« Contes bizarres/Isabelle d’Égypte » : différence entre les versions
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{{Titre|Isabelle
PREMIER AMOUR DE CHARLES QUINT|[[Auteur:Achim von Arnim|Achim von Arnim]]|1812. Traduit de
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Braka, la vieille bohémienne, enveloppée dans la guenille rouge qui lui servait de manteau, marmottait son troisième pater devant la fenêtre, et depuis longtemps déjà Bella, répondant au signal, montrait sa tête charmante et nuageuse ; ses yeux noirs brillaient à la clarté de la pleine lune qui, rouge comme un fer à demi éteint, sortait des vapeurs de l’Escaut, pour s’élever de plus en plus claire dans l’espace.
Bella tremblait en disant cela, et ses larmes tombaient sur le sol humide, à travers les rayons de la lune.
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Si j’eusse été un oiseau, et que j’eusse passé alors, je serais descendu, j’y aurais trempé mon bec, et je les aurais rapportées au ciel ces larmes de Bella, tant elles étaient tristes et pénétrantes.
Bella était si effrayée
La vieille sortit, et Bella consternée la suivit des yeux comme on regarde une lettre qui vous annoncerait un grand malheur : on la rejette loin de soi, et cependant on voudrait savoir tout ce qu’elle contient. Elle eût volontiers suivi la vieille, mais elle craignait autant qu’elle l’aimait la rude peuplade dont faisait partie Braka.
Les bohémiens étaient alors sous le coup de la persécution que les Juifs, chassés de tous côtés, avaient attirée sur eux en empruntant leur nom. Bien souvent leur duc Michel s’en était plaint ; bien souvent il avait employé tous les moyens pour réunir les siens et les ramener dans leur patrie ; car ils avaient accompli leur vœu de marcher aussi longtemps qu’ils trouveraient des chrétiens. Ils revenaient d’Espagne par l’Océan, mais la puissance toujours croissante des Turcs, la persécution, le manque d’argent rendaient leur retour impossible. Déjà le duc avait essayé de les faire vivre de leurs jeux nationaux, – c’est-à-dire porter des tables en équilibre sur les dents, marcher sur les mains, faire des culbutes, et tout ce
Après cette digression nécessaire à l’intelligence de ce qui va suivre, revenons à notre histoire.
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Les bourgeois de Gand ne pardonnent jamais un vol ; en vain le duc feignit-il de vouloir punir Happy, il fut arrêté lui-même ainsi qu’Emler, et on les condamna à être pendus comme voleurs ; on avait le droit, à cette époque, de faire périr les bohémiens toutes les fois qu’ils se laissaient prendre. En vain Michel voulut-il protester de son innocence et de celle d’Emler.
« On fait avec nous comme on fait avec les souris ; une souris a-t-elle entamé un fromage, on dit aussitôt : les souris sont là ; on sème du poison, on tend des pièges pour les tuer toutes ; pour nous, de même, pauvres bohémiens, nous ne sommes tranquilles
Il fut condamné en effet à être pendu ; il versa des larmes amères, en pensant que lui, le dernier héritier mâle de sa noble maison, allait être mis à mort d’une manière si déshonorante. Bientôt sa bouche fut fermée jusqu’au jour du jugement, où il élèvera ses plaintes contre la dureté des riches, pour qui la vie d’un homme est peu de chose à côté de leurs vains trésors, et ces riches n’iront point dans le royaume du ciel où Bella retrouvera son père.
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Lorsque Bella fut revenue de sa stupeur, elle s’écria :
Le chien noir quitta alors, contre son habitude, la porte de la chambre, s’étendit aux pieds de la jeune fille, et poussa un hurlement plaintif.
Le chien secoua la tête.
Le chien secoua de nouveau la tête, courut vers la fenêtre, et se mit à gratter ; Bella leva les yeux, le battant était resté ouvert : elle vit à travers l’obscurité de la nuit le cadavre de son père se balancer, puis tout d’un coup tomber.
Munie de son pain et de sa cruche de vin, et suivie du chien noir, elle entra dans le jardin. La maison était abandonnée depuis dix ans par peur des revenants ; pendant tout ce temps, les bohémiens en avaient fait leur résidence, et avaient eu soin d’en éloigner le propriétaire, riche marchand de la ville, qui l’avait achetée pour y venir passer l’été.
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À la suite d’une banqueroute, il avait été mis en prison, et ses biens étaient administrés par ses créanciers ; on pense de quelle manière.
Quoique la crainte des revenants fit respecter cette retraite, les bohémiens n’osaient cependant pas s’y montrer pendant le jour, mais la nuit, les voyageurs se détournaient de leur route pour ne pas passer près de la maison. La belle et pâle enfant se dirigea vers la porte du jardin. Elle ressemblait à un spectre ; et le gardien, effrayé, courut se réfugier dans une chapelle éloignée pour implorer la protection de la foi. La pauvre Bella ! elle ne se doutait pas qu’elle fût si terrible !
La douleur causée par la perte de son seul espoir, de son père, l’avait tellement ébranlée,
Selon l’usage établi chez les siens pour les repas funèbres, elle étendit son voile sur une pierre ; elle mit deux verres, deux assiettes, partagea le pain en deux, puis elle versa du vin dans les deux gobelets et les choqua ; elle vida le sien et versa celui du mort dans le ruisseau, qui, à quelque distance de la maison, se perdait dans l’Escaut. Comme elle répandait dans l’eau cette première offrande, les flots, tout d’un coup, mugirent et se soulevèrent, comme si un gros poisson, qui
Enfin Braka revint ; ayant trouvé la porte de la maison fermée, elle était entrée dans le jardin. Elle resta comme pétrifiée à ce spectacle étrange : le puissant Michel dans son linceul, avec sa brillante couronne d’argent ; au-dessus de lui la blanche jeune fille, entourée de ses vêtements de deuil, et retenue, grâce à sa robe, par le chien noir dont les yeux lançaient des flammes. La vieille se mit à rire, comme c’était son habitude quand il arrivait quelque chose d’extraordinaire ; puis elle s’élança, ramena avec peine la jeune fille sur le bord, et lui dit :
À ces mots, les flots reprirent tranquillement leur course, la lune disparut derrière les nuages, et Bella tomba dans les bras de la vieille.
Un mois s’était déjà écoulé dans l’affliction et la douleur ; la vieille, dans l’intérêt de leur propre sûreté, ne pouvait venir tous les jours, et Bella passait son temps avec le chien qui dormait toujours. Lorsqu’il avait mangé, il remuait la queue, se léchait et se grattait ; c’était là toute son occupation. Elle finit enfin par se décider à ce que les héritiers font d’habitude tout d’abord ; elle voulut voir ce qu’avait laissé le
Elle ouvrit la chambre secrète avec une crainte mêlée de respect ; mais son attente fut trompée ; il n’y avait ni brillants vêtements, ni trésors, mais seulement quelques paquets d’herbes, des sacs pleins de racines, des pierres et différents objets dont elle ne connaissait pas l’usage, car son père ne lui avait jamais fait connaître cette chambre mystérieuse. Enfin elle trouva dans une cachette quelques écrits qu’elle parcourut ; plusieurs, ornés de riches cachets, étaient écrits sur très beau papier dans une langue étrangère qu’elle ne connaissait pas. Mais d’autres étaient en allemand des Pays-Bas, langue qu’elle savait très bien lire et écrire, parce que sa mère, descendante d’une ancienne maison des comtes de Hogstraaten, et qui s’était fait enlever par le duc Michel, avait appris cette langue qu’elle aimait à son mari et à sa fille. Elle prit les livres et lut toute la nuit, car elle dormait le jour pour éviter de faire aucun bruit. Au matin, Braka lui envoya sa chouette apprivoisée pour lui faire savoir qu’elle désirait entrer ; Bella quitta son livre avec dépit, et lorsque la vieille se présenta, elle resta silencieuse devant elle ; alors Braka, appliquant ses deux mains sur les pages du livre, lui dit :
La vieille regarda dans le livre.
Et elle continua sa lecture.
La vieille se dirigea vers le cabinet avec une curiosité mêlée de crainte ; lorsqu’elle ouvrit la porte, elle pria Bella de rappeler le chien noir qui se tenait toujours couché en travers, et qui ne laissait entrer personne que Bella.
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Quelques minutes après, la vieille reparut avec un sac et un gros paquet d’herbes, mais le chien lui faisait une paire d’yeux flamboyants, et lui montrait les dents ; elle resta clouée sur le seuil, et appela Bella en tremblant ; en ce moment, elles entendirent devant la porte un bruit inaccoutumé de chevaux, des hommes armés marchaient dans la cour. Bella, effrayée, se réfugia avec la lumière et le chien dans le cabinet où se trouvait déjà la vieille ; elles fermèrent la porte, et attendirent en silence pour voir si c’était par hasard le prince qui venait pour combattre les esprits.
Elles ne s’étaient pas trompées ; c’était Charles, le brillant et puissant héritier d’un empire où le soleil ne se couchait pas. Il entra dans la chambre abandonnée comme l’avait prévu la vieille. Bella pouvait le regarder à son aise par une fente de la porte ; elle n’avait jamais rien vu de pareil ; elle ne s’était encore trouvée qu’en face de noirs bohémiens bruyants et grossiers, tandis que lui marchait avec tant de noblesse ; il avait l’air si doux et si fort en même temps, qu’elle avait reconnu le maître, bien avant que ceux qui l’accompagnaient
Cenrio lui recommanda de ne pas manquer de tirer un coup de pistolet s’il avait besoin de quelqu’un, et si le coup manquait, il n’aurait qu’à appeler ; un soldat serait placé sous la fenêtre, et lui-même, Cenrio, veillerait non loin de là.
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Comme le sceau de ta force,
Comme les marques de mon infimité
Dans mon
Afin que tous leurs rayons
Enchâssés dans ma couronne à venir,
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Bientôt le prince ferma les yeux, sa tête s’inclina ; il était endormi, et Bella restait immobile à le regarder, sans pouvoir se rassasier.
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Jusque-là tout s’était bien passé ; mais le prince, réveillé par ce baiser, les yeux encore pleins des visions du sommeil, sauta du lit avec précipitation, et tout haletant s’enfuit en criant dans la chambre voisine ; son pistolet, son épée, il avait tout oublié : de telles frayeurs se rencontrent souvent dans les cœurs les mieux trempés ; ils ont horreur de ce monde inconnu et effroyable qui échappe à toutes nos recherches.
Bella était si étonnée de cette fuite qu’elle tomba presque évanouie dans les bras de la vieille, qui l’emporta aussitôt dans le cabinet. Le prince arriva bientôt avec Cenrio et quelques soldats, qui, à la vérité, auraient mieux aimé rester dehors que d’entrer dans cette chambre. Le prince, plus brave qu’eux tous,
Cenrio jura qu’après une telle frayeur il ne le laisserait pas exécuter ce projet ; que le prince lui-même ne devait pas se faire prier plus longtemps et donner, en se retirant, une preuve de son bon sens ; qu’il pouvait sans honte quitter cette maison, où les plus braves tremblaient au moindre bruit.
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La vieille n’était pas très contente de cet arrangement ; cependant elle en comprit tout de suite les avantages. C’était un moyen de rendre la maison encore plus sûre pour elle et pour les siens ; aussi, dès que ses hôtes audacieux eurent quitté la chambre, elle sortit de sa cachette, ferma toutes les portes avec bruit, renversa tous les meubles, de sorte que les cavaliers, effrayés, montèrent précipitamment à cheval et, sans regarder derrière eux, gagnèrent à toute bride la ville, où l’histoire, racontée et amplifiée de tous côtés, allait rendre encore plus redoutable la maison des esprits.
À peine rentré chez lui, le prince fut saisi
Adrien, que l’empereur Maximilien avait donné au prince pour lui apprendre le latin, ne manqua pas cette occasion de lui adresser une foule de beaux discours, qui remirent un peu le prince des impressions de la nuit.
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À cause de son isolement, la pauvre Bella devait expier plus durement que tout autre cette première passion.
Pendant deux jours, elle pensa à lui au lieu de dormir ; la nuit, elle regardait de tous côtés pour voir
Ces mots frappèrent Bella ; elle se tut, et dès que la vieille fut sortie, elle alla chercher les livres que, depuis la visite du prince, elle avait laissés dans un coin. En même temps, elle s’aperçut que la vieille avait emporté toute sa provision de racines et d’herbe et cette infidélité lui fit prendre la résolution de ne pas lui découvrir dans quel but elle allait avoir recours à des forces secrètes. Mais quel embarras de fouiller dans ces livres, de lire toutes ces lois mystérieuses, toutes ces préparations auxquelles elle ne comprenait rien ; ces moyens de trouver la pierre philosophale, de citer les esprits, de guérir les maladies, d’enchanter les animaux, et même de faire de
Moyen il est vrai si difficile, qu’il eût été, je crois, plus commode d’aller au soleil dans un char attelé de deux lunes.
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Bella était peut-être la seule depuis bien des années, chez laquelle toutes ces conditions se trouvassent réunies. Qui était plus innocent que Michel son père, lui qui avait sacrifié son existence pour son peuple, et qui avait vécu constamment dans la souffrance et le besoin ? Quelle jeune fille aurait eu le courage de sortir ainsi la nuit, si ce n’est Bella qui depuis quatre ans, époque de la mort de sa mère, avait mené une existence cachée et nocturne, et qui était assez familière avec le cours de la lune et des étoiles pour trouver dans la nuit une consolation et une solitude animée ; quelle jeune fille avait comme elle un chien noir qu’elle détestât autant ? Car, depuis le jour où toute petite il l’avait mordue, elle ne pouvait le souffrir, maintenant même, que le chien lui obéissait avec un zèle exemplaire et veillait toujours. sur elle, tout cela d’un air singulier, qui faisait dire à Michel qu’il y avait quelque chose du diable dans ce chien. Quelle jeune fille avait une chevelure comme Bella, assez longue pour pouvoir en tresser une corde, et quelle jeune fille l’eût sacrifiée avec autant d’indifférence ? tandis qu’elle ne se savait pas belle, et se trouvait contente de ne plus avoir à peigner de si longs cheveux. Elle coupa donc cette chevelure où les étoiles auraient pu venir se jouer comme dans celle de Bérénice ; d’un coup de ciseau elle les fit tomber à ses pieds, qu’ils entourèrent comme d’un voile noir : avec cela elle allait tresser la corde qui devait lier et tuer son chien Simson.
Elle
Bella aurait pu en prendre sa part et mettre à profit la connaissance des malheurs de la vieille pour assurer le succès de son entreprise, mais elle n’était occupée qu’à compter avec Impatience les heures et les minutes ; aussi, lorsque minuit sonna, elle sauta de sa place, et, irritée d’être obligée de remettre l’affaire à la semaine suivante, elle saisit la vieille, et se mit à danser avec elle la danse de la Grue, qui est la danse nationale des bohémiens, jusqu’à ce que Braka, hors d’haleine, tombât sur un siège, en toussant et jurant qu’elle n’avait jamais si bien dansé depuis le jour de ses noces. Elle s’introduisit un morceau de réglisse dans la bouche pour apaiser sa toux, et s’en alla en regrettant d’être obligée de partir si tôt.
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Dans ce moment le chien noir se mit à déchirer la poupée à laquelle Bella avait donné le costume du prince ; cela devait décider du sort de l’entreprise. Elle voulut punir cette insulte faite à son bien-aimé ; détachant la corde tressée de ses cheveux, que jusque-là, pour ne pas éveiller les soupçons de la vieille, elle avait gardée sur sa tête, elle frappa le chien. Celui-ci voulant sortir, se dirigea vers la porte ; elle l’ouvrit, et tous deux se trouvèrent transportés dans le monde mystérieux et bizarre des enchantements : ils suivirent d’abord un chemin qu’ils ne connaissaient pas, en se dirigeant, toutefois, du côté où ils supposaient trouver la montagne où se dressait l’échafaud. Il n’y avait pas un homme sur cette route ; seulement plusieurs chiens vinrent à grand bruit vers la porte du jardin et coururent sur le noir Simson ; mais au moment où ces philistins s’approchaient de lui, il les fixa en leur montrant ses grosses dents, si bien que tous, jusqu’au plus petit, s’enfuirent effrayés, la queue repliée entre les jambes, et se réfugièrent derrière la porte en poussant des cris pitoyables.
Au même instant deux porcs-épics, leurs dards garnis de pommes et de poires qu’ils avaient ramassées dans le jardin, traversèrent la route ; mais à l’aspect du chien, ils se formèrent en boule et celui-ci se contenta de leur prendre leur butin et de s’en régaler. Bella ne s’effraya pas de tout cela, mais une chose lui paraissait extraordinaire : soit qu’elle s’arrêtât, soit qu’elle s’avançât vers la montagne, elle sentait quelqu’un marcher derrière elle, et si près d’elle, que souvent le mystérieux personnage touchait, avec la pointe de son pied, le talon de la jeune fille ; elle n’osait pas regarder derrière elle, et marchait toujours plus vite, jusqu’à ce qu’un coup violent appliqué sur sa tête la renversa à terre. Elle n’avait été
Bella était arrivée sur la hauteur, elle voyait la riche cité toute brillante de lumières. Une maison resplendissait plus que les autres ; elle pensa que ce devait être la demeure du prince ; la vieille la lui avait décrite ainsi, et elle savait que c’était aujourd’hui l’anniversaire de sa naissance. Elle aurait tout oublié à cet aspect, même les pendus desséchés qui se balançaient au-dessus de sa tête, en se heurtant l’épaule comme pour se demander quelque chose, si le chien ne s’était pas mit de lui-même à gratter au pied de la potence. Elle chercha ce qu’il avait découvert et elle se sentit dans les mains une figure humaine ; une petite figure humaine qui avait encore les deux jambes enracinées dans la terre ; c’était elle, c’était la bienheureuse mandragore, l’enfant de la potence ; elle l’avait trouvée sans peine ; elle attacha une extrémité de ta tresse à la racine ; elle enroula l’autre bout au cou du chien noir, et, pleine d’anxiété, elle se mit à courir malgré les cris de la racine. Mais elle avait oublié de se boucher les oreilles ; elle courut aussi vite qu’elle put, et le chien la suivant arracha la racine de terre. Aussitôt un effroyable coup de tonnerre les renversa tous deux ; par bonheur elle avait couru très vite, et se trouvait déjà éloignée d’environ cinquante pas.
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Une mère qui croit avoir perdu son enfant dans un tremblement de terre ne le revoit pas avec plus de joie et de tendresse que Bella, lorsqu’elle porta la mandragore sur son cœur, en lui ôtant la terre qui couvrait encore ce petit être, et en le débarrassant des pousses qui le gênaient. Du reste il paraissait ne rien sentir ; son haleine sortait irrégulièrement par une ouverture imperceptible qu’il avait à la tête ; lorsque Bella l’avait bercé quelque temps dans ses bras, il portait ses mains à sa poitrine pour indiquer que le mouvement lui plaisait ; et il ne cessait de remuer bras et jambes qu’elle ne l’eût endormi en recommençant ce mouvement.
Après cela elle rentra avec lui à la maison. Elle ne fit pas attention aux aboiements des chiens, ni aux marchands disséminés sur la route, qui se rendaient vers la ville pour être les premiers à l’ouverture des portes ; elle ne voyait que le petit monstre
Il fallait d’abord laver la mandragore ; elle le fit ; puis lui semer du millet sur la tête, et une fois ce millet poussé et transformé en cheveux, les autres membres se délieraient eux-mêmes ; elle devait ensuite à la place de chaque
Par bonheur elle pouvait se procurer tout cela ; la vieille lui avait apporté récemment quelques grains de millet qu’elle avait volés ; le genièvre, son père s’en servait pour parfumer sa chambre : comme elle ne pouvait souffrir cette odeur, il lui en restait une poignée qu’elle n’avait jamais touchée. Il y avait dans le jardin un églantier encore couvert de fruits rouges, dernière parure de l’année expirante. Tout était prêt ; elle mit d’abord le fruit de l’églantier à la place indiquée, mais elle ne s’aperçut pas qu’en y déposant un baiser, elle l’avait fait entrer de travers ; puis elle lui planta les deux baies de genièvre. Elle trouva que cela lui seyait si bien, qu’elle lui en aurait volontiers mis une douzaine, si elle eût trouvé la place ; elle pensait bien à lui en mettre par derrière, mais elle craignait qu’ils ne fussent pas suffisamment garantis ; cependant elle finit par lui en placer une paire à la nuque, et nous devons avouer que cette disposition n’est pas tout à fait à dédaigner pour son originalité. Elle était en même temps joyeuse et triste d’avoir ainsi créé un être qui devait lui donner tant de tourments, comme tous les hommes en donnent à leur créateur ; d’un autre côté, en regardant son petit monstre informe, elle était contente gomme un jeune artiste à qui tout réussit au-delà de ses espérances.
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Braka arriva le surlendemain, en s’annonçant par le miaulement convenu ; elle vit bien qu’il était arrivé quelque chose d’extraordinaire à Bella ; aussi se mit-elle à l’interroger finement sur tous les points.
Bella, qui épluchait des pommes pour se donner une contenance, lui raconta avec de grands détails, qu’elle était sortie la nuit dans le jardin,
Bella avait raconté cette histoire d’une manière si vraisemblable, bien que ce fût son premier mensonge, que Braka fut satisfaite, et se mit à regretter le pauvre chien, à louer sa fidélité et à se féliciter
Maintenant Bella avait le courage de raconter à la vieille tout ce qui lui passerait par la tête ; quant à son petit homme-racine, elle attendait avec impatience le départ de la vieille, car elle craignait de ne plus retrouver son enfant en vie.
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Bella avait entièrement oublié qu’elle n’était allée chercher le petit homme merveilleux que pour en tirer le moyen d’approcher du prince aimé d’elle ; maintenant cet enfant surnaturel, découvert au prix des plus grands dangers, occupait toutes ses pensées.
Dans son sommeil, elle vit le prince qu’elle avait presque oublié ; c’était dans un tournoi où l’on s’exerçait à lancer la flèche ; ses adversaires le défiaient et le provoquaient par la vigueur et l’adresse de leur tir, par l’habileté avec laquelle ils menaient leurs chevaux ; mais le prince les surpassait tous. Ses flèches allaient au ciel se planter dans les étoiles, et les faisaient tomber sur sa poitrine où elles venaient former une brillante parure. La plupart de ces étoiles s’éteignaient après quelques minutes. Mais il y en avait une qui étincelait au milieu de sa poitrine, et qui s’y enfonçait,
Bella, à genoux auprès du berceau, regardait pendant des heures cette ruse de son petit homme. En le voyant tromper ainsi les autres, elle lui trouvait une grande supériorité, et, en remarquant comme il savait éviter leurs griffes, elle admirait sa prévoyance et sa prudence. Mais ce qui lui plaisait le plus dans cet être, c’était les yeux qu’il avait à la nuque. Il la comprenait déjà lorsqu’elle lui faisait signe du regard, qu’un des petits chats était tombé de sa place, car aussitôt il s’y mettait jusqu’à ce que l’autre fût revenu.
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Bella fut très affligée de le voir mettre des lunettes ; en effet, qu’y a-t-il de plus familier, de plus intime chez l’homme que les yeux ? Aussi est-ce un bien grand malheur quand la faiblesse de la nature nous oblige à interposer ces morceaux de verre entra nous et ceux que nous aimons. Bella se trouvait donc très inquiète de la conduite de son petit bien-aimé, lui qu’elle aurait volontiers divinisé dans le premier enthousiasme de sa création. Elle vit bien que le seul moyen de maîtriser la mandragore serait d’en parler à Braka. Elle y réfléchissait profondément, lorsque le petit homme lui cria du haut de la corniche où il était perché :
Bella fut très effrayée, comme une coupable convaincue de son crime ; cette propriété de tout savoir, que possédait le petit homme, grâce à ses yeux de derrière, l’affermit dans sa résolution de se débarrasser de ce terrible diablotin.
À ces mots, il descendit, se plaça sur son sein, et l’embrassa avec tant de feu, qu’il lui écorcha presque la peau avec sa barbe de millet ; malgré cela, Bella sentit dans son âme un mouvement extraordinaire. Elle ne le comprenait pas, et ne cherchait pas à se l’expliquer ; mais dans ce moment le petit lui était devenu plus cher que jamais.
Au bout de huit jours, l’enfant avait accompli sa croissance ; il était haut d’environ trois pieds et demi, Braka avait déjà soupçonné son existence ; lui, de son côté, n’ayant pas envie de se voir enfermer toutes les fois qu’elle viendrait, résolut de se montrer à Braka. Il découvrit une vieille robe brodée d’argent qui avait appartenu à la mère de Bella, et que celle-ci lui ajusta du mieux
Bella lui dit que c’était sa cousine, une très riche demoiselle qui allait vivre avec elle, et qui avait l’intention de faire un cadeau à Braka. La vieille se mit en devoir de faire un compliment et prit la main de la cousine pour la baiser, mais en sentant une main rude et âpre comme une racine, elle hésita à y appuyer ses lèvres ; cela humilia le petit homme, qui lui lança un violent soufflet. La vieille, furieuse, se mit à vomir contre lui, les poings sur les hanches, les plus violentes injures ; si bien que Bella ne put l’apaiser qu’en lui faisant craindre d’éveiller l’attention des voisins et de faire découvrir leur retraite.
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Cependant le petit homme ne s’était pas intimidé des injures de la vieille ; il se mit à sauter autour d’elle et à la poursuivre en lui donnant des coups de pied ; mais en faisant tous ces mouvements son voile tomba, et la vieille l’ayant reconnu pour ce qu’il était, vint lui faire des excuses en tremblant. Lorsqu’il lui eut donné la paix, elle s’assit, toute brisée, sur une chaise.
Le nouveau sire de Cornélius fut très fâché de cela, et il supplia instamment qu’on ne le donnât pas aux cochons ; puis il demanda la description de cet animal.
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Il y a chez les enfants chétifs une intelligence et une pénétration souvent extraordinaires. Comme s’il avait déjà vécu une fois, la connaissance des choses humaines lui revint tout à coup. Indifférent à tous les tableaux que Braka lui avait faits de la vie délicieuse des boulangers et des sommeliers, rien ne le séduisait autant qu’un bâton de maréchal ; vêtu d’un brillant costume, comme celui du maréchal dont le portrait était au château, galoper à la tête de milliers de cavaliers et recevoir leurs hommages, voilà ce qu’il voulait. Aussi, ordonna-t-il que, dans la maison, on ne l’appelât jamais autrement que le maréchal Cornélius.
La vieille se mit aussitôt à gratter avec ses ongles la pierre qu’il avait indiquée ; puis, comme cela n’allait pas assez vite, elle prit une barre de fer qui fermait la porte, et se mit au travail ; par bonheur, le trésor était immédiatement derrière cette pierre ; au reste, tous les coups de pied du maréchal ne l’auraient pas empêchée de traverser le mur tout entier.
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Aussi, sans se troubler des morsures et des égratignures du petit, elle amena bientôt une grosse cassette remplie de beaux écus d’or et d’argent. Elle s’assit dessus, puis tint ce discours solennel :
Si Cornélius avait regardé la vieille, il aurait bien vu qu’elle se moquait de lui, mais il ne l’avait qu’entendue, et depuis qu’il vivait, rien ne lui avait fait plus de plaisir que ce qu’elle venait de dire ; aussi il lui sauta au cou, et l’embrassa si fort que Bella, jalouse, le saisit et le mordit au lieu de l’embrasser à son tour.
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Comme le petit n’entendait pas qu’on le traitât ainsi, il allait commencer une querelle, mais la vieille reprit la délibération qu’elle avait entamée.
Braka commença donc.
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Le lansquenet accepta tout, et dit au génie :
Là-dessus, il endossa sa peau d’ours, et le génie le conduisit à travers les airs, dans un château isolé, situé au milieu de la mer, où il commença son service. Le lansquenet resta six ans et demi dans sa peau d’ours. C’est de là qu’il prit le nom de Peau-d’Ours ; sa barbe et ses cheveux avaient tellement poussé, et s’étaient tellement enchevêtrés, qu’il n’avait plus guère
À ces mots, Bella regarda avec effroi le petit, qui passait avec satisfaction les doigts dans ses cheveux, bien convaincu de sa supériorité sur le malpropre lansquenet.
Le lansquenet était très content de retourner chez les hommes dont il avait presque oublié la langue. Il se fit transporter par le génie en Allemagne, dans le pays des Grisons, parce que c’était de son temps le pays le plus crasseux de la terre. Malgré cela, aucun hôtelier ne voulut le recevoir ; il finit par en décider un, en lui jetant à la tête une poignée de doublons et de piastres ; l’hôtelier l’installa et le fit servir dans sa plus belle chambre, pour qu’il n’effrayât pas les habitués de son auberge.
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L’hôtelier lui raconta tout ce qu’il savait sur l’artiste, et fut obligé de l’amener. Le pape le complimenta, et lui demanda qui il était ; le lansquenet lui répondit qu’il s’appelait Peau-d’Ours. Puis il lui demanda si c’était bien lui qui avait fait ces superbes peintures.
Le pape lui donna alors les plus grands éloges, et le proclama le plus grand peintre de la terre ; il lui dit qu’il avait trois filles naturelles qu’il aimait beaucoup ; l’aînée s’appelait Passé, la seconde Présent, la troisième Avenir.
Le lansquenet accepta tout, comptant sur son génie.
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Le pape continua.
Peau-d’Ours accepta tout, et s’en vint à Rome dans le carrosse du pape. Dès le soir, le pape lui montra sa fille Avenir qui était très belle, mais qui avait les cheveux de couleurs différentes ; Peau-d’Ours en tomba aussitôt amoureux. Mais la pauvre fille tremblait en le regardant.
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Lorsqu’elle fut partie, il appela son génie, qui vint avec une palette et un pinceau, et fit aussitôt le portrait des deux sœurs aînées. Lorsque Peau-d’Ours vit le portrait de Présent, il ne pensa plus à la cadette, et se plaignit amèrement de ne pouvoir la voir. Le génie le consola et lui dit :
En même temps, le génie peignit Passé, et elle ne plut pas au lansquenet, qui demanda au génie de faire le portrait de Passé, telle qu’elle était maintenant. Le génie essuya alors les pinceaux sur le mur, et lui répondit :
Là-dessus il disparut.
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Dans la nuit le génie, portant le corps des deux sœurs entre ses bras, apparut pour la dernière fois chez le lansquenet, et lui dit :
Et le petit s’apprêtait à se retourner pour lire dans la pensée de Braka au moyen de ses yeux de derrière, lorsque tout à coup il poussa un cri effroyable, et, sautant sous la table, alla se réfugier dans la robe rapiécée de la vieille.
Elle n’avait pas plus tôt dirigé sa vue du côté où Cornélius avait regardé, qu’elle sauta en criant sur la cassette ; Bella se cacha la tête dans ses mains, sans oser lever les yeux.
Peau-d’Ours disparut ; cependant il se passa encore quelque temps avant que Bella et la vieille osassent lever la tête. Le petit Cornélius se mit à se moquer d’elles : depuis cette apparition, elles ne pouvaient se défendre d’avoir un certain respect pour lui.
Lorsque le petit se fut éloigné, Braka récapitula tout ce qui était nécessaire pour le voyage, qui fut irrévocablement fixé pour la nuit prochaine. Le lendemain au soir, Bella vint encore une fois dans le petit jardin. Il lui sembla que chaque branche avait une âme. Elle se souvint de la nuit où elle avait vu l’archiduc ; mais quant à lui-même, elle l’avait complètement oublié : elle ne se rappelait même plus comment il lui était apparu, et du reste elle n’y attachait aucune importance. Elle était contente d’entrer dans le monde, mais elle avait peur de tous ces yeux qui allaient s’attacher sur elle, et la crainte de les trouver méchants mêlait de l’amertume à sa joie. Elle rougissait d’elle-même, d’avoir connu son père ; et toute la reconnaissance qu’elle devait à Braka, toute la joie qu’elle éprouvait des progrès de son heureux et hardi petit homme-racine ne pouvaient étouffer cette honte. La noblesse de sa race égyptienne coulait dans ses veines, elle regardait intimement les étoiles ses aïeules, et à travers le froid du mois d’octobre, elle sentait la chaude brise de son pays, alors que le Nil rentre dans son lit et que tout se remet au travail ; mais elle connaissait aussi le crime du peuple dont elle faisait partie ; ce peuple qui n’avait pas voulu donner un abri à la sainte mère de Dieu lorsqu’elle se réfugia dans ce puissant royaume avec son Fils le Sauveur.
Elle leva les yeux, et vit la lune entourée d’un cercle
Braka la retint et lui dit :
Elle poussa dans la maison Bella, qui, toute troublée de ce qu’elle venait d’entendre et de ce que la vieille lui promettait de lui dire encore, se consola bien vite de la perte de ses poupées et de son livre, et prit à peine attention à Peau-d’Ours qui, vêtu de sa livrée sombre et avec Cornélius sur son dos, ressemblait à un. ours portant un singe comme on en voit dans les foires.
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La vieille ouvrit la marche, Bella la suivit, Peau-d’Ours sortit le dernier et ferma la porte ; ils s’avançaient en silence ; de temps en temps la vieille murmurait en cherchant la route qui avait disparu sous la neige. Du côté de la montagne funèbre, ils crurent voir comme un grand mouvement ; mais ils ne s’en occupèrent pas, et ils aperçurent enfin dans un enfoncement le village de Buick, où Braka reconnut la lumière qui brillait chez sa vieille camarade de vol, la Nietken.
Ils arrivèrent sans bruit à la porte d’un jardin, où Braka s’annonça en poussant le cri de la caille ; une petite fille vint ouvrir et les conduisit dans une cave ; après la cave, ils montèrent un escalier et se trouvèrent dans un galetas éclairé par la lumière de la chambre voisine. Braka entra bravement dans la chambre éclairée, où ils trouvèrent une grosse vieille femme, qui, avec sa belle robe de soie verte, ressemblait à un
La mère Nietken, car c’était elle, leva un instant la tête, puis se remit à égrener son chapelet avec un redoublement d’activité. Peau-d’Ours, qui était en humeur de dévotion, se mit aussi à genoux, et Bella, qui savait de belles prières, en fit autant. Quant à Braka, qui connaissait toutes les serrures et tous les êtres de la maison, elle prit un grand pot plein de bière dans une armoire et se mit à boire pour les autres.
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Pendant ce temps, Cornélius examinait tout ce qui se trouvait dans la chambre ; c’était un fouillis de vieux galons, de chiffons, d’ustensiles de cuisine, qu’il ne pouvait se rassasier d’admirer ; tout cela était nouveau pour lui, mais il savait bien vite deviner l’usage de chaque objet. La mère Nietken, qui était une revendeuse, et dont les relations étaient très étendues, réunissait dans son taudis les plus curieuses vieilleries en tout genre ; dans cette maison, rien n’avait été fait pour l’emploi qu’il remplissait. Elle avait fait un choix de tout ce qui pouvait lui convenir pour son usage, et il en était résulté l’ameublement le plus bizarre, mélange de la mode de chaque siècle et de chaque pays. Les chaises, par exemple, représentaient des nègres en bois, tenant au-dessus d’eux un parasol bariolé ; elles venaient du jardin d’un riche marchand de Gand, qui avait fait de grandes affaires en Afrique. Au milieu de la chambre était suspendue une couronne de cuivre qui avait autrefois orné la synagogue juive, et dans laquelle brûlait maintenant un cierge en l’honneur de la Sainte-Vierge. L’autel était formé par une table de jeu réformée, toute déchirée par le frottement des bourses de cuir, et sur laquelle était placée une salière en guise de bénitier.
Les murailles étaient garnies de vieilles tapisseries représentant des tournois, et
La mère Nietken, par son commerce qui comprenait souvent le recel, était la providence de tous les filous des environs ; c’était une amie intime de Braka, et elle pouvait lui tenir tête en bavardage. Lorsqu’elle eut fini son dernier Ave, elle se leva avec une vivacité étonnante pour un si gros corps, et alla se placer, les bras croisés, devant Braka.
Et elle se mit à danser à l’étonnement de tous, sur ses jambes qui tremblaient sous elle, jusqu’à ce qu’elle tombât au milieu des éclats de rire des assistants ; elle se releva en jurant
Après avoir bu son vin, elle regarda, pour la première fois, les nouveaux arrivants ; lorsqu’elle aperçut Bella, elle dit à Braka :
Braka lui imposa silence, en lui disant que c’était sa maîtresse.
Peau-d’Ours, sans lui répondre, lui donna un violent soufflet, qui la dégrisa complètement : elle demanda enfin ce qu’on désirait. Braka lui expliqua qu’il leur fallait de beaux vêtements, et qu’ils voulaient le lendemain matin prendre son meilleur carrosse pour aller à Gand, où ils loueraient un bel hôtel.
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La mère Nietken voyant qu’il y avait quelque chose à gagner dans cette affaire, alla réveiller aussitôt son monde et parcourut toute la maison pour chercher ce qu’il y avait de plus beau. Elle revint les bras chargés de vêtements de tous genres ; ils firent leur choix et en remplirent deux coffres ; pour le linge, il était moins abondant, car les Hollandais vendent bien leurs habits, mais ils gardent leur linge jusqu’à la dernière extrémité. Ensuite on s’occupa de la toilette ; la mère Nietken alla chercher un brasier et des fers pour les friser à la dernière mode. Bella eut beau lui montrer que ses cheveux frisaient naturellement, ce n’était pas assez bien au goût de la vieille, et la pauvre enfant se crut entre les griffes du diable, lorsqu’elle sentit ses cheveux grésiller sous l’action du fer chaud.
Les cheveux de derrière de Bella, quoique récemment coupés, étaient assez longs pour la mode du jour. L’air noble de la jeune fille inspirait un certain respect à la mère Nietken ; Braka elle-même, lorsqu’elle fut lavée et frisée, avait pris une mine pleine de dignité et elle avait l’air d’une vénérable gouvernante ; car, au premier coup
Quant au feld-maréchal, la mère Nietken n’en pouvait pas faire grand-chose ; elle avait beau lui arranger, lui tailler, lui peigner son épaisse chevelure, il n’en gardait pas moins son visage comprimé, ses épaules courbées, et sa voix étouffée.
Et il se mit à réfléchir à cette possibilité de pouvoir gagner ainsi de l’argent, très reconnaissant du moyen que la mère Nietken venait de lui indiquer.
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Ils marchaient déjà depuis une demi-heure, lorsque Cornélius poussa un grand éclat de rire.
Braka se mit à l’ouvrage, détacha le revers, et trouva un riche collier de diamants. Elle porta la main à ses cheveux, par une ancienne habitude, ce qui détruisit
En même temps elle fit mine de le mettre sur son cou jaune et ridé ; mais Cornélius voulut que ce fût Bella qui le portât, et ils allaient se disputer, si le voisinage de la ville n’avait détourné l’attention de la vieille.
Mais Cornélius et Bella étaient occupés à regarder de beaux cavaliers qui faisaient caracoler leurs chevaux, et des bouchers qui tuaient des moutons dans un abattoir ; une charrette plaine de veaux liés ensemble et poussant des gémissements plaintifs effraya Bella, non moins que le bruit qui se faisait dans une auberge du faubourg où, malgré l’heure peu avancée, on se querellait et on se battait déjà.
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Enfin ils arrivèrent à la porte de la ville. Un bourgeois sortit avec sa hallebarde et leur demanda d’où ils venaient.
Les deux premiers mois furent consacrés à apprendre les belles manières ; on eut des maîtres et des maîtresses de toute sorte. Quand la vénérable Braka faisait quelques fautes, elle disait que cela venait du pays d’Hadeln, où les manières de la noblesse n’étaient pas encore bien formées. Bella acquit bientôt dans toute sa personne l’air de la meilleure compagnie ; elle parlait l’espagnol avec facilité. Quelqu’enfermée qu’elle se tint, elle n’en était pas moins le sujet des conversations de tous les jeunes gens qui, chaque jour, venaient à cheval devant sa maison pour la voir et pour attirer son attention. Cornélius n’allait pas très bien à sa nouvelle position ; les vêtements étaient étroits et le gênaient extrêmement ; l’escrime le fatiguait jusqu’à le faire évanouir. Au manège, malgré ses grimaces furieuses, il ne pouvait empêcher qu’on rît de lui, à cause de sa taille ; et, par sa perpétuelle agitation, il effrayait les chevaux les plus doux, qui ne manquaient jamais de le jeter par terre, ce qui, du reste, ne le rebutait pas, car il remontait aussitôt. La chose se répétait souvent dix fois dans une heure, et un autre homme n’aurait pas pu supporter ces secousses. Il était plus heureux dans ses autres travaux. Il surpassait souvent en éloquence son maître de rhétorique et le mettait en fureur par ses plaisanteries. Il pouvait parler à chacun dans sa langue, car il les savait toutes, sans en employer une de préférence à l’autre. Grâce à ses yeux scrutateurs qui lui permettaient de pénétrer dans la pensée, il connaissait une foule de gens qui le protégeaient, et étaient au mieux avec lui. Toutes les nouvelles, tous les bruits de la ville lui arrivaient tout frais ; il les amplifiait, les entremêlait de nouveaux incidents, et, ainsi arrangés, les remettait en circulation. Il fit tant, qu’on parla de lui à l’archiduc. L’archiduc venait de recevoir la nouvelle qu’à cause d’une lettre où il avait omis d’énumérer tous ses titres, son grand-père Ferdinand l’avait déshérité. Et il rentrait chez lui, furieux de n’avoir tué à la chasse qu’une chevrette pleine qu’il avait prise pour un chevreuil. Le petit Cornélius avait trouvé du rapport entre ces deux aventures, et dit à un page que l’archiduc n’attrapait pas mieux les chevreuils que l’héritage de son grand-père.
On rapporta ces paroles à l’archiduc, et comme il était très bon, il dit au page de faire venir le plaisant à son dîner. Le petit Cornélius, très ému intérieurement, n’entra qu’avec un air plus impudent et plus arrogant chez l’archiduc. Charles était jeune, et sa bonté fit taire l’impression de ridicule produite par l’entrée de ce petit drôle. Charles l’interrogea sur son pays. Le petit répondit en faisant le portrait le plus risible des paysans d’Hadeln, et tout le monde aurait juré qu’il disait la vérité. On lui donna beaucoup de morceaux de sucre pour le récompenser ; cela le mit en train. Il commença par se vanter du duel que, pour défendre
Après avoir célébré cet exploit, il vanta ses richesses et sa famille. Sa tante Braka était une noble dame, pleine d’expérience, de cœur, de bonté, de tendresse et de grandes manières, comme Gand n’en avait jamais vue. Dans la description qu’il en fit, il mit Bella bien au-dessus d’Hélène ; puis il se mit à raconter une foule d’histoires pour prouver
L’archiduc en ressentit presque un mouvement de jalousie ; mais comme il savait dissimuler, il essaya en le plaisantant de le décider à paraître une fois en public avec sa fiancée ; il lui indiqua même comme un jour convenable la kermesse de Buick, qui était fréquentée par les Gantois les plus distingués. Cornélius donna dans le piège et choisit pour rendez-vous la maison de la Nietken. Après s’être promis d’être exacts, ils se séparèrent.
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Cet incident acheva de faire croire à Cornélius qu’il était amoureux de Bella ; et il prit pour de l’amour la tendresse pour ainsi dire maternelle qu’elle lui avait montrée jusqu’alors ; il était tellement sûr de cet amour, qu’il ne se donna même pas la peine de regarder avec ses yeux scrutateurs quelle était sa pensée. S’il l’eût fait, il aurait vu que ce n’était pas seulement les yeux de Bella qui cherchaient les doux rayons du soleil de mai, et que son cœur commençait aussi à se tourner vers le soleil de l’amour. Il ne connaissait pas cette puissance du printemps qui vient murmurer à chaque fenêtre :
Elle aussi, avait entendu la voix du printemps ; elle quittait sans cesse son travail pour aller à la fenêtre, et voilà pourquoi il s’était opéré en elle depuis deux jours un changement tout naturel. Elle profitait de
Lorsque Braka eut entendu tout cela, elle battit des mains.
Bella, impatiente qu’elle était de voir l’archiduc, accepta tout. Il fallait d’abord se montrer tendre avec le petit ; le lendemain elle en trouva l’occasion. Lorsqu’il revint de chez l’archiduc, il lui parla pour la première fois du projet qu’il avait fait de l’épouser à Gand, et de s’y fixer avec elle. Braka, qui était présente, lui demanda malicieusement où il en était de ses exploits guerriers, et s’il allait bientôt être nommé général ou caporal.
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Adrien pensait au livre de Pierre Lombard, que Cenrio lui avait dit avoir vu chez une voleuse ; Cenrio réfléchissait à la faveur dont il jouirait lorsque l’archiduc hériterait du trône.
Ils arrivèrent enfin à la maison de la Nietken, et, bien que Cenrio
La vieille faillit tomber d’étonnement et de respect, et baisa humblement l’extrémité de l’écharpe de l’archiduc ; puis elle courut annoncer à madame de Braka que l’archiduc était venu et qu’il fallait lui céder deux chambres.
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Pendant ce temps le petit était allé sur la place au milieu du village, pour attendre le passage de l’archiduc, dont il comptait être remarqué. Aussi apprit-il à grand regret qu’il ne viendrait pas, ainsi que le lui annoncèrent des pages qui, arrêtés devant la maison de ville, dont l’architecture somptueuse faisait voir que le lieu avait eu autrefois de l’importance, écoutaient les discours que les conseillers adressaient au peuple à l’occasion du passage du prince.
Il allait retourner à la maison pour annoncer à ses femmes qu’il était inutile d’attendre le cortège, lorsque deux amis de Cenrio qui le connaissaient aussi vinrent à sa rencontre, en lui demandant pourquoi il n’avait pas sollicité auprès du prince une place dans la compagnie qu’on venait de former, lui, si intime avec l’archiduc, et qui avait tant d’influence sur lui. Le petit, tout fier et tout joyeux de ces paroles qui flattaient sa pensée favorite, entama une conversation avec eux ; et comme ils lui offrirent de prendre avec eux un verre de vin à l’auberge voisine, il envoya le fidèle Peau-
Le temps passa vite pour le petit, car, outre les flatteries de ses nouveaux amis et le vin qu’ils lui versaient, il était étourdi par l’ivresse de cette foule qui, venue avec l’intention de s’amuser pendant ces trois jours, ne voulait pas interrompre un moment cette occupation. C’était dans cette auberge un entassement énorme de pains, de viandes, de gâteaux, apportés par les convives ou préparés par l’hôtelier ; ils mangeaient comme l’on mange lorsqu’on se décarême, et plus d’un se serait étouffé s’ils n’avaient pris soin de s’humecter fréquemment de vin et de bière pour ramener les aliments à leur place.
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Souvent, les jours de fêtes publiques, ces mendiants quittaient leurs haillons, et, endossant des oripeaux fastueux, donnaient la comédie et imploraient la générosité du public. C’est ce qui était arrivé à Buick. Quelques planches installées sur des tonneaux formaient le théâtre ; un pitre était sur le devant, armé d’un long boudin rembourré en guise de fouet, pour frapper les enfants qui essayaient de se glisser dans le théâtre. Une marotte à la main, un bonnet d’âne sur la tête, il débitait des extravagances en s’entretenant avec les assistants.
Le petit était ravi de ce spectacle. Il venait d’entendre raconter l’histoire de l’homme que sa femme a changé en chien, et qui fait de vains efforts pour démontrer qu’il est bien un homme comme les autres. Cette histoire l’intéressait tant, qu’il s’approcha trop près du théâtre, et que le pitre lui envoya un coup de son boudin sur le dos. Notre petit, se croyant insulté devant une foule aussi nombreuse, tira son épée et fondit sur le pitre qui, avec son arme, se défendit de la manière la plus risible ; tout le monde criait de joie. Beaucoup de gens, croyant que ce combat entre ce grand et ce petit homme était une plaisanterie comprise dans le programme, les applaudissaient tous deux ; les enfants grimpaient sur les épaules des grands, d’autres montaient sur les tables de l’auberge, s’accrochaient aux barreaux de la maison de ville ou se perchaient dans les arbres pour voir le combat. Les deux seigneurs regardèrent pendant quelque temps en riant le combat de leur protégé ; mais voyant qu’il venait de toucher au mollet le pauvre pitre, et craignant pour lui quelque mauvaise affaire, car les assistants commençaient à s’inquiéter de cette interruption, et un paysan parlait de lui couper le nez et les oreilles, ils jugèrent prudent de l’éloigner, et, le cachant sous leur manteau, malgré sa résistance, ils le portèrent dans la première maison passable qu’ils trouvèrent. Le hasard voulut que ce fut la maison de la bonne femme Nietken, qui avait loué deux chambres à deux filles de la ville ; la porte avait été laissée ouverte, afin que les hommes pussent s’y glisser sans être remarqués. Les deux filles étaient très contentes de la venue des deux seigneurs et du nain, comme elles l’appelèrent
Nous ne détaillerons pas la querelle qu’il eut avec elles ; le fait est que, grâce à la malice des seigneurs, à l’impudence des filles et à la vanité du petit, il se fit un tel vacarme que Cornélius voulut sortir ; mais il trouva la porte gardée par le pitre et par le paysan qui voulait lui couper les
L’archiduc à peine entré dans sa chambre, écouta à toutes les portes et s’assura que les deux femmes étaient dans une chambre contiguë à la sienne. Il demanda à Cenrio un instrument quelconque pour faire un trou ; Cenrio chercha de tous cotés et finit par trouver un foret qu’un tonnelier avait laissé la veille dans la cour où il avait mis un muid en perce. Le prince perça tout doucement la porte, jusqu’à ce
Cenrio était stupéfait.
En effet, Bella était indisposée ; les préparatifs du voyage, une nuit sans sommeil, la chaleur du jour, l’avaient extrêmement fatiguée, et la mère Nietken était venue aussitôt indiquer à Cenrio le plan qu’il proposait au prince.
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Les deux amants étaient seuls, tout pouvait s’expliquer et s’éclaircir promptement et facilement ; mais l’archiduc qui n’avait pas l’habitude de parler aussi intimement aux jeunes filles, ne sut dire que :
Bella lui tendit son bras blanc et potelé. Il lui prit le bout du doigt, qu’il tint longtemps entre ses mains ; il voulait lui dire quelque chose, lui parler de l’apparition dans la maison de campagne, mais il ne prononça que ces mots :
Puis, et c’est là ce qu’il fit de plus hardi, il lui passa un anneau au doigt qu’il tenait dans sa main. Sa silencieuse jouissance fut interrompue en ce moment par la bruyante arrivée du petit, qui s’était égayé chez les filles, et, ayant échappé à la surveillance des deux seigneurs, était entré dans la chambre de Bella en parlant de son régiment, de ses soldats, et d’autres choses extravagantes. Heureusement il ne reconnut pas sa fiancée qui était couchée sur le sofa. L’archiduc, qui avait repris toute son assurance, le pria de ne point faire de bruit dans une chambre de malade ; puis, prenant un air solennel, il lui dit que son aspect dénotait qu’il n’avait plus longtemps à vivre.
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Lorsqu’elle vit les deux amants interdits et troublés l’un devant l’antre, elle sentit malgré elle renaître les espérances qu’elle avait faites pour leur avenir, mais cela ne satisfaisait pas encore les projets qu’elle avait rêvés pour son peuple.
L’archiduc était de nouveau seul avec Bella ; il s’était enhardi, mais elle était inquiète sur le sort de Cornélius, et le laissa voir sur sa physionomie, ce que l’archiduc remarqua avec un sentiment de jalousie. Il lui demanda, avec une certaine ironie, si c’était bien là son fiancé. Sans lui répondre, elle lui fit signe de quitter son habit et son rôle de médecin, de se montrer dans son vrai costume d’archiduc. En le voyant ainsi, elle ne put cacher son admiration. Ils ne s’étaient pas encore parlé et ils savaient déjà qu’ils
Ces mots amenèrent une déclaration qui soulagea
Sa voix se couvrit de sanglots.
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Braka prit un air effrayé et compatissant ; Bella ne put s’empêcher de le plaindre en le voyant si pâle.
Pendant que Peau-d’Ours le déshabillait et le mettait sur le sofa, bien enveloppé de couvertures, Braka lui faisait avaler de temps en temps une tasse de tisane de fenouil, comme on en donne aux petits enfants. Bientôt il fut soulevé par
À ces mots, le petit sauta du lit tel qu’il était ; mais il ne put se soutenir, et fut obligé de s’aller appuyer contre un baquet.
Peau-d’Ours le roula de nouveau dans ses draps, mais le petit pleurait, et demandait en gémissant le médecin qu’il venait de voir. Braka lui assura enfin qu’elle allait le chercher ; elle courut prier la Nietken de décider le prince à paraître encore une fois en médecin. Mais lorsque la vieille Nietken se présenta devant
Cet aveu changea toutes les idées du prince. Tout à l’heure il croyait être tombé dans les filets d’une coureuse, maintenant il supposait que cette fille devait être une princesse française dont il pourrait demander et obtenir la main à la cour de France, malgré la volonté de son grand-père. On voit par cette idée que les talents politiques qu’il déploya plus tard ne s’étaient pas encore prononcés dans sa jeunesse, qu’il passait dans des exercices corporels ; car il croyait possible une chose dont tout autre aurait fort douté. Cenrio et Adrien lui conseillèrent d’écouter la vieille Nietken qui le priait en tremblant, de reparaître en médecin.
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Remarquons qu’il n’osait pas se servir de ses yeux de derrière devant le monde, habitude qu’il avait prise en fréquentant la bonne société, autrement il aurait bien vu qu’on l’avait trompé. Enfin il lui dit que tout son bonheur était anéanti, s’il ne le rétablissait pas bien promptement, parce que l’archiduc était dans la chambre voisine, venu tout exprès pour le voir, et très probablement pour lui donner une place dans la nouvelle compagnie.
L’archiduc l’écoutait patiemment, en pensant à cette princesse étrangère à laquelle il ne comprenait rien ; il finit par se croire un prince enchanté par une vieille, fée, comme on en voyait alors dans les romans espagnols. Cette idée, corroborée par l’apparition dans la maison de campagne, inspira au prince un certain effroi qui l’aurait inévitablement trahi, si le petit avait osé se servir de ses yeux scrutateurs. Enfin, le duc lui dit que le moyen employé par la vénérable dame était excellent ; qu’il fallait se laisser couvrir et envelopper de couvertures afin de chasser, par une abondante transpiration, le germe de la maladie. Malgré les réclamations du petit, qui prétendait être brûlant comme un poêle, la vieille lui entassa couverture sur couverture, l’y enveloppa jusque par-dessus la tête, et, sous le prétexte de préparer quelque chose pour le malade, elle sortit avec Peau-d’Ours.
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L’archiduc était encore une fois seul avec Bella ; ils évitèrent de parler du petit ; Bella était encore très confuse, lorsque le prince se jeta à ses genoux en lui disant :
Bella, qui ne connaissait rien à la politique de l’Europe, sinon que le prince son père n’y avait jamais été respecté, mais toujours poursuivi et proscrit, crut que l’archiduc avait découvert sa naissance, et voulait l’épouser. Elle se plaça devant lui les yeux baissés, puis le regarda et lui dit d’une voix tremblante, qu’elle l’avait trompé une fois, que ç’avait été la première, et que ce serait la dernière ; qu’elle avouait sa naissance, qu’elle avouait l’amour depuis longtemps allumé en elle par le prince et que sa présence venait de raviver.
Elle inclina la tête en rougissant, et l’archiduc allait toucher le bord de ses lèvres lorsque le petit, se remuant sous ses couvertures, cria en se plaignant de douleurs d’estomac et en jurant qu’on allait
L’archiduc sortit. Le petit, dont l’ivresse était entièrement dissipée et qui voyait clair maintenant, était étendu sur le lit avec la béatitude d’un individu qu’on vient de sauver de la mort, et qui tient beaucoup à la vie ; il prit la main de Bella, la serra, et lui dit que l’idée de mourir lui avait été très douloureuse, surtout parce qu’il l’aurait laissée seule. Il paraissait si doux et si affectueux, que la tendresse maternelle de Bella lui ôta le courage de lui confier son nouvel amour et son bonheur récent. Mais, tandis qu’il l’embrassait, comme il avait coutume, l’archiduc les épiait par le trou de la porte, furieux de se voir trompé une seconde fois, et de s’être laissé prendre par Bella avec une crédulité d’enfant.
Le petit essaya de se mettre sur ses jambes, il pouvait se tenir et marcher. Il remit ses vêtements en ordre et dit à Bella de s’apprêter parce qu’il allait lui amener l’archiduc, et lui recommanda,
Bella ne répondit pas.
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Le petit, plein de ses idées guerrières, avait oublié sa maladie et ses excès de vin, il parcourait la chambre d’un air important, et mit Braka à la porte lorsqu’elle revint avec son eau chaude. Ainsi sont faits la plupart des petits hommes ; ils ont le cœur si près de la tête, que lorsque le cœur se met à bouillir, il déborde dans le cerveau. Notre petit Cornélius ne pouvait plus se tenir en place ; enfin il se décida à aller faire sa cour au prince, et alla le trouver dans sa chambre, au moment même où il brûlait de jalousie. Aussi à peine eut-il exposé l’objet de sa demande, que l’archiduc l’accabla d’injures, l’appelant petite mandragore, faussaire et sale racine ; Cornéllus, profondément étonné de cet accueil et ne sachant où le prince avait appris tout cela, s’enfuit en lui criant :
Rentré dans la chambre, il ne dit mot de la réception qu’il venait d’essuyer ; mais Braka vit bien à sa physionomie qu’il était découragé. Il leur dit seulement qu’il n’avait pas trouvé l’archiduc, et qu’il désirait s’en aller bientôt de ce lieu, où il courait à tout moment le danger d’être attaqué de la peste ; en même temps il demanda si le docteur n’avait pas apporté quelque chose.
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À peine le petit eut-il avalé les élixirs, que tout son courage lui revint. Il était furieux de ne pas avoir répondu vertement aux injures de l’archiduc ; et il était si en colère que, dans l’intention de se venger sur le prince ou sur quelqu’un des siens, il se décida à rester un jour de plus.
Le moment le plus bruyant de la fête était arrivé. On venait de commencer les courses à cheval nu : le cavalier, pour gagner le prix, doit couper avec son sabre une corde à laquelle est attachée une oie. On était assourdi par le hennissement des chevaux et les rires qui éclataient lorsqu’un des cavaliers tombait par terre. Aussi Cornélius y mena-t-il ces dames. Emporté par sa vivacité, il fut bientôt séparé d’elles, et Braka put écouter un peu ce que sa pupille avait à lui dire. Bella lui raconta que l’archiduc voulait l’épouser ; Braka se récria, disant que cela avait son mauvais côté, et qu’il ne fallait pas s’engager là-dedans ;
Dans une baraque de lanterne magique, il avait retrouvé un savant, juif polonais qui l’avait beaucoup amusé autrefois par son talent à faire les golems. Les golems sont des figures d’argile, pétries à la ressemblance d’un individu. On leur écrit sur le front le mot AEMAETH, c’est-à-dire vérité, qui leur donne la vie ; ils pourraient être employés à toute sorte d’occupation s’ils ne grandissaient avec une telle rapidité qu’ils deviennent bientôt plus forts et plus grands que leur maître. Mais tant qu’on peut atteindre leur front, il est facile de s’en débarrasser ; il suffit pour cela d’effacer la première syllabe, AE, de ne laisser que MAETH, qui veut dire mort ; aussitôt ils tombent comme un bloc d’argile brisé.
On fit venir le vieux juif, et l’archiduc lui demanda une figure de ce genre représentant Bella, lui promettant de le payer princièrement. Le juif l’avertit qu’il ne fallait pas s’oublier avec ces figures, et que, dans son pays, elles avaient occasionné beaucoup d’accidents. Son cousin, entre autres, avait un golem qu’il employait pour son service journalier ; mais peu à peu il devint si grand, qu’on ne put plus atteindre le front pour effacer l’AE. Il eut alors recours à l’expédient suivant : il lui ordonna de lui retirer ses bottes ; pour exécuter cet ordre, le golem se baissa, et le cousin profita de cette position pour lui effacer
L’archiduc lui jura qu’un tel accident ne lui arriverait pas, et qu’il n’avait qu’à s’occuper de faire l’image de Bella exactement ressemblante. Le juif demanda seulement qu’on trouvât moyen de faire passer l’image de Bella dans un miroir enchanté qui en garderait l’empreinte.
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Chacun courut à son poste. Cenrio trouva le petit aux courses ; il lui dit à l’oreille de ne pas prendre à cœur la colère du prince, à qui de mauvaises langues avaient méchamment raconté son aventure avec les comédiens ; il lui conseilla de tâcher de détruire cette mauvaise impression, en soutenant au prince qu’il n’y avait pas eu de sa faute, et qu’il avait été dans ce moment-là mordu par un chien enragé. Le petit, tout joyeux, le pria de rester avec lui, et lui présenta sa fiancée. Cenrio lui dit mainte galanterie, et lui conseilla de ne pas se retirer sans entrer auparavant à la lanterne magique, où l’on voyait en petit toutes les villes et tous les peuples du monde.
Ils entrèrent ; Bella regarda la première, malgré la mauvaise humeur du petit, qui se trouvait assez vexé d’être obligé à cette politesse ; elle était émerveillée de toutes ces magnificences, et aurait volontiers fait recommencer toute la série des points de vue, si le petit, impatient de regarder à son tour, ne l’avait détachée de la lorgnette. Ce qu’il voyait le mettait tout hors de lui ; chaque ville qu’on lui montrait, il croyait en être le prince ; s’il voyait des soldats étrangers, il se regardait lui-même pour voir s’il avait aussi bonne tournure qu’eux. Pendant ce temps, l’archiduc s’entretenait à voix basse avec. Bella. Il lui reprocha la honteuse fausseté avec laquelle elle avait exploité son amour, dans le but d’obtenir une place de capitaine pour son fiancé. Bella fondit on larmes, et lui jura qu’il en était tout autrement ; que son amour pour lui n’était pas une feinte, et que son plus grand, son plus noble désir était d’avoir de lui un enfant qui donnât à son peuple la gloire et la liberté. Cette franchise mit le prince dans un certain embarras (il était profondément et complètement innocent, mais innocent par vanité) ; il lui jura enfin qu’il ferait tout son possible pour satisfaire ce désir, qui n’allait pas contre ses obligations politiques. Après cette assurance, il l’emmena sans que le petit se fût aperçu de ce qui
Cornélius s’arracha à regret de ce microcosme qu’il regardait pour la troisième fois et qui lui plaisait bien plus que le véritable monde ; pendant ce temps, le vieux juif, tout en causant avec Cenrio, travaillait à la statue de Bella.
Le juif lui en démontra la possibilité par la ressemblance de l’homme avec Dieu. Dieu a créé l’homme ;
Tout en disant cela, le juif avait terminé son ouvrage ; il souffla sur la statue, écrivit le mot sacré sur le front inondé de boucles de cheveux, et ils virent devant eux une seconde Bella, qui, par le moyen du miroir, connaissait toute l’existence de Bella, mais seulement jusqu’au moment où elle s’y était regardée ; du reste, cette fausse Bella n’avait aucune idée propre. Elle n’avait dans l’âme que ce qui était dans celle du vieux juif, son créateur : l’orgueil, la luxure et l’avarice, qui sont, comme tous les vices, l’excès de nobles penchants. Mais comme elle n’avait aucun autre sentiment élevé, elle différait en cela même du juif et de tous les autres hommes, qu’elle pouvait cependant tromper par sa beauté, comme ce tableau qui représentait des fruits si habilement peints, que les oiseaux, les prenant pour des fruits véritables, venaient se heurter contre la toile.
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Cenrio et le vieux juif s’approchèrent. de la seconde Bella ; lui donnèrent chacun un baiser, et la mirent au bras du petit qui, ayant assez vu la lanterne magique, rentra à la maison avec sa Bella, à travers une foule de promeneurs et de paysans ivres qui se querellaient.
Ni Braka, ni Cornélius ne
Bella Golem, qui ne savait rien des pensées que
Braka fut atterrée de cette exclamation intempestive ; Cornélius sauta vers elle comme un furieux.
Le petit, exaspéré,
Je perdrai mes yeux à force de pleurer ; dussé-je y consumer tout ma vie, ce que tu as fait, causera ta perte : quand tu me croiras loin, je serai à tes côtés ; tu ne peux te défaire de moi aussi facilement que tu
Malheur à toutes les races à venir. Tu m’as amené au monde par des moyens infernaux, et je ne pourrai en sortir qu’au jour du jugement dernier.
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Cornélius la regarda avec étonnement, et lui dit :
Bella Golem ne répondit pas ; elle n’avait pas de volonté ni de réponse pour cet incident, auquel Bella n’avait pas pensé. Le petit supposa qu’elle acceptait, et comme Braka s’apprêtait à faire quelques observations, il tira son épée, et jura de la teindre de son sang si elle s’opposait à son bonheur. La vieille fut épouvantée et se tut.
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Cette étrange compagnie, composée d’une vieille sorcière, d’un mort qui se conduisait comme s’il était vivant, d’une jeune beauté en terre glaise, et d’un jeune homme taillé dans une racine, tout cela en bonne intelligence, se livrait à d’importantes réflexions sur le bonheur de la vie qu’ils allaient mener, sur leurs trésors, leurs exploits, et Peau-d’Ours pensait aux gratifications extraordinaires qu’il recevrait à l’occasion de cette solennité.
Souvent, pendant une nuit d’orage, il arrive que dans un parterre deux fleurs éloignées d’habitude, sont rapprochées par le vent, joignent leurs calices, et s’accouplent sans se connaître, jusqu’à ce que la clarté de la lune leur laisse voir leur erreur ; de même dans une muette jouissance, les illusions chantent toute la nuit
L’archiduc en était trop amoureux, sa joie était trop neuve pour avoir la cruauté de l’affliger, en lui rappelant sa fausseté.
Le duc fut assez étonné de cette réponse.
Bella sourit de ses soupçons, et lui raconta tout naturellement comme Braka
L’archiduc, que ces aventures avaient transporté de son existence habituelle et tranquille, dans toutes les étrangetés d’un bonheur mystérieux, tomba dans une profonde rêverie ; il pensait que chaque mot, chaque pas qu’il allait faire, avait son importance. Il possédait un grand secret, qu’il voulait garder, et dont il ne trouvait personne assez digne, pas même Cenrio. Puis, il s’occupa sérieusement de trouver un moyen d’emmener Bella.
Bella le baisa sur les yeux, et lui dit qu’elle ne lui demandait cela que pour obéir à sa tante, qui
Ils s’embrassaient tendrement, lorsque la voix de Cenrio vint les troubler ; il leur criait qu’Adrien voulait s’en aller, parce qu’il venait de découvrir un événement extraordinaire dans le système sidéral.
Au même moment le prince entendit tousser Adrien ; il poussa aussitôt Bella dans la chambre voisine, où l’on avait précédemment déposé le petit, et courut au-devant
Le prince se soumit à sa volonté, et alla aussitôt s’habiller pour retourner à Gand avec lui. Il aurait bien voulu dire encore une fois adieu à sa chère Bella, qui était dans la chambre voisine, mais il craignait de découvrir leur amour à ses parents, car il n’avait plus pensé à ce qui avait pu arriver à la seconde Bella, ni au départ de ses voisins. Du reste, il ne faisait plus attention à rien ; aujourd’hui que son cœur battait des premières joies de l’amour, le monde ne l’occupait plus ; il ne pensait ni à ses chevaux, ni à ses chiens de chasse ; pour la première fois il sentit dans son cœur résonner cette sensible corde dont plus tard, au camp devant Ratisbonne, une belle joueuse de harpe lui rappela les accords, alors que la maladie et les douloureux souvenirs de son premier amour l’avaient presque entièrement séparé du monde. peut-être ne serait-il pas devenu ce prince insatiable, se jetant sur tout et cherchant à s’emparer de tout, si le sort ne
Le bruit occasionné par le départ du prince
Après être restée quelque temps absorbée par ses pensées, elle ouvrit doucement la porte de la chambre où elle devait coucher avec Braka ; mais elle fut assez étonnée de trouver les fenêtres ouvertes, les lits intacts et les malles absentes. Elle s’approcha du lit de la vieille et l’appela tout bas, puis plus haut, mais rien ne bougea, et elle vit à la faveur de la lune
Bella, sans cependant s’en effrayer, ne pouvait pas
Malheureusement le hasard amena la vieille au-devant
Bella ne pouvait s’expliquer ces paroles, et lui demanda où était allée sa mère ; elle se trouva bien embarrassée quand la Nietken lui répondit n’en rien savoir.
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La vieille, qui se rappelait l’interrogatoire du prince, fut assez rusée pour soupçonner quelque connivence entre Bella et lui ; et, comme elle avait été peu payée par le prince, ou plutôt par Adrien qui tenait la caisse, elle résolut de profiter de cette découverte pour s’en venger.
Bella tremblait de honte et de peur Elle ne voyait et n’entendait plus rien, car son bonheur venait de se changer en un délaissement et un mépris affreux ; n’ayant pas l’expérience du monde, elle pouvait à peine croire qu’elle fût la même personne ; sa position lui faisait horreur ; le déshonneur qu’elle croyait voir si près d’elle faisait un effet effrayant sur sa noble âme, que rien, pas même le malheur, n’aurait pu atteindre. Elle pleura et se laissa tomber sur une chaise.
La mère Nietken laissa cette idée de déshonneur
La mère Nietken était très contente de trouver Bella aussi complaisante.
Lorsque les deux vieux entrèrent, ils écarquillèrent les yeux à la vue de Bella, et lui demandèrent pardon d’être entrés dans sa chambre. Qui, en effet, pouvait s’imaginer que la vieille Nietken disposât
Mais celle-ci dissipa leur erreur, en leur disant d’un air assez embarrassé
Ils se mirent à boire, et à jouer, et pendant que l’un jouait,
Bella était naturellement trop prudente et trop fine pour ne pas s’apercevoir du danger que courait son amour et sa liberté ; les deux vieux se permettaient déjà d’insolentes privautés ; elle réfléchit pour trouver un moyen de s’échapper de cette maison ; mais quoi qu’elle pût imaginer, elle était trop bien surveillée, et on ne lui aurait permis sous aucun prétexte de sortir de la chambre.
Les deux vieux se passionnaient à mesure
<pre>
Bon papa, suce
Sur la fraîche rougeur de ces lèvres.
Allume aussi du feu
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Après cette chanson, Bella fit semblant de redoubler de prévenances pour les deux seigneurs ; elle alla voir les musiciens, et leur dit qu’elle voulait chanter avec eux, mais qu’il fallait lui prêter un de leur costume et un masque. La mère Nietken était ravie de la voir accepter son sort aussi gaiement.
Pendant ce temps, Bella prit à part une musicienne, et lui offrit le précieux collier que Cornélius avait trouvé dans ses bottes, si elle voulait protéger sa fuite en lui prêtant son costume et en restant à sa place. Cette femme accepta très volontiers, bien sûre de se tirer d’affaire avec ses six camarades, aussi habitués à se battre que les autres hommes à se peigner, et trouvant un bon bénéfice à échanger à ce prix quelques vieux haillons.
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Le changement s’opéra derrière un paravent, et Bella s’esquiva, pendant que son bonnet, garni d’argent, et son riche collier au cou de la musicienne faisaient l’admiration des deux vieux fous amoureux. Cette femme dansa, et ses pas leur parurent si voluptueux, qu’ils se jetèrent l’un et l’autre à son cou ; mais ces démonstrations firent tomber le masque, et les deux seigneurs furent très désagréablement étonnés en voyant un visage inconnu et décrépit qui leur jeta un éclat de rire au nez.
Pour toute réponse, un des musiciens lui envoya un coup de poing qui
Les deux seigneurs voulurent sauter sur lui, mais les autres en eurent bien vite raison ; ils les saisirent, les garrottèrent, leur enlevèrent leur bourse, avec laquelle ils
Bella, après avoir couru pendant une heure dans un sentier qu’elle savait mener à Gand, s’était arrêtée au pied d’un buisson pour prendre un peu de repos. Elle vit passer plusieurs troupes de gens ivres qui revenaient également de la kermesse, mais on ne l’aperçut pas ; quelques chiens seulement vinrent rôder autour d’elle.
Ce buisson formait la limite de deux communes, et les ossements qui
Bella voulut crier, mais elle ne put donner le moindre signe de vie. Les deux hommes
À ces mots, ils
En cet instant Bella passa alors de cette affreuse angoisse dans une étrange extase. Elle vit son père une couronne sur la tête, assis sur une pyramide
Après que cette apparition se fut dissipée, Bella se réveilla. Le soleil était sur son coucher ; elle put se relever facilement, et ne ressentait plus qu’une légère lassitude dans les membres. Elle se dirigea lentement vers la ville, et passa en soupirant devant la maison de campagne abandonnée qui avait protégé son enfance ; elle arriva enfin à la maison que trois jours auparavant elle avait quittée avec les plus douces espérances. Elle souleva tranquillement le marteau de la porte ; la servante vint ouvrir, et Bella lui sauta au cou ; mais cette fille la repoussa en lui disant qu’elle ne la connaissait pas.
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Lorsque Bella se fut nommée, la servante poussa un cri, laissa tomber son flambeau, et courut vers ses maîtres, en leur criant de manière que Bella entendit :
Braka, Cornélius et sa compagne Bella Golem, sortirent de leur chambre pour voir la nouvelle arrivée. Comment peindre leur étonnement réciproque ? Braka ne savait quelle contenance faire ; Bella Golem ne paraissait nullement émue, comme si elle était trop sûre de son affaire pour concevoir des doutes sur sa propre personne. Bella pleurait ; abattue par la fatigue et la faim, elle avait à peine la force de les regarder. Cornélius, qui se voyait tout d’un coup en possession de deux femmes, et qui ne pouvait savoir comment cela se faisait, n’en ayant réellement pris qu’une, sautait comme un pétard (terme
La pauvre Bella demanda quelques aliments et l’abri pour la nuit, car elle tombait de fatigue, promettant de s’en aller le lendemain matin si on ne pouvait la souffrir dans cette maison ; mais Golem s’y opposa. On sait en effet
Cornélius, fort effrayé de cette menace, jugea prudent de se montrer encore plus furieux ; il leva son bâton en
Braka eut peine à retenir un éclat de rire à
Golem, pour le récompenser,
Je sais un orateur qui
Bella était maintenant décidée à chercher un refuge chez
Le portier était un vieillard tout dévoué à Adrien, lequel, par raison hygiénique, faisait surveiller très soigneusement
Elle aperçut le rôti, et, poussée par la faim, elle prit une chaise, se mit à table devant Adrien, et se servit un morceau de poulet qu’elle mangea avec l’appétit d’une malheureuse qui n’a rien pris depuis deux jours.
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Adrien secoua la tête en répétant :
Il lui offrit de la confiture de groseille qui assaisonnait le rôti, et lui versa un verre de vin.
Bella ne put s’empêcher de lui ouvrir son âme ; elle lui raconta toute son histoire, elle ne lui cacha
Après ce récit, Adrien tomba dans une profonde méditation et dans de graves calculs ; pendant ce temps, Bella
Il s’approcha de son lit, et la regarda avec une espèce
Enfin il entendit rentrer
Le tour était fait, et Adrien avait pris un mannequin rembourré pour le véritable archiduc, Car tandis que la vraie et vivante Bella était chez lui, Charles cherchait en vain chez Golem, cette poupée sans vie, le bonheur qu’il avait goûté si pur avec Bella.
Le matin, le prince, par l’entremise de Cenrio, était convenu avec Bella Golem, qui au lieu du cœur plein d’amour de la vraie Bella, n’avait qu’un vil cœur de juive, de venir la voir dans la nuit, après qu’elle aurait donné à son petit homme-racine une boisson soporifique qu’il lui ferait remettre. Braka qui était dans le secret, devait remplacer Bella dans le lit conjugal, car le petit était si jaloux que, même en dormant, il tenait toujours sa femme par un doigt
Cornélius, toujours préoccupé de la seconde Bella, venait de s’endormir, lorsque le prince entra dans la maison, après avoir attendu quelque temps que Bella Golem se fût débarrassée de son mari. Il était extrêmement curieux de savoir comment elle se trouvait la femme de Cornélius, et ce qui était arrivé au Golem qu’il avait fait faire par le juif, pour tromper son mari.
Golem Bella lui répondit si naturellement
L’archiduc ne lui demanda pas d’autre explication. Le malheureux avait joué avec les enchantements pour arriver à son but, et maintenant il en était la victime. Dans l’amour tout est si noble, qu’une fourberie est comme une perle fausse enchâssée dans une riche monture, et qui éveille la défiance ; le prince n’avait-il pas trompé Bella en cherchant à la mettre en son pouvoir par des moyens surnaturels ?
Lorsque le lendemain matin au lever du soleil, et à l’heure où les corneilles, le seul oiseau des grandes villes, commençaient à crier, Cenrio vint le réveiller. Le prince sentit qu’il y avait eu quelque chose d’incomplet dans son bonheur : son cœur était triste et serré, il n’était pas heureux comme lorsqu’à Buick il prenait congé de Bella ; il lui semblait que ce n’était plus le même être qui avait dormi à côté de lui ; s’il n’était pas parti si tôt il aurait peut-être découvert sur son front le mot qui la faisait vivre. En retournant au palais il maudit cette nuit, et jura de ne plus retourner à ce rendez-vous. Rentré chez lui, Cenrio lui raconta le danger
Pendant ce temps Adrien était dans une grande perplexité. Après avoir quitté le prince empaillé, il avait fait de grands projets, qui revenaient tous à favoriser la passion du prince. Il cherchait à s’excuser à ses propres yeux de garder Bella. À cette heure avancée de la nuit, il n’aurait pu sans scandale faire sortir une jeune fille de chez lui. Il avait bien fallu être indulgent et donner son lit à la pauvre Bella accablée de fatigue : il s’étendrait lui-même sur un canapé loin
Jamais un tel regard n’avait été dirigé vers le pauvre Adrien, et, malgré lui, il mit beaucoup plus de temps qu’il n’en fallait à boire, et à chasser une mouche qui revenait toujours piquer cet ange endormi ; à la fin il fut pris d’une sensation qu’il avait à peine soupçonnée ; Vénus s’était emparée de lui. Il récita en lui-même des vêts d’Horace, et je ne sais où cette érotique érudition l’aurait mené,
Il s’étendit en soupirant sur le dur parquet, mais il ne put dormir, son imagination était en mouvement ; il aurait bien voulu se débarrasser de Bella, mais d’un autre côté il ne pouvait se résoudre à la repousser durement.
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Le hasard conduisit ses yeux sur les vêtements d’un domestique qui, après avoir été longtemps à son service, s’était fait chasser pour ses mauvais tours ; ces habits lui parurent propres à faire sortir de la maison la jeune fille, sans qu’elle fut découverte.
Lorsque Bella se réveilla, elle se frotta les peux et demanda avec effroi où elle était ; Adrien la rassura. Il la pria de dire un Ave Maria, qu’elle lui récita avec dévotion ; puis il lui dit qu’il fallait patienter ; qu’il ne pouvait la mener à l’archiduc parce que cela était contre sa conscience, mais qu’il prendrait soin d’elle, si elle lui promettait le secret. Il lui dit alors qu’il avait eu un domestique habitant chez de pauvres parents, qui venait le matin et le soir pour s’informer
Bella accepta tout ce que lui proposa le vieillard, car elle entrevoyait la possibilité de rencontrer l’archiduc au moyen de ce déguisement, et c’était là sa seule pensée. Elle courut chercher le costume de son nouvel emploi ; mais entièrement étrangère à ces vêtements, elle ne se reconnaissait pas entre les culottes et les pourpoints, et son vénérable maître fut obligé, non sans rire, de l’aider à s’habiller. Elle lui dit qu’elle allait retourner se cacher à la maison de campagne, et qu’elle
Adrien reconnut à ce trait la prudence naturelle à son peuple ; il craignait cependant encore d’être découvert ; mais il se rassura complètement en entendant, lorsqu’elle passa sur la place publique, des garçons lui parler comme à leur ancien camarade, le domestique d’Adrien.
Après cela, il se rendit chez l’archiduc, qu’il trouva dormant après une nuit sans sommeil ; il le secoua pour le réveiller, et lui fit une longue réprimande sur la paresse, où la vertu, semblable à un navire perdu dans une mer sans fond, ne peut pas jeter l’ancre et finit par s’engloutir. Le soir il n’avait pas voulu le déranger, parce qu’avant minuit les heures de sommeil sont sacrées, et une de ces heures vaut mieux pour le repos du corps et pour l’esprit que deux après ; mais ronfler quand le soleil lui donnait dans le nez était tout à fait inconvenant ; il parla ainsi pendant une heure et sa réprimande rendormit le prince encore plus profondément ; de sorte que le vieux précepteur découragé l’abandonna, et se consola en démontrant à Cenrio que ce prétendu ouvrage de Pierre Lombard,
Cenrio fit l’étonné, mais intérieurement il riait de voir qu’une vieille paperasse avait coûté tant de travail à ce savant homme. Il l’interrogea sur l’extraordinaire conjonction qu’il avait observée à Buick, sur quoi Adrien lui assura qu’un puissant conquérant devait être apparu dans l’Orient ; mais où, il ne pouvait pas le préciser.
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L’archiduc n’était pas moins inquiet ; car au milieu de son bonheur, il lui semblait que la Bella qu’il avait rêvée n’était pas celle qu’il venait de voir.
Cenrio laissant le prince à ses réflexions, lui promit d’aller à Buick, et de faire toutes les recherches possibles pour déchiffrer
Pendant ce temps, Cornélius fut mandé au château. L’archiduc, pour rendre moins dangereuses ses visites à Bella Golem, avait promis à celle-ci de donner un emploi à son mari, à condition qu’il obtiendrait d’un certain nombre de seigneurs de haut rang le témoignage qu’il soit véritablement un homme.
Le petit avait déjà couru toute la matinée, et s’était fait donner par écrit l’opinion de différents seigneurs sur sa nature ; et il vit avec étonnement que chez tous il y avait plus ou moins de doute à son égard. Tous ces témoignages s’exprimaient, d’ailleurs,
« S’il restait assis à une table, on pourrait encore le faire passer pour un homme ; mais il faudrait qu’il ne se levât jamais, à cause de la petitesse disproportionnée de ses jambes, qui lui donnent l’air d’un chien habillé. »
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Le comte d’Egmont avait mis sur la circulaire :
« Il est très bon dans certains cas de pouvoir cacher ses forces à
Le petit porta au prince ces observations et d’autres du même genre, qui toutes avaient été rédigées avec la meilleure intention possible de le faire réussir. L’archiduc les lut, et eut grand-peine à ne pas éclater de rire. Malgré cela il lui promit une place convenable dans un régiment qu’il allait former, et où il introduisit un nouveau genre de casque, remarquable surtout par un grelot et deux longues oreilles, qui en faisaient un ornement original.
Le petit était au comble de la joie de voir son désir satisfait. Aussi se trouvait-il très fier de recevoir chez lui
Ce jour même une fête devait avoir lieu dans la maison de Cornélius. Malgré une nuit de désappointement, malgré ses préventions, l’archiduc sentait une force magique qui se moquait de son amour pour la vraie Bella, et qui lui inspirait un désir invincible de revoir Golem. Ce sentiment, auquel il ne peinait, résister, n’était pas d’accord avec ce qu’il avait au fond du cœur ;
Dès le matin Bella avait pris tristement le chemin de la maison de campagne, où elle comptait se glisser sans être vue, et par des détours connus
Mais elle rencontra Peau-d’Ours qui s’était attardé à compter son trésor, qu’il avait presque recouvré par son travail.
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Lorsqu’il aperçut Bella, il ne put retenir ses larmes, et lui demanda ce que c’était que sa nouvelle maîtresse, car il avait très bien remarqué qu’elle avait une figure fausse et imitée ; mais de peur de perdre sa place, il n’en avait osé rien dire. Bella lui recommanda le silence : elle lui dit que depuis l’accueil qu’on lui avait fait à son retour, elle avait en aversion Braka, Cornélius et le reste ; qu’elle ne pouvait se résoudre à soumettre son indépendance de princesse aux exigences de la ville ; et qu’elle voulait de nouveau vivre dans sa vieille maison, jusqu’à ce qu’elle rencontrât des gens de son peuple et libres comme elle.
Après cela elle lui demanda comment les choses s’étaient passées, et pourquoi, le soir de son arrivée à Gand, elle ne l’avait pas vu ; il lui raconta qu’il avait été envoyé par la fausse Bella pour introduire, par une porte dérobée,
À ces mots, Bella lui ferma la bouche ; elle ne voulait plus rien entendre après cela : après avoir appris que cette aventurière lui avait enlevé la dernière chose qui la fit vivre au monde, l’amour de l’archiduc. Sa douleur déborda dans son âme ; lorsqu’elle put pleurer, les larmes la soulagèrent. Elle se pendit au cou de Peau-d’Ours, et y resta attachée pendant plus d’une heure. Heureusement le chemin n’était pas fréquenté, car autrement on se serait arrêté pour les regarder. Peau-d’Ours calculant en lui-même combien il avait encore de jours à servir, se mit à son tour à pleurer sa position, sans prendre attention au malheur de Bella ; semblable en cela au moulin, qui ne trouve belles que les eaux qui font tourner sa roue. Enfin craignant d’arriver trop tard à Gand, et voulant se débarrasser de Bella, pour terminer cette scène, il écrasa entre ses doigts une prune véreuse, tombée d’un arbre voisin et dit :
Le niais ne comprenait pas que sa position n’était autre que celle du ver caché dans un fruit délicat.
Belle était trop triste pour faire attention à ce
Ne s’inquiétant pas si elle pouvait être vue, elle entra sans aucune précaution dans cette maison mystérieuse ; en ouvrant la porte au moyen d’un secret de la serrure, elle ne fut assaillie par aucune considération sur le changement de son sort ; elle se sentait déshonorée, méprisable, depuis que l’archiduc ne l’aimait plus ; elle voulait l’oublier, tandis que, malgré elle, toute son inquiétude était de savoir où il se trouvait.
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Guidée par cette pensée bien plutôt que par la faim, elle revint le soir au palais. Elle trouva fermée la porte d’Adrien, qui était en discussion avec plusieurs grands génies de sa connaissance. Elle restait indécise sous l’obscure entrée du château, lorsque le prince passa ; cet endroit n’étant pas éclairé, il la prit pour l’ancien domestique d’Adrien, qu’il s’était attaché par quelques petits cadeaux, et il lui cria de prendre une torche et de l’éclairer jusqu’à la maison de M. de Corliélius.
Bella s’empressa
L’attrait magnétique d’une royauté prochaine agitait le cœur ambitieux de Charles, semblable à
La pauvre Bella ! En éteignant sa torche elle ressemblait à un bon génie qui désespère de sauver celui qui est lui confié. L’air et le ton altier du prince lui avaient ôté tout le courage dont elle avait besoin pour lui parler ; elle le regardait comme perdu à son amour. Elle se tenait tristement appuyée contre le mur, lorsqu’un bruit de musique vint la tirer de sa douloureuse rêverie. Elle n’entendait pas les paroles des musiciens qui demandaient l’aumône devant la maison de Cornélius, splendidement illuminée ; ces musiciens lui rappelèrent aussitôt la manière dont elle s’était sauvée des mains des vieillards, ainsi que les émotions auxquelles elle avait été alors en proie. Elle craignait de les voir approcher ; elle ne savait pas ce qu’elle aurait perdu en se retirant !
Se voyant seule au milieu de cette réunion
Ces chanteurs étaient si aimés dans la ville, que les parents ne couchaient pas leurs enfants, avant qu’ils eussent fait leur tournée. Et si les petits garçons préféraient suivre les tambours qui battaient la retraite, les petites filles goûtaient bien mieux les chanteurs qu’elles accompagnaient jusqu’à leur cabaret.
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Lorsque le cierge éclaira le visage du jeune homme, Bella se souvint de
Fallait-il donner son amour à ce malheureux ?
Un des garçons chanteurs fit le tour de l’assemblée tenant une chandelle d’une main, un plateau de l’autre ; il passa également devant elle ; ce plateau ne contenait que des fruits, quelques poires et quelques pommes, restes du repas que les enfants leur avaient donnés ; aussi Bella, croyant qu’on les lui offrait, prit une poire et la porta à sa bouche. Le garçon la regarda avec étonnement et lui fit comprendre qu’il fallait payer ; Bella, fort embarrassée, porta la main à sa poche, et prenant pour de l’argent un vieux bouton que le domestique y avait laissé, elle le déposa dans le plateau ; le garçon se mit à rire, et appela toute la bande qui lui ordonna, puisqu’elle n’avait pas d’argent, de chanter son plus beau lied.
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Tu es si dure pour moi !
Ô mon
Personne ne veut plus de toi !
L’amour et l’honneur sont perdus !
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Lorsque Bella fut seule, elle courut se jeter à genoux à la place que venait de quitter le jeune homme, et où il avait laissé sa lanterne et un bouquet. Les fleurs exhalaient une si douce odeur et la sainte Mère parut la regarder avec tant de tendresse, qu’elle sentit que le péché de son peuple était pardonné :
Il lui sembla qu’alors la sainte Mère la regardait avec amitié, et son cœur s’oublia si bien dans cette contemplation qu’elle remarqua à peine la foule des invités qui, vers minuit, sortirent de la maison de Cornélius.
Ligne 1 174 :
Au milieu de cette vision, elle entendit la voix aimée de l’archiduc qui lui dit :
En ce moment Bella chancela ; elle avait vu Bella Golem, qui, couverte d’un grand manteau, un flambeau à la main, avait reconduit le prince
L’archiduc, sans se préoccuper des difficultés qui pouvaient
Belle alluma sa torche au flambeau ; sa toque était restée devant la chapelle avec les fruits ; et son manteau cachait ses habits d’homme.
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Le duc la reconnut, et portant la main à son front, il s’écria :
Mais l’archiduc à qui, en ce moment, venait de se révéler tout ce qu’il n’avait pu croire, saisit Golem Bella par les cheveux ; sur son front il vit le mot qui la faisait vivre : AEMAETH ; il effaça précipitamment la première syllabe, et le corps tomba aussitôt à terre.
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Après être convenus de leur plan, ils rentrèrent au château par une porte dérobée. L’archiduc offrit à Bella de quoi se rafraîchir, et la fit reposer sur son lit. Puis il la quitta, bien à regret, pour entendre pour la première fois discuter le sort de l’univers. Le conseil se composait d’Adrien, de Chièvres, de Guillaume de Croï, son neveu, et de Sauvage.
Lorsque
On croyait le conseil fini, lorsque Charles annonça que, maintenant qu’il était son propre maître, il voulait ouvrir une enquête sur la conduite de son précepteur Adrien, principalement pour s’assurer s’il avait rempli exactement ses vœux de chasteté. Tous parurent étonnés, et Adrien, qui n’avait jamais entendu le prince parler sur ce ton et se croyait sûr de son innocence, perdit son sang-froid, et offrit de se soumettre au tribunal le plus sévère.
À ces mots, il fit entendre un signal convenu, et Bella entra dans la salle avec la livrée du cardinal. Le cardinal rougit aussitôt visiblement ; les autres personnages ne comprenaient pas ce que cela signifiait, jusqu’à ce que l’archiduc demandât à Adrien de lui dire en conscience si c’était bien là son domestique ; si c’était un garçon, si au contraire il n’était pas sûr que ce fût une fille, si, enfin, cette fille n’avait pas couché dans son lit.
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L’archiduc dit à Bella d’aller trouver madame de Chièvres, qui habitait au château, de se faire donner les plus beaux habits et de revenir avec elle au conseil où il avait encore quelques papiers à signer pour le départ d’Adrien. Ces papiers à expédier n’étaient qu’un prétexte pour gagner du temps.
Des désirs opposés se partageaient l’esprit de l’archiduc. Il se demandait ce qu’il devait à l’amour, ce qu’il devait à sa position ; s’il pouvait épouser une duchesse
Il n’avait pas encore terminé cette délibération intérieure, lorsque Bella, vêtue d’une robe de brocard d’argent parsemée de fleurs rouges, une petite couronne de duchesse sur la tête, entra dans la salle avec madame de Chièvres. Tous restèrent étonnés à la vue de son noble maintien, au point que Sauvage et de Croï se dirent à l’oreille que ce devait être quelque princesse que Charles avait résolu d’épouser.
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Charles s’inclina devant elle, la fit asseoir sur le siège d’honneur qu’il venait de quitter, et essaya de parler ; son émotion l’en empêcha. Chièvres s’aperçut de cette hésitation, et voulant lui donner le temps de se remettre, il vint vers lui et lui raconta qu’Adrien était parti, et que la crainte de voir sa réputation endommagée lui avait porté à l’estomac. Le succès de sa plaisanterie tira, pour un instant, l’archiduc de son agitation intérieure, et après un silence il dit à l’assemblée :
Bella qui n’avait pas tout entendu, occupée qu’elle était à conserver son maintien et son air imposant, lui sauta au cou lorsqu’il prononça ces derniers mots. Ce mouvement soulagea Charles qui craignait d’être obligé d’aller jusqu’au mariage, et il lui rendit son baiser avec un redoublement de tendresse.
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Le jour était levé depuis longtemps, les oiseaux chantaient leurs chansons, et les hommes politiques allaient se coucher ! Charles se contenta de s’étendre sur un banc de gazon dans le jardin, où il ne put dormir, et où Bella put le contempler de sa chambre.
Dans la maison de Cornélius régnait le plus grand désordre ; lorsqu’en se réveillant il se trouva sous le poêle, il se mit à crier et appela les domestiques qui accoururent dans les costumes les plus légers. Tous étant plus ou moins ivres, ils ne s’étaient pas inquiétés le moins du monde de leur maître. Peau-
Mais lorsqu’on lui eut détaché les pieds et les mains et qu’il tomba sur ce qu’il prenait pour la mer, il se crut perdu. Et cette idée le poursuivit, même après qu’on l’eut retiré de dessous le poêle et qu’on l’eut lavé. Enfin il finit par se dégriser et se fit mener à sa chambre à coucher. Mais quel ne fut pas son trouble, en ne trouvant d’autre trace de sa femme que le lit défait. C’était une énigme pour tous, même pour Braka et pour la servante, qui savaient cependant qu’il avait dû se passer quelque chose d’extraordinaire.
Le pauvre petit Cornélius regarda par la fenêtre pour voir s’il n’apercevait pas encore de loin sa femme. Braka se consola en pensant que l’archiduc avait dû lui préparer un refuge.
Le petit, à qui une hirondelle avait laissé tomber quelque chose dans la bouche, quitta la fenêtre et se mit à courir comme un fou dans la maison ; il trouva la porte ouverte et réprimanda violemment Peau-d’Ours à ce sujet ; mais lorsqu’il vit le manteau de sa bien-aimée, et dessous, une masse d’argile, sans savoir pourquoi il se prit d’une tendresse pour cette terre, comme si
Enfin Braka, qui se croyait frustrée des profits qu’elle aurait pu tirer de
Le petit resta un instant cloué en place, puis il ceignit son épée et courut au château demander à l’archiduc des explications.
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Cornélius était si enorgueilli, il faisait des yeux si vaniteux, qu’il put à peine reconnaître Isabelle vêtue d’une robe de soie brodée d’hermine, et accompagnée de madame de Chièvres, qui avait une robe de damas sur laquelle étaient brodés Adam et Ève au pied de l’arbre du bien et du mal, lorsqu’elle entra dans la chambre et vint s’asseoir avec cette dame à la place qui leur avait été assignée.
L’archiduc demanda alors à monsieur de Cornélius Népos sur quoi il fondait sa plainte. Cornélius, qui n’avait pas étudié la rhétorique pour rien, se mit à expliquer toute l’affaire et à dérouler son plaidoyer. Il fut si pathétique qu’il s’empara de toutes les sympathies conjugales des juges ; il parla des premières joies de deux nouveaux mariés, de cette tranquillité qui n’est interrompue que par les efforts qu’on fait pour employer toutes les forces de sa passion à produire un premier-né, le plus beau possible ; car
Le petit continua :
À cette interruption faite dans une bonne intention, tout l’auditoire éclata de rire ; le petit, furieux, tira son épée et allait frapper la vieille, si un hallebardier n’était venu à temps pour l’arrêter.
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Après ce plaidoyer, il fut interrogé avec Braka par Cenrio selon les formes régulières de la justice, et ils furent convaincus d’avoir vécu jusque-là, dans la ville, sous des titres supposés. Mais quant à leurs accusations à l’égard de Bella, ils ne voulurent pas céder, et demandèrent qu’on fit venir le prêtre qui avait béni leur union.
Bella ne put se contenir plus longtemps ; elle leur demanda avec indignation s’ils avaient oublié la manière dont ils l’avaient chassée de leur maison, après l’avoir abandonnée à Buick, en la laissant entre les mains
Le petit et Braka se trouvèrent dans un grand embarras ; mais la vieille eut bientôt fait ses réflexions ; elle passa sans hésiter du côté de Bella :
Là-dessus elle poussa un aboiement digne d’une meute affamée, et se prosterna devant Bella.
Le petit homme-racine, à ces mots, sauta comme un furieux, jeta ses gants à terre, et jura de se battre avec quiconque contesterait l’existence de sa femme et prétendrait
De Chièvres objecta que, pour se battre, il fallait d’abord prouver qu’il fût homme, chrétien, et égal en rang à ses adversaires.
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Pendant cet intervalle, on apprit par les bavardages de Braka que le petit savait découvrir et déterrer les trésors cachés. De Chièvres, qui écoutait attentivement, dit au prince :
L’archiduc découvrit en ce moment la sagacité de cet homme, qui devait plus tard lui venir en aide dans bien des circonstances.
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L’archiduc salua très amicalement le petit lorsqu’il revint avec Peau-d’Ours, portant les vêtements qui restaient de Golem Bella, ainsi que l’ébauche de sa statue. Le petit avait promis au pauvre garçon de lui rendre en une seule fois tout le reste de son trésor, à condition qu’il témoignerait qu’il n’y avait qu’une seule Bella ; qu’elle avait quitté la maison après son mariage, sans motifs, et n’avait laissé qu’un tas d’argile recouvert de son manteau. Il devait également jurer qu’il connaissait les parents de son maître, et qu’ils étaient regardés à Hadeln comme bons chrétiens et des gens de vieille noblesse.
Le pauvre Peau-d’Ours, Peau-d’Ours le mort, promit tout ; il entra et commença à défiler son faux témoignage ; mais comme Braka et Bella étaient mêlées dans
Enfin, il se coupa tellement dans ses réponses, que les juges considérèrent son témoignage comme nul.
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Bella ne se moqua point des efforts que faisait le petit pour modeler cette figure ; elle eut pitié de lui, et demanda qu’on levât la séance : car c’était elle qui avait causé tout son malheur, en le tirant du sein de la terre.
De Chièvres déclara que cet aveu suffisait ; et quitta la chambre avec les autres seigneurs de la cour.
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Le petit réfléchit un instant, puis s’écria :
Bella ayant accepté le projet, l’archiduc envoya auprès du curé qui avait déjà marié une fois Cornélius, et le menaça de le condamner au pain et à l’eau pour avoir béni un mariage secret, s’il ne consentait à en faire un second en public.
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Le souffle de l’automne remplit
Nos yeux de larmes,
Notre
Au souvenir de notre patrie.
Maintenant s’élèvent les vagues
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Bella appartenait à cette famille d’oiseaux qui, malgré le bon accueil que leur font les hommes, dès qu’ils entendent dans les airs la voix de leurs frères ne peuvent s’empêcher de les suivre.
N’y a-t-il pas sous les glaces du pôle de pauvres habitants qui ne goûtent aucune des joies ni des inventions de notre zone, et qui,
Dans son sommeil il chercha à se débarrasser de ses embrassements, parce que dans son rêve il lui semblait que les chaînes d’or avec lesquelles il emmenait les peuples prisonniers
Mais Bella était trop agitée pour faire attention à ces mouvements. Elle se précipita par la fenêtre pour rejoindre les siens, sans réfléchir si elle sautait de haut ; le bonheur de son peuple voulut qu’elle ne se fit aucun mal. Sa chambre était au premier étage ; et l’écolier qui, après avoir reconnu qu’elle était au château, était venu promener sous ses fenêtres sa douleur et son amour malheureux, la reçut dans ses bras.
Les bohémiens la reconnurent, lui mirent la couronne sur la tête, le sceptre à la main, et sans faire de bruit, sans éveiller
Lorsque l’archiduc fut réveillé de ce rêve ambitieux terminé d’une manière assez triste, par
Mais qui donc remue notre cerveau ? N’est-ce pas celui qui fait mouvoir toujours également et selon des changements réguliers les étoiles à la voûte du ciel ?
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La foule affairée se pressait de plus en plus épaisse dans les rues, et Bella ne s’éveillait pas ; le prince l’appela, puis alla à son lit ; il ne l’y trouva pas. Il parcourut la maison avec inquiétude ; Bella ne répondait point.
L’heure suivante, se passant sans nouvelles de Bella, vint démentir ces suppositions. L’archiduc interrogea sans résultat les sentinelles. Il fit enfin appeler Braka. La vieille pleurait la disparition de Bella ; tous ses beaux projets étaient partis avec elle.
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Enfin, et tandis que Bella était déjà bien loin avec les siens, il apprit qu’elle était accouchée en Bohème d’un prince auquel, en le baptisant, on avait donné le nom de Selrahc (le nom retourné de son père Charles), et que l’écolier enlevé par les bohémiens était devenu, grâce à la faveur de Bella, un de leurs chefs sous le nom de Sleipner.
L’attente de ces nouvelles avait causé le retard incompréhensible que le prince mettait à quitter les Pays-Bas pour l’Espagne, où son grand-père venait de mourir, et où le peu de ménagement de Ximenès pouvait allumer une guerre civile. Muni de ces renseignements sur Isabelle, il voulait la rejoindre ; mais en quel lieu ? Comment, d’un autre côté, abandonner les rêves de sa jeunesse près de se réaliser ? Sa couronne,
C’est ainsi qu’une horloge vient, d’un timbre inopportun, interrompre une suite de tranquilles et douces pensées.
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Si nous ne nous trompons pas, d’étranges caprices, contre lesquels vinrent échouer ses plus importantes entreprises, s’expliquent par cette première imprudence : l’indifférence avec laquelle il prit d’abord le gouvernement, laissant perdre les Espagnes par les infâmes malversations de Chièvres et des siens, les plaisirs matériels dans lesquels il cherchait à s’oublier, et où il épuisait prématurément ses forces ; tous actes d’une âme désappointée et à laquelle il manquait quelque chose. Il lui fallait le temps et de grands événements, comme la conquête de la Nouvelle-Espagne, son avènement à l’empire, un adversaire infatigable, pour l’empêcher de tomber dans un profond dégoût de la royauté. Enfin il lui fallait Mandragore pour mettre en action toute son activité.
Que faisait pendant ce temps le rival du prince ? Après avoir cherché de tout son pouvoir, mais sans succès, sa femme perdue pour la seconde fois, il avait, plus tôt que l’archiduc, trouvé une consolation : il
Tandis qu’il l’ornait de fleurs et s’agenouillait devant elle, les domestiques du château entendirent un grand bruit dans la chambre du petit ; on avait d’abord entendu les cris de Cornélius, puis des voix devenant de plus en plus nombreuses.
Lorsque les gardes enfoncèrent la porte, on entendit comme un coup de foudre, une odeur de soufre se répandit dans la chambre ; le petit homme-racine gisait par terre sans vie et tout déchiqueté. On l’enterra secrètement, et Charles se regarda comme débarrassé de lui. Le monde crut qu’il avait complètement disparu. La vérité est
En vain il changea de demeure, de vêtements ; en vain il se réfugia jusque sous le soleil d’Afrique ; lorsqu’un mauvais désir venait l’assiéger, au moment où il s’en croyait débarrassé pour toujours, la mandragore apparaissait : tantôt sous la figure d’un grillon qui, caché derrière le poêle, lui indiquait l’occasion et le moyen d’avoir de l’argent pour accomplir son mauvais dessein ; tantôt sous la forme d’une araignée qui descendait du plafond sur son pupitre ; ou d’un crapaud qui venait au-devant de lui, lorsqu’il entrait au jardin ; d’autres fois elle venait bourdonnant autour de lui comme un hanneton ; et le matin et le soir elle volait auprès de lui en poussant des cris sauvages. Charles l’écoutait, et trop souvent obéit à sa voix.
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Notre vain siècle néglige les cérémonies funèbres ; chez nos pieux aïeux on donnait souvent parmi les cadeaux de noces un linceul à la fiancée ; qui oserait traiter cela d’étrangeté ? C’était une marque de cette unité de pensées qui se reproduit à nos yeux dans toute leur histoire, et surtout dans les monuments de leur haute piété que nous ont conservés les vieilles églises allemandes. Quelle unité, quelle entente de toutes les proportions ! Tout a de profonds fondements dans la terre, et tout s’élève vers le ciel avec noblesse et beauté. L’église se dresse vers le ciel, les fleurs et les feuilles de sculptures semblent se joindre pour prier ; tout se tourne vers la croix qui marque l’extrémité de l’édifice, représentant le sceau de la vie divine chez l’homme. Elle seule brille des couleurs de l’or, et aucun ornement dans l’œuvre de l’architecte n’ose s’enrichir de l’éclat de ce métal.
Ce ne sont pas seulement les funérailles, c’est aussi la vie de Charles-Quint que la postérité a jugée longuement et sévèrement, quoique les contemporains seuls puissent bien apprécier un conquérant à la fin de sa carrière ; mais les tribunaux des morts qui étaient une des grandes institutions de
« Isabelle, la célèbre reine, manda son fils Selrahc qu’elle avait eu de Charles, selon la prédiction Adrien, son capitaine Sleipner qu’elle avait trouvé simple écolier à Gand, ainsi que tous les seigneurs et chefs du peuple à l’entrée de la grande pyramide, près des sources du Nil, où elle s’était fait faire un tombeau.
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« La reine, au milieu des gémissements de tout son peuple, s’étendit dans sa bière, et chacun selon son rang, comme c’était la coutume, passa devant elle, et fit insérer au livre royal son opinion bien méditée et rédigée d’une manière intelligible. »
Le prêtre qui m’a donné tous ces détails me lut comment les choses
« Pendant le jugement, elle tomba dans une douce contemplation. À travers les brouillards qui couvraient encore ce pays créé par elle, elle entrevit les jardins enchantés de son peuple ! Les enfants jouaient en toute sécurité ; les fontaines coulaient, là où autrefois le crocodile venait se chauffer au soleil sur un sable brûlant ; des oiseaux rouges et bleus chantaient où autrefois on n’entendait que le sifflement des serpents. Plus loin elle vit la verte prairie émaillée de fleurs ; les agneaux se promenaient lentement à travers les touffes d’herbes, en faisant résonner leurs clochettes, là où autrefois la mort saisissait tout être vivant qui s’aventurait sur les marais sans fond. Elle voyait couler le FLEUVE, le fleuve des fleuves, qui seul polit comme une épée le métal vierge du monde sublunaire ; on entendait le bruit cadencé des rames, là où aux eaux basses les poissons osaient à peine nager.
« Mais le plus beau coup
« À ce moment elle tomba dans le fleuve et disparut.
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