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::<small>30 septembre.</small>
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Je continue à travailler de la même manière, gagnant ma vie aux dépens de tous mes desseins. J’écris maintenant une esquisse de la littérature italienne. Le travail a grossi sous ma main. Le moyen de passer légèrement sur certains hommes et sur certaines époques ? En revoyant les vies aventureuses de Jordano Bruno, de Campanella, et de quelques autres de cette trempe, j’ai beaucoup pensé à toi. Et ce platonisme florentin, d’où il est sorti une vaillante et généreuse jeunesse, qui aurait sauvé la patrie si elle eût pu l’être ; mais ils sauvèrent du moins l’honneur. Nous, Italiens du XIXe siècle, nous n’avons pas même eu ce triste avantage. Il y a, mon ami, des pensées qui poursuivent un homme toute sa vie ; tu me comprends et tu dois me plaindre. Que de reproches je me fais, et à quel prix je voudrais racheter ces trente jours de carrière politique marqués de tant d’erreurs !… Je vais avoir quarante ans ; j’ai beaucoup désiré le bonheur ; j’avais une immense faculté de le sentir. Mon amère destinée est venue à la traverse. J’ai cependant un avenir j’ai des enfans, j’aime et j’estime leur mère ; mes enfans me rendront heureux ou malheureux. Au reste, si je succombe à mes maux, je ne crains pas le vide, l’horrible néant auquel je ne veux ni ne peux croire, et que je repousse dès à présent et à jamais par volonté, par instinct, à défaut de démonstration positive. - Si j’écris, je mettrai ma conscience dans mes livres, et j’aurai aussi ma patrie devant les yeux ; le souvenir de ma mère sera aussi une divinité qui me commandera plus d’un sacrifice. Ce sentiment est un des mobiles de mon existence intérieure. Bien ou mal, cela est. Il m’est impossible d’appartenir tout entier aux nouvelles mœurs et à la nouvelle époque par cette raison toute puissante.
Je continue à travailler de la même manière, gagnant ma vie aux dépens de tous mes desseins. J’écris maintenant une esquisse de la littérature italienne. Le travail a grossi sous ma main. Le moyen de passer légèrement sur certains hommes et sur certaines époques ? En revoyant les vies aventureuses de Jordano Bruno, de Campanella, et de quelques autres de cette trempe, j’ai beaucoup pensé à toi. Et ce platonisme florentin, d’où il est sorti une vaillante et généreuse jeunesse, qui aurait sauvé la patrie si elle eût pu l’être ; mais ils sauvèrent du moins l’honneur. Nous, Italiens du XIXe siècle, nous n’avons pas même eu ce triste avantage. Il y a, mon ami, des pensées qui poursuivent un homme toute sa vie ; tu me comprends et tu dois me plaindre. Que de reproches je me fais, et à quel prix je voudrais racheter ces trente jours de carrière politique marqués de tant d’erreurs !… Je vais avoir quarante ans ; j’ai beaucoup désiré le bonheur ; j’avais une immense faculté de le sentir. Mon amère destinée est venue à la traverse. J’ai cependant un avenir j’ai des enfans, j’aime et j’estime leur mère ; mes enfans me rendront heureux ou malheureux. Au reste, si je succombe à mes maux, je ne crains pas le vide, l’horrible néant auquel je ne veux ni ne peux croire, et que je repousse dès à présent et à jamais par volonté, par instinct, à défaut de démonstration positive. Si j’écris, je mettrai ma conscience dans mes livres, et j’aurai aussi ma patrie devant les yeux ; le souvenir de ma mère sera aussi une divinité qui me commandera plus d’un sacrifice. Ce sentiment est un des mobiles de mon existence intérieure. Bien ou mal, cela est. Il m’est impossible d’appartenir tout entier aux nouvelles mœurs et à la nouvelle époque par cette raison toute puissante.


« Laisse-moi espérer sérieusement de te voir dans l’année 1824. On ne te refusera pas obstinément un passeport. D’ici là, ou je me trompe, ou le gouvernement français sera devenu encore plus fort, ce qui ne peut manquer d’arriver, à moins qu’il ne fasse de grandes folies. Si on te surveille, on doit savoir que tu vis tout entier pour la philosophie. Ainsi on ne te refusera pas un passeport, et je t’embrasserai sur la plage anglaise en dépit des Anglais, qui ouvriront de grands yeux.
« Laisse-moi espérer sérieusement de te voir dans l’année 1824. On ne te refusera pas obstinément un passeport. D’ici là, ou je me trompe, ou le gouvernement français sera devenu encore plus fort, ce qui ne peut manquer d’arriver, à moins qu’il ne fasse de grandes folies. Si on te surveille, on doit savoir que tu vis tout entier pour la philosophie. Ainsi on ne te refusera pas un passeport, et je t’embrasserai sur la plage anglaise en dépit des Anglais, qui ouvriront de grands yeux.