« L’Heptaméron/La quatriesme journée » : différence entre les versions

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Ce que feit voluntiers Bernaige: lesquelz descendirent à bas et trouverent qu'elle estoit en une tres belle chambre, assise toute seulle devant ung feu. Le gentil homme tira ung rideau qui estoit devant une grande armoyre, où il veid penduz tous les oz d'un homme mort. Bernaige avoit grande envie de parler à la dame, mais, de paour du mary, il n'osa. Le gentil homme, qui s'en apparceut, luy dist: "S'il vous plaist luy dire quelque chose, vous verrez quelle grace et parolle elle a. Bernaige luy dist à l'heure: Madame, vostre patience est egalle au torment. Je vous tiens la plus malheureuse femme du monde." La dame, ayant la larme à l'oeil, avecq une grace tant humble qu'il n'estoit possible de plus, luy dist: "Monsieur, je confesse ma faulte estre si grande, que tous les maulx, que le seigneur de ceans (lequel je ne suis digne de nommer mon mary) me sçauroit faire, ne me sont riens au prix du regret que j'ay de l'avoir offensé." En disant cela, se print fort à pleurer. Le gentil homme tira Bernaige par le bras et l'emmena. Le lendemain au matin, s'en partit pour aller faire la charge que le Roy luy avoit donnée. Toutesfois, disant adieu au gentil homme, ne se peut tenir de luy dire: "Monsieur, l'amour que je vous porte et l'honneur et privaulté que vous m'avez faicte en vostre maison, me contraingnent à vous dire qu'il me semble, veu la grande repentance de vostre pauvre femme, que vous luy debvez user de misericorde; et aussy, vous estes jeune, et n'avez nulz enfans; et seroit grand dommaige de perdre une si belle maison que la vostre, et que ceulx qui ne vous ayment peut-estre poinct, en fussent heritiers." Le gentil homme, qui avoit deliberé de ne parler jamais à sa femme, pensa longuement aux propos que luy tint le seigneur de Bernaige; et enfin congneut qu'il disoit verité, et luy promist que, si elle perseveroit en ceste humilité, il en auroit quelquefois pitié. Ainsi s'en alla Bernaige faire sa charge. Et quant il fut retourné devant le Roi son maistre, luy feit tout au long le compte que le prince trouva tel comme il disoit; et, en autres choses, ayant parlé de la beaulté de la dame, envoya son painctre, nommé Jehan de Paris, pour luy rapporter ceste dame au vif. Ce qu'il feit après le consentement de son mary, lequel, après longue penitence, pour le desir qu'il avoit d'avoir enfans et pour la pitié qu'il eut de sa femme, qui en si grande humilité recepvoit ceste penitence, il la reprint avecq soy, et en eut depuis beaucoup de beaulx enfans.
 
"Mes dames, si toutes celles à qui pareil cas est advenu beuvoient en telz vaisseaulx, j'aurois grand paour que beaucoup de coupes dorées seroient converties en testes de mortz. Dieu nous en veulle garder, car, si sa bonté ne nous retient, il n'y a aucun d'entre nous qui ne puisse faire pis; mais, ayant confiance en luy, il gardera celles qui confessent ne se pouvoir par elles-mesmes garder; et celles qui se confient en leurs forces sont en grand dangier d'estre tentées jusques à confesser leur infirmité. Et en est veu plusieurs qui ont tresbuché en tel cas, dont l'honneur saulvoit celles que l'on estimoit les moins vertueuses; et dist le viel proverbe: Ce que Dieu garde est bien gardé. - Je trouve, dist Parlamente, ceste punition autant raisonnable qu'il est possible; car, tout ainsy que l'offence est pire que la mort, aussy est la pugnition pire que la mort." Dist Ennasuitte: "Je ne suis pas de vostre opinion, car j'aymerois mieulx toute ma vie veoir les oz de tous mes serviteurs en mon cabinet, que de mourir pour eulx, veu qu'il n'y a mesfaict qui ne se puisse amender; mais, après la mort, n'y a poinct d'amendement. - Comment sçauriez-vous amender la honte? dist Longarine, car vous sçavez que, quelque chose que puisse faire une femme après ung tel mesfaict, ne sçauroit reparer son honneur? - Je vous prye, dist Ennasuitte, dictes-moy si la Magdelaine n'a pas plus d'honneur entre les hommes maintenant, que sa soeursœur qui estoit vierge? - Je vous confesse, dist Longarine, qu'elle est louée entre nous de la grande amour qu'elle a portée à Jesus Christ; et de sa grand penitence; mais si luy demeure le nom de Pecheresse. - Je ne me soulcie, dist Ennasuitte, quel nom les hommes me donnent, mais que Dieu me pardonne et mon mary aussy. Il n'y a rien pourquoy je voulsisse morir. - Si ceste damoiselle aymoit son mary comme elle debvoit, dist Dagoucin, je m'esbahys comme elle ne mouroit de deuil, en regardant les oz de celluy, à qui, par son peché, elle avoit donné la mort. - Cependant, Dagoucin, dist Simontault, estes-vous encores à sçavoir que les femmes n'ont amour ny regret? - Je suis encores à le sçavoir, dist Dagoucin, car je n'ay jamais osé tenter leur amour, de paour d'en trouver moins que j'en desire. - Vous vivez donc de foy et d'esperance, dist Nomerfide, comme le pluvier, du vent? Vous estes bien aisé à nourrir! - Je me contente, dist-il, de l'amour que je sens en moy et de l'espoir qu'il y a au coeurcœur des dames, mais, si je le sçavois, comme, je l'espere, j'aurois si extresme contentement, que je ne le sçaurois porter sans mourir. - Gardez-vous bien de la peste, dist Geburon, car, de ceste malladye là, je vous en asseure. Mais je vouldrois sçavoir à qui madame Oisille donnera sa voix. - Je la donne, dist-elle, à Symontault, lequel je sçay bien qu'il n'espargnera personne. - Autant vault, dist-il, que vous mectez à sus que je suis ung peu medisant? Si ne lairray-je à vous monstrer que ceulx que l'on disoit mesdisans ont dict verité. Je croy, mes dames, que vous n'estes pas si sottes que de croyre en toutes les Nouvelles que l'on vous vient compter, quelque apparence qu'elles puissent avoir de saincteté, si la preuve n'y est si grande qu'elle ne puisse estre remise en doubte. Aussy, sous telles especes de miracles, y a souvent des abbuz; et, pour ce, j'ay eu envie de vous racompter ung miracle, qui ne sera moins à la louange d'un prince fidelle, que au deshonneur d'un meschant ministre d'eglise."
 
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Trente troisiesme nouvelle
 
L'ypocrisye et mechanceté d'un curé, qui, sous le manteau de sainteté, avoit engroissié sa soeursœur, fut descouverte par la sagesse du comte d'Angoulesme, par le commandement duquel la justice en feit punition.
 
Le conte Charles d'Angoulesme, pere du Roy François prince fidelle et craingnant Dieu, estoit à Coignac, que l'on luy racompta que, en ung villaige près de là, nommé Cherves, y avoit une fille vierge vivant si austerement, que c'estoit chose admirable, laquelle toutesfois estoit trouvée grosse. Ce que elle ne dissimuloit poinct, et asseuroit tout le peuple que jamais elle n'avoit congneu homme et qu'elle ne sçavoit comme le cas luy estoit advenu, sinon que ce fut oeuvreœuvre du Sainct Esperit; ce que le peuple croyoit facillement, et la tenoient et reputoient entre eulx comme pour une seconde Vierge Marie, car chascun congnoissoit que dès son enfance elle estoit si saige, que jamais n'eut en elle ung seul signe de mondanité. Elle jeusnoit non seullement les jeusnes commandez de l'Eglise, mais plusieurs foys la sepmaine à sa devotion, et tant que l'on disoit quelque service en l'eglise, elle n'en bougeoit; parquoy sa vie estoit si estimée de tout le commun, que chacun par miracle la venoit veoir; et estoit bien heureux, qui luy povoit toucher la robbe. Le curé de la parroisse estoit son frere, homme d'aage et de bien austere vie, aymé et estimé de ses parroissiens et tenu pour ung sainct homme, lequel tenoit de si rigoreux propos à sa dicte seur, qu'il la feit enfermer en une maison, dont tout le peuple estoit mal contant; et en fut le bruict si grand, que, comme je vous ay dict, les nouvelles en vindrent à l'oreille du Conte. Lequel, voyant l'abbus où tout le peuple estoit, desirant les en oster, envoya ung maistre des resquestes et ung aulmosnier; deux fort gens de bien, pour en sçavoir la verité. Lesquelz allerent sur le lieu et se informerent du cas le plus dilligemment qu'ilz peurent, s'adressans au curé, qui estoit tant ennuyé de cest affaire, qu'il les pria d'assister à la verification, laquelle il esperoit faire le lendemain.
 
Ledict curé, dès le matin, chanta la messe où sa seur assista, tousjours à genoulx, bien fort grosse et, à la fin de la messe, le curé print le Corpus Domini, et, en la presence de toute l'assistance dist à sa seur: "Malheureuse, que tu es, voicy Celluy qui a souffert mort et passion pour toy; devant lequel je te demande si tu es vierge, comme tu m'as tousjours asseuré?" Laquelle hardiment luy respondit que ouy. "Et comment doncques est-il possible que tu sois grosse et demeurée vierge?" Elle respondit: "Je n'en puis randre autre raison, sinon que ce soit la grace du Sainct Esperit, qui faict en moy ce qu'il lui plaist; mais, si ne puis-je nyer la grace que Dieu m'a faicte, de me conserver vierge; et n'euz jamais volunté d'estre maryée." A l'heure, son frere luy dist: "Je te bailleray le corps pretieux de Jesus-Christ, lequel tu prendras à ta damnation, s'il est autrement que tu me le dis, dont Messieurs, qui sont icy presens de par Monseigneur le Conte, seront tesmoings." La fille, aagée de près de trante ans, jura par tel serment: "Je prendz le corps de Nostre Seigneur, icy present devant vous, à ma damnation, devant vous, Messieurs, et vous, mon frere, si jamais homme m'a toucha non plus que vous!" Et, en ce disant, receut le corps de Nostre Seigneur. Le maistre des requestes et aulmosnier du Conte, ayans veu cella, s'en allerent tous confuz, croyans que avecq tel serment mensonge ne sçauroit avoir lieu. Et en feirent le rapport au Conte, le voulant persuader à croire ce qu'ilz croyoient. Mais luy, qui estoit sage, après y avoir bien pensé, leur fit derechef dire les parolles du jurement, lesquelles ayant bien pensées: "Elle vous a dict, que jamais homme ne luy toucha, non plus que son frere; et je pense, pour verité, que son frere luy a faict cest enffant, et veult couvrir sa meschanceté soubz une si grande dissimulation. Mais, nous, qui croyons ung Jesus-Christ venu, n'en debyons plus attendre d'autre. Parquoy allez-vous-en et mectez le curé en prison. Je suis seur qu'il confessera la verité." Ce qui fut faict selon son commandement, non sans grandes remontrances pour le scandalle qu'ilz faisoient à cest homme de bien. Et, si tost que le curé fu prins, il confessa sa meschanceté, et comme il avoit conseillé à sa seur de tenir les propos qu'elle tenoit, pour couvrir la vie qu'ilz avoient menée ensemble, non seullement d'une excuse legiere, mais d'un faulx donné à entendre, par lequel ilz demoroient honorez de tout le monde. Et dist, quand on luy meist au devant qu'il avoit esté si meschant de prendre le corps de Nostre Seigneur pour la faire jurer dessus, qu'il n'estoit pas si hardy et qu'il avoit prins ung pain non sacré, ny benist. Le rapport en fut faict au conte d'Angoulesme, lequel commanda à la justice de faire ce qu'il appartenoit. L'on attendit que sa seur fust accouchée; et, après avoir faict ung beau filz, furent bruslez le frere et la seur ensemble, dont tout le peuple eut ung merveilleux esbahissement, ayant veu soubz si sainct manteau ung monstre si horrible, et soubz une vie tant louable et saincte regner ung si detestable vice.
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Et, quand il se veid habandonné de son compaignon et qu'il ne le povoit suyvre, regarda à l'entour de luy où il se pourroit cacher, et ne veit rien que ung tect à pourceaulx où il se trayna le mieulx qu'il peut. Et, ouvrant la porte pour se cacher dedans, en eschappa deux grands pourceaulx, en la place desquelz se meist le pauvre Cordelier et ferma le petit huys sur luy, esperant, quant il orroit le bruit des gens passans, qu'il appelleroit et trouveroit secours. Mais, si tost que le matin fut venu, le boucher appresta ses grands cousteaulx et dist à sa femme qu'elle luy tint compaignye pour aller tuer son pourceau gras. Et quant il arriva au tect, auquel le Cordelier s'estoit caché, commencea à cryer bien hault, en ouvrant la petite porte: "Saillez dehors, maistre Cordelier, saillez dehors, car aujourd'huy j'auray de vos boudins!" Le pauvre Cordelier, ne se pouvant soustenir sur sa jambe, saillyt à quatre piedz hors du tect, criant tant qu'il povoit misericorde. Et, si le pauvre frere eust grand paour, le boucher et sa femme n'en eurent pas moins; car ilz pensoient que sainct François fust courroucé contre eulx de ce qu'ilz nommoient une beste cordelier, et se mirent à genoulx devant le pauvre frere, demandans pardon à sainct François et à sa religion, en sorte que le Cordelier cryoit d'un costé misericorde au boucher, et le boucher, à luy, d'aultre, tant que les ungs et les aultres furent ung quart d'heure sans se povoir asseurer. A la fin, le beau pere, congnoissant que le boucher ne lui voulut poinct de mal, luy compta la cause pourquoy il s'estoit caché en ce tect, dont leur paour tourna incontinant en ris, sinon que le pauvre Cordelier, qui avoit mal en la jambe, ne se povoit resjouyr. Mais le boucher le mena en sa maison où il le feit très bien panser. Son compaignon, qui l'avoit laissé au besoing, courut toute la nuyct tant, que au matin il vint en la maison du seigneur de Fortz, où il se plaingnoit de ce boucher, lequel il soupsonnoit d'avoir tué son compagnon, veu qu'il n'estoit point venu après luy. Ledict seigneur de Fors envoia incontinant au lieu de Grip, pour en sçavoir la verité, laquelle sceue ne se trouva poinct matiere de pleurer, mais ne faillyt à le racompter à sa maistresse, madame la duchesse d'Angoulesme, mere du Roy Françoys, premier de ce nom.
 
"Voylà, mes dames, comment il ne faut pas bien escouter le secret là où on n'est poinct appellé, et entendre mal les parolles d'aultruy. - Ne sçavois-je pas bien, dist Simontault, que Nomerfide ne nous feroit poinct pleurer, mais bien fort rire; en quoy il me semble que chascun de nous s'est bien acquicté. - Et qu'est-ce à dire, dist Oisille, que nous sommes plus enclins à rire d'une follye, que d'une chose sagement faicte? - Pour ce, dist Hircan, qu'elle nous est plus agreable, d'autant qu'elle est plus semblable à nostre nature, qui de soy n'est jamais saige; et chascun prent plaisir à son semblable: les folz, aux folyes, et les saiges, à la prudence. Je croy, dist-il, qu'il n'y a ne saiges ne folz, qui se sceussent garder de rire de ceste histoire. - Il y en a, dist Geburon, qui ont le cueur tant adonné à l'amour de sapience, que, pour choses que sceussent oyr, on ne les sçauroit faire rire, car ilz ont une joye en leurs cueurs et ung contentement si moderé, que nul accident ne les peut muer. - Où sont ceulx-là? dit Hircan. - Les philosophes du temps passé, respondit Geburon, dont la tristesse et la joye est quasi poinct sentie; au moins, n'en monstroient-ilz nul semblant, tant ilz estimoient grand vertu se vaincre eulx-mesmes et leur passion. - Et je trouve aussi bon, comme ilz font, dist Saffredent, de vaincre une passion vicieuse; mais, d'une passion naturelle qui ne tend à nul mal, ceste victoire-là me semble inutille. - Si est-ce, dist Geburon, que les antiens estimoient ceste vertu grande. - Il n'est pas dict aussy, respondit Saffredent, qu'ilz fussent tous saiges, mais y en avoit plus d'apparence de sens et de vertu, qu'il n'y avoit d'effect. - Toutesfois, vous verrez qu'ilz reprennent toutes choses mauvaises, dict Geburon, et mesmes Diogenes marche sur le lict de Platon qui estoit trop curieux à son grey, pour monstrer qu'il desprisoit et vouloit mectre soubz le pied la vaine gloire et convoytise de Platon, en disant: "Je conculque et desprise l'orgueil de Platon." - Mais vous ne dictes pas tout, dist Saffredent, car Platon luy respondit que c'estoit par ung aultre orgueil. - A dire la verité, dist Parlamente, il est impossible que la victoire de nous-mesmes se face par nous-mesmes, sans ung merveilleux orgueil qui est le vice que chacun doibt le plus craindre, car il s'engendre de la mort et ruyne de toutes les aultres vertuz. - Ne vous ay-je pas leu au matin, dist Oisille, que ceulx qui ont cuydé estre plus saiges que les aultres hommes, et qui, par une lumiere de raison, sont venuz jusques à congnoistre ung Dieu createur de toutes choses, toutesfois, pour s'attribuer ceste gloire et non à Celluy dont elle venoit, estimans par leur labeur avoir gaingné ce sçavoir, ont esté faictz non seulement plus ignorans et desraisonnables que les aultres hommes, mais que les bestes brutes? Car, ayans erré en leurs esperitz, s'attribuans ce que à Dieu seul appartient, ont monstré leurs erreurs par le desordre de leurs corps, oblians et pervertissans l'ordre de leur sexe, comme sainct Pol aujourd'huy nous monstre en l'epistre qu'il escripvoit aux Romains. - Il n'y a nul de nous, dist Parlamente, qui, par ceste epistre, ne confesse que tous les pechez extérieurs ne sont que les fruictz de l'infelicité interieure, laquelle plus est couverte de vertu et de miracles, plus est dangereuse à arracher. - Entre nous hommes, dist Hircan, sommes plus près de nostre salut, que vous autres, car, ne dissimullans poinct noz fruictz, congnoissons facillement nostre racine; mais, vous qui ne les osez mectre dehors et qui faictes tant de belles oeuvresœuvres apparantes, à grand peyne congnoistrez-vous ceste racine d'orgueil, qui croist soubz si belle couverture. - Je vous confesse, dist Longarine, que, si la parolle de Dieu ne nous monstre, par la foy, la lepre d'infidelité cachée en nostre cueur, Dieu nous faict grand grace, quant nous tresbuchons en quelque offense visible, par laquelle nostre peste couverte se puisse clairement veoir. Et bien heureux sont ceulx que la foy a tant humilliez, qu'ilz n'ont poinct besoing d'experimenter leur nature pecheresse, par les effectz du dehors. - Mais regardons, dist Simontault, de là où nous sommes venuz: en partant d'une très grande follye, nous sommes tombez en la philosophie et theologie. Laissons ces disputes à ceulx qui sçavent mieulx resver que nous, et sçachons de Nomerfide, à qui elle donne sa voix. - Je la donne, dist-elle, à Hircan, mais je luy recommande l'honneur des dames. - Vous ne le pouvez dire en meilleur endroict, dist Hircan, car l'histoire que j'ay apprestée est toute telle qu'il la fault pour vous obeyr; si est-ce que, par cella, je vous apprendray à confesser que la nature des femmes et des hommes est de soy incline à tout vice, si elle n'est preservée de Celluy à qui l'honneur de toute victoire doibt estre rendu; et pour vous abbatre l'audace que vous prenez, quant on en dit à vostre honneur, je vous en vais montrer un exemple qui est très veritable."
 
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C'est que en la ville de Grenoble y avoit ung President, dont je ne diray le nom, mais il n'estoit pas françois. Il avoit une bien belle femme, et vivoient ensemble en grande paix. Ceste femme, voiant que son mary estoit viel, print en amour ung jeune clerc, nommé Nicolas. Quant le mary alloit au matin au Palais, Nicolas entroit en sa chambre et tenoit sa place; de quoy s'apperceut ung serviteur du President, qui l'avoit bien servy trente ans; et, comme loyal à son maistre, ne se peut garder de luy dire. Le President, qui estoit saige, ne le voulut croyre legierement, mais dist qu'il avoit envie de mectre division entre luy et sa femme, et que, si la chose estoit vraye comme il disoit, il la luy pourroit bien monstrer, et, s'il ne la luy monstroit, il estimeroit qu'il auroit controuvé ceste mensonge pour separer l'amitié de luy et de sa femme. Le varlet l'asseura qu'il luy feroit veoir ce qu'il luy disoit; et, ung matin, sitost que le President fut allé à la Court et Nicolas entré en la chambre, le serviteur envoya l'un de ses compaignons mander à son maistre qu'il povoit venir, et se tint tousjours à la porte, pour guetter que Nicolas ne saillist. Le President, sitost qu'il veid le signe que luy feit ung de ses serviteurs, faingnant se trouver mal, laissa la Court et s'en alla hastivement en sa maison où il trouva son viel serviteur à la porte de la chambre, l'asseurant pour vray que Nicolas estoit dedans, qui ne faisoit gueres que d'entrer. Le seigneur luy dist: "Ne bouge de ceste porte, car tu sçays bien qu'il n'y a autre entrée, ne yssue en ma chambre, que ceste-cy, si non ung petit cabinet, duquel moy seul porte la clef." Le President entra dans la chambre et trouva sa femme et Nicolas couchez ensemble, lequel, en chemise, se gecta à genoulx, à ses piedz, et luy demanda pardon: sa femme, de l'autre costé, se print à pleurer. Lors dist le President: "Combien que le cas que vous avez faict soit tel que vous povez estimer, si est-ce que je ne veulx, pour vous, que ma maison soit deshonorée et les filles que j'ay eu de vous desavancées. Parquoy, dist-il, je vous commande que vous ne pleurez poinct, et oyez ce que je feray; et vous, Nicolas, cachez-vous en mon cabinet, et ne faictes ung seul bruict." Quant il eut ainsy faict, vat ouvrir la porte et appela son viel serviteur, et luy dist: "Ne m'as-tu pas asseuré que tu me monstrerois Nicolas avecq ma femme? Et, sur ta parolle, je suys venu icy en dangier de tuer ma pauvre femme; je n'ay rien trouvé de ce que tu m'as dict. J'ay cherché par toute ceste chambre, comme je te veulx montrer; et, en ce disant, feit regarder son varlet soubz les lictz et par tous coustez." Et quant le varlet ne trova rien, tout estonné, dist à son maistre: "Il fault que le diable l'ait emporté, car je l'ay veu entrer icy, et si n'est poinct sailly par la porte, mais je voy bien qu'il n'y est pas." A l'heure, le maistre luy dist: "Tu es bien malheureux serviteur, de vouloir mectre entre ma femme et moy une telle division: parquoy, je te donne congé de t'en aller, et, pour tous les services que tu m'as faictz, te veulx paier ce que je te doibz et davantaige; mais va t'en bien tost et te garde d'estre en ceste ville vingt quatre heures passées." Le President luy donna cinq ou six paiemens des années à advenir, et, sçachant qu'il estoit loyal, esperoit luy faire autre bien. Quant le serviteur s'en fut allé pleurant, le President feit saillyr Nicolas de son cabinet, et, après avoir dict à sa femme et à luy ce qu'il luy sembloit de leur meschanceté, leur defendit d'en faire aucun semblant à personne; et commanda à sa femme de s'abiller plus gorgiasement qu'elle n'avoit accoustumé et se trouver en toutes compaignies, dances et festes, et à Nicolas, qu'il eust à faire meilleure chere qu'il n'avoit faict auparavant, mais que, si tost qu'il luy diroit à l'oreille: Va t'en! qu'il se gardast bien de demeurer à la ville trois heures après son commandement. Et, ce faict, s'en retourna au Palais, sans faire semblant de rien. Et durant quinze jours, contre sa coustume, se meist à festoier ses amys et voisins. Et, après le banquet, avoit des tabourins pour faire dancer les dames. Ung jour, il voyoit que sa femme ne dansoit poinct, commanda à Nicolas de la mener dancer, lequel, cuydant qu'il eust oblyé les faultes passées, la mena dancer joieusement. Mais, quant la dance fut achevée, le President faingnant luy commander quelque chose en sa maison, luy dist à l'oreille: "Va t'en et ne retourne jamays!" Or, fut Nicolas bien marry de laisser sa dame, mais non moins joieulx d'avoir la vie saulve. Après que le President eut mis, en l'opinion de tous ses parens et amys et de tout le païs, la grande amour qu'il portoit à sa femme, ung beau jour du moys de may, alla cuyllir en son jardin une sallade de telles herbes, que, si tost que sa femme en eust mangé, ne vesquit pas vingt quatre heures: dont il feit si grand deuil par semblant, que nul ne povoit soupsonner qu'il fut occasion de ceste mort; et, par ce moien, se vangea de son ennemy et saulva l'honneur de sa maison.
 
"Je ne veulx pas, mes dames, par cela, louer la conscience du President, mais, oy bien, monstrer la legiereté d'une femme, et la grand patience et prudence d'un homme; vous suppliant, mes dames, ne vouz courroucer de la verité qui parle quelquefois aussi bien contre vous que contre les hommes. Et les hommes et les femmes sont commungs aux vices et vertuz. - Si toutes celles, dist Parlamente, qui ont aymé leurs varletz estoient contrainctes à manger de telles sallades, j'en congnois qui n'aymeroient poinct tant leurs jardins comme elles font, mais en arracheroient les herbes pour eviter celle qui rend l'honneur à la lignée par la mort d'une folle mere." Hircan, qui devinoit bien pourquoy elle le disoit, respondit en collere: "Une femme de bien ne doibt jamais juger ung autre de ce qu'elle ne vouldroit faire." Parlamente respondit: "Sçavoir n'est pas jugement et sottize; si est-ce que ceste pauvre femme-là porta la peyne que plusieurs meritent. Et croy que le mary, puisqu'il s'en voloit venger, se gouverna avecq une merveilleuse prudence et sapience. - Et aussy avecques une grande malice, ce dist Longarine, et longue et cruelle vengeance, qui monstroit bien n'avoir Dieu ne conscience devant les oeilz. - Et que eussiez-vous doncq voulu qu'il eust faict, dist Hircan, pour se venger de la plus grande injure que la femme peut faire à l'homme? - J'eusse voulu, dist elle, qu'il l'eust tuée en sa collere, car les docteurs dient que le peché est remissible, pour ce que les premiers mouvemens ne sont pas en la puissance de l'homme: parquoy il en eust peu avoir grace. - Oy, dist Geburon; mais ses filles et sa race eussent à jamais porté ceste notte. - Il ne la debvoit poinct tuer, dist Longarine, car, puisque sa grande collere estoit passée, elle eust vescu avecq luy en femme de bien et n'en eust jamais esté memoire. - Pensez-vous, dist Saffredent, qu'il fust appaisé, pour tant qu'il dissimulast sa collere? Je pense, quant à moy, que, le dernier jour qu'il feit sa sallade, il estoit aussy courroucé que le premier, car il y en a aucuns, dequelz les premiers mouvemens n'ont jamays intervalle jusques ad ce qu'ilz ayent mys à effect leur passion; et me faictes grand plaisir de dire que les theologiens estiment ces pechez-là facilles à pardonner, car je suis de leur oppinion. - Il faict bon regarder à ses parolles, dit Parlamente, devant gens si dangereux que vous; mais ce que j'ay dict se doibt entendre quant la passion est si forte, que soubdainement elle occupe tant les sens, que la raison n'y peut avoir lieu. - Aussy, dist Saffredent, je m'arreste à vostre parolle et veux par cela conclure que ung homme bien fort amoureux, quoy qu'il face, ne peult pecher, sinon de peché veniel; car je suis seur que, si l'amour le tient parfaictement lyé, jamais la raison ne sera escoutée ny en son cueur ny en son entendement. Et, si nous voulons dire verité, il n'y a nul de nous qui n'ait experimenté ceste furieuse follye, que je pense non seullement estre pardonnée facillement, mais encores je croy que Dieu ne se courrouce poinct de tel peché, veu que c'est ung degré pour monter à l'amour parfaicte de luy, où jamais nul ne monta, qu'il n'ait passé par l'eschelle de l'amour de ce monde. Car saint Jehan dict: Comment aymerez-vous Dieu, que vous ne voyez poinct, si vous n'aymez celluy que vous voyez? - Il n'y a si beau passaige en l'Escripture, dist Oisille, que vous ne tirez à vostre propos. Mais gardez-vous de faire comme l'arignée qui convertit toute bonne viande en venyn. Et si vous advisez qu'il est dangereulx d'alleguer l'Escripture sans propos ne necessité! - Appelez-vous dire verité estre sans propos ne necessité? dist Saffredent. Vous voulez doncques dire que, quant, en parlant à vous aultres incredules, nous appellons Dieu à nostre ayde, nous prenons son nom en vain; mais, s'il y a peché, vous seules en debvez porter la peyne, car vos incredulitez nous contraingnent à chercher tous les sermens dont nous pouvons adviser. Et encores, ne povons-nous allumer le feu de charité en voz cueurs de glace. C'est signe, dist Longarine, que tous vous mentez, car, si la verité estoit en vostre parolle, elle est si forte, qu'elle vous feroit croyre. Mais il y a dangier que les filles d'Eve croyent trop tost ce serpent. - J'entendz bien, Parlamente, dist Saffredent, que les femmes sont invinsibles aux hommes; parquoy je me tairay, afin d'escouter à qui Ennasuitte donnera sa voix. - Je la donne, dist-elle, à Dagoucin, car je croy qu'il ne vouldroit poinct parler contre les dames. - Pleust à Dieu, dist Dagoucin, qu'elles respondissent autant à ma faveur, que je vouldrois parler pour la leur! Et, pour vous monstrer que je me suis estudyé de honorer les vertueuses en ramentevant leurs bonnes oeuvresœuvres, je vous en voys racompter une; et ne veulx pas nyer, mes dames, que la patience du gentil homme de Pampelune et du Président de Grenoble n'ait esté grande, mais la vengeance n'en a esté moindre.
 
Et quant il fault louer ung homme vertueux, il ne fault poinct tant donner de gloire à une seulle vertu, qu'il faille la faire servir de manteau à couvrir ung très grand vice; mais celluy est louable, qui, pour l'amour de la vertu seulle, faict oeuvreœuvre vertueuse, comme j'espere vous faire veoir par la patience de vertu d'une dame, qui ne serchoit aultre fin en toute sa bonne oeuvreœuvre, que l'honneur de Dieu et le salut de son mary."
 
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Quarantiesme nouvelle
 
La soeursœur du comte de Jossebelin, après avoir epousé, au desceu de son frere, un gentil homme qu'il feit tuer, combien qu'il se l'eut souvent souhaité pour beau frere, s'il eust esté de mesme maison qu'elle, en grand patience et austerité de vie, usa le reste de ses jours en un ermytage.
 
Ce seigneur pere de Rolandine, qui s'appelloit le conte de Jossebelin, eut plusieurs seurs, dont les unes furent mariées bien richement, les aultres religieuse; et une qui demeura en sa maison, sans estre maryée, plus belle sans comparaison que toutes les autres, laquelle aymoit tant son frere, que luy n'avoit femme ny enfans qu'il preferast à elle. Aussy, fut demandée en mariage de beaucoup de bons lieux; mais, de paour de l'esloigner et par trop aymer son argent, n'y voulut jamays entendre; qui fut la cause dont elle passa grande partie de son aage sans estre mariée, vivant tres honestement en la maison de son frere, où il y avoit ung jeune et beau gentil homme, nourry dès son enfance en la dicte maison, lequel creut en sa croissance tant en beaulté et vertu, qu'il gouvernoit son maistre tout paisiblement, tellement que, quant il mandoit quelque chose à sa seur, estoit toujours par cestuy-là. Et luy donna tant d'auctorité et de privaulté, l'envoyant soir et matin devers sa seur, que, à la longue frequentation, s'engendra une grande amitié entre eulx. Mais, craingnant le gentil homme sa vie, s'il offensoit son maistre, et la damoiselle, son honneur, ne prindrent en leur amityé autre contentement que de la parolle, jusques ad ce que le seigneur de Jossebelin dist souvent à sa seur qu'il vouldroit qu'il luy eust couste beaucoup et que ce gentil homme eust esté de maison de mesme elle, car il n'avoit jamais veu homme qu'il aymast tant pour son beau frere, que luy. Il luy redist tant de foys ces propos, que, les ayans debatuz avecq le gentil homme, estimerent que, s'ilz se marioient ensemble, on leur pardonneroit aisement. Et Amour, qui croit voluntiers ce qu'il veult, leur feit entendre qu'il ne leur en pourroit que bien venir; et, sur ceste esperance, conclurent et perfeirent le mariage, sans que personne en sceut rien que ung prebstre et quelques femmes.
 
Et après avoir vescu quelques années au plaisir que homme et femme mariez peuvent prendre ensemble, comme la plus belle couple qui fut en la chrestienté et de la plus grande et parfaicte amityé, Fortune, envyeuse de veoir deux personnes si à leurs ayses, ne les y voulut souffrir, mais leur suscita ung ennemy, qui, espiant ceste damoiselle, apperceut sa grande felicité, ignorant toutesfoys le mariage. Et vint dire au seigneur de Jossebelin, que le gentil homme, auquel il se fyoit tant, alloit trop souvent en la chambre de sa soeursœur, et aux heures où les hommes ne doibvent entrer. Ce qui ne fut creu pour la premiere foys, de la fiance qu'il avoit à sa seur et au gentil homme. Mais l'autre rechargea tant de fois, comme celluy qui aymoit l'honneur de la maison, qu'on y meist ung guet tel, que les pauvres gens, qui n'y pensoient en nul mal, furent surprins; car, ung soir, que le seigneur de Jossebelin fut adverty que le gentil homme estoit chez sa seur, s'y en alla incontinant, et trouva les deux pauvres aveuglez d'amour couchez ensemble. Dont le despit luy osta la parolle, et, en tirant son espée, courut après le gentil homme pour le tuer. Mais luy, qui estoit aisey de sa personne, s'enfuyt tout en chemise, et, ne povant eschapper par la porte, se gecta par une fenestre dedans ung jardin. La pauvre damoiselle, tout en chemise, se gecta à genoulx devant son frère et luy dist: "Monsieur, saulvez la vie de mon mary, car je l'ay espousé; et, s'il y a offense, n'en pugnissez que moy, par ce que ce qu'il en a faict a esté à ma requeste." Le frere, oultrey de courroux, ne luy respond, sinon: "Quant il seroit vostre mary cent mille foys, si le pugniray-je comme un meschant serviteur qui m'a trompé." En disant cela, se mist à la fenestre et cria tout hault que l'on le tuast, ce qui fut promptement executé par son commandement et devant les oeilz de luy et de sa seur. Laquelle, voyant ce piteux spectacle auquel nulle priere n'avoit seu remedier, parla à son frere comme une femme hors du sens: "Mon frere, je n'ay ne pere ne mere, et suys en tel aage, que je me puis marier à ma volunté; j'ay choisy celluy que maintesfoys vous m'avez dict que vouldriez que j'eusse espousé. Et, pour avoir faict par vostre conseil ce que je puis selon la loy faire sans vous, vouz avez faict mourir l'homme du monde que vous avez le mieulx aymé! Or, puisque ainsy est que ma priere ne l'a peu garantir de la mort, je vous suplie, pour toute l'amityé que vous m'avez jamais porté, me faire, en ceste mesme heure, compaigne de sa mort, comme j'ay esté de toutes ses fortunes. Par ce moien, en satisfaisant à vostre cruelle et injuste collere, vous mectrez en repos le corps et l'ame de celle qui ne veult ny ne peult vivre sans luy." Le frere, nonobstant qu'il fust esmeu jusques à perdre la raison, si eut-il tant de pitié de sa seur, que, sans luy accorder ne nyer sa requeste, la laissa. Et, après qu'il eut bien consideré ce qu'il avoit faict et entendu qu'il avoit espousé sa seur, eust bien voulu n'avoir poinct commis ung tel crime. Si est-ce que la craincte qu'il eut que sa seur en demandast justice ou vengeance, luy feit faire ung chasteau au meillieu d'une forest, auquel il la meist; et defendit que aucun ne parlast à elle.
 
Après quelque temps, pour satisfaire à sa conscience, essaya de la regaingner et luy feit parler de mariage, mais elle luy manda qu'il luy en avoit donné ung si mauvais desjeuner, qu'elle ne vouloit plus souper de telle viande et qu'elle esperoit vivre de telle sorte qu'il ne seroit poinct l'homicide du second mary; car à peyne penseroit-elle qu'il pardonnast à ung autre, d'avoir faict ung si meschant tour à l'homme du monde qu'il aymoit le mieulx. Et que, nonobstant qu'elle fust foible et impuissante pour s'en venger, qu'elle esperoit en Celluy qui estoit vray juge et qui ne laisse mal aucun impugny, avecq l'amour duquel seul elle vouloit user le demorant de sa vie en son hermitaige. Ce qu'elle feyt, car, jusques à la mort, elle n'en bougea, vivant en telle patience et austerité, que après sa mort chacun y couroit comme à une saincte. Et, depuis qu'elle fut trespassée, la maison de son frere alloit tellement en ruyne, que de six filz qu'il avoit n'en demeura ung seul et morurent touz fort miserablement; et, à la fin, l'heritaige demoura, comme vous avez oy en l'autre compte, à sa fille Rolandine, laquelle avoit succedé à la prison faicte pour sa tante.