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du bon ordre et de la discipline qui règnent dans cette petite ville : les hommes vous ont des airs tranquilles, et les femmes un extérieur chaste et décent qui vous ravit; les jeunes filles vous semblent toutes des Marguerite, avant la scène du jardin. Vous vous sentez entouré d’une atmosphère de vertu qui vous pénètre, et vous vous prenez à faire des rêves de bonheur domestique. Pénétrez plus avant dans les habitudes sociales, et vous êtes étonné de vous apercevoir que toute cette vertu n’est souvent qu’un masque. Allez vous promener le soir dans les jardins de l’université, ou dans les faubourgs, il n’y a pas en France de ville de garnison où l’on tolère ce que j’ai vu dans ces lieux. Chez nous, le vice se cache; il a ses asiles, ses quartiers : c’est une lèpre sur laquelle on cherche à jeter un voile. A Bonn, il s’ébat en plein air. M. le bourgmestre le sait fort bien, M. le recteur de l’université n’en ignore pas; mais qu’importe, pourvu qu’on ne voie pas leurs jeunes gens entrer dans une maison de mauvais extérieur, ou se promener de jour en compagnie suspecte. Tout ce qu’on peut leur demander, c’est de sauver les apparences, et de se bien tenir tant que la nuit n’est pas venue. Après le coucher du soleil, messieurs les étudians ont carte blanche; ils sont les maîtres de la ville, ils le savent et ils en profitent. N’allez pas, passé neuf heures, sous les arbres du jardin botanique, ou dans les allées de Poppelsdorf, vous ne trouveriez pas un banc pour vous asseoir. J’en ai rarement vu un qui ne fût pas occupé d’une façon gênante, même en décembre.
du bon ordre et de la discipline qui règnent dans cette petite ville : les hommes vous ont des airs tranquilles, et les femmes un extérieur chaste et décent qui vous ravit ; les jeunes filles vous semblent toutes des Marguerite, avant la scène du jardin. Vous vous sentez entouré d’une atmosphère de vertu qui vous pénètre, et vous vous prenez à faire des rêves de bonheur domestique. Pénétrez plus avant dans les habitudes sociales, et vous êtes étonné de vous apercevoir que toute cette vertu n’est souvent qu’un masque. Allez vous promener le soir dans les jardins de l’université, ou dans les faubourgs, il n’y a pas en France de ville de garnison où l’on tolère ce que j’ai vu dans ces lieux. Chez nous, le vice se cache ; il a ses asiles, ses quartiers : c’est une lèpre sur laquelle on cherche à jeter un voile. A Bonn, il s’ébat en plein air. M. le bourgmestre le sait fort bien, M. le recteur de l’université n’en ignore pas ; mais qu’importe, pourvu qu’on ne voie pas leurs jeunes gens entrer dans une maison de mauvais extérieur, ou se promener de jour en compagnie suspecte. Tout ce qu’on peut leur demander, c’est de sauver les apparences, et de se bien tenir tant que la nuit n’est pas venue. Après le coucher du soleil, messieurs les étudians ont carte blanche ; ils sont les maîtres de la ville, ils le savent et ils en profitent. N’allez pas, passé neuf heures, sous les arbres du jardin botanique, ou dans les allées de Poppelsdorf, vous ne trouveriez pas un banc pour vous asseoir. J’en ai rarement vu un qui ne fût pas occupé d’une façon gênante, même en décembre.


Dans presque toutes les petites villes d’Allemagne, la police municipale ferme les yeux sur ces débordement en plein air. Il n’y a guère qu’à Mayence, à Cologne et dans quelques grandes villes que l’on recourt aux moyens usités en France et dans presque tous les pays civilisés pour circonscrire le mal. J’eus à ce sujet une explication assez aigre avec un professeur de l’université; c’était à la suite d’une conversation où il s’était montré fort dédaigneux de nos institutions d’enseignement supérieur : en quoi je lui donnais cent fois raison, mais où il m’avait paru juger bien sévèrement nos mœurs universitaires. Dans un voyage qu’il avait fait à Paris vers 1835, il avait été fort scandalisé, disait-il, de la conduite, du laisser-aller (je traduis poliment) de nos étudians. Il ne pouvait concevoir que l’autorité académique n’exerçât aucune surveillance sur les écoliers. N’avait-il pas été jusqu’à voir, s’écriait-il en levant les yeux au ciel, les jeunes gens des écoles se promener rue de La Harpe, et il soulignait ce mot, devant la vieille Sorbonne elle-même, avec des personnes du sexe féminin! Quel scandale ! quel exemple! J’eus beau lui représenter que la plupart des étudians en France sont majeurs, et par conséquent libres de leurs actions, sous leur responsabilité, électeurs et même éligibles de
Dans presque toutes les petites villes d’Allemagne, la police municipale ferme les yeux sur ces débordement en plein air. Il n’y a guère qu’à Mayence, à Cologne et dans quelques grandes villes que l’on recourt aux moyens usités en France et dans presque tous les pays civilisés pour circonscrire le mal. J’eus à ce sujet une explication assez aigre avec un professeur de l’université ; c’était à la suite d’une conversation où il s’était montré fort dédaigneux de nos institutions d’enseignement supérieur : en quoi je lui donnais cent fois raison, mais où il m’avait paru juger bien sévèrement nos mœurs universitaires. Dans un voyage qu’il avait fait à Paris vers 1835, il avait été fort scandalisé, disait-il, de la conduite, du laisser-aller (je traduis poliment) de nos étudians. Il ne pouvait concevoir que l’autorité académique n’exerçât aucune surveillance sur les écoliers. N’avait-il pas été jusqu’à voir, s’écriait-il en levant les yeux au ciel, les jeunes gens des écoles se promener rue de La Harpe, et il soulignait ce mot, devant la vieille Sorbonne elle-même, avec des personnes du sexe féminin ! Quel scandale ! quel exemple ! J’eus beau lui représenter que la plupart des étudians en France sont majeurs, et par conséquent libres de leurs actions, sous leur responsabilité, électeurs et même éligibles de