« Les Grandes Espérances/II/29 » : différence entre les versions

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La nouvelle de la lourde chute que ma haute fortune avait éprouvée, était arrivée avant moi dans mon pays natal et dans ses environs. Je trouvai le ''Cochon'' ''bleu'' au courant de la nouvelle, et je trouvai même qu’il en résultait un grand changement dans sa conduite à mon égard. Autant le ''Cochon'' avait recherché mon estime avec une chaleureuse assiduité, quand j’étais en possession de mes espérances, autant le ''Cochon'' était froid, maintenant que la fortune m’abandonnait.
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Il faisait nuit quand j’arrivai très fatigué de ce voyage, que j’avais fait si souvent et si facilement autrefois. Le ''Cochon'' ''bleu'' ne put me donner ma chambre accoutumée, laquelle était occupée (sans doute par quelqu’un qui avait des espérances) et ne put m’assigner qu’une retraite des plus humbles parmi les pigeons et les chaises de poste de la cour ; mais je goûtai un aussi profond sommeil dans ce logement que dans le plus bel appartement que le ''Cochon'' aurait pu me donner, et la qualité de mes rêves fut à peu près la même qu’elle aurait été dans la meilleure chambre à coucher.
 
De grand matin, pendant qu’on préparait mon déjeuner, j’allai faire un tour du côté de Satis House. Il y avait
De grand matin, pendant qu’on préparait mon déjeuner, j’allai faire un tour du côté de Satis House. Il y avait des affiches collées sur la porte et des morceaux de tapis pendus hors des fenêtres, annonçant la vente à la criée des articles de ménage, meubles et effets, pour la semaine suivante. La maison elle-même devait être vendue comme vieux matériaux et abattue. ''Lot'' 1er était écrit en grosses lettres au blanc d’Espagne sur la brasserie. ''Lot'' 2ème, sur cette partie du bâtiment principal qui était restée fermée si longtemps. D’autres lots étaient marqués sur différentes parties des constructions, et le lierre avait été arraché pour faire place aux écriteaux, et il y en avait déjà beaucoup traînant dans la poussière, et tout flétri. Entrant un instant par la porte ouverte, et regardant autour de moi de l’air maussade d’un étranger qui n’a rien à faire dans l’endroit où il se trouve, je vis le commis du commissaire-priseur se promener sur les fûts et les désigner à haute voix à un rédacteur du catalogue qui, plume en main, se faisait un pupitre provisoire du fauteuil à roues que j’avais si souvent poussé en chantant le vieux Clem.
==[[Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/352]]==
De grand matin, pendant qu’on préparait mon déjeuner, j’allai faire un tour du côté de Satis House. Il y avait des affiches collées sur la porte et des morceaux de tapis pendus hors des fenêtres, annonçant la vente à la criée des articles de ménage, meubles et effets, pour la semaine suivante. La maison elle-même devait être vendue comme vieux matériaux et abattue. ''Lot'' 1er était écrit en grosses lettres au blanc d’Espagne sur la brasserie. ''Lot'' 2ème, sur cette partie du bâtiment principal qui était restée fermée si longtemps. D’autres lots étaient marqués sur différentes parties des constructions, et le lierre avait été arraché pour faire place aux écriteaux, et il y en avait déjà beaucoup traînant dans la poussière, et tout flétri. Entrant un instant par la porte ouverte, et regardant autour de moi de l’air maussade d’un étranger qui n’a rien à faire dans l’endroit où il se trouve, je vis le commis du commissaire-priseur se promener sur les fûts et les désigner à haute voix à un rédacteur du catalogue qui, plume en main, se faisait un pupitre provisoire du fauteuil à roues que j’avais si souvent poussé en chantant le vieux Clem.
 
Quand je revins au ''Cochon'' ''bleu'' pour déjeuner, je trouvai Pumblechook causant avec l’aubergiste. M. Pumblechook (qui ne paraissait pas avoir gagné depuis sa dernière aventure nocturne) m’attendait, et m’adressa la parole dans les termes suivants :
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Comme il étendait la main avec le geste magnifique d’un homme qui pardonne, et comme j’étais brisé et accablé par la maladie, et peu porté à quereller, je le laissai faire.
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« William, dit M. Pumblechook au garçon, mettez un muffin sur la table. En sommes-nous vraiment là ?… en sommes-nous vraiment arrivés là ?… »
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« Il ne lui reste plus que la peau et les os ! pensa Pumblechook à haute voix ; et cependant, quand il partait d’ici (avec ma bénédiction, je puis le dire), quand j’étalais devant lui mon humble repas, comme l’abeille, il était frais comme une pêche. »
 
Cela me fit penser à la différence surprenante qu’il y avait entre la manière servile avec laquelle il m’avait offert sa main dans ma nouvelle prospérité, en disant : « Permettez… permettez… » et la clémence fastueuse avec laquelle il venait d’exhiber ces mêmes cinq gros doigts.
==[[Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/354]]==
d’exhiber ces mêmes cinq gros doigts.
 
« Ah ! continua-t-il, en me passant le pain et le beurre, allez-vous chez Joseph ?
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Le garçon semblait convaincu que je ne pouvais pas le nier, et que cela donnait un mauvais air à l’affaire.
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« Jeune homme, dit Pumblechook en me jetant sa tête en avant comme autrefois, vous allez chez Joseph… Que m’importe, me demandez-vous, où vous allez ? Je vous dis, monsieur, que vous allez chez Joseph. »
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— Ici, vous vous méprenez sur son compte, dis-je ; je le connais mieux que vous.
 
— Dites, continua Pumblechook, Joseph, j’ai vu cet homme ; et cet homme ne vous veut pas de mal et ne me veut pas de mal. Il connaît votre caractère, et il sait combien vous êtes brute et ignorant, il connaît mon caractère, et il connaît mon ingratitude. Oui, Joseph, direz-vous, et ici Pumblechook agita sa
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tête et sa main. Il connaît mon manque total de reconnaissance, il le connaît comme personne ne peut le connaître ; vous ne le connaissez pas, vous, Joseph n’étant pas appelé à le connaître, mais cet homme le connaît. »
 
Tout en le reconnaissant vain et impudent, j’étais réellement abasourdi de voir qu’il avait l’aplomb de me parler ainsi.
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— Propriétaire du ''Cochon'' ''bleu'' ! s’écria Pumblechook en s’adressant au maître de l’auberge et à William, je ne m’oppose pas à ce que vous disiez par la ville, si tel est votre désir, qu’il était juste, bon et bienveillant, et que je le ferais encore si c’était encore à faire. »
 
Sur ces mots, l’imposteur leur serra la main à tous deux d’un air particulier et sortit de la maison, me laissant plus étonné qu’enchanté de cette chose indéfinie qu’il soutenait, à savoir, qu’il était juste, bon et bienveillant, qu’il avait tout fait et qu’il était disposé à tout faire encore. Bientôt après lui, je quittai aussi la maison, et quand je descendis la Grand’Rue, je le vis devant
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sa boutique haranguer, sans doute sur le même sujet, un groupe choisi qu’il m’honora de certains coups d’œil peu favorables, quand je passai de l’autre côté de la rue.
 
Mais il ne fut que plus agréable pour moi de me rendre près de Biddy et de Joe, dont j’entrevoyais la grande indulgence, qui brillerait plus éclatante que jamais, en opposition avec la rudesse de cet imposteur éhonté. Je me dirigeai donc vers eux lentement, car mes jambes étaient encore bien faibles, mais avec un sentiment de contentement toujours croissant, à mesure que je m’approchais d’eux, et j’avais la conviction que je laissais l’arrogance et le manque de franchise de plus en plus loin derrière moi.
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La température de juin était délicieuse, le ciel était bleu, les alouettes planaient bien haut sur les blés verts ; je trouvais ce pays bien plus beau que je ne l’avais encore trouvé. Bien des images agréables de la vie que j’aurais voulu y mener et l’idée du changement avantageux qui s’opérait dans mon caractère, quand j’aurais auprès de moi un guide dont je connaissais la foi naïve et la sagesse simple m’accompagnaient en chemin. Elles éveillaient en moi une douce émotion, car mon cœur était adouci par mon retour, et il était survenu de tels changements que j’étais comme quelqu’un qui reviendrait de lointains voyages et qui rentrerait nu-pieds dans ses foyers après avoir erré pendant plusieurs années.
 
La maison d’école où Biddy était maîtresse m’était inconnue : mais la petite ruelle détournée par laquelle j’entrai dans le village me fit passer devant. Je fus désappointé de trouver que c’était jour de congé : il n’y avait pas d’enfants, et la maison de Biddy était fermée. J’avais nourri l’espoir que je la verrais dans l’exercice
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de ses fonctions journalières avant qu’elle m’aperçût, et cet espoir était déçu.
 
Mais la forge n’était pas loin, et je m’y rendis en passant sous l’allée verte des beaux tilleuls, écoutant le bruit du marteau de Joe. Longtemps après que j’aurais dû l’entendre, et longtemps après que je m’étais imaginé l’entendre, je vis que ce n’était qu’une idée : tout était calme, les tilleuls étaient là comme autrefois, les aubépines et les châtaigniers y étaient aussi, et leurs fouilles faisaient entendre un harmonieux frémissement quand je m’arrêtais pour écouter ; mais les coups de marteau de Joe ne se mêlaient pas à la brise de l’été. Effrayé sans savoir pourquoi d’arriver en vue de la forge, je la vis enfin, et je vis aussi qu’elle était fermée. Pas de réverbération de feu, pas de pluie d’étincelles, pas de ronflements des soufflets, tout était fermé et tranquille.
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Je portais mes yeux de l’un à l’autre, et puis…
 
« C’est aujourd’
« C’est aujourd’hui le jour de mon mariage ! s’écria Biddy dans un transport de bonheur, et je suis la femme de Joe !… »
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« C’est aujourd’huihui le jour de mon mariage ! s’écria Biddy dans un transport de bonheur, et je suis la femme de Joe !… »
 
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Joe me regarda les lèvres tremblantes, et tout franchement il porta sa manche sur ses yeux.
 
« Allons, Joe et Biddy, puisque vous avez été tous deux à l’église aujourd’hui, et que vous êtes en dispositions charitables et affectueuses envers
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le genre humain, recevez mes humbles remerciements pour tout ce que vous avez fait pour moi, et que j’ai si mal reconnu ! Je vous préviens que je vais vous quitter dans une heure, car je vais bientôt partir, et je vous promets que je ne prendrai pas de repos avant d’avoir gagné l’argent que vous m’avez donné pour empêcher qu’on me conduisît en prison, et avant de vous l’avoir envoyé. Ne pensez pas, mon cher Joe, et vous, ma bonne Biddy, que si je pouvais vous le rendre mille fois, je pourrais m’imaginer retrancher un seul liard de ce que je vous dois, ni que je le ferais si je le pouvais. »
 
Ils furent tous deux attendris par ces paroles, et me supplièrent de n’en pas dire davantage.
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— Je ne lui dirai, fit Joe derrière sa manche, rien de la sorte, Pip, ni Biddy non plus, ni personne non plus.
 
— Et maintenant, bien que je sache que vous l’ayez déjà fait tous deux, du fond de vos excellents cœurs, je vous en prie, dites-moi tous les deux que vous me pardonnez ! Je vous en prie, laissez-moi entendre ces paroles ; que je puisse en emporter le son avec moi, et alors je pourrai croire que vous pourrez avoir confiance en moi, et avoir une meilleure opinion de moi avec le temps.
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en moi, et avoir une meilleure opinion de moi avec le temps.
 
— Ô cher Pip ! mon vieux camarade, dit Joe, Dieu sait si je vous pardonne, et si j’ai quelque chose à vous pardonner !
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Je vendis tout ce que j’avais, et je mis de côté, autant qu’il me fut possible, pour faire un arrangement avec mes créanciers, qui me donnèrent un temps convenable pour m’acquitter entièrement, et je partis pour aller rejoindre Herbert. Avant qu’un mois fut écoulé, j’avais quitté l’Angleterre ; au bout de deux mois, j’étais commis chez Clarricker et Co ; au bout de quatre mois, je me trouvais pour la première fois seul chargé de toute la responsabilité, car la poutre qui traversait le plafond du salon du Moulin du Bord de l’Eau avait cessé de trembler sous les imprécations du vieux Bill Barley et était maintenant en paix. Herbert était parti pour épouser Clara, et je restais seul chargé de la maison d’Orient jusqu’au jour où il revint avec elle.
 
Bien des années s’écoulèrent avant que je devinsse associé de la maison, mais je vécus heureux avec Herbert et sa femme, je vécus modestement et je payai mes dettes, et j’entretins une correspondance suivie avec Biddy et Joe ; ce ne fut que lorsque mon nom figura en troisième ordre dans la raison de commerce que Clarricker me trahit à Herbert ; mais il déclara alors que le secret de l’association
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d’Herbert était resté assez longtemps sur sa conscience, et qu’il fallait qu’il le révélât. C’est ce qu’il fit, et Herbert en fut aussi touché que surpris, et le cher garçon et moi n’en restâmes pas moins amis pour cette longue dissimulation. Je ne dois pas laisser supposer que nous fûmes jamais une grande maison, ou que nous entassâmes des monceaux d’argent. Nos affaires n’étaient pas sur un grand pied, mais notre nom était honorablement connu, puis nous travaillions beaucoup, et nous réussissions très bien. Nous devions tout à l’application et à l’habileté d’Herbert. Je m’étonnais souvent en moi-même d’avoir pu concevoir autrefois l’idée de son inaptitude, jusqu’au jour où je fus illuminé par cette réflexion, que peut-être l’inaptitude n’avait jamais été en lui, mais en moi.