« Poètes et romanciers modernes de la Grande-Bretagne/02 » : différence entre les versions

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{{journal|[[Revue des Deux Mondes]], tome 1, janv. - mars 1833|[[Thomas Roscoe]]|Poètes et romanciers de la Grande-Bretagne<br />'''Charles-Robert MathurinMaturin'''}}
 
 
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<div style="text-align:center;">Poètes et romanciers de la Grande-Bretagne</div>
 
<div style="text-align:center;">[[Charles Robert Maturin|Charles-Robert MathurinMaturin]]</div>
 
 
 
En feuilletant les histoires antiques, je me suis bien souvent demandé pourquoi la biographie, c'est-à-dire l'élément indivi¬duelindividuel, le portrait et l'analyse de l'âme humaine aux prises avec les mille obstacles de la vie familière et quotidienne, y tenait si peu de place; pourquoi Xénophon et Thucydide, Tite-Live et Tacite lui-même accordaient tant aux choses et si peu à l'humanité; pour¬quoipourquoi, malgré les lueurs éclatantes qui se projettent sur les carac¬tèrescaractères mystérieux de Néron et de Tibère, le plus hardi penseur de la Rome impériale répugne si obstinément aux peintures d'intérieur. Plutarque lui-même, qui s'intitule biographe des hommes illustres, ne laisse échapper qu'à regret de sa plume de rhéteur les détails naïfs et simples, plus instructifs cent fois que ces solennels paral¬lèlesparallèles entre les généraux d'Athènes et de Lacédémone, dont il a légué le modèle aux pédans de collège.
 
N'est-ce pas que le polythéisme, en plaçant les dieux eux-mêmes sous la domination du destin, enlevait à l'homme son plus beau privilège, le libre arbitre? N'est-ce pas que dans une société où Thémistocle invoquait le sens obscur d'un oracle, pour décider une expédition, où les plus lointaines campagnes dépendaient de l'ignorance ou de la fourberie d'un aruspice, l'homme n'avait qu'un rôle secondaire, et n'était qu'un instrument au lieu d'être une volonté ? N'est-ce pas que, dans le monde antique, les générations, au lieu d'être livrées au gouvernement de la raison, n'étaient, aux yeux du philosophe, qu'un océan docile, sillonné douloureusement selon le caprice qu'ils appelaient ''fatum ? ''
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Il faut donc reconnaître que la formule religieuse qui a résumé sous un symbole populaire les préceptes d'une morale élevée a rendu à l'humanité un double service en agrandissant la sphère de ses actions et le cercle de ses études.
 
Et ce prologue, je l'espère, explique suffisamment pourquoi je me complais si délibérément dans le récit des biographies d'artistes, pourquoi j'essaie si souvent d'interpréter les oeuvresœuvres qu'ils nous ont laissées par le tableau de leur destinée sociale.
 
Charles-Robert Maturin, qui fait le sujet de ces nouvelles études est né en 1782, à Dublin. Son père exerçait alors un emploi modique, mais honorable. Dans ses exercices universitaires, le jeune Robert se distingua de bonne heure par une conception rapide, une parole harmonieuse et soudaine, mais plus encore par son indolence et sa mélancolie. En quittant l'université, il entra dans les ordres, et devint ''vicar of a curate'', c'est-à-dire qu'il suppléa dans ses fonctions ecclésiastiques un ministre de campagne. Comme il arrive d'ordinaire aux âmes tristes, il sentit, à son début dans la vie, le besoin de consolation, de confiance, d'intimité, de sympathies sans réserve. A de pareilles âmes l'amitié ne suffit pas.
 
Maturin se prit d'amour pour Henriette Kingsburg, soeursœur de l'archidiacre de Killala, et petite-fille du docteur Kingsburg, qui recueillit des lèvres de Swift les dernières paroles intelligibles et sensées que le doyen de Saint-Patrick ait prononcées; il eut le bonheur d'épouser son Henriette, et, confiant dans l'avenir, se résigna doucement à la médiocrité de son existence. La vie de famille, entremêlée des travaux paisibles de sa place, suffisait à ses désirs. Son intelligence, malgré sa souplesse et son agilité, ne s'employait qu'à mieux comprendre le bonheur modeste qui lui était départi, sans s'élever ou sans descendre, comme on voudra, jusqu'aux rêves soucieux de l'avarice et de l'ambition. Si les choses fussent demeurées en cet état, Maturin aurait continué de vivre au milieu de joies ignorées, entouré d'amour et de caresses, lisant le soir la prière à ses enfans réunis, bénissant Dieu des journées qu'il lui accordait, et s'endormant dans les bras de son Henriette pour rêver à la veille ou au lendemain, à des jours sereins et pareils.
 
Il y a long-temps qu'on l'a dit, et jamais parole plus vraie ni plus douloureuse ne s'est prononcée : « le bonheur n'a pas d'histoire. » Le père de Robert perdit l'emploi qu'il exerçait avec bonheur depuis quarante-sept ans; dès ce moment, le mari d'Henriette fut obligé de chercher ailleurs que dans les modiques émolumens de son vicariat la subsistance de sa famille. Comme Milton, qui fut maître d'école avant d'être le secrétaire du Protecteur, il ouvrit une classe, prit des pensionnaires, et cette nouvelle indus¬trieindustrie, bien que peu lucrative, ne démentit pas ses espérances. Mais il eut l'imprudence de répondre pour les dettes d'un ami; au jour de l'échéance, le débiteur prit la fuite, et souffrit lâchement qu'on menaçât de la prison ceux qui lui avaient servi de caution. Olivier Goldsmith avait pris gaîment une pareille aventure; mais il n'était pas marié. Il n'avait pas, comme le dit quelque part François Bacon, donné des otages à la fortune. Le poète insouciant du ''Village abandonné'' était parti n'emportant avec lui que sa flûte pour défrayer en voyage son sommeil et son souper, et il avait pu continuer librement son aventureux pèlerinage. Mais Robert Maturin avait une femme et des enfans. Il resta, comme il le devait, demanda conseil à la réflexion, et après avoir vendu son école pour acquitter une partie de la dette, il chercha dans sa plume de nouvelles ressources pécuniaires. Il publia successivement la ''Famille Montorio'', le ''Jeune Irlandais'' et le ''Milésien'', sans trop de gloire ni de profit; car la plus avantageuse de ces trois publications, ''the Milesian'', fut acquise en 1811 par M. Colburn pour la modique somme de 80 liv. sterl., 2,000 fr. de notre monnaie.
 
Dans les rares intervalles de ses leçons de grammaire anglaise et latine, il avait composé une tragédie, ''Bertram'' ; les succès récens de Shiel l'encouragèrent à présenter sa tragédie au théâtre de Dublin. ''Bertram'' fut refusé. Instruit que l'auteur de ''Marrnion'' avait parlé avec éloge de ''Montorio'', il partit pour Londres où se trouvait alors l'illustre poète, et lui soumit le manuscrit de sa tragédie. Walter Scott le recommanda à lord Byron, qui était alors membre du comité de Drury-Lane, et en 1816 ''Bertram'', refusé deux ans auparavant, en 1814, par le directeur de Dublin, fut joué devant un nombreux auditoire, et Kean, à qui était confié le principal rôle de la pièce, enleva les applaudissemens de toute la salle.