« L’Angleterre depuis la Réforme » : différence entre les versions

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Quoique la proportion, chaque jour plus élevée, de la population manufacturière, relativement à la population agricole, expose la société anglaise à des dangers graves, en ce sens qu'elle fait dépendre sa sûreté de chances de travail et d'alimentation fort incertaines (3), il faut reconnaître que l'augmentation du capital mobilier, dans la Grande-Bretagne, n'a guère entamé, jusqu'à présent, l'influence de l'élément territorial; et il est trop manifeste que si une lutte s'engageait en ce moment entre l'aristocratie, maîtresse exclusive du sol, et la population toujours croissante des ateliers et des ''work-houses'', la bourgeoisie ne serait encore en mesure ni de se porter héritière de l'une, ni de contenir les violences de l'autre.
 
La faculté d'absorption dont est douée l'aristocratie britannique, agit incessamment sur tout ce qui s'élève. En ouvrant ses rangs aux fortunes nouvelles, en leur prêtant un lustre que les moeursmœurs publiques les invitent à réclamer, cette aristocratie empêche qu'aucun faisceau ne se forme en dehors d'elle. Grand industriel à la première génération, membre des communes ou d'une cour de justice à la seconde, souvent pair d'Angleterre à la fin d'une vie honorée; cette gradation est acceptée de tous dans ce pays de classifications rigoureuses. La simple lecture du ''Peerage'' fait voir, en effet, qu'ainsi se recrute cet ordre si puissant par l'unité de son esprit, où vous voyez lord Brougham, lord Lyndhurst, lord Cottenham, pour ne citer que les chanceliers des trois derniers ministères, hommes nouveaux, assis la veille au banc des avocats ou des juges, marcher en tête du petit nombre d'illustrations historiques échappées aux révolutions et aux siècles.
 
L'industrie et le barreau, ces deux sources de la bourgeoisie française, fournissent incessamment des recrues à l'aristocratie britannique, bien loin d'élever contre elle une opposition formidable. Le ''barryster'' à Westminster-Hall, cette pépinière de chanceliers, l'armateur à Liverpool, le fabricant à Manchester ou à Sheffield, ont à peine fait fortune, que leurs idées vont se fondre dans ce moule hiérarchique où le génie de la Grande-Bretagne semble avoir reçu son indélébile empreinte. Tout réformiste ou dissident qu'il puisse être, celui-ci achète une terre avec patronage ecclésiastique, pour la transmettre à son aîné; celui-là aspire à obtenir, en se montrant influent aux élections de son comté, ce titre de baronnet, créé par Jacques Ier sans autre vue que les besoins de son échiquier, et qui est devenu une sorte de lien entre la ''gentry'' provinciale et la noblesse titrée, comme dans l'ordre parlementaire le ''knight ''des comtés est un intermédiaire entre le lord de la chambre haute et le ''burgess'' des villes. Aucun d'eux, bien qu'enrichi de la veille, n'hésite, pour l'étrange honneur de se dessiner un écusson, à payer au ''herald-office'' le prix de la plus singulière en même temps que de la plus incorrigible entre toutes les vanités.
 
La constitution de la famille soutient donc, en Angleterre, la constitution de l'état, et les moeursmœurs y sont encore l'ame des institutions. Ce pays supporte sans émotion l'extrême misère à côté de l'extrême opulence, la fierté d'un aîné millionnaire en face du célibat forcé de ses soeurssœurs et de la dépendance besogneuse de ses cadets. Pour étouffer la nature qui serait si redoutable à l'oeuvreœuvre de la politique, pour amortir l'effet de tant de souffrances individuelles, ce gouvernement dote l'indigence de la taxe des pauvres, ouvre à ses nombreux criminels un continent à peupler, livre aux puînés des grandes familles des colonies dans les deux mondes, aux Indes un empire de cent millions d'hommes, les dignités d'une église plus riche que tous les clergés chrétiens pris ensemble, avec les grades d'une marine plus nombreuse que toutes celles de l'Europe, ressources colossales, qui sont pour le gouvernement aristocratique d'Angleterre ce qu'était la conquête pour le patriciat romain, une nécessité fatale de sa position, une rigoureuse condition d'existence.
 
L'Angleterre, que l'étranger étudie dans les livres, celle qu'il entrevoit en roulant sur ses routes sablées, ou en étouffant dans les salons du West-End, n'est pas cet étrange pays qui résiste par la seule puissance de ses habitudes, par l'énergique vitalité de croyances politiques et religieuses étroitement enlacées au mouvement des idées contemporaines, qui entend sans inquiétude une multitude affamée rugir autour des demeures somptueuses, et le grand agitateur menacer au nom de sept millions d'hommes. C'est ailleurs qu'il faut regarder pour avoir le secret de cette force surprenante.
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Au sein d'une tout autre Angleterre gît le principe de cette force latente qui permet à ce gouvernement de maintenir, contre tant de souffrances et de passions, l'antique constitution nationale, et donne pour base à la politique des trois royaumes la systématique oppression de l'un d'entre eux.
 
Quiconque a pris la peine d'observer avec soin les provinces d'Angleterre, depuis la Cornouaille jusqu'au comté de Norfolk, depuis le comté de Kent jusqu'à celui de Durham, n'a pu manquer d'être frappé du caractère profondément agricole empreint sur ce sol, sur ces moeursmœurs, et jusque sur ces physionomies. Dans les comtés mêmes les plus exclusivement envahis par l'industrie, comme le Lancashire et le Warwickshire, il semble que le génie manufacturier soit récemment superposé à un autre, qui lui résiste et lui dispute le terrain pied à pied. La propriété, partout ornée, témoigne qu'elle est l'objet de tous les soins, la source de toutes les jouissances de l'homme. Si dans les somptueux châteaux de la noblesse titrée, où, sous des arceaux gothiques, sont entassés les statues de la Grèce et les tableaux de l'Italie, vous retrouvez les moeursmœurs de la société cosmopolite, ayez accès dans ces maisons plus modestes de la noblesse provinciale, et vous comprendrez sa toute-puissante influence politique, lorsque vous la verrez vivant là sur le sol, s'associant, d'un bout à l'autre de l'année, à tous les bonheurs de l'existence des champs. Un printemps humide et tiède, un été sec et chaud, des récoltes abondantes, des troupeaux gras et nombreux; ici une nouvelle culture essayée à grands frais; là une nouvelle conquête de la science étendant la puissance de la production; toujours un intérêt qui remplit la vie sans la troubler par des orages.
 
A côté du ''country-gentleman'' vivent ses fermiers, enrichis par les ''corn-laws'', et que des baux à vie ou à long terme associent à tous les sentimens de la propriété, en leur créant des intérêts identiques avec ceux des propriétaires du sol. C'est le grand corps des ''yeomen'', cette gendarmerie de l'Angleterre territoriale, qui est pour elle, dans l'esprit de son organisation agricole, ce que la garde nationale est pour la France, soumise à une influence opposée.
 
Cette population, riche et nombreuse, est forte de la communauté de ses voeuxvœux, de ses croyances, et même de ses préjugés. Là vous entendrez encore de vieux anathèmes contre la France et le ''no popery'' retentira aux élections comme aux jours de Jacques II. Chez tous ces hommes d'une moralité sévère, mais étroite et sans amour, comme l'est presque toujours la moralité protestante, vous trouverez une haine profonde de l'Irlande, terre conquise et terre catholique, haine inextinguible à laquelle la religion anglicane imprime depuis trois siècles la double sanction du patriotisme et de la foi.
 
C'est ici, en effet, qu'il faut constater le trait caractéristique de cette grande race anglaise, tel qu'il se retrouve dans les deux continens, sous l'empire des principes sociaux les plus opposés. Il n'est pas une qualité de ce peuple que le sentiment religieux ne rehausse; il n'est pas même un de ses défauts auquel il ne s'associe d'une façon plus ou moins intime. Quelque part que vous rencontriez cette forte nature, en Amérique, en Asie ou en Europe; que vous communiquiez avec des épiscopaux, des presbytériens ou des quakers, partout vous sentirez, au premier contact, ce respect profond des choses saintes qui, s'il n'interdit ni les folies du fanatisme, ni les persécutions de la haine, protège au moins la dignité d'un peuple contre les atteintes d'un scepticisme mortel. Quelque abusive que soit la forme sous laquelle le christianisme coexiste dans l'église anglicane avec l'aristocratie et avec l'état, on n'y sent pas moins partout sa vivifiante influence; et c'est de l'Angleterre surtout, dont la fortune est exposée à tous les vents du ciel, et les destinées soumises au choc de tant de passions, qu'on peut dire que la religion est pour elle l'ancre jetée dans la tempête.
 
Cette population agricole, qui, malgré son décroissement successif, monte encore à près d'un million de familles pour l'Angleterre et l'Écosse (4), qui tient presque tout entière à l'établissement anglican ou à l'église presbytérienne écossaise, dont les intérêts se confondent aujourd'hui avec ceux de l'église épiscopale, telle est la force véritable du torysme. C'est par elle qu'il a pu résister si long-temps à l'émancipation des catholiques et des dissidens et à la réforme parlementaire; c'est en s'appuyant sur elle qu'il lui est donné de retarder ou de modifier aujourd'hui les conséquences de ces grandes résolutions. Les fermiers conduits par leurs propriétaires, et catéchisés par leurs ministres, là est le centre et comme le coeurcœur de la nationalité britannique. Lorsqu'on pénètre jusqu'à cette couche solide et immobile de la société, lorsqu'on voit combien tous ces intérêts sont liés par le mode tout féodal de la transmission du sol et les conditions obligées de la grande culture, on a vraiment lieu de s'étonner bien plus des conquêtes récentes de l'esprit libéral dans la Grande-Bretagne, que des résistances que ces conquêtes ont rencontrées.
 
Une autre observation, d'ailleurs, n'a pu échapper à quiconque a étudié l'Angleterre : c'est la subordination où sont, dans ce pays, les villes par rapport aux campagnes, et l'influence prépondérante du comté sûr le bourg.
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Aucune influence vraiment puissante ne s'élève encore entre l'opinion conservatrice et la force populaire. Le whigisme a pu avoir, il peut même conserver une grande et salutaire importance comme opinion de transition : grace aux lumières et au caractère personnel de ses chefs, ce parti doit peser d'un grand poids dans les délibérations parlementaires, et une popularité temporaire a pu lui frayer les voies du pouvoir; mais comment méconnaître l'identité des intérêts qui le rattachent à l'autre grande faction aristocratique?
 
Les whigs reçurent sans doute en héritage mi certain nombre de questions généreuses dont leurs traditions de famille les incitaient à poursuivre la solution : l'émancipation catholique et une réforme modérée étaient au premier rang de ces conquêtes. Mais, lorsqu'il s'agit de tirer les premières conséquences des prémisses le plus hardiment posées, des scrupules de conscience ou de position plus puissans que l'ambition même, les arrêtent tout court dans cette oeuvreœuvre. Déjà l'on a vu la première couche du whigisme se replier avec lord Stanley et sir J. Graham sur la phalange conservatrice, et, au banquet solennel donné cette année même au chef parlementaire de cette opinion, par trois cent quinze membres des communes, l'alliance fut scellée par la communauté avouée des principes et des voeuxvœux (5). On peut prédire, sans assigner la date d'une révolution peut-être éloignée, mais à coup sûr inévitable, qu'un sort pareil attend la masse du parti whig, qui incline, en effet, bien plus vers le torysme par ses affinités instinctives, qu'il ne s'en éloigne par ses dissidences formulées.
 
Plus la pression de l'élément populaire deviendra forte, plus elle tendra à faire remonter le whigisme à sa source naturelle, l'inspiration aristocratique. C'est de là qu'il sort, en effet, bien plus directement que le torysme lui-même ; et l'attitude d'opposition qu'on a prise long-temps pour le fruit d'idées plus libérales résultait surtout de cette indépendance hautaine, inhérente à tout patriciat en face du pouvoir.
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Le parti tory et le parti whig ne professent pas un symbole distinct, seulement le dernier le professe avec une foi moins vive et moins robuste; il est assez indépendant d'esprit pour voir tous les abus, mais n'a pas assez de courage pour les attaquer lorsqu'ils sortent des principes mêmes. Défenseur ardent de l'émancipation religieuse de l'Irlande, ce parti n'ose aller jusqu'à la suppression des dîmes payées par la misère de la majorité à l'opulence du petit nombre, bien moins encore jusqu'au salaire du clergé catholique, conséquence naturelle de l'émancipation, seul moyen d'en obtenir de bons effets. Provocateur de la réforme parlementaire, il la rend à peu près nulle dans ses résultats effectifs en repoussant le vote secret, et conserve ainsi à l'influence tory des chances qui déjà menacent de le renverser lui-même ; parti de modération et de lumières, qui repose sur un fonds de nobles traditions, mais n'a pas de racines profondes dans le pays, et semble destiné à s'effacer graduellement pour laisser en présence les deux seules forces vraiment vivantes de l'Angleterre.
 
L'opinion conservatrice et l'opinion radicale, l'une modifiée par l'expérience et l'accession de l'élément whig, l'autre subissant les influences économiques et bourgeoises à mesure qu'elles se développeront, tel apparaît à qui le contemple avec un entier dégagement l'avenir politique de la Grande-Bretagne. Plus tard nous essaierons de justifier ces prévisions; mais constatons d'abord la situation présente en rappelant les faits de ces quinze dernières années. A cet égard nous n'aurons rien de nouveau à révéler à qui nous lit; mais peut-être les évènemens se présenteront-ils mieux maintenant que l'horizon est découvert, et que nous avons demandé aux moeursmœurs le secret de faits inexplicables sans elles.
 
La paix générale remit l'opinion publique, dans le Royaume-Uni, à peu près au point où elle se trouvait avant la guerre contre la révolution française. Alors fut repris, presque dans les mêmes termes, le débat commencé par la grande génération parlementaire qui n'était plus, et l'opposition réclama de nouveau, d'une part, le retrait des sermens et incapacités qui excluaient les catholiques du parlement et les dissidens des corporations municipales; de l'autre, une réforme qui mît un frein à la corruption électorale en transférant la franchise des petits bourgs aux villes considérables.
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Qu'on ne confonde pas, ajoutaient-ils, les droits naturels avec les droits politiques. Refuser de confier des fonctions publiques à ceux dont les opinions sont incompatibles avec celles professées par l'état, est tout autre chose que priver un citoyen de la vie, de la propriété, de la liberté. Qui voudrait, s'écriait sir H. Tyndall, faire d'un quaker qui professe la doctrine de non-résistance, un général d'armée, d'un anabaptiste qui croit à la communauté des biens, un juge, ou de l'un des fanatiques de Cromwell un dignitaire de l'église? Comment concevoir également l'admission des catholiques dans un parlement appelé à statuer sur des questions de liturgie? Comment un homme de cette croyance pourrait-il devenir conseiller de la couronne, lorsque celle-ci exerce une autorité religieuse au titre de chef suprême de l'église, lorsque le bill des droits et l'acte d'établissement font de la communion avec l'église anglicane la condition absolue de successibilité au trône?
 
Quelle situation ferait-on ainsi à la royauté! On établirait par un acte solennel que la liberté de conscience doit être illimitée, que toute incapacité flétrit celui qui la souffre; et l'on persisterait à en infliger une qui peut atteindre la tête et le coeurcœur du souverain; et pour rendre l'injure plus poignante, disait M. Sadler, on en ferait un individu solitaire sur le trône, dont la dignité héréditaire ne serait conservée et transmise qu'avec une condition désormais stigmatisée comme un signe de servitude!
 
Quel serait, d'ailleurs, le résultat effectif de l'émancipation en Irlande? Rendrait-elle le pays moins turbulent et sa misère moins profonde? Aurait-elle un autre effet que de donner à l'agitation des organes plus redoutables? L'Irlande catholique, représentée au parlement, consentira-t-elle long-temps encore à payer les dîmes au clergé protestant, et ne réclamera-t-elle pas la réforme de l'église irlandaise, en violation de l'article 5 de l'acte d'union qui reconnaît celle-ci comme partie intégrante de l'établissement anglican? Après avoir été relevés des lois pénales, les catholiques irlandais ont réclamé la franchise électorale; ils demandent aujourd'hui l'abrogation du serment qui protége l'intégrité de la constitution britannique. N’exigeront-ils pas plus tard qu'on les traite selon leur proportion numérique? et cependant cette proportion n'est-elle pas plus que compensée par celle des lumières, au moins par celle des propriétés qui, pour les dix-huit vingtièmes, appartiennent en Irlande aux membres de l'église anglicane? L'émancipation ne changera pas des sentimens profondément hostiles, et son unique résultat sera de donner à l'ennemi des armes nouvelles. Sans effet sur la tranquillité du présent, si cette mesure est isolée de ses conséquences, elle prépare pour l'avenir une révolution désastreuse dans tout le système de l'église et de l'état, et l'ennemi s'assure dès ce moment par elle ce qu'il obtiendrait à peine après sa victoire.
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D'une part, en effet, l'aristocratie restait maîtresse des élections de comté, surtout par l'amendement qui concédait la franchise aux fermiers sans baux (''tenants at will'') ; de l'autre, les innombrables liens qui lui rattachent les populations urbaines, la mirent bientôt en mesure de reconquérir sur les ''householders'' à 10 liv. sterl. l'ascendant immémorial qu'elle exerçait sur les anciens ''freemen''. Moins de deux ans après la réforme, sir H. Verney présentait à la chambre (16) une pétition par laquelle il était établi qu'un noble duc avait fait construire une multitude de petites maisons d'un loyer de 10 liv. sterl., pour opposer au vote des électeurs indépendans celui de gens à sa dévotion absolue.
 
Peut-être est-il permis de croire que si lord Russel et ses collègues avaient en 1832 mieux jugé l'avenir, ils se seraient moins catégoriquement refusés à joindre aux dispositions du bill celle qui tendait à établir le vote secret. Dans l'état actuel des intérêts en Angleterre, tant que le pouvoir de l'église et de la grande propriété n'aura pas été modifié par des changemens considérables dans l'administration locale, et que les classes moyennes n'auront acquis ni le goût, ni la possibilité de l'indépendance, le ''ballot'' seul pourra donner à la réforme électorale sa véritable signification politique. Quoique le ministère Melbourne ait répudié cette cause, c'est une conquête légale que garantit le progrès des moeursmœurs et des idées, et que l'esprit publie saura faire avec cette patiente lenteur dont ce pays a l'habitude. La proposition à laquelle M. Grote a attaché son nom, ne peut manquer de triompher un jour : l'opinion en est saisie et ne l'abandonnera pas; Son succès sortira infailliblement, ou de l'alliance du parti radical avec le ministère whig, si cette alliance se prolonge, ou d'un nouvelle entrée des tories aux affaires, évènement d'une réalisation probable au point où en sont les choses, mais qui rendrait certaine une réaction libérale dans l'avenir.
 
Lorsque l'on considère cette force toujours croissante du parti conservateur, au sein des communes, dans les trois élections générales accomplies depuis la réforme, en 1832, 1835 et 1837, il est impossible de n'être pas frappé de cette singulière vitalité.
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Non-seulement le parti du ''church and state'' survit à une blessure que, d'après ses propres paroles, l'Europe estimait mortelle, non-seulement il résiste à une loi trouvée parfaite par Hume et O'Connell, et acceptée des plus violens radicaux; mais depuis son adoption il tient en échec le cabinet whig, et lui fait dévorer des affronts quotidiens. Il vient cette année même de le contraindre à renoncer au principe d'appropriation, base de tous ses plans; il a ou rejeté ou bouleversé tous ses bills pour l'Angleterre et pour l'Irlande, élevé pour celle-ci le taux de la franchise municipale, malgré les résistances d u ministère; et, dans cette opposition sans relâche au cabinet Melbourne, la pairie s'appuie aujourd'hui au sein de la chambre élective sur un parti compacte qui touche au moment de devenir majorité.
 
L'acte de 1832, appliqué à la France, eût été l'infaillible signal d'une révolution démocratique, et voici qu'en Angleterre cet acte produit, après six années, de tels résultats que les tories appellent les élections prochaines avec autant de confiance et d'empressement que leurs adversaires les redoutent; voeuvœu téméraire, peut-être, mais très réel, à coup sûr, au sein de l'opinion conservatrice.
 
Cette situation des esprits, cette position inattendue des choses, tiennent sans doute à des causes intimes et organiques; elles constatent qu'aucune altération vraiment grave ne s'est encore manifestée dans les idées du ''pays légal'', pour employer une expression de ce côté-ci de la Manche, et qu'à l'exemple de l'émancipation catholique, la réforme parlementaire est sortie de la force d'évènemens extérieurs plus encore que des progrès de la pensée publique. Mais la réaction conservatrice s'explique aussi par des circonstances dont la portée ne saurait être appréciée parfaitement hors de la Grande-Bretagne.
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Pendant que les hommes modérés de l'opinion radicale, en pro testant de leur respect pour les bases de la constitution, se bornaient à réclamer avec le ''ballot'' et des parlemens à plus courte durée l'abolition du vote par procuration dans la chambre des lords et la faculté pour la couronne de nommer un certain nombre de pairs à vie, et le droit commun pour l'Irlande, avec l'application à l'enseignement populaire de l'excédant des revenus de l'église; les révolutionnaires purs, formés à l'école française de 92, chefs et orateurs des sociétés populaires, demandaient le suffrage universel, l'élection annuelle, la suppression du cens d'éligibilité, le salaire des députés, etc., etc. Quant à la pairie et à l'établissement religieux, on invitait le peuple à en faire bonne et prompte justice. Une convention et la contribution volontaire pour le culte, tel était le résumé d'un système dont nous n'avons pas besoin qu'on nous déroule les conséquences.
 
A ces vagues déclamations, à ce réchauffé des idées de T. Payne, fondues avec celles de nos démagogues, le sens pratique et la conscience religieuse de la Grande-Bretagne s'alarmèrent; la bourgeoisie des villes manufacturières déserta presque partout les ''unions politiques'' où elle était entrée au commencement de 1830, et les intérêts alarmés se groupèrent de toutes parts autour de la vieille constitution, dont le nom exerce encore sur tout Anglais une sorte de fascination prestigieuse. D'ailleurs, le volcan ouvert au coeurcœur de la France avait cessé de jeter des flammes; l'effervescence européenne s'était calmée, et le parti révolutionnaire, destitué par-là de son principal point d'appui, se trouva face à face avec une opinion à laquelle a profité le souvenir de nos désastres et de nos fautes. Alors commença ce mouvement signalé dans la sphère politique par des défections éclatantes, et dans les moeursmœurs privées par un rajeunissement universel de l'esprit religieux; et l'on dut avoir la certitude qu'un temps d'arrêt assez long allait arrêter la marche de l'Angleterre vers ses nouvelles destinées.
 
Si, au lieu de reprendre le pouvoir en 1834, à la première dislocation du ministère Melbourne motivée sur la sortie de lord Althorp de la chambre basse, les tories modérés avaient attendu quelques années, la tentative du duc de Wellington et de sir Robert Peel eût pu se présenter avec des chances très différentes. L'appel prématuré de Guillaume IV aux chefs de cette opinion, leur a été plus fatal que la réforme elle-même. Aujourd'hui, maîtres de la chambre haute, puissans dans la chambre des communes, et rencontrant plus d'obstacles dans la cour que dans le parlement, ayant d'ailleurs en face d'eux un cabinet très honorable dans ses membres, mais de peu de consistance politique, puisqu'il vit par une alliance qui chaque jour peut lui manquer, les ministres désignés du parti conservateur attendent dans une attitude de modération hautaine un avenir qui ne semble guère, pouvoir leur échapper.
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Relativement à l'éducation populaire, un tel état de choses a produit ses inévitables conséquences; des services admirables sont organisés dans certaines paroisses, pendant que les localités voisines restent dénuées de tout moyen d'instruction. En changeant de ville, on croirait changer de siècle : ici des fondations modèles ; quelques milles plus loin, un abrutissement à peine concevable. Les deux extrêmes de l'intelligence humaine en contact l'un avec l'autre, comme le dénuement face à face avec l'opulence; la société toujours menacée par l'excès en toute chose, et le monde civilisé écoutant à la fois les belles harangues de Saint-Étienne et les sauvages prédications de Tom Courtenay; ainsi se présente cette Angleterre où la force sociale maintient une imposante harmonie.
 
Aussi combien n'est pas profond, combien ne se développe pas, de jour en jour le sentiment intime de ce danger, et de quel côté n'entend-on pas s'élever des voeuxvœux pour que le système d'instruction soit radicalement changé, pour que le gouvernement présente à cet égard des vues d'ensemble, et qu'il produise un plan propre à donner enfin des garanties à la société compromise par le manque de toute surveillance publique ! Qu'on lise toutes les enquêtes publiées, depuis la réforme sur l'état de l'instruction populaire en Angleterre, en Écosse et en Irlande; qu'en étendant ensuite ses investigations, on parcoure les volumineuses ''évidences'' données devant les comités des deux chambres sur toutes les questions administratives, depuis le système municipal jusqu'aux lois des pauvres, et partout l'on verra se révéler cette tendance à conférer au pouvoir des attributions nouvelles à raison de faits nouveaux. Il n'est pas un de ces documens qui ne constate la nécessité d'associer au principe volontaire et local le principe coercitif et centraliste, qui ne révèle enfin les progrès rapides de l'opinion hors des voies où elle s'est si long-temps maintenue.
 
Nous venons de rappeler ces ''éévidences'' qui précèdent, au parlement d'Angleterre, la discussion de toutes les questions administratives, et c'est ici que se révèle la première conséquence d'une organisation en quelque sorte négative, dont les résultats ne sont atténués que par la vitalité même du génie national. Ne pouvant puiser de renseignemens à aucune source officielle, la législation est contrainte de faire elle même l'instruction complète de toutes les affaires qui surgissent devant elle. Il ne s'élève pas une question, qu'elle se rapporte aux intérêts généraux de l’empire britannique ou à ceux d'une obscure localité, qu'il s'agisse de lois céréales ou d'un ''rail-way'' de quelques milles, où le parlement ne remplisse lui-même durant des mois, quelquefois durant des années, l'office dont s'acquittent régulièrement en France les préfets, les ingénieurs, les directeurs des divers services financiers. De longs jours et de longues nuits s'écoulent à entendre des témoins cités de toutes les parties des trois royaumes, à réunir et à imprimer leurs interrogatoires et à tirer de ces sources nécessairement confuses des renseignemens presque toujours incomplets. Quand on songe qu'une seule des questions soulevées depuis 1832, celle des pauvres, a fourni matière à des centaines d'in-folio, et que notre ''Moniteur'' disparaîtrait inaperçu sous les monceaux des ''parliamentary reports'', il est assurément permis de douter de l'efficacité de ce mode d'instruction préparatoire, où, sans le labeur des ''reviewers'', voués à la pénible mission de dépouiller ces compilations colossales, le public et le parlement lui-même devraient renoncer à puiser quelque lumière.
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Cependant, à mesure que le commerce et l'industrie élevaient des existences indépendantes, celles-ci, comprimées par un système qui ne leur faisait aucune place, durent réclamer une participation au pouvoir local en même temps qu'au pouvoir politique; mais ces réclamations souvent produites n'étaient pas en mesure d'être accueillies tant que le dogme de la prescription historique servirait de base à la constitution anglaise. Les corporations municipales défendaient leur monopole administratif au même titre que les bourgs pourris maintenaient leur privilège politique. Aussi, dès que, par le grand acte de 1832, l'Angleterre eut rompu la chaîne des temps, comprit-on, même dans les rangs du parti tory, l'impossibilité de défendre, en se plaçant sur le terrain des faits, le seul qui restât désormais à la discussion, une corruption qui avait perdu sa seule égide. De là cette réforme des corporations municipales et ce bouleversement complet du vieux système administratif, consommé en 1833 pour l'Écosse et en 1835 pour l'Angleterre.
 
Les populations saxonnes aux moeursmœurs indépendantes et au génie pacifique, opprimées par une domination guerrière, s'en étaient successivement dégagées par l'effet des luttes intérieures où leur intervention pesa d'un si grand poids. Conquérant des privilèges, tantôt contre leur seigneur direct, le plus souvent contre leur suzerain, les bourgs que le gouvernement normand avait pour la plupart déclarés terres royales (''terroe régis'') obtinrent des chartes municipales sous condition de service militaire ou maritime, ou sous celle d'acquitter une rétribution fixe en argent. Les rapports du prince avec les villes de ses états prirent ainsi le caractère d'un bail perpétuel; et le contrat primitif qui déterminait, d'un côté les concessions, de l'autre les redevances, resta comme le gage et le titre même de toutes les libertés locales.
 
Le texte de presque toutes ces chartes établissait que les habitans et leurs successeurs seraient considérés comme bourgeois. Mais lorsque ceux-ci furent en possession de ces avantages, ils imposèrent de telles conditions à l'acquisition du domicile, que tous les étrangers se trouvèrent exclus des prérogatives consignées dans les chartes, de telle sorte que ces avantages se concentrèrent graduellement parmi les seuls descendans des bourgeois auxquels le titre originaire avait été concédé. Réunis dans leur ''guild'', ils s'arrogèrent bientôt le droit de se donner de nouveaux confrères, et se recrutant à leur gré par l'élection, ils firent du pouvoir local une sorte de propriété indépendante de tout contrôle populaire. Les corporations, perdant alors tout caractère représentatif, ne furent plus guère que des communautés dotées de prérogatives personnelles et toutes spéciales.
 
La royauté anglaise, dont le premier souci avait été l'abaissement de la noblesse féodale, et qui, après sa longue lutte contre celle-ci, en avait sans transition engagé une autre contre l'esprit démocratique, alors étroitement lié au puritanisme religieux, envisagea le progrès de ces usurpations municipales d'un oeil presque toujours favorable. Sa politique consista d'abord à séparer les corporations des seigneurs, puis à les rendre indépendantes de la masse des citoyens. Telle fut surtout l'oeuvreœuvre des Stuarts, qui, comme condition d'une indépendance avantageuse à leurs vues autant qu'aux intérêts privés des membres des corporations, imposèrent à celles-ci des restrictions nombreuses. Quelques-unes acceptèrent, au prix qu'y mit la couronne, la consolidation d'un pouvoir qu'accompagnaient des avantages pécuniaires et des privilèges de tous genres; d'autres résistèrent avec énergie et avec succès, à ce point que les infructueuses tentatives de Jacques II pour bouleverser le régime intérieur des communes ne contribua pas peu au succès de la révolution de 1688.
 
Le prince qui avait écrit sur sa bannière: ''Je maintiendrai'', ne pouvait attaquer les vieilles corporations plus que le vieux système électoral. La famille d'Hanovre les respecta scrupuleusement comme les piliers de l'état et de l'église; et c'est ainsi qu'appuyées sur le principe d'immobilisation de tous les abus si singulièrement introduits par une révolution libérale, elles se sont maintenues jusqu'au jour de la réforme, étalant à tous les regards le cynisme de leur corruption tarifée.
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Des fonctionnaires spéciaux, également nommés par l'universalité des citoyens censitaires sous le titre ''d'auditeurs'', sont chargés d'écouter et de débattre tous les comptes de finances (37-93) ; des ''assesseurs'' sont annuellement élus pour réviser avec le maire les listes électorales; enfin des magistrats de l'ordre judiciaire, un ''coroner'', un juge de paix ou un shérif, selon l'importance du bourg, viennent compléter cet ensemble (61, 62, 98) , et créer des juridictions urbaines indépendantes et rivales de celles des comtés où domine sans contrepoids l'influence aristocratique.
 
Ce bill, dont les dispositions principales sont, comme on voit, analogues à celles qui régissent chez nous les intérêts du même ordre, dépasse souvent la réserve des maximes françaises et se rapproche sous certains rapports de l'esprit de la loi belge. Toutefois, à l'égard des fonctions municipales conférées par l’élection, la loi anglaise consacre un principe puisé à une tout autre source, et auquel nos moeursmœurs résisteraient avec énergie. Elle les rend obligatoires sous peine d'amende. Ainsi l'acte dont nous donnons la substance impose au conseiller qui refuserait la charge de maire, une amende de 100 liv. sterl., et aux autres fonctionnaires élus qui refuseraient le mandat à eux départi, une amende de 50 liv. sterl. (sect. 51). Remarquons en passant que les mandats politiques ne font pas exception à cette règle : tout membre nommé pour ''servir en parlement'' se trouve tellement engagé par le choix fait de sa personne, qu'il ne saurait donner en aucun cas une démission pure et simple, et que lorsqu'il veut quitter les affaires avant l'expiration de son mandat, par une de ces fictions si communes dans le droit de la Grande-Bretagne, il est censé accepter une fonction illusoire qui le rend incapable de siéger aux communes. Si l'on remontait à l'origine d'une telle obligation, on trouverait, ce semble, qu'elle touche au principe du droit féodal, selon lequel le service public était la condition et comme le paiement du privilège : ainsi des maximes de toutes les civilisations et de tous les âges se confondent dans les législations modernes, comme des terrains de toutes les formations dans le sol que nous foulons aux pieds.
 
Le bill de 1835 fut accueilli, par l'opinion libérale en Angleterre, comme une arme puissante. Les résultats de cette réforme se firent bien moins attendre que ceux de la réforme politique; et les premières élections municipales, opérées conformément à ses prescriptions, assurèrent presque partout à l'opinion whig et radicale une éclatante victoire : succès d'autant plus précieux pour le ministère Melbourne, que la dissolution récemment faite par sir Robert Peel venait de renforcer de plus de cent membres l'opposition tory de la chambre des communes.
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Lorsqu'une telle masse de faits authentiques, recueillis dans toutes les parties du royaume par des commissaires spéciaux, fut mise sous les yeux du public, on comprit qu'un impôt de près de deux cents millions de francs, prélevé sur quatorze millions d'hommes, n'était pas encore le plus funeste résultat d'un tel état de choses. Il ne put échapper à personne que la condition du pauvre avait perdu son véritable caractère, et qu'en assurant à la paresse une existence plus facile que celle acquise à l'honnête ouvrier au prix de ses sueurs, elle était acceptée avec joie, recherchée avec empressement; on vit que les pauvres, de plus en plus démoralisés, formaient un corps de plus en plus compact et redoutable, et que la société devait rompre cette coalition menaçante sous peine de se voir brisée par elle.
 
Si l'imminence du danger devint manifeste, ses causes principales se révélèrent d'une manière non moins patente. Comment n'aurait-on pas mis au premier rang de celles-ci une magistrature, sans lien et sans contrôle, soumise à tous les abus du patronage, à tous les effets de la négligence et de la peur, dans le sein de laquelle l'expérience des uns ne profitait jamais aux autres? Personne ne s'y trompa. On sentit qu'il fallait chercher le remède loin des voies où s'était engendré le mal; et l'instinct public provoqua, d'une part, la création d'un pouvoir central pour diriger l'oeuvreœuvre de la réforme, de l'autre celle du principe électif pour en vivifier l'application.
 
Des administrations choisies par tous les contribuables, dans des circonscriptions assez larges pour amortir l'effet des influences locales, au siège du gouvernement un bureau central d'où partiraient toutes les instructions et auquel aboutiraient tous les renseignemens, tel fut le double pivot du nouveau système proposé par le cabinet et adopté par le parlement. Son idée mère était fort simple les facilités de la loi avaient multiplié les pauvres; il fallait que ses rigueurs en restreignissent désormais le nombre; il fallait surtout que la loi leur imposât l'obligation de rechercher le travail avec le même soin qu'ils mettaient à l'éviter; et tout en maintenant des secours aux hommes valides (''able bodied'') en cas de véritable nécessité, elle aurait à constater cette nécessité de la manière la plus irréfragable, et ce but serait atteint, si elle ne distribuait les secours que dans un lieu frappé de réprobation par la terreur populaire, et dont on ne pût franchir la porte sans abdiquer sa liberté.
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Mais les progrès du catholicisme sont de nature à préoccuper bien plus vivement encore l'attention de l'église épiscopale.
 
Au commencement du règne de George III, soixante-quatre mille individus restaient seuls fidèles au culte de leurs ancêtres dans toute l'étendue de l'Angleterre et de l'Écosse. Ce même culte figure au recensement de 1821 pour un total de cinq cent mille sectateurs, et il en compte aujourd'hui plus d'un million, pour nous restreindre à un chiffre certain et sans admettre les supputations exagérées que s'attachent à présenter les sociétés anti-catholiques, afin de rallier le protestantisme de plus en plus divisé contre lui-même. Six cents chapelles, neuf grands collèges, une centaine de pensions des deux sexes, une foule d'autres fondations de charité (12) suffiraient pour attester avec quelle indicible ardeur le catholicisme se remet à l'oeuvreœuvre sur cette terre arrosée du sang de ses martyrs, et quelles espérances il entretient pour l'avenir de cette noble race qui ne se reposera pas dans le scepticisme, si sa foi vient à défaillir.
 
Le clergé romain d'Angleterre et d'Écosse porte, dans la grande entreprise, chaque jour plus fortement combinée sur tous les points du royaume, une persévérance et un sang-froid qui tiennent également, et à l'église dont il est membre, et à la nation à laquelle il appartient. Une confiance de plus en plus énergique dans le résultat final, se combinant avec une prudence dans les moyens qu'on serait tenté de taxer de froideur, si l'on ne descendait au fond de ces ames ardentes et concentrées; tel est le plus saillant caractère de cette apostolique mission qui préoccupe aujourd'hui les plus hautes intelligences au sein de la Grande-Bretagne.
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Nos lecteurs seront alors en mesure de tirer quelques conclusions précises des faits nombreux qui viennent de repasser trop rapidement sous leurs yeux ; alors il restera démontré pour eux, comme il l'est déjà pour nous-même, que des destinées analogues aux nôtres attendent aussi l'Angleterre, qu'elle connaîtra à son tour cette égalité chaque jour plus grande dans la dispensation du bien-être social; bienfait immense sans doute, mais auquel la Providence semble imposer pour contre-poids des ambitions sans grandeur, des désirs sans frein, une mobilité sans limite et sans règle.
 
Cet avenir peut sortir de catastrophes inattendues, et s'acheter au prix sanglant dont nous l'avons payé; il peut, comme un fruit mûr, tomber de l'arbre des siècles, après des luttes régulières qui resteraient, pour les générations futures, comme le plus éclatant exemple de ce que peuvent sur un grand peuple l'autorité des moeursmœurs et le saint prestige de la loi.
 
Que la Grande-Bretagne répudie envers l'Irlande les restes du droit païen de la conquête, qu'elle ne conçoive plus ses lois économiques et financières dans un intérêt exclusif; qu'elle fasse cesser le contraste de tant de souffrances avec tant de superflu, et les applaudissemens du monde ne manqueront pas à quiconque avancera cette oeuvreœuvre. Mais ce spectacle serait bien plus grand encore, si, en entrant dans sa nouvelle carrière, l'Angleterre savait conserver cette forte politique qui contient toutes les factions par le patriotisme, toutes les ambitions individuelles par le respect de soi-même; merveilleux mécanisme, qui donne à chaque parti une discipline et un chef, impose à chaque homme public l'obligation de représenter une idée, et ne fait du talent une puissance que lorsqu'il exprime un intérêt!
 
La tâche du publiciste ne consiste pas à mettre en lumière un seul côté des choses humaines pour rejeter tous les autres dans l'ombre; son admiration pour de belles combinaisons politiques ne lui interdit pas de montrer ce qui se cache de douleurs individuelles sous l'appareil des institutions les plus majestueusement ordonnées. Il a le droit de faire ressortir la grandeur des gouvernemens aristocratiques, en même temps que celui de prouver à quel prix les peuples achètent d'ordinaire l'éclat des destinées que ces gouvernemens leur préparent. Par la même raison, il devrait aussi, ce semble, conserver la faculté de constater tout ce que le gouvernement des classes moyennes garantit de bonheur domestique aux nations, sans être contraint de dissimuler ce qui peut manquer encore à ces classes elles-mêmes pour se trouver tout d'abord à la hauteur de leurs nouvelles destinées. Il doit lui être permis de dire qu'en fait de traditions gouvernementales et diplomatiques, la garde nationale n'est pas le sénat romain, ni même le patriciat d'Angleterre, quoiqu'assurément, et du plus profond de son coeurcœur, il préfère, pour l'humanité, le pacifique avenir que lui prépare la bourgeoisie marchant sous le drapeau de 89, au spectacle grandiose de la politique romaine ou britannique.
 
C'est pourtant ce droit de dire à tous la vérité toute entière, droit sans lequel la mission de l'historien contemporain serait celle d'un sycophante, que certains critiques prétendent refuser à l'auteur de ce travail. L'écrivain qui a le plus minutieusement recherché dans toute l'Europe les germes du pouvoir de la bourgeoisie, qui a mis le plus de soin à démontrer par l'histoire la légitimité de ce pouvoir lui-même, à signaler dans l'avenir ses conditions et ses formes, celui qui pouvait craindre de se voir imputer à cet égard des préoccupations trop exclusives, s'est entendu accuser ''d'attaquer les classes moyennes''!
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<small>(10) Les nouvelles lois des pauvres réclameraient un travail tout spécial. Nous ne pouvons qu'en constater sommairement les résultats en mettant sous les yeux des lecteurs les chiffres officiels suivans, qui présentent en regard les effets de l'ancienne et de la nouvelle législation jusqu'en 1837 : ''inclure tableau''</small>
 
<small>(11) Dans un moment où la condition des enfans naturels préoccupe si vivement l'opinion tant sous le rapport des moeursmœurs que sous celui de la charge toujours croissante que leur entretien impose aux départemens, il serait d'une haute importance d'appeler, par des travaux spéciaux, l'attention publique sur le système suivi par nos voisins dans cette grave matière. Là nous voyons prévaloir des principes et des usages complètement opposés à ceux qui sont consacrés chez nous; et sans prétendre établir en rien leur supériorité, il nous semble que ce que l'une des plus riches et des plus religieuses nations de l'Europe fait et pense souvent en pareille question, a droit d'être apprécié d'une manière grave et sérieuse.</small>
 
<small>L'Angleterre n'ouvrant aucun asile spécial aux enfans naturels, ceux-ci restent à la charge de leurs mères, et la condition de fille-mère se trouve en ce pays établie et en quelque sorte légalisée par la loi. On ne voit pas pourtant que ce système y détermine, comme il serait naturel de le craindre, un nombre d'infanticides plus grand qu'en France, et que les moeursmœurs publiques y soient plus corrompues par cette publicité donnée aux désordres. Cette observation conduit parfois à se demander si les facilités indirectement accordées au libertinage par des institutions assurément admirables en elles-mêmes, mais dont le vice ne manque pas d'abuser, ne provoqueront pas en France une de ces réactions, rigoureuses jusqu'à la cruauté, analogue à celle dont sont sorties, pour l'Angleterre, ses nouvelles lois des pauvres.</small>
 
<small>La loi anglaise proclame et applique chaque jour un principe que nous avons tous été enseignés à proscrire comme inique et comme inadmissible, la recherche de la paternité, avec l'obligation imposée au père déclaré tel par jugement de pourvoir aux besoins de l'être malheureux auquel il a communiqué la vie. Jusqu'à la réforme de 1834, cette maxime recevait une application abusive, et l'on peut dire absurde. D'un côté, lorsqu'une fille déclarait un père putatif, celui-ci se trouvait dans l'impossibilité de se défendre, et la déclaration de la mère valait preuve légale; de l'autre, la pension à laquelle le père était condamné ''ipso facto'', profitait plutôt à la fille qu'à l'enfant. De là ce résultat, que des fautes multipliées assuraient à la femme une existence d'autant plus douce, qu'elle était descendue plus bas dans le vice. Le ''poor-law amendement act'' a corrigé ces abus, tout en maintenant rigoureusement le principe de la recherche de la paternité. Aujourd'hui, celle-ci doit être prouvée devant les ''quarter sessions'', à la diligence des gardiens ou inspecteurs, par le témoignage de la mère, aussi bien que par tout autre moyen, selon un mode de procédure spécialement déterminé (cl. 73-75 ). Lorsque cette preuve est faite, le père demeure, mais non plus par corps, condamné à soutenir son enfant jusqu'à l'âge de sept ans, la mère restant, dans tous les cas, chargée de lui jusqu'à l'âge de seize, et l'enfant devant suivre, dans tous les cas, la condition et le domicile de celle-ci.</small>