pour rendre heureux Cléandre, et mes désirs contents.

 

 

Ne sera plus qu'une heure esclave d'Angélique.

Que d'une volonté franche et déterminée,

 

 

M'en sera redevable, et non à ses attraits;

Il n'en faut point douter, sa perte est évidente:

 

 

Et mon frère dès lors se devait avertir.

Alidor

 

 

Fait à ma perfidie un reproche secret;

Vaine compassion des douleurs d'Angélique,

 

 

Téméraire avorton d'un impuissant remords,

Cependant, à qui me laisses-tu?

 

 

Et ton manque d'amour, de mes malheurs complice,

En feignant un mépris, n'avait pas moins de flamme.

 

 

Et soudain mon amour m'a fait haïr ces lieux.

Oui: fais tous tes efforts;

 

 

Doraste

De ce cher Alidor tiens-tu cette promesse?

 

 

J'aurais cédé ma place à ce premier vainqueur;

Après toi de la salle elle s'est dérobée.

 

 

Mais allons promptement après le ravisseur.

Les traits que cette nuit il trempait de vos larmes

 

 

Phylis

Et si mes propres yeux vous donnent dans la vue,

 

 

Vous courez grand hasard de soupirer en vain.

Alidor

 

 

Et ses amours, changés par un heureux hasard,

Doraste tient sa foi;

 

 

Quelques charmants appas qui soient sur son visage,

Ainsi tout me succède;

 

 

Il accepte Angélique, et la rend quand je veux;

Quand je l'aime, elle cesse aussitôt de lui plaire.

 

 

Et mon feu rallumé, le sien se trouve éteint:

Sous ce dernier appas l'amour a trop de force;

 

 

Et ce tyran secret de nos affections

Et qu'elle veuille user d'une juste rigueur,

 

 

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Je méprise Angélique après sa perfidie;

 

 

Et qui n'a point de foi n'a point pour moi d'attraits.

Et si je puis jamais trouver ce ravisseur,

 

 

Lycante

Doraste

 

 

Et de grâce, quel lieu me cache le voleur

Mes larmes m'ont acquis Cléandre pour amant:

 

 

Et veut changer un rapt en amour légitime.

Bannissant toute aigreur, recevez un beau-frère

 

 

Doraste

Mais outre leur pouvoir, votre âme généreuse,

 

 

Vous acquièrent les biens qu'ils vous ont accordés,

Angélique

 

 

Comme as-tu pu sitôt tromper ton ravisseur?

Le hasard me le donne, et changeant ses desseins,

 

 

Son erreur fut soudain de son amour suivie;

Et je ne l'ai ravi qu'après qu'il m'a ravie.

 

 

Mais l'amour d'Alidor faisait taire ses feux.

Doraste, à Phylis.

 

 

Elle se porterait à plus de complaisance;

Phylis

 

 

Et laisse à tes parents à disposer de toi.

J'avais beau la trahir, une secrète amorce

 

 

Mes feux en recevaient une nouvelle force,