« Chronique de la quinzaine - 14 février 1839 » : différence entre les versions
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===I - Romans et poésies===
Un critique distingué, ayant à parler assez récemment d'Horace et de Virgile, et de l'espèce de royauté qu'ils se fondèrent en regard et à l'appui de la monarchie impériale d'Auguste, a fait remarquer la convenance et la nécessité de ces deux royautés parallèles, produites à la fois par une double anarchie, dans un temps où la faiblesse de l'état d'une part, et de l'autre le ''trop facile usage de formes poétiques devenues la propriété commune'', favorisaient toutes les entreprises de l'ambition politique, toutes les prétentions de la médiocrité littéraire (1). Ce qui est vu à merveille pour l'époque d'Auguste ne me paraît pas sans application à la nôtre. Je laisse tout d'abord le côté politique qui, comme on sait, n'a nul rapport avec notre peu d'ambition et d'intrigue : Dieu me garde de trouver la plus lointaine ressemblance ! Dieu me garde de croire, vingt-cinq ans après Napoléon, qu'un nouveau despote, à quelque titre et sous quelque forme que ce fût, pût jamais asservir de nouveau et réduire cette foule émancipée de grands citoyens qui (nous en sommes les témoins édifiés) se précipitent bien loin de toute flatterie et de toute servitude, et qui, en ce moment même, ne flagornent plus aucune puissance! - Mais littérairement, poétiquement, en quelle anarchie sommes nous? c'est ce qu'il est permis de considérer. En restreignant la question à la poésie même, le rapport avec certaines époques antérieures est frappant. Depuis dix ans, la main-d'
::Hélas ! que j'en ai vu mourir de jeunes filles !
Avec un peu d'habitude, on s'y endurcit; et mon ami, bien qu'il ait le cour poétique et tendre, en est venu à ne plus mesurer ce champ d'oubli qu'à la toise. Tant de pieds par saison. Mais y a-t-il jamais eu, dira-t-on, une telle exubérance stérile de productions à aucune époque précédente? Assurément. Il nous arrive un peu comme au XVIe siècle, lorsque les procédés, mis en circulation par les chefs de l'école, par Du Bellay et Ronsard, furent devenus familiers à tous et que chaque jeune
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HYMNES SACRÉES, par M. Édouard Turquety (1). - M. Turquety est un poète sincère. Il n'en est pas à son coup d'essai; c'est le troisième volume qu'il donne dans le même ordre d'idées religieuses. Le premier s'intitulait ''Amour et Foi'', le second ''Poésie catholique''. Avant ces trois recueils, M. Turquety, si je ne me trompe, en avait publié un moindre, où le côté de l'amour et l'inspiration gracieuse dominaient. Il y était disciple de l'école de 1828, et quelques vers tendres rappelaient deux ou trois des seules élégies charmantes qu'on connaisse de Charles Nodier. Depuis lors, M. Turquety a cherché à se créer un rôle propre parmi les poètes modernes; retiré dans sa Bretagne, il a consulté les graves et habituelles préoccupations d'une vie monotone que les seuls rayons mystiques éclairaient parfois. De là ses trois recueils, dont les deux derniers sont d'un catholicisme rigoureux. La preuve que M. Turquety a bien consulté et rendu son inspiration secrète, c'est qu'il a trouvé dans d'autres
Le caractère qui me frappe le plus dans la poésie de M. Turquety, est la mélodie, l'élégance, la douceur rêveuse, et je préfère, entre ses pièces, celles auxquelles ces tons suffisent. On a été fort sévère autrefois dans cette Revue pour son volume de ''Poésie catholique'', et qu'il nous soit permis de dire qu'on a peut-être été injuste : on n'y a pas reconnu ces mérites touchans. Une pièce qu'on aurait pu indiquer était ''le Deux Novembre'' ou ''le Jour des Morts'', simple, sobre, voilée, et d'un christianisme attendrissant. Il y en a dans les ''Hymnes sacrées'' un certain nombre qui sont comme des feuilles glanées à la suite ''du Cantique des Cantiques'', et qui respirent un parfum d'élégie aussi tendre que des
::C'était dans l'épaisseur du bois le plus profond,
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::A vous les sublimes concerts,
::Et les célestes quiétudes
::D'un
::A vous qui, lasse de l'hommage
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LES BORÉALES, par M. le prince Élim Mestscherski (1). - Ce n'est pas la première fois que de grands seigneurs russes se distinguent par leur facilité à emprunter, à manier la langue et la rime française. Au temps de M. de Ségur et de sa spirituelle ambassade, on jouait à Pétersbourg les tragédies qu'il faisait exprès, et pour lesquelles il n'eût pas manqué, dans ce grand monde tout français, de fort ingénieux collaborateurs. Un critique, qui m'a tout l'air d'appartenir d'assez près à la littérature difficile, a cru trouver dernièrement une grande preuve de l'insuffisance de la poésie nouvelle dans la ''facilité'' avec laquelle le premier venu, homme d'esprit, pouvait ''se mettre au fait'' de toutes les ressources du genre. Nous en avons précédemment assez dit à ce sujet; mais un peu moins de prévention aurait permis au critique de se souvenir qu'autrefois les étrangers, gens d'esprit, savaient s'approprier l'ancien genre tout aussi aisément qu'ils peuvent faire aujourd'hui pour le nouveau. La question d'ailleurs n'est pas dans les genres; elle est toute dans les personnes et dans les talens. Mais un talent étranger, si habile qu'il soit, peut-il arriver à posséder un idiome comme le nôtre et à le parler en des vers (soit classiques, soit romantiques) assez librement et naturellement pour s'y produire en pleine originalité? Les modèles qui l'ont introduit dans la langue qui n'est pas la sienne et sur lesquels il s'est façonné, ne resteront-ils pas présens à ses yeux et ne lui imposeront-ils pas à chaque instant leur empreinte? Ses
::Qu'importe! ta grace sauvage
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::Et moi, j'y fus pris au passage
::Pendant un relais de chevaux.
::Qu'importe où notre
::Dès qu'il s'émeut tout coin lui sert,
::Salon doré, soyeuse loge,
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CE QU'IL Y A DANS UNE BOUTEILLE D'ENCRE. - Première livraison. - GENEVIÈVE, par M. Alphonse Karr (1). - On pourrait parler de beaucoup de romans : celui de M. Alphonse Karr en dispense volontiers, en nous donnant le fin mot de presque tous : ''Ce qu'il y a dans une bouteille d'encre''. Je m'en tiens d'autant plus aisément à sa ''Geneviève'', qu'elle est infiniment spirituelle et qu'elle n'a aucune espèce de prétention. Hélas ! elle n'en a pas assez. Quand on lit ces jolis chapitres courans, décousus, qui semblent des feuilletons négligemment effeuillés d'un journal, on se demande pourquoi l'auteur n'a pas daigné faire un livre, surtout le pouvant à si peu de frais. Il ne lui fallait plus qu'un peu de vouloir et ne pas mieux aimer se jouer, à chaque pause, du lecteur et de lui-même. Tel qu'il est, ce roman a de quoi plaire à quiconque n'est pas absolument dégoûté de ceux du jour. Il a des portions d'une finesse et d'une raillerie d'observations délicieuses : tout le début, qui nous déroule l'intrigue galante de Mme Lauter avec M. Stoltz, est d'une grace maligne, pleine de vérité. On y ferait à chaque pas, en se baissant, son butin de moraliste : « Chaque femme se croit volée de tout l'amour qu'on a pour une autre. » - « Mme Lauter, encore sur ce point, était comme toutes les femmes - excepté vous, madame; - elle ne plaçait l'infidélité que dans la dernière faveur. » - « On ne se dit : ''Je vous aime'', en propres termes, que quand on a épuisé toutes les autres manières de le dire; et il y en a tant que l'on n'arrive quelquefois à dire ''le mot'' que lorsqu'on ne sent plus la chose et que le mot est devenu un mensonge. » -- « La justice du monde, comme la justice des lois, ne découvre presque jamais les crimes que lorsqu'ils n'existent pas encore, ou lorsqu'ils n'existent plus. » - Mais je m'arrête, de peur du sourire de l'auteur, pendant que je me baisse à ramasser ainsi les aphorismes qu'il sème en s'en moquant tout le premier : il me ferait niche par derrière.
''Geneviève'' n'est pas de ces romans qu'on analyse; l'agrément en est dans le détail même. Les deux enfans de Mme Lauter, après la disparition de son mari, grandissent et deviennent, Léon un artiste charmant, Geneviève une personne adorable et sensible : Albert et Rose, leurs cousin et cousine-germaine, avec qui ils ont grandi, ont aussi une vive fleur d'ame et de jeunesse. Ces deux jolis couples se troublent en s'aimant. Mais, tandis que Rose répond à Léon, Albert ignore et méconnaît le sentiment de Geneviève, qui en souffre et qui en meurt. Cependant Mme Lauter est morte de bonne heure, et son mari, reparu incognito et assez fabuleusement, espèce de millionnaire à la façon des héros de M. de Balzac, devient comme le ''Deus ex machinâ'' des péripéties finales. A côté de scènes plaisantes d'hôtel garni et d'atelier, d'étudians en droit et d'artistes, l'auteur sait introduire de fraîches descriptions de la nature, et même de touchantes situations de
Arrivons aux parties sérieuses. Il ne manque pas de fortes et doctes tentatives de nos jours : la Sorbonne, par exemple, a fourni depuis quelque temps ses thèses mémorables. Prenez garde : les thèses sont un peu les poésies lyriques des esprits solides; qu'ils en viennent, s'il se peut, bientôt, à réaliser leurs graves promesses, à fonder leur œuvre définitive mieux que les autres, et à tenir leurs ''épopées''.
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===II - Histoire et philosophie===
ESSAI SUR LA PHILOSOPISIE DE DANTE, par M. Ozanam (1). -M. Ozanam rappelle à un endroit de sa thèse on plutôt son livre cette phrase de M. de Lamartine : « Dante semble le poète de notre époque, car chaque époque adopte et rajeunit tour à tour quelqu'un de ces génies immortels qui sont toujours aussi des hommes de circonstance; elle s'y réfléchit elle-même; elle y retrouve sa propre image et trahit ainsi sa nature par ses prédilections. » Si les ''retours'' dont parle Vico étaient admissibles, il faudrait surtout les appliquer aux
M. Ozanam appartient sans nul doute à l’école catholique, mais les inspirations qu’il demande souvent à l'éclectisme tempèrent ce qu'il y aurait volontiers d'absolu dans ses jugemens. En s'attaquant au grand génie de Dante, dont l'admirable poésie a été comme le dernier mot et le majestueux couronnement de la civilisation et des croyances chrétiennes jusqu'au XIIIe siècle, M. 0zanam s'est fait de nouveau l'interprète des tendances qui nous ramènent à l'
Les opinions extérieures et contemporaines sont rapprochées des opinions de Dante avec une singulière perspicacité et une érudition étendue. Bonaventure et saint Thomas, et derrière eux Platon et Aristote, inspirent surtout le poète; mais M. Ozanam n'interroge pas seulement leurs écrits. Boëce, saint Denis l'Aréopagite, les admirables traités ascétiques de Hugues et de Richard de Saint-Victor, enfin toute la philosophie antérieure à Dante, sont pour M. Ozanam l'objet de comparaisons très intéressantes. Je regrette toutefois que quelques écrivains ecclésiastiques moins connus, mais aussi curieux, comme Yves de Chartres, Hildebert du Mans, Pierre de Celles, n'aient pas été cités. M. Ozanam aurait surtout trouvé des rapprochemens d'un grand prix dans ces nombreux traités mystiques, complètement inexplorés de nos jours, mais si élevés, si admirables pourtant, dont quelques-uns se rapportent aux noms oubliés à tort, d'Isaac de l'Étoile, de Garnerius, d'Helinand de Froidmont, de Serlon de Savigny, que Pez, Tissier et quelques autres collecteurs ont heureusement sauvés de la destruction.
J'aurais désiré chez M. Ozanam plus de rigueur et de fermeté scientifique, plus de condescendance pour ce langage ''exotérique'' dont la forme sévère séduit, un peu trop peut-être, nous le verrons tout à l'heure, l'esprit éminemment philosophique de M. Ravaisson. L'abus fréquent des images, les métaphores exagérées, des inversions prétentieuses, une manière volontairement recherchée et mystique, un ton trop ardent et que la science aimerait à voir plus contenu, déparent trop souvent l'
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On sait les infinies souffrances de l'ergastule, étroit cachot où les esclaves étaient entassés chargés de chaînes. Les gardiens les battaient chaque jour à heure fixe, afin de les former à la douleur; ils ne sortaient de la prison que pour aller au travail, et alors c'étaient des fatigues sans repos. Les plus jeunes remuaient les fardeaux, cultivaient la terre; les vieux écrasaient le grain sous la meule; et pour les empêcher de porter à leur bouche quelques poignées de ce grain, on leur attachait au cou de larges planches. Un esclave vigoureux rapportait à son maître un bénéfice net de 25 centimes par journée de travail, et, pour prix de ses labeurs, il recevait par mois vingt litres de blé environ et vingt-cinq litres de vin : ce vin, dont Caton nous a conservé la recette, était étendu de vinaigre, d'eau douce et d'eau de mer vieillie. Le prix des esclaves variait suivant leur âge, leur force, leur origine, leur beauté; les hommes nés d'une nation indépendante étaient peu recherchés des acheteurs, parce qu'ils gardaient dans la servitude des instincts de liberté. Les Espagnols se vendaient à vil prix, on redoutait leur penchant au meurtre; mais on payait largement les qualités lascives des Phrygiennes, les graces et l'esprit des femmes de Milet. Du reste, le prix des plus belles femmes s'élevait rarement au-delà de 2,800 fr. de notre monnaie. Dans la Thrace, en Afrique, dans les Gaules, il était facile d'acquérir une jeune fille pour quelques poignées de sel ou un peu de vin; en Sicile, l'échanson avait moins de valeur que la coupe. Ainsi, une pièce d'or, une poignée de sel, livraient aux plus hideuses fantaisies du vice la jeunesse et la beauté; la femme, le jeune garçon, réduits en servitude, devaient tout subir du maître et de ses amis. A Rome, la politesse voulait même qu'on offrît avant le repas des esclaves aux plaisirs des convives, et, par un singulier raffinement de barbarie et de dépravation, on imprimait avec un fer rouge des vers obscènes sur le sein des femmes quand elles avaient vieilli.
L'histoire de l'esclavage antique se trouve reconstituée dans ce livre, non pas toujours avec suite et méthode, mais du moins avec un intérêt soutenu. L'auteur annonce un travail général et complet; nous l'engageons à persister dans cette pensée. Mais s'il veut que son
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LETTRES INÉDITES DE MARIE STUART. 1558-1587 (1). - Trente-cinq lettres inédites de Marie Stuart, son testament et diverses dépêches diplomatiques composent ce volume. L'histoire s'est émue souvent, et avec une curiosité toujours vive, au souvenir de cette triste et résignée
La correspondance publiée par M. le prince de Labanoff est, en quelque sorte, une longue élégie : souffrances du corps et de l'ame, tortures froidement calculées, violences religieuses, affections profondément senties pour les serviteurs dévoués, tout rappelle à chaque ligne, dans ces lettres, de royales infortunes plus voisines de nous et plus profondes peut-être. Marie supporte, avec une dignité calme, ces tourmens dont elle ne prévoit pas le terme. Elisabeth est encore pour elle sa ''bonne
Ces lettres apportent-elles à l'histoire des élémens nouveaux et d'un intérêt supérieur ? Marie Stuart, Philippe II, Henri III, s'y révèlent-ils, chacun dans sa sphère si tranchée, sous un jour nouveau ? Je suis loin de le penser. Cependant, de ces confidences intimes, de ces plaintes à demi voilées de la
Quant au mode de publication adopté par M. le prince de Labanoff, il est étrangement sobre de pensées et de style. Pas un mot de pitié pour cette grande infortune, pas un jugement dans le cours entier du volume. Tout le travail de l'éditeur se borne à une exacte mais très sèche chronologie de l'histoire de Marie Stuart, de 1542 à 1587, à quelques détails graphiques, à un avertissement qui n'apprend rien; Bréquigny a fait à peu près seul tous les frais des notes insignifiantes insérées au texte. Les lettres, les dépêches se suivent brusquement, et sans qu'une appréciation nette et rapide les lie entre elles ou donne la juste mesure de leur valeur, en les rattachant aux évènemens contemporains. Procéder de la sorte, même dans une simple publication de textes, c'est se réduire au rôle utile sans doute, mais facile à l'excès, de scrupuleux correcteur d'épreuves.
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L'Opéra Italien fait cette année encore une glorieuse campagne et soutient vaillamment l'éclat des années précédentes. A l'Odéon comme à Favart, c'est toujours le même empressement, le même succès, le même enthousiasme de bon goût; il ne fallait rien moins que les voix toutes puissantes de Rubini, de Lablache, de la Grisi et de la Persiani, pour dompter la mauvaise fortune attachée aux murailles de cette salle abandonnée. Ce que Mozart et Rossini n'avaient pu faire à eux seuls et livrés à leur simple force mélodieuse, les grands chanteurs l'ont accompli. Désormais le charme est rompu, pour cette année du moins; car si cette funeste influence du quartier qui a déjà ruiné tant d'administrations diverses doit aussi se faire sentir à celle-ci, ce ne sera guère que l'hiver prochain, et encore à certains jours de représentations extraordinaires, où la location est laissée aux chances du spectacle. Pour le public des loges et des stalles, le vrai public enfin du Théâtre-Italien et du dilettantisme, il se trouve là tout aussi bien qu'à Favart, mieux peut-être; car il faut avouer que cette salle du faubourg Saint-Germain convient à ravir à ce public d'élite; il y est à son aise, il y est chez lui, ''zu hause'', comme on dit en Allemagne; pour s'en convaincre, il suffit de promener sa vue sur cet hémicycle merveilleux que forme le premier rang des loges par une belle soirée de ''Don Giovanni'' ou des ''Puritains''.
Le répertoire, si complet et si beau, s'est encore enrichi cette année de partitions nouvelles, et surtout d'un chef-d'
On peut dire que, depuis la Monbelli et la Sontag, les traditions mélodieuses du rôle si frais et si pur d'Elena se sont perdues : ce n'est pas que la Grisi ne rencontre par intervalle quelques beaux élans dans sa voix ou son geste; nais tout cela se fait sans succession, sans ordre, sans intelligence de l'ensemble du caractère, comme au hasard. Dans le quatuor du premier acte, lorsqu'elle refuse l'époux qu'on lui destine, et, suppliante, éperdue, en butte à la colère de son père outragé, s'efforce de contenir la haine de son amant, l'expression de la Grisi est parfaitement belle et dramatique. On retrouve bien, à la vérité, dans cette façon de porter ainsi brusquement son corps en arrière et de le laisser peser sur sa jambe ployée, un geste qu'affectionnait la Pasta. Mais, en pareil cas, peu importe l'imitation, et d'ailleurs la Grisi n'a jamais prétendu créer les beaux effets qu'elle produit. Du reste, c'est l'unique fois qu'elle prend la peine de s'émouvoir dans la soirée, et dès ce moment, soit qu'elle se sente épuisée par l'élan naturel et généreux où elle vient de s'abandonner, soit qu'elle ne trouve pas cette musique digne de ses efforts, de son talent, elle ne fait plus que traverser la pièce dans une indifférence absolue de tout ce qui se passe, et, comme l'Hélène antique, absorbée par la contemplation de sa propre beauté. Une chose aussi qu'on ne saurait trop déplorer chez la Grisi, c'est cette absence de toute élévation dans la méthode, de toute largeur dans la manière de poser la voix, de toute intelligence des moindres artifices de la respiration. Ce qu'elle tente est toujours net, limpide, agréable, merveilleux, mais la plupart du temps en reste là, et son ame de cantatrice, agissant sur son gosier sonore, ne dépasse guère les fonctions du marteau qui provoque la vibration d'un timbre métallique. Quant à Mme Albertazzi dans le rôle de Malcolm, je ne sais à qui la comparer, si ce n'est à Mme Albertazzi dans celui d'Arsace. Qui donc a pu inspirer à cette cantatrice l'idée malencontreuse de prendre les parties de contralto ? Autrefois, lorsque sa voix s'exerçait dans la gamme du mezzo soprano, on l'entendait à peine; que dire maintenant qu'elle s'est abîmée dans la profondeur des registres du contralto? Du reste, Mme Albertazzi semble elle-même tout aussi convaincue qu'on peut l'être de l'insuffisance de son organe, et, pour avertir le public de sa présence, elle invente un stratagème des plus ingénieux. Voyant que l'orchestre est assez impertinent pour étouffer sa voix, Mrne Albertazzi imagine de chanter sans lui. Ainsi, dans l'entrée de Malcolm, au premier acte, elle épie le moment où les fanfares ont cessé pour émettre une note bizarre à laquelle elle s'efforce de donner, avec une affectation risible, l'accent le plus mâle qu'elle trouve dans sa poitrine et que chacun prend pour un bruit que l'écho de la salle renvoie à ses oreilles. Rubini chante, au second acte de ''la Donna del Lago'', une cavatine qu’on peut avoir entendue autrefois dans ''Ricciardo et Zoraïde''. Je ne sais au juste à laquelle de ces deux partitions elle appartient; mais ce qu'il y a de certain, c'est que David la chantait dans ''Ricciardo'', et la chantait à ravir. Rubini dit cette cavatine avec une puissance d'organe, une facilité de vocalisation qui tiennent du prodige; large et pathétique dans l'adagio; vif, entraînant, prodigue de richesses frivoles et de traits éblouissans dans la cabalette, qu'il ''enlève''. Cependant, s'il fallait opter, dans ce morceau, entre Rubini et David, il me semble que je n'hésiterais pas à me décider pour ce dernier. Il y avait sans doute chez David moins d'éclat et de séduction, mais, à coup sûr, plus de passion chaleureuse et d'enthousiasme sincère. On sait quel étrange chanteur était cet homme, surtout vers les dernières années de sa carrière musicale. Il n'avait, la plupart du temps, qu'un éclair par soirée, mais un éclair de génie : il fallait, pour un moment d'émotion vraie, supporter durant trois heures toutes les pasquinades ridicules de son extravagante personne; mais aussi, quand venait ce moment tant désiré, qui jamais regretta de l'avoir payé trop cher? On se souviendra toujours du David de l'admirable duo de ''la Gazza'', lorsque son inspiration s'allumait tout à coup à l'étincelle du génie de la Malibran, et grandissait ensuite, dévorant tout autour d'elle; du David de la cavatine de ''Ricciardo'' : on ne voyait plus alors le soldat grotesque ou le Turc affublé d'oripeaux ramassés au hasard à la friperie, mais le chanteur sublime dont l'inspiration s'exhalait en notes de flamme. Le triomphe de Rubini est toujours la cavatine de la ''Niobe''.
Nous ne parlerons pas de ''Roberto Devereux'', hâtive production d'un maître que sa facilité déplorable égare. Quels que soient les dons que vous teniez de la nature, un opéra ne s'improvise pas en quelques jours; on n'aboutit de la sorte qu'à mettre au monde des ébauches dont nul ne vous sait gré, car le plus souvent ces tristes
L'Opéra a retrouvé, avec M. de Candia, ses magnifiques soirées de Robert-le-Diable. Le chef d'
On se souvient d'une ravissante fantaisie d'Hoffmann, ''Chiara'', cette blanche
En général, je trouve qu'on a tort de traiter si lestement ces sortes d'imaginations, et qu'un poème d'opéra ou de ballet ne mérite pas toujours le dédain qu'on affecte à son égard; il est peut-être plus difficile qu'on ne pense de trouver une idée qui se chante ou qui se danse, et de la mettre en
On répète toujours activement la partition nouvelle de M. Auber, et les amis de l'administration disent déjà merveilles de cette musique toute paisible, toute sereine, tout aimable et mélodieuse, et qui doit dissiper les vapeurs malsaines qu'ont laissées dans l'atmosphère de l'Opéra les psalmodies lugubres de ''Guido'' et les ophicléïdes de ''Cellini''. Si l'on en croit les bruits qui courent, toutes les parties du chant auraient été sacrifiées au rôle de Mlle Nau, qui représente la
La partition de M. Meyerbeer ne sera guère livrée à l'Académie royale de musique avant l'hiver prochain. En attendant, l'illustre maître travaille à composer, avec de bien précieux fragmens laissés par Weber, une
Le théâtre de la Bourse a représenté, à quelques semaines de distance, deux opéras nouveaux de M. Adam, ''le Brasseur de Preston'' et ''Régine''. M. Adam a pour lui cette triste facilité d'écrire que nous déplorions tout à l'heure chez Donizetti. Il faut absolument que chaque année M. Adam produise ses trois partitions; les temps où l'auteur du ''Postillon de Lonjumeau'' ne fait que six ou sept actes en douze mois, sont pour lui des temps de sécheresse et de disette. Sérieusement, quel résultat peut-on attendre d'un tel abus des meilleures facultés, quand on pense que Weber n'a composé dans sa vie que cinq partitions? Cependant il est impossible de ne pas reconnaître çà et là dans le ''Postillon de Lonjumeau'', dans ''le Fidèle Berge''r, dans ''le Brasseur de Preston'', etc., certaines qualités bouffes qui, sagement réglées, auraient, sans aucun doute, abouti à d'excellentes fins; mais tout cela s'en va se perdre dans un fatras de notes assemblées sans choix, au hasard, comme elles se présentent, et dont la disposition mesquine décèle l'ouvrier hâtif plutôt que le maître sérieux. Que dire maintenant de ''Zurich'', de ''la Mantille'' et de ces partitions en un acte de toute espèce, sortes de fleurs inodores qui poussent par milliers sur le sol de l'Opéra-Comique, et meurent sans laisser dans l'air la moindre trace mélodieuse? Il semble, en vérité, qu'on devrait avoir plus d'égards pour les jeunes musiciens qui débutent; il suffirait pour cela, au lieu de les accueillir au hasard, comme on fait, de choisir avec soin dans le nombre, et, quand on en aurait trouvé un digne de se produire, de lui confier une
Les concerts se succèdent avec une rapidité sans exemple; ce ne sont de toutes parts que séances et matinées de musique instrumentale, de musique vocale, de musique de chambre; que sais-je? Quand les mots ne suffisent plus, on en invente, et du reste, au fond, les choses ne varient guère. Quelle que soit l'affiche ambitieuse qui vous leurre, vous n'échappez pas aux pianistes qui font d'ordinaire à eux seuls tous les frais de ces réunions monotones. La race des pianistes a singulièrement multiplié depuis quelques années ; ils sont si nombreux maintenant, qu'on ne les peut compter : il y en a de tendres, de passionnés, de rêveurs, de mélancoliques et de catholiques, et, chose étrange! tous ont la puissance et le génie; tous portent à leurs fronts illuminés le signe glorieux et fatal. On dirait qu'il en est de la tribu des pianistes comme de la race juive, et que le ciel répand sur elle à tout instant des dons sublimes qui, dispensés autrement, suffiraient pour alimenter durant trois siècles la poésie et les autres arts. Dès qu'il s'agit du piano, le talent n'est plus de mise; il faut absolument parler de génie : le génie a si bon air lorsqu'il provoque avec ses doigts de flamme la sonorité du clavier ! Et cependant, au fond de tout cela, combien de tristes imitateurs, combien de médiocrités sonnantes pour deux maîtres vraiment reconnus, Thalberg et Listz! je ne dis par Chopin, fantôme vaporeux que l'imitation ne peut saisir. Au-dessus de ce petit monde règne la société des concerts. La symphonie en ''ut'' mineur, la symphonie en ''la'', les ouvertures d’''Oberon'', de ''Freychütz'', d’''Euryanthe'', de ''Coriolan'' et de ''Fidelio'', que dire d'un pareil répertoire? Nous avons eu tant de fois l'occasion de saluer ces chefs-d'
On s'entretient beaucoup dans le monde, cet hiver, de Mlle Pauline Garcia; on la recherche partout, on l'applaudit, on la fête comme un souvenir de la Malibran, dont elle a par momens l'inspiration généreuse et la flamme sacrée. La voix de Pauline est tout simplement cet admirable mélange du contralto et du soprano qui se transmet par héritage dans la famille des Garcia. Cependant, jusqu'ici, le contralto domine, les notes graves sortent pleines, vibrantes, bien nourries, tandis qu'on sent dans le haut comme une légère incertitude qui vient sans doute de l'extrême jeunesse de la cantatrice. Sa voix de soprano n'a encore ni toute sa portée ni tout son timbre; elle hésite, elle ploie; on dirait un jeune faon qui vient de naître et dont les jambes tressaillent et fléchissent. Plus tard, quand il aura brouté les feuilles des arbres et bu l'eau claire de la fontaine, les forces lui viendront, et le jeune faon bondira d'un pied sûr à travers les joyeuses campagnes, et franchira, sans que rien l'arrête désormais, les fossés et les taillis. Ainsi de Pauline Garcia il faut que cette voix adolescente se fortifie dans l'étude et le repos. Malheureusement le succès l'a prise sur ses ailes, et Dieu sait où il la conduit. On lui répète tant chaque jour qu'elle a du génie, et qu'il lui suffira de monter sur la scène pour prendre aussitôt la place de la Malibran, que je crains bien que la tête ne lui tourne. Par exemple, on a peine à voir cette voix puissante, faite pour se former à la grande école de Crescentini et de Garcia, se dépenser en chansons de ''contrabandista'' et en tyroliennes. Cela est charmant et merveilleux, je l'avoue; on se pâme d'aise aux inspirations de Mlle Puget et de M. de Beauplan, bien autrement, ma foi, que s'il s'agissait de Mozart ou de Cimarosa; et puis Pauline dit ces petits airs avec tant de charme, et puis elle a pour elle l'exemple de sa
On peut dire que la Malibran revit parmi nous; de tous côtés les souvenirs de ce génie harmonieux se réveillent. Avant que Pauline Garcia ne nous eût rendu quelque chose de l'inspiration ardente de sa sœur, Mme la comtesse Merlin avait écrit sur la sublime cantatrice un livre plein de mélancolie et d'intérêt, semé çà et là d'aimables digressions musicales et de fort ingénieuses critiques. Nous n'aimons pas ces lettres que Mme Merlin a cru devoir ajouter comme appendice. Cet en-train familier, ce ton de mauvaise plaisanterie, que nul trait d'esprit ne rachète, ne conviennent ni à l'élégance du livre, ni à l'idéal qu'on se fait de l'héroïne. Il n'est pas permis à Sémiramide ou à Desdemona d'écrire de pareilles fariboles. Nous conseillons vivement à Mme la comtesse Merlin de retrancher ces pages à une nouvelle édition. Pour revenir sur le sentiment critique de ce livre, nous citerons çà et là d'excellentes appréciations de la Pasta, de la Pisaroni, de Garcia et de tous les chanteurs de la grande école italienne. Personne plus que Mme Merlin ne semblait être appelé à ce genre de travaux. Cantatrice du premier ordre elle même, sa voix doit confier nécessairement à sa plume bien des mystères qu'on ignore. On rencontre en outre dans ce livre certaines petites remarques qui, pour ne point toucher aux plus hautes questions de l'art, ne sont pas sans attrait ni sans charme ; celle-ci, par exemple : « Maria donna ''Otello'' pour son bénéfice le 30 mars. L'enthousiasme fut à son comble. Pour la première fois, les couronnes et les bouquets apparurent sur la scène italienne à Paris. Maria eut les prémices de ce doux hommage qui va si bien aux femmes, et qui pénètre si loin dans leur
Nous ne parlerions pas ici d'un livre qui se publie à la gloire de M. Berlioz, si l'écrivain obscur qui en a rédigé les pages ne semblait avoir pris à tâche de poursuivre de sa colère ébouriffée tous les malheureux qui osent sourire quand on leur parle du génie de l'auteur de la ''Symphonie fantastique''. Personne ne trouve grace devant le sectaire furibond. L'administration de l'Opéra, Duprez, la critique, le public, il pulvérise tout au nom de je ne sais quelle scholastique de dupes dont il fait parade. Peu s'en faut qu'il ne maltraite fort les cieux pour n'avoir point lancé la foudre sur cette salle où l'on sifflait son idole. Vraiment on aurait grand tort de s'appesantir sur de semblables boutades; le public en fait justice en ne les lisant pas; aussi nous nous abstenons d'en dire davantage, et renvoyons le lecteur au livre si charmant de Mme Merlin, à ces vives sensations de la musique italienne qu'on aime à retrouver jusque dans l'écho des souvenirs.
Il paraît en ce moment une édition nouvelle des
Il appartenait au traducteur ingénieux de ''Romeo'' et de ''Macbeth'', de ''la Cloche'' et de ''la Fiancée de Corinthe'', de venger l'
::De mon
::Elle n'y reviendra jamais,
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Nous cherchons quelque exemple de ces prévenances maladroites dont parle M. Thiers, et nous n'en trouvons pas; mais, en revanche, nous voyons que M. Thiers et ses amis, que M. Guizot et ses amis ont signé l'engagement de porter partout les légitimistes dans les élections et de voter pour eux. En fait d'avances, nous n'en voyons pas de plus décisives que celles-là, et si M. Thiers éprouve de la répugnance à favoriser le parti légitimiste, nous ne comprenons pas sa conduite, qui tend à maintenir et à augmenter ce parti dans la chambre, par conséquent à lui donner plus d'influence dans le gouvernement !
Ce grief arrête toutefois sérieusement M. Thiers. Il lui plaît de voir une invasion d'émigrés dans le gouvernement, comme au temps de Napoléon, qui manqua, dit-il, d'habileté et de grandeur quand il se hâta d'attirer ces mêmes émigrés dans sa cour et d'accumuler autour de son trône toutes les pompes de l'église. Où sont donc, s'il vous plaît, ces émigrés qui assiégent les Tuileries ? Nous ne voyons autour du trône que des vieux soldats de Napoléon, qui ont acheté par vingt ans de combats, puis par vingt ans d'exil ou de disgrace, l'honorable retraite qu'ils ont trouvée près du roi. A ses fêtes, à ses réceptions, figurent des députés, des pairs, des citoyens de tous les rangs, des industriels, des savans, tous ceux qui exercent un droit politique, ou qui se sont recommandés à l'estime publique par de nobles succès, par une vie laborieuse, par des services rendus au pays. Où est la place des ''émigrés'' dans tout cela? Quel rapport trouver entre Napoléon qui restaurait l'étiquette de Louis XIV, et Louis-Philippe et ses enfans, dont le parti de l'ancienne cour critique chaque jour, dans ses journaux, les
Une discussion de douze jours, où M. Molé est monté dix-sept fois à la tribune pour répondre victorieusement à M. Thiers ne lui suffit pas. M Thiers réveille une vieille querelle qui ne s'est pas terminée à son avantage, et où il a fait briller un talent digne d'une meilleure cause. « Le gouvernement a été faible au dehors comme au dedans, dit M. Thiers, qui tout à l'heure s'était séparé de lui parce qu'il avait montré, disait-il, trop de rigueur. Le gouvernement a voulu prouver à l'Europe qu'il ne s'intéresse qu'à sa propre existence; qu'il est indifférent à l'Italie, à l'Espagne, à la Belgique, et à tous les états dont le cabinet antérieur avait pris la défense. » Nous venons de voir, par les citations de M. Thiers, de quelle manière il avait pris la défense de l'Italie, comment il entendait alors donner à la Belgique plus que ne lui accordent les traités , de quelle façon il envisageait la nationalité de la Pologne. Et le ministère actuel aurait fait moins! M. Molé qui, de l'aveu de M. Thiers, a maintenu l'intégrité de la Belgique, aurait voulu prouver à l'Europe que la Belgique ne l'intéresse pas! Voilà sans doute pourquoi il combat depuis six mois pour elle dans la conférence, et comment il est parvenu à faire modifier à son avantage toutes les conditions financières du traité des vingt-quatre articles! En ce qui est d'Ancône, M. Thiers dit que l'engagement qui a été pris envers nous n'a pas été exécuté. Cet engagement consistait à faire évacuer les Marches par les Autrichiens, et déjà avant l'embarquement de nos troupes, il ne restait pas un Autrichien dans les Marches. En Belgique, dit M. Thiers, il y avait un traité, mais personne ne l'avait exécuté. On avait modifié les dix-huit articles signés précédemment, M. Thiers demande pourquoi on n'a pas modifié les vingt-quatre articles. Est-ce un jeu de l'imagination de M. Thiers, que la reproduction de pareils argumens? M. Thiers, qui a été ministre des affaires étrangères, peut-il sérieusement avoir oublié que le traité des dix-huit articles était un acte émané spontanément de la conférence de Londres, tandis que le traité des vingt-quatre articles qui règle les limites de la Belgique et de la Hollande a été fait à la demande réitérée de la Belgique, et que le plénipotentiaire belge à Londres l'a sollicité comme une faveur, en invoquant la garantie de la France? M. Thiers ne sait-il pas que la Belgique a demandé à signer ce traité et à le rendre obligatoire, sans la participation du roi des Pays-Bas, qui se refusait à traiter? M. Thiers ignore-t-il que la Belgique a traité avec les cinq puissances, sous leur garantie, et que le traité des 24 articles est l'acte même qui établit sa nationalité en Europe? On a donc pu modifier les 18 articles, tandis que l'on ne pouvait modifier les 24 articles que sous le rapport financier, car un des articles de ce traité réservait expressément la révision de ce qui était relatif à la dette des deux états. C'est pour ce motif, qu'eu égard aux dispendieux déploiemens de forces militaires que le roi de Hollande a rendus nécessaires par son refus de signer le traité pendant huit ans, la conférence vient de libérer la Belgique d'une somme de 68 millions de florins (125 millions de francs), et ce résultat est dû aux efforts de M. Molé. Il est vrai que M. Molé ne fera pas avancer une armée et ne fera pas la guerre à l'Europe pour détruire un traité que la Belgique a invoqué depuis huit ans, comme la charte de ses droits et le titre légal de son indépendance. Si c'est ainsi que M. Thiers entend la dignité de la France, il diffère, en effet, essentiellement du cabinet du 15 avril, qui croirait manquer à tous ses engagemens et commettre un acte d'agression et de violation des droits, en donnant par les armes, à la Belgique, un territoire qui est devenu, depuis le traité de Vienne, un état dépendant du roi de Hollande, en sa qualité de duc de Luxembourg. Libre maintenant à M. Thiers de s'écrier que le Limbourg et le Luxembourg se sont insurgés en même temps que la Belgique, et doivent partager son sort. M. Thiers sait bien par lui-même qu'il ne faut pas donner les mains à toutes les révolutions, et la Belgique e partagé ce principe; car, en signant le traité des 24 articles à Londres, elle n'a pas revendiqué ces deux territoires : elle les a abandonnés à leur propre sort.
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Nous le répétons, c'est la guerre où mènent directement vos voies ''pacifiques'' et votre manière d'entendre les traités. La guerre, et dans quel temps! Quand la France a tout à gagner par la paix; quand elle n'a nul motif de se jeter dans la voie des conquêtes et des entreprises violentes. Voyez les progrès immenses que la France a faits depuis six ans. Elle les doit à la paix et au système que vous blâmez aujourd'hui. Quelles concessions, autres que l’exécution des traités, a-t-elle faites en retour ? Aucune. Qui songe à nous provoquer, à nous insulter en Europe ? N'a-t-on pas vu à Lisbonne, à Ancône, à Anvers, en Afrique, à la Vera-Cruz, que nous n'avons rien perdu de notre vieille ardeur militaire? et ne serions-nous pas fous de braver l'Europe et de l'attaquer pour répondre aux reproches de lâcheté qu'une opposition oisive adresse au gouvernement depuis huit ans? Et pourquoi la France se jetterait-elle ainsi au travers de l'Europe? Jamais les circonstances ne nous furent plus favorables, malgré quelques embarras partiels et passagers. L'alliance de l'Angleterre et de la France, sauvegarde des libertés constitutionnelles en Europe, n'a jamais été commandée par des circonstances plus impérieuses. La Russie et l'Autriche, la Russie et l'Angleterre sont en lutte pour leurs intérêts en Orient, et cette rivalité ne cesserait que si la France inquiétait ces états en cherchant à renouveler en Europe la grande lutte révolutionnaire. La Prusse a ses embarras du côté du Rhin et du duché de Posen. Le système d'alliances qu'elle voulait établir entre la noblesse westphalienne des anciens cercles du Rhin et la noblesse militaire de la vieille Prusse, a causé de profonds mécontentemens parmi ses nouveaux sujets, et les questions religieuses ont encore étendu et agrandi ces germes. La Bavière et la Prusse se font une guerre sourde et acharnée sur le terrain des questions protestante et catholique. La rivalité entre l'Autriche et la Prusse s'est augmentée par l'effet du système de douanes prussien, et l'alliance de famille entre la Prusse et la Russie couvre à peine les dissentimens que font naître chaque jour les nouveaux intérêts commerciaux de ces deux états. Tant que la France s'est montrée jalouse de sa parole, tant qu'elle a respecté religieusement les traités, les différens états de l'Europe ont cru pouvoir se livrer avec sécurité à leurs motifs réciproques de divisions; mais un geste menaçant de la France, fait mal à propos, suffirait pour rétablir en Europe la bonne harmonie de 1815 et de 1830. Déjà, depuis le commencement de la discussion de l'adresse, les rapports les plus exacts nous ont appris que toutes les grandes puissances se remettent sur le pied de guerre. L'Autriche remplit les cadres de son armée, la Prusse rappelle ses landwehr et ses réserves, la Russie fait avancer des troupes sur la Vistule, et arme ses flottes de la mer Noire. Enfin, l'ordre est donné, en Angleterre, de mettre sur un pied plus respectable la flotte, et, ce qui est plus sérieux, l'armée de terre. M. Thiers et M. Guizot vantent sans cesse le cabinet du 13 mars. Ce ministère n'avait qu'un but, faire désarmer l'Europe, réduire les factions, et il y parvint. Qu'a fait la coalition, qu'a produit M. Guizot, quel résultat a obtenu M. Thiers, qui, avec le talent et l'éloquence, a aussi la popularité qui manque à M. Guizot? Leur ouvrage est sous nos yeux. Ils ont fait armer de nouveau l'Europe, et ils ont relevé les factions!
Il n'importe, les reproches ne tarissent pas et tombent à la fois sur le gouvernement et sur les amis actuels de M. Thiers. Dans sa lettre aux électeurs de Lizieux, M. Guizot se plaint du peu de fermeté du gouvernement à l'intérieur; il demande un pouvoir fort, décidé, un chef qui force le pays à le suivre, et sans doute M. Guizot ne demande pas un chef qui mène la France dans une voie opposée à celle des doctrinaires. Dans sa lettre aux électeurs d'Aix, M. Thiers revient à chaque moment sur les mesures de rigueur accumulées, dit-il, au-delà du terme de l'utilité. Il s'ensuit que M. Guizot veut quelque chose de plus que les lois de septembre, et qu'il veut encore toutes les lois retirées au 15 avril, tandis que M. Thiers semble demander l'abrogation des lois de septembre et peut-être quelque chose de plus. Nous ne disons pas que M. Guizot est sous l'influence de M. Berryer, sa propre influence suffit pour motiver ces
C'est sur le vote des chambres que M. Thiers appuie le blâme dont il frappe le gouvernement! Nous ne savions pas, en vérité, que la majorité de la chambre des pairs se fût réunie à l'éloquence de M. Cousin et de M. Villemain. Pour la chambre des députés, elle a simplement changé, d'un bout à l'autre, le projet d'adresse rédigé par M. Thiers et les autres membres de la majorité de la commission. Elle a approuvé tout ce que M. Thiers et ses amis avaient blâmé, et elle a soutenu, par un acte inouï jusqu'à ce jour, le ministère qu'ils voulaient renverser. Il n'est pas d'exemple, en effet, d'une adresse si différente du projet primitif, depuis l'établissement du gouvernement représentatif en France. C'est qu'aussi il n'est pas d'exemple d'une commission aussi violente et aussi exagérée que celle dont la chambre a fait justice. Mais il paraît que les sentences de la chambre sont comme non avenues pour les membres de la coalition. M. Thiers avance que c'est le ministère que la chambre a prétendu blâmer en renversant le projet d'adresse, et que c'est pour punir la majorité, qui a voté pour lui, que le gouvernement a prononcé la dissolution! A la bonne heure, après un tel raisonnement, il est tout naturel de comparer le ministère au gouvernement de Charles X, qui méconnaissait le vote de la majorité, et M. Thiers ne manque pas de le faire. Toutes les circonstances se trouvent conformes à ses yeux. Le gouvernement qui ne veut pas la guerre avec l'Europe, c'est le gouvernement de Charles X, qui ne voulait pas souffrir la contradiction; le cabinet qui entend respecter les traités, et qui se refuse à déchirer avec la pointe de la baïonnette les engagemens qu'il a signés, c'est le cabinet de M. de Polignac, qui voulait déchirer la charte; aussi la monarchie de juillet est à la veille de tomber dans l'abîme où M. Thiers a précipité la restauration! Les projets, les menaces du pouvoir sont les mêmes, et il faut lui répondre comme on le fit alors! M. Thiers, M. Duvergier de Hauranne et ses amis ont attaqué personnellement le roi dans leurs pamphlets; ils ont déclaré qu'ils avaient formé une coalition pour faire cesser son intervention dans les affaires. C'était leur droit. Mais ceux qui leur répondent attentent au droit de ces messieurs! « Le gouvernement représentatif, dit M. Thiers, est celui où les citoyens ont toute liberté de soutenir ce qu'ils croient vrai, même quand ils se trompent. Si, tandis que je discute de bonne foi les actes du gouvernement, on dérobe les ministres pour m'opposer l'image du roi, on m'arrête ainsi avec cette image auguste, mais on m'ôte ma liberté! Et cette liberté, s'écrie M. Thiers dans un beau mouvement digne de la convention nationale, je la réclame, car nous l'avons acquise en 1830 au risque de notre tête ! »
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Quant à une politique d'ajournement, puisque c'est le mot dont on se sert, je connais bien quelque chose qui y ressemble et qu'on pourrait appeler de ce nom; mais ce n'est pas la conduite tenue par le ministère du 15 avril à l'égard de la question belge. Ce serait la convention du 21 mai 1833; et, prenez-y garde, je ne me permets cependant pas de l'incriminer, ni d'en faire un grave reproche au ministère de ce temps-là. Je veux dire seulement que, par la convention et le ''statu quo'' de 1833, on avait reculé la difficulté au lieu de la vaincre, et rejeté sur l'avenir les embarras du présent. En effet, d'où proviennent les embarras actuels? Uniquement de ce fait, dont je suis loin de méconnaître la gravité, que les populations du Luxembourg et du Limbourg se sont habituées à vivre sous la loi belge, se sont attachées aux libres institutions du nouvel état, ont joui de tous leurs avantages, ont identifié leur existence et leurs intérêts à l'existence et aux intérêts de la Belgique. Il en résulte que le roi Léopold, le gouvernement, les chambres, le ministère belge, éprouvent la plus grande peine à consommer le sacrifice. En 1831, en 1832, en 1833, ce sacrifice eût été bien moins douloureux. Alors on y était résigné. Les populations s'y attendaient; les chambres l'avaient voté; le ministère était tout prêt à remplir ses engagemens. Mais qu'a fait la convention de 1833 ? Elle a maintenu le traité, elle a confirmé les obligations existantes, et en même temps elle a multiplié et aggravé les difficultés qui rendent aujourd'hui si pénible l'accomplissement de ces obligations. Je sais dans quel but on établissait en 1833 un statu quo très onéreux pour la Hollande, très favorable pour la Belgique. Je sais qu'on agissait alors ainsi de très bonne foi pour déterminer, pour hâter cette adhésion du cabinet de La Haye, si difficile à obtenir, aux arrangemens adoptés par les cinq puissances. Mais il n'en est pas moins vrai que le mal était ici à côté du bien, le danger à côté de l'avantage. Le mal, c'est que, malgré les négociations du roi de Hollande avec la diète germanique et les agnats de la maison de Nassau, la Belgique oubliait insensiblement le caractère provisoire des avantages dont elle jouissait, intégrité territoriale, non-paiement de la dette, absence de tout péage sur l'Escaut. Fallait-il donc un prodigieux effort de sagacité politique pour prévoir, en 1833, que, par ce statu quo si commode, on préparait à l'avenir de graves embarras? Nullement, et tenez pour certain que les hommes d'état qui adoptaient cette combinaison apercevaient bien l'inconvénient dans le lointain; mais, au milieu des difficultés de l'intérieur et des périls de la question d'Orient, qu'ils ont ajournée aussi et non résolue, ils se disaient tout bas qu'à chaque jour suffit sa peine et couraient au plus pressé. Cependant je ne puis m'empêcher de regretter qu'on n'ait pas fait alors autre chose. Il me semble qu'on aurait dû séquestrer les territoires dont il s'agissait, confier l'un à la garde de la Prusse, remettre l'autre à la garde de la France, et, dans cette position qui ne compromettait rien, attendre que le roi Guillaume prît son parti de la séparation et du traité des 24 articles. C'est peut-être de la théorie que je vous fais là, moi qui ne l'aime guère. Mais les orateurs de l'opposition, M. Manguin, par exemple, qui en a fait de si belles à propos du Caucase et de l'Afghanistan, daigneront me le pardonner.
On a parlé des ''bonnes fortunes'' du 15 avril. Je ne veux pas examiner s'il n'y a pas aussi du ''bien joué'' dans son bonheur; je veux seulement faire observer que ces ''bonnes fortunes'' ne sont pas sans compensation, et que tous les ''hasards'' ne lui ont pas été favorables. Il a dû acquittter des billets à vue portant la signature de la France, et qu'on aurait bien pu nous présenter deux ans plus tôt ou deux ans plus tard. Ce n'est pas au ministère du 15 avril que le roi des Pays-Bas, vaincu par le temps et le mécontentement de ses peuples, a notifié sa tardive adhésion aux 24 articles : c'est à la conférence de Londres, où se trouve représenté non tel ou tel ministère, mais la France. Quel que fût le cabinet auquel les vicissitudes du régime parlementaire eussent fait échoir la direction des affaires, le roi Guillaume aurait tenu le même langage, rappelé les mêmes engagemens, invoqué les mêmes principes, et je suis sûr que le résultat eût été le même. Toute administration sensée aurait fait honneur, comme le 15 avril, aux obligations contractées par la France, à la parole donnée, à la signature du roi. Les ministres qui ont respecté les traités de la restauration auraient à bien plus forte raison exécuté ceux de la révolution de juillet; ils auraient maintenu l'
Mon intention n'est pas d'examiner ici l'un après l'autre tous les articles du traité modifié que la conférence de Londres vient de proposer à la Belgique et à la Hollande, et que celle-ci a immédiatement accepté ''sans réserve''. Il suffira de dire que, par son exécution, le roi des Pays-Bas devra être remis en possession de Venloo et d'une partie de la province du Limbourg, peu considérable sur la rive gauche de la Meuse, mais plus étendue sur la rive droite, puisqu'elle descend au-dessous de Maëstricht jusqu'aux limites septentrionales de la province de Liège, et, dans le Luxembourg, de la moitié orientale de cette principauté, qui est adossée et contiguë à la province prussienne de Trèves. Ce sont les arrangemens territoriaux de 1831. Ces deux demi-provinces du Limbourg et du Luxembourg sont déclarées et reconnues territoire fédéral, l'une par continuation du passé, l'autre par substitution à la partie du grand-duché cédée au royaume de Belgique. Les droits de la branche allemande de la maison de Nassau sur la totalité du grand-duché, comme équivalent d'autres possessions, sont également transportés sur la moitié du Limbourg cédée à la Hollande; mais la place de Maëstricht, bien que comprise dans le territoire fédéralisé, ne devient en aucune façon forteresse fédérale. Des insinuations faites dans ce sens, soit à Berlin, soit à Francfort, en 1836, je crois, avaient été énergiquement repoussées par le roi Guillaume, et cette idée n'a pas eu de suites. Maëstricht, vieille possession des Provinces-Unies des Pays-Bas, restera donc ville exclusivement hollandaise.
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