« Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme » : différence entre les versions
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{{indentation}}En fait, la prédominance d’un semblable caractère chez un peuple peut seule prévenir les conséquences fâcheuses d’une transformation de l’État selon des principes moraux, et seul aussi un tel caractère peut garantir la durée de l’État ainsi transformé. Dans l’institution d’un État moral, on compte sur la loi morale comme sur une force active, et l’on fait rentrer le libre arbitre dans ce domaine des causes où tout est enchaîné par les lois rigoureuses de la nécessité et de la stabilité. Nous savons pourtant que les déterminations de la volonté humaine sont toujours contingentes, et que chez l’être absolu seulement la nécessité physique coïncide avec la nécessité morale. Ainsi donc, pour pouvoir compter sur la conduite morale de l’homme comme sur une conséquence <i>naturelle</i>, il faut que cette conduite <i>soit</i> nature ; il faut que déjà ses instincts le portent à cette manière d’agir que peut avoir pour effet un caractère moral. Mais, entre le devoir et l’inclination, la volonté de l’homme est complètement libre, et la coaction physique ne peut ni ne doit attenter à ce droit régalien de sa personnalité. Si donc il doit d’une part conserver ce libre arbitre, et de l’autre former cependant un des membres utiles et sûrs de la série des forces enchaînées par les lois de la causalité, cela n’est possible qu’à une seule condition : c’est que les effets produits par ces deux mobiles dans la sphère des phénomènes coïncident parfaitement, et que, nonobstant toute différence dans la forme, la matière de la volonté reste la même ; en un mot, que ses penchants s’accordent avec sa raison, pour qu’une législation puisse sortir de cette harmonie.<br />
{{indentation}}On peut dire que chaque homme individu porte virtuellement en lui le type d’un homme pur et idéal, et le grand problème de son existence est de rester d’accord avec l’immuable unité de ce type, au milieu de tous les changements. Cet homme idéal, qui se révèle d’une manière plus ou moins claire dans chaque sujet ou individu, est représenté par l’État, forme objective, normale si je puis dire, dans laquelle la diversité des sujets tend à s’identifier. Pour que l’homme du temps coïncide avec l’homme de l’idée, on peut concevoir deux moyens ; et c’est par ces deux moyens aussi que l’État peut se maintenir dans les individus : Ou bien, l’homme idéal supprime l’homme empirique, l’État absorbe les individus ; ou bien, l’individu devient État, l’homme du temps s’ennoblit jusqu’à devenir l’homme de l’idée. <br />
{{indentation}}Lorsque l’ouvrier porte la main sur la masse informe pour la modeler suivant son but, il n’a nul scrupule de lui faire violence ; car la nature qu’il façonne ne mérite en soi aucun respect : il ne s’intéresse pas au tout à cause des parties, mais aux parties à cause du tout. Lorsque l’artiste porte la main sur la même masse, il n’a pas plus de scrupule de lui faire violence ; seulement il évite de la montrer. La matière qu’il façonne, il ne la respecte pas plus que l’ouvrier ; mais l’œil prenant cette matière sous sa protection et la voulant libre, il cherche à la tromper par une apparente condescendance envers elle. Il en est tout autrement de l’artiste pédagogue et politique, pour lequel l’homme est à la fois ce sur quoi il travaille et ce qu’il a à faire. Ici le but se confond avec la matière, et c’est seulement parce que le tout sert les parties, que les parties doivent s’accommoder au tout. Le respect que, dans le domaine des beaux-arts, l’artiste affecte pour sa matière, n’est rien en comparaison de celui avec lequel l’artiste politique doit aborder la sienne : il en doit ménager le caractère propre et la personnalité, non pas seulement au point de vue subjectif et pour produire une illusion des sens, mais objectivement et en vue de l’intime essence.<br />
{{indentation}}Or, l’homme peut être en contradiction avec lui-même de deux manières : ou comme sauvage, lorsque ses sentiments dominent ses principes ; ou comme barbare, lorsque ses principes corrompent ses sentiments. Le sauvage méprise l’art et reconnaît la nature pour souveraine absolue ; le barbare insulte la nature et la déshonore, mais, plus méprisable que le sauvage, souvent il continue d’être esclave de son esclave. L’homme civilisé fait de la nature son amie, et respecte en elle la liberté en se bornant à réprimer ses caprices tyranniques.<br />
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