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{{tiret2|fou|gueuses}}, les heures d’impatience et de découragement. Alors le souvenir de sa chère Auguste lui revient, de cette ame élevée qu’il s’est choisie pour confidente, et il retourne à ses lettres. Que deviendrait-il, en effet, lui qui n’aime pas souffrir, sans ce vase d’élection toujours disposé à recevoir le trop plein des sentimens qui l’occupent et qui, résonne avec tant de délicatesse au contre-coup de sa passion ? Goethe a dit quelque part qu’il n’avait écrit Werther que pour se délivrer d’une fièvre de sentimentalité qui s’était emparée de toute l’Allemagne. Si je rie me trompe, ses lettres à Auguste doivent être prises dans le même sens. Là aussi je vois une délivrance, la délivrance de l’amour qui le tient pour Lili, et dont il cherche à se débarrasser dans ces lettres, comme il se débarrasse dans un drame d’une idée absorbante et despotique. D’ailleurs, pour cette nature si essentiellement objective ; l’amour pouvait-il être autre chose qu’une idée ? En vain il s’exalte jusqu’au délire, en vain son style brusque et saccadé trahit parfois l’émotion et l’inquiétude sous l’amant éprouvé reparaît toujours le poète. A l’instant où vous voudriez le plus croire à ces tiraillemens du cœur, à ce trouble de la passion, une ligne imprévue, un mot oublié au tournant du feuillet, vous donnent l’éveil en ramenant tout à coup l’ordre dans le désordre. Ainsi vous le voyez s’arrêter au milieu d’une crise, et passer sans transition à un paragraphe du genre de celui-ci, par exemple : «N’oubliez pas de jeter les yeux sur le second volume de l’Iris, s’il vous tombe sous la main ; vous y trouverez mainte chose de moi. » Ce qui chez Goethe me gâte tout-à-fait le personnage du roman, c’est la sécurité absolue qu’il m’inspire de lui-même dès l’exposition. Si amoureux, si insensé, si consumé de doutes et de souffrances qu’il vous semble, croyez bien qu’il y aura toujours une crise décisive où, les intérêts de sa position et les intérêts de son cœur se trouvant en présence, la raison, la froide, l’impassible raison, finira par l’emporter. |
{{tiret2|fou|gueuses}}, les heures d’impatience et de découragement. Alors le souvenir de sa chère Auguste lui revient, de cette ame élevée qu’il s’est choisie pour confidente, et il retourne à ses lettres. Que deviendrait-il, en effet, lui qui n’aime pas souffrir, sans ce vase d’élection toujours disposé à recevoir le trop plein des sentimens qui l’occupent et qui, résonne avec tant de délicatesse au contre-coup de sa passion ? Goethe a dit quelque part qu’il n’avait écrit Werther que pour se délivrer d’une fièvre de sentimentalité qui s’était emparée de toute l’Allemagne. Si je rie me trompe, ses lettres à Auguste doivent être prises dans le même sens. Là aussi je vois une délivrance, la délivrance de l’amour qui le tient pour Lili, et dont il cherche à se débarrasser dans ces lettres, comme il se débarrasse dans un drame d’une idée absorbante et despotique. D’ailleurs, pour cette nature si essentiellement objective ; l’amour pouvait-il être autre chose qu’une idée ? En vain il s’exalte jusqu’au délire, en vain son style brusque et saccadé trahit parfois l’émotion et l’inquiétude sous l’amant éprouvé reparaît toujours le poète. A l’instant où vous voudriez le plus croire à ces tiraillemens du cœur, à ce trouble de la passion, une ligne imprévue, un mot oublié au tournant du feuillet, vous donnent l’éveil en ramenant tout à coup l’ordre dans le désordre. Ainsi vous le voyez s’arrêter au milieu d’une crise, et passer sans transition à un paragraphe du genre de celui-ci, par exemple : « N’oubliez pas de jeter les yeux sur le second volume de l’Iris, s’il vous tombe sous la main ; vous y trouverez mainte chose de moi. » Ce qui chez Goethe me gâte tout-à-fait le personnage du roman, c’est la sécurité absolue qu’il m’inspire de lui-même dès l’exposition. Si amoureux, si insensé, si consumé de doutes et de souffrances qu’il vous semble, croyez bien qu’il y aura toujours une crise décisive où, les intérêts de sa position et les intérêts de son cœur se trouvant en présence, la raison, la froide, l’impassible raison, finira par l’emporter. |
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L’attachement que Goethe et Lili nourrissaient l’un pour l’autre avait atteint son apogée : situation difficile où, comme on sait, les passions ne se maintiennent guère. Une fois qu’on a touché le faîte, il ne reste plus qu’à descendre, et les prosaïques préliminaires du mariage, les considérations et les arrangemens de famille devaient porter le premier coup à ces fraîches amours, jusque-là insouciantes de l’avenir. Lili aimait le monde ; partout recherchée pour sa distinction et ses talens, la jolie fille du banquier de Francfort s’était habituée à régner sur un cercle dont elle recevait volontiers les empressemens et l’hommage. Les goûts mondains de la jeune personne effrayèrent |
L’attachement que Goethe et Lili nourrissaient l’un pour l’autre avait atteint son apogée : situation difficile où, comme on sait, les passions ne se maintiennent guère. Une fois qu’on a touché le faîte, il ne reste plus qu’à descendre, et les prosaïques préliminaires du mariage, les considérations et les arrangemens de famille devaient porter le premier coup à ces fraîches amours, jusque-là insouciantes de l’avenir. Lili aimait le monde ; partout recherchée pour sa distinction et ses talens, la jolie fille du banquier de Francfort s’était habituée à régner sur un cercle dont elle recevait volontiers les empressemens et l’hommage. Les goûts mondains de la jeune personne effrayèrent |