« Les Grandes Espérances/II/2 » : différence entre les versions
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Plusieurs petites circonstances curieuses transpiraient à mesure que l’action se déroulait. Le défunt roi paraissait non seulement avoir été atteint d’un rhume au moment de sa mort, mais l’avoir emporté avec lui dans la tombe, et l’avoir rapporté en sortant. Le royal fantôme portait aussi un fantôme de manuscrit autour de son bâton de commandement, qu’il avait l’air de consulter de temps en temps, et cela avec une tendance évidente à perdre l’endroit où il en était resté, ce qui résultait sans doute de son état de mortalité. C’est ce qui, je pense, amena la galerie à conseiller à l’ombre de tourner la page, recommandation qu’elle prit extrêmement mal. Il faut aussi faire remarquer que cet esprit majestueux, qui avait l’air, en faisant son apparition, d’avoir marché longtemps et d’avoir parcouru une distance énorme, sortait d’un mur, immédiatement contigu. Cela fut cause que les terreurs qu’il inspirait furent reçues avec dérision. La reine de Danemark, dame très gaillarde, fut considérée par le public comme ayant trop de cuivre sur sa personne. Son menton se réunissait à son diadème par une large bande de ce métal, comme si elle eût eu un mal de dents formidable. Sa taille était ceinte d’une autre bande, et chacun de ses bras également, de sorte qu’on lui donnait tout haut le nom de grosse caisse. Le jeune gentilhomme, dans les bottes de son ancêtre, était très insuffisant pour représenter tout d’une baleine à lui seul, un marin habile, un acteur ambulant, un fossoyeur, un prêtre et un personnage de la plus haute importance, assistant à l’assaut d’armes devant la cour, et qui par son œil habile et son jugement sain, était appelé à juger les plus beaux coups. Cela amena graduellement le public à manquer graduellement d’indulgence pour lui, et lorsque enfin on le reconnut dans les saints ordres, se refusant à célébrer le service funèbre, l’indignation générale ne connut plus de bornes et le poursuivit sous la forme de coquilles de noix. En dernier lieu, Ophélia fut en proie à une folie si lente et si musicale, que, lorsque au moment voulu, elle eut ôté son écharpe de mousseline blanche, qu’elle l’eut pliée et entourée, un mauvais plaisant du parterre, qui depuis longtemps rafraîchissait son nez impatient contre une barre de fer du premier rang, s’écria :
«
Ce qui, pour ne pas dire davantage, était tout à fait hors de propos.
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« Non. »
Et d’autres, penchant pour les deux opinions, dirent
« Voyons, à pile ou face ! »
C’était tout à fait une conférence d’avocats. Quand il demanda pourquoi un être comme lui ramperait entre le ciel et la terre, il fut encouragé par les cris
« Écoutez ! Écoutez ! »
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Lorsqu’il parut avec son bas en désordre (ce désordre exprimé, selon l’usage, par un pli très propre à la partie supérieure, pli que l’on obtient, je crois, à l’aide d’un fer à repasser), une discussion s’éleva dans la galerie, à propos de la pâleur de sa jambe, et le public demanda si elle était occasionnée par la peur que lui avait faite le fantôme. Lorsqu’il saisit le flageolet qui ressemblait énormément à une petite flûte dont on avait joué dans l’orchestre, et qu’on venait de mettre dehors, on lui demanda, à l’unanimité, le ''Rule Britannia''. Quand il recommanda à l’accompagnateur de ne pas massacrer l’air, le mauvais plaisant dit :
« Et vous non plus, vous êtes bien plus mauvais que lui.
Et j’éprouve de la peine à ajouter que des éclats de rire accueillirent M.
Mais ses plus rudes épreuves furent dans le cimetière, qui avait l’apparence d’une forêt vierge, avec une sorte de petit vestiaire d’un côté, et une porte à tourniquet de l’autre. Quand M. Wopsle, en manteau noir, fut aperçu passant au tourniquet, on avertit amicalement le fossoyeur, en criant
«
Je crois qu’il est bien connu, que dans un pays constitutionnel, M. Wopsle ne pouvait décemment pas rendre le crâne après avoir moralisé dessus, sans s’essuyer les doigts avec une serviette blanche, qu’il tira de son sein ; mais même cette action, innocente et indispensable, ne passa pas sans le commentaire :
«
L’arrivée du corps pour l’enterrement, dans une grande boite noire, vide, avec le couvercle ouvert et retombant en dehors, fut le signal d’une joie générale, qui s’accrut encore par la découverte, parmi les porteurs, d’un individu, sujet à l’identification. La joie suivit M. Wopsle, dans sa lutte avec Laërte sur le bord de la tombe de l’orchestre et ne se ralentit pas jusqu’au moment où il renversa le Roi de dessus la table de cuisine et qu’il fut mort à force de se tenir les pieds en l’air.
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Nous avions fait au commencement quelques timides efforts pour applaudir M. Wopsle, mais avec trop d’insuccès pour persister. Nous étions donc restés tranquilles, tout en souffrant pour lui, mais riant tout bas, néanmoins, de l’un à l’autre. Je riais tout le temps, malgré moi, tant cela était comique, et pourtant j’avais une espèce d’impression qu’il y avait quelque chose de positivement beau dans l’élocution de M. Wopsle : non pas que j’en aie peur à cause de mes anciennes relations, mais parce qu’elle était très lente, terrible, montante et descendante, et qu’elle ne ressemblait en aucune manière à la façon dont un homme, dans les circonstances naturelles de la vie ou de la mort, s’est jamais exprimé sur quoi que ce soit. Quand la tragédie fut finie, et qu’on eût rappelé et hué notre ami, je dis à Herbert :
«
Nous descendîmes en toute hâte, mais pas assez vite cependant. À la porte se trouvait une espèce de juif, avec des sourcils extrêmement épais et crasseux. Il m’aperçut comme nous avancions, et me dit quand nous passâmes à côté de lui :
«
L’identité de M. Pip et de son ami ayant été avouée, il continua
«
—
Immédiatement Herbert me dit à l’oreille :
«
— Oh ! bien, dis-je, faut-il vous suivre ?
—
Quand nous fûmes dans un couloir retiré, il se retourna pour me demander :
«
Je ne savais pas de quoi il avait l’air, si ce n’est d’un conducteur d’enterrement avec l’addition d’un grand soleil ou d’une étoile danoise pendue à son cou, par un ruban bleu
« Quand il arrive à la tombe, il fait admirablement valoir son manteau ; mais, de la coulisse, il m’a semblé que quand il voit le fantôme dans l’appartement de la reine, il aurait pu tirer meilleur parti de ses bas.
Je fis un signe d’assentiment, et nous tombâmes, en passant par une sale petite porte volante, dans une sorte de caisse d’emballage où il faisait très chaud et où M. Wopsle se débarrassait de ses vêtements danois. Il y avait juste assez de place pour nous permettre de regarder par-dessus nos épaules, en tenant ouverte la porte ou le couvercle de la caisse.
«
En même temps, M. Waldengarver, dans une effroyable transpiration, cherchait à se débarrasser de son deuil princier.
«
Sur ce, il se mit à genoux et commença à dépouiller sa victime qui, le premier bas ôté, serait infailliblement tombée à la renverse avec sa chaise, s’il y avait eu de la place pour tomber n’importe comment.
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Je n’avais pas osé dire jusqu’alors un seul mot sur la représentation ; mais en ce moment M. Waldengarver nous regarda avec satisfaction, et dit :
« Messieurs, comment vous a-t-il semblé que cela marchait, vu de face
Herbert répondit derrière moi, me poussant en même temps :
«
Comment avez-vous trouvé que j’ai rendu le personnage, messieurs
Herbert répondit de derrière, en me poussant de nouveau
« Merveilleux ! complet ! »
Et je répétai hardiment, comme si je l’avais inventé et comme si je devais appuyer sur ces mots
« Merveilleux ! complet ! »
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— Je suis aise d’avoir votre approbation, messieurs, dit M. Waldengarver, avec un air de dignité, tout en se cognant en même temps contre la muraille et en se retenant au siège du fauteuil.
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M. Waldengarver me sourit, comme pour me dire :
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Puis il dit très haut :
« Mes vues sont un peu classiques et abstraites pour eux ; mais ils progresseront, ils progresseront.
Herbert et moi nous répétâmes ensemble :
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« Oh ! sans doute ils progresseront.
— Avez-vous remarqué, messieurs, dit M. Waldengarver, qu’il y avait un homme à la galerie qui voulait jeter du ridicule sur le service… je veux dire la représentation
Nous répondîmes lâchement que nous croyions avoir remarqué quelque chose de semblable, et j’ajoutai que, sans doute, cet homme était ivre.
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« Oh ! non pas ! non pas, monsieur ! Il n’était pas ivre ; celui qui l’emploie veille à cela, monsieur : il ne lui permettrait pas de s’enivrer.
— Vous connaissez celui qui l’emploie
M. Wopsle ferma les yeux et les rouvrit, exécutant ces mouvements avec une grande lenteur.
« Vous avez dû remarquer, messieurs, dit-il, un âne ignorant et beuglant, à la gorge pelée, qui a une expression de basse malignité sur le visage ; il a essayé, je ne dirai pas joué, le rôle de Claudius, roi de Danemark. C’est celui qui l’emploie, messieurs, voilà sa profession !
Sans savoir exactement si j’aurais été plus fâché pour M. Wopsle, s’il eût été au désespoir, j’étais, quoi qu’il en soit, si fâché pour lui, et je compatissais tellement à son sort, que je profitai de l’instant où il se retournait pour faire mettre ses bretelles, ce qui nous forçait à rester en dehors de la porte, pour demander à Herbert ce qu’il pensait de l’avoir à souper. Herbert dit qu’il pensait qu’il serait bien de l’inviter. En conséquence je lui fis mon invitation et il vint avec nous à l’hôtel ''Barnard'', enveloppé jusqu’aux yeux. Nous le traitâmes de notre mieux, et il resta jusqu’à deux heures du matin, en passant en revue son succès et en développant ses plans. J’ai oublié ce qu’ils étaient en détail, mais j’ai un souvenir général qu’il voulait commencer par ressusciter le théâtre pour finir par l’anéantir, d’autant plus que sa mort le laisserait dans un abandon complet, et sans aucune chance d’espoir.
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