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{{TitrePoeme|[[Émaux et Camées]]|Théophile Gautier|Le Souper des armuresArmures}}
[[Catégorie:Poésie|Le Souper des armures]]
[[Catégorie:XIXe siècle|Le Souper des armures]]
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[[Catégorie:Théophile Gautier|Souper des armures]]
 
<poem>
 
Biorn, étrange cénobite,<br>
Sur le plateau d’un roc pelé,<br>
Hors du temps et du monde, habite<br>
La tour d’un burg démantelé.<br>
 
<br>
De sa porte l’esprit moderne<br>
En vain soulève le marteau.<br>&#x2009;:
Biorn verrouille sa poterne<br>
Et barricade son château.<br>
 
<br>
Quand tous ont les yeux vers l’aurore<br>,
Biorn, sur son donjon perché,<br>
AÀ l’horizon contemple encore<br>
La place du soleil couché.<br>
 
<br>
AmeÂme rétrospective, il loge<br>
Dans son burg et dans le passé&#x2009;;<br>
Le pendule de son horloge<br>
Depuis des siècles est cassé.<br>
 
<br>
Sous ses ogives féodales<br>
Il erre, éveillant les échos,<br>
Et ses pas, sonnant sur les dalles,<br>
Semblent suivis de pas égaux.<br>
 
<br>
Il ne voit ni laïcs, ni prêtres,<br>
Ni gentilshommes, ni bourgeois,<br> ;
Mais les portraits de ses ancêtres<br>
Causent avec lui quelquefois.<br>
 
<br>
Et certains soirs, pour se distraire,<br>
Trouvant manger seul ennuyeux,<br>
Biorn, caprice funéraire,<br>
Invite à souper ses aïeux.<br>
 
<br>
Les fantômes, quand minuit sonne,<br>
Viennent armés de pied en cap&#x2009;;<br>
Biorn, qui malgré lui frissonne,<br>
Salue en haussant son hanap.<br>
 
<br>
Pour s’asseoir, chaque panoplie<br>
Fait un angle avec son genou,<br>
Dont l’articulation plie<br>
En grinçant comme un vieux verrou&#x2009;;<br>
 
<br>
Et tout d’une pièce, l’armure,<br>
D’un corps absent gauche cercueil,<br>
Rendant un creux et sourd murmure,<br>
Tombe entre les bras du fauteuil.<br>
 
<br>
Landgraves, rhingraves, burgraves,<br>
Venus du ciel ou de l’enfer,<br>
Ils sont tous là, muets et graves,<br>
Les roidesraides convives de fer&#x2009;!<br>
 
<br>
Dans l’ombre, un rayon fauve indiquc<br>indique
Un monstre, guivre, aigle à deux cous,<br>
Pris au bestiaire héraldique<br>
Sur les cimiers faussés de coups.<br>
 
<br>
Du mufle des bêtes difformes<br>
Dressant leurs ongles arrogants,<br>
Partent des panaches énormes,<br>
Des lambrequins extravagants&#x2009;;<br>
 
<br>
Mais les casques ouverts sont vides<br>
Comme les timbres du blason&#x2009;;<br>
Seulement deux flammes livides<br>
Y luisent d’étrange façon.<br>
 
<br>
Toute la ferraille est assise<br>
Dans la salle du vieux manoir,<br>
Et, sur le mur, l’ombre indécise<br>
Donne à chaque hôte un page noir.<br>
 
<br>
Les liqueurs aux feux des bougies<br>
Ont des pourpres d’un ton suspect&#x2009;;<br>
Les mets dans leurs sauces rougies<br>
Prennent un singulier aspect.<br>
 
<br>
Parfois un corselet miroite,<br>
Un morion brille un moment&#x2009;;<br>
Une pièce qui se déboîte<br>
Choit sur la nappe lourdement.<br>
 
<br>
L’on entend les battements d’ailes<br>
D’invisibles chauves-souris,<br>
Et les drapeaux des infidèles<br>
Palpitent le long du lambris.<br>
 
<br>
Avec des mouvements fantasques<br>
Courbant leurs phalanges d’airain,<br>
Les gantelets versent aux casques<br>
Des rasades de vin du Rhin,<br>
 
<br>
Ou découpent au fil des dagues<br>
Des sangliers sur des plats d’or...<br>
Cependant passent des bruits vagues<br>
Par les orgues du corridor.<br>
 
<br>
La débauche devient farouche,
D’une voix encore enrouée<br>
On n’entendrait pas tonner Dieu&#x2009;;
Par l’humidité du caveau,<br>
Car, lorsqu’un fantôme découche,
Max fredonne, ivresse enjouée,<br>
C’est le moins qu’il s’amuse un peu.
Un lied, en treize cents, nouveau.<br>
 
<br>
Et la fantastique assemblée
Albrecht, ayant le vin féroce,<br>
Se tracassant dans son harnois,
Se querelle avec ses voisins,<br>
L’orgie a sa rumeur doublée
Qu’il martèle, bossue et rosse,<br>
Du tintamarre des tournois.
Comme il faisait des Sarrasins.<br>
 
<br>
Gobelets, hanaps, vidercomes,
Échauffé, Fritz ôte son casque,<br>
Vidés toujours, remplis en vain,
Jadis par un crâne habité,<br>
Entre les mâchoires des heaumes
Ne pensant pas que sans son masque<br>
Forment des cascades de vin&#x2009;;
Il semble un tronc décapité.<br>
 
<br>
Les hauberts en bombent leurs ventres,
Bientôt ils roulent pêle-mêle<br>
Et le flot monte aux gorgerins&#x2009;; —
Sous la table, parmi les brocs,<br>
Ils sont tous gris comme des chantres,
Tête en bas, montrant la semelle<br>
Les vaillants comtes suzerains&#x2009;!
De leurs souliers courbés en crocs.<br>
 
<br>
L’un allonge dans la salade
C’est un hideux champ de bataille<br>
Nonchalamment ses pédieux,
Où les pots heurtent les armets,<br>
L’autre à son compagnon malade
Où chaque mort par quelque entaille,<br>
Fait un sermon fastidieux&#x2009;;
Au lieu de sang vomit des mets.<br>
 
<br>
Et des armures peu bégueules
Et Biorn, le poing sur la cuisse,<br>
Rappellent, dardant leur boisson,
Les contemple, morne et hagard,<br>
Les lions lampassés de gueules
Tandis que, par le vitrail suisse<br>
Blasonnés sur leur écusson.
L’aube jette son bleu regard.<br>
 
<br>
D’une voix encore enrouée
La troupe, qu’un rayon traverse,<br>
Par l’humidité du caveau,
Pâlit comme au jour un flambeau,<br>
Max fredonne, ivresse enjouée,
Et le plus ivrogne se verse<br>
Un lied, en treize cents, nouveau&#x2009;;
Le coup d’étrier du tombeau.<br>
 
Albrecht, ayant le vin féroce,
Se querelle avec ses voisins,
Qu’il martèle, bossue et rosse,
Comme il faisait des Sarrasins&#x2009;;
 
Échauffé, Fritz ôte son casque,
Jadis par un crâne habité,
Ne pensant pas que sans son masque
Il semble un tronc décapité.
 
Bientôt ils roulent pêle-mêle
Sous la table, parmi les brocs,
Tête en bas, montrant la semelle
De leurs souliers courbés en crocs.
 
C’est un hideux champ de bataille,
Où les pots heurtent les armets,
Où chaque mort, par quelque entaille,
Au lieu de sang, vomit des mets.
 
Et Biorn, le poing sur la cuisse,
Les contemple, morne et hagard,
Tandis que, par le vitrail suisse,
L’aube jette son bleu regard.
 
La troupe, qu’un rayon traverse,
Pâlit comme au jour un flambeau,
Et le plus ivrogne se verse
Le coup d’étrier du tombeau.
 
Le coq chante, les spectres fuient
Et, reprenant un air hautain,
Sur l’oreiller de marbre appuient
Leurs têtes lourdes du festin&#x2009;!
</poem>
<br>
Le coq chante, les spectres fuient<br>
Et, reprenant un air hautain,<br>
Sur l’oreiller de marbre appuient<br>
Leurs têtes lourdes du festin&#x2009;!<br>
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