« Les Vivants et les Morts » : différence entre les versions

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Dans un musée, au bord des flots.
 
—J’ai— J’ai vu sous le soleil d’un antique rivage
Qui subit la chaleur comme un céleste affront,
Des squelettes légers au fond des sarcophages,
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Dont tu ne pourras pas sortir.
 
—O— O beauté des printemps, alacrité des neiges,
Rassurantes parois du vase immense et clos
Où, comme de joyeux et fidèles arpèges,
Tout monte et chante sans repos ! …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/14]]==
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Regarder quel éclat a votre vrai visage,
Et si vous ressemblez à ce que j’ai souffert…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/16]]==
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Un rosier diriger sa marche sûre et forte
Vers le soleil si beau…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/19]]==
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Je n’ai besoin de rien, puisque je t’ai perdu…
J’ESPÈRE
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/20]]==
<poem>
J’ESPÈRE DE MOURIR…
 
J’espère de mourir d’une mort lente et forte,
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<poem>
 
—Prenez— Prenez ces yeux, emplis de vastes paysages,
Qui n’ont jamais bien vu l’exact et le réel,
Et qui, toujours troublés par de changeants visages,
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Pour élancer encor ma voix tempétueuse
Il faudrait une foule, et qui n’aurait qu’un cœur !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/23]]==
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Où tes pieds ont couru !
 
—Tu— Tu viens, l’air retentit, ta main ouvre la porte,
Je vois que tout l’espace est orné de tes yeux,
Tu te tais avec moi, que veux-tu qu’on m’apporte,
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Où la foudre a jailli !
 
—Je— Je te donne un amour qu’aucun amour n’imite,
Des jardins pleins du vent et des oiseaux des bois,
Et tout l’azur qui luit dans mon cœur sans limites,
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<poem>
 
—J’ai— J’ai longtemps repoussé l’approche de l’ivresse,
L’encens, la myrrhe et l’or que portaient les trois rois ;
Je disais : « Ce bonheur, s’il se peut, ô Sagesse,
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Protègent du baiser. »
 
—Mais— Mais le Destin, pensif, alourdi, plein de songes,
M’indiquait en riant mon martyre ébloui.
L’avenir aimanté déjà vers nous s’allonge,
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Ne pouvait pas calmer…
 
—J’accepte— J’accepte le bonheur comme une austère joie,
Comme un danger robuste, actif et surhumain ;
J’obéis en soldat que la Victoire emploie
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Viennent rêver le soir sur les champs de bataille
Où gisent les héros…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/29]]==
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Je dormais, je m’éveille, et je sens mon malheur.
—Comme— Comme un coup de canon qu’on tire dans le cœur,
Vous éclatez en moi, douleur retentissante !
 
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==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/30]]==
<poem>
 
Que seront mes repos, que seront mes voyages
Si je ne vois jamais l’air de votre visage ?
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Et même en songe, dans la pensive clarté,
Je me débats encor pour ne pas vous quitter…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/31]]==
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Vous, reine du désert, qui dormez sous la tente,
Et dont le cœur vorace est toujours impuni ?
 
« Vous qui rêviez
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/32]]==
<poem>
 
la nuit comme un palmier d’Afrique
« Vous qui rêviez la nuit comme un palmier d’Afrique
A qui le vaste ciel arrache des parfums,
Vous avez souhaité cet humble amour unique
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Et vous donne la paix que vous fuiriez toujours… »
 
—Et— Et, tandis que j’entends cette voix forte et brève,
Je regarde vos mains, en qui j’ai fait tenir
Le flambeau, la moisson, l’évangile et le glaive,
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<poem>
 
—Vous— Vous n’êtes plus pour moi ces jardins de Vérone
Où le verdâtre ciel, gisant dans les cyprès,
Semble un pan du manteau que la Vierge abandonne
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<poem>
 
—Ces— Ces soleils exaltés, ces œillets, ces cantiques,
Ces accablants bonheurs, ces éclairs dans la nuit,
Désormais dormiront dans mon cœur léthargique
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Suit longtemps sur la mer les barques étonnées,
Je verserai sur vous ma lumière d’argent…
UN JOUR,
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/35]]==
<poem>
UN JOUR, ON AVAIT TANT SOUFFERT…
 
Un jour, on avait tant souffert, que le cœur même,
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J’entrerai dans la mort comme un hôte insensible…
 
—Mais— Mais les fureurs, les pleurs, les cris, le sang versé,
Les sublimes amours qui nous ont harassés,
Les fauves bondissants, témoins de nos délires,
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Les voici remuants, les chacals, les lions
Dont la soif et la faim nous font un long cortège…
—J’avais— J’avais cru, mon enfant, que le passé protège,
Que l’esprit est plus sage et le cœur plus étroit,
Que la main garde un peu de cette altière neige
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Lourde comme l’Asie et ses palais de rois,
Je suis pleine de force et de douleur pour toi !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/37]]==
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Que ton rire et ta voix ont laissé dans mon âme,
Où la plaintive faim brusquement me réclame…
—Mais— Mais la nuit je n’ai pas de force contre toi,
Mon sommeil est ouvert, sans portes et sans toit.
Tu m’envahis ainsi que le vent prend la plaine.
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Et tu n’existes plus pour mon cœur, tant je t’aime !
Mon vertige est scellé sur nous comme un tombeau.
—Ce— Ce terrible moment est si brûlant, si beau,
Que lorsque lentement l’aube teint ma fenêtre,
C’est en me réveillant que je crois cesser d’être…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/39]]==
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<poem>
 
—Douleur— Douleur qui me comblez, chantez, voix infinie !
Attachez à mon cou vos froids colliers de fer ;
Qu’importent l’esclavage et la dure agonie,
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C’est dans ce feu que je plongeais !
 
Je sais, —moi— moi qui vous tiens, vous respire, vous touche,
Moi qui vis contre vous et qui bois votre vin
Dans un dur gobelet collé contre ma bouche, —
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Hélas ! les purs sanglots, les tremblements, les larmes
Aspirent à la volupté !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/42]]==
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Où le buisson ardent parlait, et puis s’est tu…
 
—Mon— Mon Dieu, dans ces amours, la douleur est si forte
Que, malgré le courage, on ne peut pas vouloir
Être celui des deux qui chancelle, et qui porte
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Font un don infini de soupirs et de pleurs.
 
—On— On a besoin parfois de la douleur de l’autre,
De ses bras suppliants, de son front inquiet
Penché comme celui du plus doux des apôtres
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<poem>
 
—Et— Et moi, qui me revêts de vos grâces précoces,
Comme un brûlant frelon dans un lis engouffré,
Cher être par qui j’ai, plus qu’à mon tour, pleuré,
Pourrai-je pardonner à mon âme féroce
La paix qui m’envahit quand c’est vous qui souffrez ?
LE CHANT
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/45]]==
<poem>
LE CHANT DU PRINTEMPS
 
« O Moires infinies, déesses aériennes, dispensatrices universelles, nécessairement infligées aux mortels ! »
(Hymnes Orphiques.)
 
Le silence et les bruits, soudain, dans l’air humide
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Et son premier frisson répand tous ses secrets !
 
—Il— Il passe, mais personne encore sur la route
Ne peut le soupçonner, je regarde, j’écoute :
 
—Oui— Oui, je t’ai reconnu, sublime Dépouillé !
Sordide vagabond sans fleurs et sans feuillage,
Qui rampes, et répands sur les chemins mouillés
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De la jeune antilope étourdie et courante !
 
—Ah— Ah ! qui me tromperait, Printemps terrible et doux,
Sur ton subtil arome et sur ta ressemblance,
Je sais ton nom secret que les lis et les loups
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Monte le chaud soupir des bêtes émergeantes !
 
—Je— Je te suivrai, Printemps, malgré les maux constants,
Je te suivrai, j’irai sans défense et sans armes
Vers ce vague bonheur qui brille au fond du temps
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Malgré mon fier esprit qui résiste et me blâme.
 
—Mais— Mais quoi ! ce n’est donc pas le neuf et frais bonheur
Qui ce soir me tentait par son doux sortilège ?
Ces espoirs, ces souhaits, ces regrets, ces langueurs,
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Et luit sur l’onde comme un roc inaccessible
Où des archers courants nous ont choisis pour cible…
JE VOUS
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/49]]==
<poem>
JE VOUS AVAIS DONNE…
 
Je vous avais donné tous les rayons du temps,
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Ce soir je vous en fais l’offrande.
 
—O— O mon ami, prenez ce sang si gai, si beau,
Si fier, si rapide et si sage,
Qui, dans ses bonds légers, reflétait les coteaux,
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S’écrie en riant : « Viens le prendre ! »
 
—Je— Je ne rendrai qu’à vous les armes de mon cœur.
Mes dieux qui sont en Crète et dans l’île d’Egine,
Permettent que l’extrême et fidèle langueur
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Emmêlant mes genoux, telle qu’on imagine
Cléopâtre enchaînée au triomphe romain…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/52]]==
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Puisque l’âme est féroce, et puisqu’on ne s’assure
De l’amour que par la douleur !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/53]]==
<poem>
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/54]]==
<poem>
NOUS N’AVIONS PLUS BESOIN DE PARLER
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Joignant le grain au grain, ne semble que lui-même.
 
—Je— Je me souviens surtout de ces soirs de Savoie
Où nos regards, pareils à ces vases poreux,
A ces alcarazas qu’un halo d’onde noie,
Scintillaient de plaisir, et se livraient entre eux
L’ineffable secret du rêve et de la joie.
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/54]]==
<poem>
 
Soirs d’Aix ! Soirs d’Annecy, ô villes renommées,
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Et la paix, mollement, a comblé vos abîmes…
 
—C’est— C’est en moi seulement que rien ne peut finir.
J’AI
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/55]]==
<poem>
J’AI VU A TA CONFUSE…
 
J’ai vu à ta confuse et lente rêverie,
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Moi je suis devant toi comme du sang par terre
Quand un homme est tué…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/56]]==
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Qui brise le réel pour augmenter l’espoir…
 
—O— O sublime vaisseau de la mélancolie,
Nul amour ne s’égale aux promesses du soir !
 
Ligne 1 138 ⟶ 1 118 :
 
Je n’avais plus besoin de vous pour vous aimer…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/58]]==
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Hèle, et semble attirer le vaisseau de l’été !
 
—Qui— Qui veux-tu fasciner, oiseau de douce augure ?
Les morts restent des morts, et les vivants sont las
D’avoir tant de fois vu, sur de froides figures,
Ligne 1 177 ⟶ 1 156 :
Tu viens séduire l’homme et les yeux des oiseaux !
 
—Pauvre— Pauvre oiseau, est-ce donc ces trompeuses coutumes,
Renaissant chaque fois que s’étend la tiédeur,
Qui te font oublier l’incessante amertume
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Que l’esclavage humain peut tirer sur sa longe,
Et que parfois nos jours ressemblent au désir !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/61]]==
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Eclater et glisser sur la brise champêtre
Comme des grains légers de grenades sur l’eau…
—T’espérer— T’espérer ! Et sentir que le golfe halette
En bleuâtres soupirs vers le ciel libre et clair ;
Et voir l’eucalyptus, dans la liqueur de l’air,
Agiter son feuillage ainsi que des ablettes !
—Voir— Voir la fête éblouie et profonde des cieux
Recommencer, et luire ainsi qu’au temps d’Homère,
Et, bondissant d’amour dans la sainte lumière,
La montagne acérée incisant le ciel bleu !
—Et— Et t’attendre ! Goûter cette impudique ivresse
De songer, sans encor les avoir bien connus,
A ton regard voilé d’amour, à tes bras nus,
Ligne 1 245 ⟶ 1 223 :
Au doux vol hésitant de ta jeune caresse
Qui semble un chaud frelon par des fleurs retenu !
—Et— Et puis te voir enfin venir entre les palmes,
Innocent, assuré, sans crainte, les yeux calmes,
Vers mes bras enivrés où le destin fatal
Ligne 1 253 ⟶ 1 231 :
Et, les yeux clos, avoir, pour la première fois,
Bu l’humide tiédeur qui dort entre tes lèvres…
—O— O cher pâtre, inquiet et désormais terni.
J’ai vécu pour cela, qui est déjà fini !
CANTIQUE
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/63]]==
<poem>
CANTIQUE
 
« Amphore de Cécrops, verse ta rosée bachique ! »
Ligne 1 267 ⟶ 1 245 :
Le gazon, telle une eau, fraîchit au fond des bois :
Un délire sacré m’entraîne loin de toi.
—Cette— Cette odeur de soleil étreignant la prairie,
Ce doux hameau, cuisant comme une poterie,
Avec ses toits de brique, ardents, pourpres, poreux,
Ligne 1 274 ⟶ 1 252 :
Dans les bleus diamants de la chaleur suave,
Me font un corps céleste, aux dieux appareillé !
—L’aigu— L’aigu soleil extrait des fentes du laurier,
Des étangs sommeillants où le serpent vient boire,
Une opaque senteur qui semble verte et noire.
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Dont le vol palpitant touche des paradis !
Mais je ne puis t’aimer !
—Etincelants— Etincelants atomes,
Jardins voluptueux, confitures d’aromes,
Baisers dissous, coulant dans les airs qui défaillent,
Ligne 1 297 ⟶ 1 275 :
Et dont les sifflements et la sourde vapeur
Dispensent un diffus et sensuel bonheur ! …
—O— O sifflets des vaisseaux, mugissements languides,
Nostalgiques appels vers les îles torrides,
Sourde voix du taureau, plein d’ardeur et d’ennui,
A qui Pasiphaé répondait dans la nuit ! …
—Non— Non, je ne puis t’aimer, tu le sens ; les dieux mêmes
Sont venus vers mon cœur afin que je les aime ;
Laisse-moi diriger mes pas dansants et sûrs
Vers mes frères divins qui règnent dans l’azur !
—Mais— Mais toi, lorsque le soir répandra de son urne
L’ardeur mélancolique et les cendres nocturnes,
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/65]]==
Ligne 1 330 ⟶ 1 307 :
Plus que mon vaste cœur ne peut en contenir ! …
 
—Ainsi— Ainsi, qu’avais-je fait pendant cette journée ?
J’étais ivre, j’étais éblouie ! Etonnée,
Je parlais à travers les siècles transparents
Ligne 1 343 ⟶ 1 320 :
Qui, lorsque naît la nuit provocante et bleuâtre,
Se range sous la main et sous la voix du pâtre.
—Mais— Mais le jour chancelant a quitté l’horizon.
Un doux soupir entr’ouvre et creuse les maisons,
Voici la nuit : l’air fuit, pressé, glissant, agile,
Ligne 1 381 ⟶ 1 358 :
Appelle avec une ivre et sacrilège ardeur
Plus d’astres, de secrets, d’orage et de douleur !
—Mais— Mais ces ambitions d’une âme insatiable,
Sont un désert, gonflé de tempête et de sable.
Je préfère à ce faste, à ces âpres transports,
Ligne 1 390 ⟶ 1 367 :
Se dilue en un rêve harassé, grave et lent
Par qui l’âme est soudain comblée et raffermie,
Je sens, —ô— ô mon ami ailé, suave, humain, —
Ton visage pensif enfoncer dans ma main
Son odeur de nuée et de rose endormie…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/68]]==
Ligne 1 409 ⟶ 1 385 :
Puisque l’ambition n’est qu’un plus long amour…
 
—Un— Un bondissant désir comme un torrent me gagne,
Ah ! que je hante encor le sommet des montagnes,
Que je livre mes bras aux vents de l’Occident ;
Ligne 1 416 ⟶ 1 392 :
Se pourrait-il vraiment que l’univers détruise
Ce qu’il a fait de plus ardent !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/69]]==
Ligne 1 444 ⟶ 1 419 :
Profond comme la mer immense et remuée,
Pousse jusqu’en mon cœur ses sonores nuées !
—O— O sanglots de Chopin, ô brisements du cœur,
Pathétiques sommets saignant au crépuscule,
Cris humains des oiseaux traqués par les chasseurs
Ligne 1 462 ⟶ 1 437 :
S’étend, sur l’horizon chargé de lourds nuages,
Comme un grand crucifix de cris entre-croisés !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/71]]==
Ligne 1 486 ⟶ 1 460 :
<poem>
 
—Tu— Tu n’es qu’un enfant qui défaille,
Mais, par les rêves de mon cœur,
Tu ressembles à la bataille,
Ligne 1 498 ⟶ 1 472 :
Tout trempé d’amour et de sang,
Sa langue calme et reposée…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/73]]==
Ligne 1 534 ⟶ 1 507 :
Je presse dans mes mains, si hautaines, si graves,
Tes pieds humbles et doux qui sont tes deux esclaves…
EN ECOUTANT
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/75]]==
<poem>
EN ECOUTANT SCHUMANN
 
Quand l’automne attristé, qui suspend dans les airs
Ligne 1 556 ⟶ 1 528 :
Dans le gouffre accueillant des puissantes forêts ?
 
—O— O Schumann, ciel d’octobre où volent des cigognes !
Beffroi dont les appels ont des sanglots d’airain :
</poem>
Ligne 1 565 ⟶ 1 537 :
Carnaval en hiver, quand la froide bourrasque
Jette au détour des ponts les bouquets et les masques,
—Minuit— Minuit sonne à la sombre horloge d’un couvent, —
Un falot qui brillait est éteint par le vent…
—Et— Et puis, douleur profonde, inépuisable, avide,
Qui monte tout à coup comme une pyramide,
Comme un reproche ardent que ne peut arrêter
La trompeuse, chétive, amère volupté !
—O— O musique, par qui les cœurs, les corps gémissent,
Musique ! intuition du plaisir, des supplices,
Ange qui contenez dans vos chants oppressés
Ligne 1 579 ⟶ 1 551 :
Dans les plus mornes jours vous faites pressentir
Qu’il existe un bonheur qui ressemble au désir !
—Pourtant— Pourtant je vois, là-bas, dans l’ombre dépouillée
Du jardin où le vent d’automne vient gémir,
Les trahisons, les pleurs, les âmes tenaillées,
La vieillesse, la mort, la terre entre-baillée…
QU’AI-
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/77]]==
<poem>
QU’AI-JE A FAIRE DE VOUS…
 
Qu’ai-je à faire de vous qui êtes éphémère,
Ligne 1 642 ⟶ 1 613 :
Les brouillards ont glacé la Sibylle de Cumes !
 
—O— O désir ! J’ai connu votre soif, votre faim,
Vos passions de l’âme et vos brûlants théâtres ;
Mais l’incendie altier et mortel s’est éteint ;
Ligne 1 648 ⟶ 1 619 :
Comme deux ennemis qui, s’estimant enfin,
Cessent de se combattre…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/80]]==
Ligne 1 658 ⟶ 1 628 :
Car voici le berger dont mon rêve est hanté…
 
—Cher— Cher pâtre, accepte enfin la douce volupté.
Quelle frayeur déjà te pâlit et t’oppresse ?
Mon amour, montre-toi doux envers la caresse.
Ligne 1 729 ⟶ 1 699 :
Je t’aime et je voulais en t’aimant m’appauvrir.
Ah ! comme le désir souhaite de mourir ! …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/83]]==
Ligne 1 749 ⟶ 1 718 :
De secrètes rumeurs circulent et m’assaillent…
 
—Hélas— Hélas ! tendres appels, où voulez-vous que j’aille ?
Où mène le désir ? Quel rêve s’accomplit ?
Cessez de me héler, voix des divins minuits !
Ligne 1 756 ⟶ 1 725 :
Je suis un compagnon harassé par le sort,
Et qui descend, courbé, la pente de la mort…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/84]]==
Ligne 1 790 ⟶ 1 758 :
Je t’emportais dans un mystique paysage…
 
—Mais— Mais la tiédeur du soir, les doux champs inclinés,
La splendide et rêveuse impuissance des âmes
Dans mon cœur exalté faisaient plier les flammes,
Ligne 1 821 ⟶ 1 789 :
Pour quelque vague, immense, âpre immortalité…
 
—Mais— Mais que peut-on, hélas ! un être pour l’autre être,
En dehors de la volupté ?
LA TEMPÊTE
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/87]]==
<poem>
LA TEMPÊTE
 
« La passion n’est que le pressentiment de la volupté. »
Ligne 1 892 ⟶ 1 860 :
Eloignent des humains l’âpre fatalité.
 
—Seigneur— Seigneur, si la pitié, la charité, l’extase,
Si le stoïque effort, si l’entrain à mourir,
Si la Nature, enfin, n’est jamais que ce vase
Ligne 1 929 ⟶ 1 897 :
Et qu’enfin je me mêle à ces restes funèbres
Qu’une sublime horreur préserve du baiser !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/91]]==
Ligne 1 981 ⟶ 1 948 :
<poem>
 
—Hélas— Hélas, ô triste cœur, ô marin des rafales,
Vous si brave parmi la nuit et l’océan,
Comment goûteriez-vous la douceur qui s’exhale
De ce soir sans douleur, qui ressemble au néant ?
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/94]]==
Ligne 2 024 ⟶ 1 990 :
Par qui la race éparse et future demeure…
 
—Que— Que tout vous soit soumis, divine passion,
Prenez les dieux, les morts, les vertus, les victoires,
Les instants radieux ou blessés de l’histoire,
Ligne 2 061 ⟶ 2 027 :
Sans désir, sans amour, sans révolte et sans rêve,
Les corps désabusés consentent à la mort…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/97]]==
Ligne 2 109 ⟶ 2 074 :
Le rire de ta bouche et sa tiède rosée,
O visage par qui je peux vivre et mourir !
TENDRESSE
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/99]]==
<poem>
TENDRESSE
 
J’écoute près de toi la musique, et je vois
Ligne 2 123 ⟶ 2 088 :
Il me suffit de voir scintiller ton visage
Pour déguster la paix du milieu de l’été.
—Désir— Désir immaculé, passion innocente :
T’absorber par le cœur, sans que le corps ressente
Aucune humaine volupté !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/100]]==
Ligne 2 191 ⟶ 2 155 :
Qui t’avaient attachée à notre immensité. »
 
—Et— Et je me sens alors hors du monde, infidèle,
Etrangère aux splendeurs des prés délicieux,
Où le feuillage uni et nuancé rappelle
Ligne 2 200 ⟶ 2 164 :
Ville haute et sans borne, éparse et sans portique,
Où mon cœur violent a le pouvoir de Dieu ! …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/103]]==
Ligne 2 216 ⟶ 2 179 :
Avant de rencontrer le platane ou la source.
 
—Et— Et maintenant ton cœur s’est entr’ouvert au mien,
Tu m’aimes ! Mais il n’est plus temps qu’on me délivre.
Je porte un vague amour, plus grave et plus ancien,
Qui t’avait précédé, et ne peut pas te suivre…
DESTIN IMPREVISIBLE
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/104]]==
<poem>
DESTIN IMPREVISIBLE
 
Destin imprévisible, obscur dispensateur,
Ligne 2 252 ⟶ 2 215 :
Et c’est un témoignage infini de vos grâces
Que déjà vous m’ayez refusé le bonheur…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/106]]==
Ligne 2 286 ⟶ 2 248 :
Près de son cygne blanc !
 
—Mais— Mais vous serez dissous, cœur éclatant et sombre,
Vous serez l’herbe et l’eau,
Et vos humains chéris n’entendront plus dans l’ombre
Votre éternel sanglot…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/108]]==
Ligne 2 318 ⟶ 2 279 :
<poem>
 
—Tu— Tu vis, et c’est cela ton radieux péché !
Je le sens bien, ta vie est la cible éclatante
Que vise mon angoisse avide et haletante ;
Je rêve d’un désert où ton doux front, penché,
Souffrirait avec moi la soif et la famine…
—O— O mon cher diamant, je suis la sombre mine
Qui souhaite garder ton noble éclat caché !
 
Est-ce donc pour mourir que je t’ai recherché ?
AINSI LES JOURS
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/110]]==
<poem>
AINSI LES JOURS ONT FUI…
 
Ainsi les jours ont fui sans que mes yeux les comptent ;
Ligne 2 351 ⟶ 2 311 :
<poem>
 
—J’ai— J’ai su que rien ici n’est donné à nous-même,
Qu’on est un mendiant du jour où l’on est né,
Que la soif se guérit sur les lèvres qu’on aime,
Ligne 2 375 ⟶ 2 335 :
N’ignore pas mon cœur héroïque, et contemple
La morte que je suis, qui vous a tant aimé…
SOIR SUR LA
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/112]]==
<poem>
SOIR SUR LA TERRASSE
 
Nous sommes seuls ; puisque tu m’aimes,
Ligne 2 408 ⟶ 2 367 :
Sur ma main pose ta main fraîche
Pour que je puisse vivre encor…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/114]]==
Ligne 2 452 ⟶ 2 410 :
Comme un lent et pompeux navire.
 
—Mais— Mais je sais bien que vous mourrez,
Et que moi, si riche d’envie,
Je dormirai, le cœur serré,
Ligne 2 477 ⟶ 2 435 :
Contenait les mille rayons
De toutes les aubes futures…
—Être— Être un jour ce mince haillon
Qui gît sous toute la Nature !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/117]]==
Ligne 2 526 ⟶ 2 483 :
Veut languir, les yeux clos, dans ta haute nacelle,
Délivré de l’espace et de la poésie…
LA MUSIQUE ET LA NUIT
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/119]]==
<poem>
LA MUSIQUE ET LA NUIT
 
La Musique et la Nuit sont deux sombres déesses
Ligne 2 566 ⟶ 2 523 :
Accompagne en pleurant la bataille amoureuse.
 
—Hélas— Hélas ! âme héroïque, oubliez-vous encor
Que les parfums, les ciels, le verbe, les musiques
Sont ligués contre vous, et que les faibles corps
Sont la barque où périt votre grandeur tragique ?
 
—Montez— Montez, âme orgueilleuse, élevez-vous toujours,
Allez, allez rêver sur les hauts promontoires
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/121]]==
<poem>
Où, triste comme vous, la muse de l’Histoire
Contemple, —par— par delà les siècles et les jours,
 
A travers les combats, les flots, les incendies,
Ligne 2 584 ⟶ 2 540 :
Où la Religion médite et psalmodie, —
La victoire sans fin du redoutable amour ! …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/122]]==
Ligne 2 601 ⟶ 2 556 :
 
Nul n’aura plus que moi prolongé la douleur…
II
LES CLIMA
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/123]]==
<poem>
TS
 
II
Tu viens de trop gonfler mon cœur pour l’espace qui le
 
LES CLIMATS
</poem>
 
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/124]]==
Tu viens de trop gonfler mon cœur pour l’espace qui le contient…
<poem>
contient…
SHAKESPEARE.
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/125]]==
<poem>
Ligne 2 622 ⟶ 2 570 :
 
Excite maintenant tes compagnons du chœur à célébrer
l’illustre Syracuse !
PINDARE.
 
Ligne 2 653 ⟶ 2 601 :
Dans le musée, mordu ainsi qu’un coquillage
Par la ruse marine et la clarté de l’air,
Des bustes sommeillaient, —dolents— dolents, calmes visages,
Qui s’imprègnent encor, par l’éclatant vitrage,
De la vigueur saline et du limpide éther.
Ligne 2 661 ⟶ 2 609 :
De vifs géraniums, déchirant le regard,
Roulaient leurs pourpres flots dans ces blancheurs de marbre
—Je— Je sentais s’insérer et brûler dans mes yeux
Cet éclat forcené, inhumain et pierreux.
</poem>
Ligne 2 718 ⟶ 2 666 :
De vos temples, Géla, Ségeste, Sélinonte !
 
—O— O nuit de Syracuse : Urne aux flancs arrondis !
Logique de Platon ! Ame de Pythagore !
Ancien Testament des Hellènes ; amphore
Ligne 2 740 ⟶ 2 688 :
Répandaient leurs senteurs. Je regardais la rade ;
La paix régnait partout où courut Alcibiade,
Mais, —noble— noble obsession des âges révolus, —
L’éther semblait empli de ce qui n’était plus…
 
Ligne 2 746 ⟶ 2 694 :
L’espace regorgeait d’un parfum d’orangers,
J’écoutais dans les airs un vague appel aux armes…
—Et— Et le pouvoir des nuits se mit à propager
L’amoureuse espérance et ses divins dangers :
 
O désir du désir, du hasard et des larmes !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/130]]==
Ligne 2 769 ⟶ 2 716 :
Dans les abîmes de l’été…
 
—O— O soir naïf de la Zélande,
Qui, timide, ingénu, riant,
Semblez raconter la légende
Ligne 2 810 ⟶ 2 757 :
Comme un repos sous les dattiers !
 
—Catane— Catane où la lune d’albâtre
Fait bondir la chèvre angora,
Compagne indocile du pâtre
Ligne 2 838 ⟶ 2 785 :
Battent comme un cœur langoureux.
 
—Blanc— Blanc sommeil que l’été surmonte :
Des fleurs, la mer calme, un berger ;
O silence de Sélinonte
Ligne 2 853 ⟶ 2 800 :
Arrachée au pin résineux…
 
—J’ai— J’ai vu les nuits de Syracuse,
Où, dans les rocs roses et secs,
On entend s’irriter la Muse
Ligne 2 871 ⟶ 2 818 :
Auprès de la mer au doux bruit…
 
—Mais— Mais ces mystérieux visages,
Ces parfums des jardins divins,
Ces miracles des paysages
Ligne 2 883 ⟶ 2 830 :
S’éloigne, dans l’air qui tressaille,
L’appel embué des clairons…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/135]]==
Ligne 2 926 ⟶ 2 872 :
Je m’en allais, les bras jetés vers la beauté ! …
 
—J’ai— J’ai vu les lieux sacrés et sanglants de l’Histoire,
Les Forums écroulés sous le poids clair des cieux,
La nostalgique paix des Arches des Victoires
Ligne 2 977 ⟶ 2 923 :
De retrouver tes yeux où finit mon exil…
 
** * * *
 
Je jette sous tes pieds les noirs pipeaux d’Euterpe,
Ligne 3 001 ⟶ 2 947 :
Quand je tiens dans mes doigts ton lumineux visage
Comme un tissu divin dont je compte les fils ? …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/140]]==
Ligne 3 029 ⟶ 2 974 :
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/141]]==
<poem>
— Creusant l’ombre, écrasant la route caillouteuse,
 
—Creusant l’ombre, écrasant la route caillouteuse,
L’indolente voiture où nous étions assis
S’enfonçait dans la nuit opaque et sinueuse,
Ligne 3 046 ⟶ 2 990 :
On entendait gémir leur ardente querelle
Comme un mordant combat de colombes cruelles…
—Puis— Puis revint le silence, indolent et puissant ;
La voiture avançait dans l’ombre perméable.
Je songeais au passé ; les vagues sur le sable
Ligne 3 054 ⟶ 2 998 :
De leur secret regard, fourmillant et pressant,
Attiraient les soupirs des yeux qui se soulèvent…
—Et— Et l’espace des nuits devint retentissant
Du cri silencieux qui montait de mes rêves !
LE DESERT
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/142]]==
<poem>
LE DESERT DES SOIRS
 
Dans la chaleur compacte et blanche ainsi qu’un marbre,
Ligne 3 079 ⟶ 3 022 :
La chaleur duveteuse est faible comme un liège ;
Sa molle densité a d’argentins remous.
—Je— Je suis là ; je regarde et respire ; que fais-je ?
Puisque cet horizon que mon regard contient
Et que je sens en moi plus aigu qu’une lame,
Ligne 3 085 ⟶ 3 028 :
 
Je dédaigne l’espace en dehors de ton âme…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/143]]==
Ligne 3 100 ⟶ 3 042 :
Les vaisseaux délabrés d’où j’entendais jaillir
Cet éternel souhait du cœur humain : partir !
—Les— Les vapeurs, les sifflets faisaient un bruit d’usine
Dans ces cieux où le soir est si lent à venir…
 
Ligne 3 124 ⟶ 3 066 :
Dans l’espace intrigué, qui se tait, qui attend ?
 
—A— A ces heures du soir où les mondes se plaignent,
O mortels, quel amour pourrait vous rassurer ?
C’est pour mieux sangloter que les êtres s’étreignent ;
Ligne 3 134 ⟶ 3 076 :
C’est pourquoi, ô forçats d’une éternelle attente,
Jamais la volupté n’achève le désir !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/145]]==
Ligne 3 194 ⟶ 3 135 :
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/147]]==
<poem>
 
Sur la place, où brillaient des palais d’apparat,
La foule vers minuit s’entassait, sinueuse :
Ligne 3 215 ⟶ 3 155 :
Le ciel, ruche d’ébène aux étoiles fiévreuses,
A force de clarté semblait vivre et frémir…
—Et— Et je vis s’enfoncer sur la route rocheuse
Un couple adolescent, qui semblait obéir
A cette loi qui rend muets et solitaires
Ceux que la volupté vient brusquement d’unir,
Et qui vont, —n’ayant— n’ayant plus qu’à songer et se taire, —
Comme des étrangers qu’on chasse de la terre…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/148]]==
Ligne 3 276 ⟶ 3 215 :
Sans mémoire et sans espérance ;
Je languissais dans l’abondance.
—O— O pays secrets et fameux,
 
J’ai vu vos grâces accomplies,
Ligne 3 318 ⟶ 3 257 :
Plus loin des choses éternelles
Qu’on ne l’était par le désir ! …
AGRIGENTE
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/152]]==
<poem>
AGRIGENTE
 
O nymphe d’Agrigente aux élégantes parures, qui règnes sur la plus belle des cités mortelles, nous implorons ta bienveillance !
sur la plus belle des cités mortelles, nous implorons ta
bienveillance !
PINDARE.
 
Ligne 3 341 ⟶ 3 278 :
Perce l’air intact et sans vie ;
La voix qui dit que Pan est mort
M’a-t-elle jusqu’ici suivie ?
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/153]]==
<poem>
suivie ?
 
Et puis l’air retombe ; la mer
Ligne 3 357 ⟶ 3 293 :
Leur brasillante arithmétique !
 
—Soudain— Soudain, sous mon balcon branlant,
J’entends des moissonneurs, des filles
Défricher un champ de blé blanc,
Ligne 3 380 ⟶ 3 316 :
Semble une flûte bucolique.
 
—Donc— Donc, je vous vois, cité des dieux,
Lampe d’argile consumée,
Agrigente au nom spacieux,
Ligne 3 407 ⟶ 3 343 :
Le vent des flûtes d’Apollon
Passe entre mon cœur et les astres !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/156]]==
Ligne 3 437 ⟶ 3 372 :
<poem>
 
—Sur— Sur le seuil échaudé du misérable hôtel
Où l’air piquant cuisait des touffes de pivoines,
Deux chevaux dételés, mystiques, solennels,
Ligne 3 464 ⟶ 3 399 :
Et j’aimais ta douceur pudique et négligente,
Palmier de Bethléem sur le ciel d’Agrigente !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/158]]==
Ligne 3 485 ⟶ 3 419 :
Ni les vaisseaux, taillés dans un bois odorant,
Et qui passent, le soir, sur la mer de Messine…
—Ah— Ah ! comme je connais, Palerme, ta splendeur,
Le tropical jardin, les caféiers en fleurs,
Les sonores villas par la chaleur usées,
Ligne 3 491 ⟶ 3 425 :
Musée où je voyais l’Arabie et ses ors,
Ses pots de blanc mica, ses légers miradors
Imprégner de santal l’air où sa paipaix infuse,
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/159]]==
<poem>
x infuse,
Tandis que, tel un dieu embrasé, fascinant,
Qui darde sur les cœurs son désir et sa ruse,
Ligne 3 538 ⟶ 3 471 :
L’horizon tressaillait d’un vertige or et bleu.
 
—Et— Et puis toujours, là-bas, je voyais, pure et vaste,
La mer au grand renom, qui touche dans ses jeux
Les Cyclades, dormant sur des vagues de feu,
Le rivage d’Ulysse et celui de Jocaste,
L’herbe où des bergers grecs préludaient deux par deux…
—Et— Et je songeais, —puissante— puissante, éparse, solitaire, —
Mêlée au temps sans bord ainsi qu’aux éléments,
Attirant vers mon cœur, comme un étrange aimant,
Ligne 3 553 ⟶ 3 486 :
O mon cœur sans repos ni peur, je vous vénère
D’avoir tant désiré, sachant qu’il faut mourir !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/161]]==
Ligne 3 576 ⟶ 3 508 :
Nous étourdit et nous déçoit :
Je me sens triste et mensongère :
On n’est pas bon loin de chez soi.
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/162]]==
<poem>
chez soi.
 
Ce ciel, ces poivriers, ces palmes,
Ligne 3 602 ⟶ 3 533 :
Des chèvres rompant le portail.
 
—Ainsi— Ainsi, c’est aujourd’hui dimanche,
Mais, dans cet exil haletant,
Au cœur de la cité trop blanche,
Ligne 3 624 ⟶ 3 555 :
J’aurai peur de n’être pas morte
Si je dors sous des orangers…
LES JOURNEES
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/164]]==
<poem>
LES JOURNEES ROMAINES
 
L’éther pris de vertige et de fureur tournoie,
Ligne 3 732 ⟶ 3 662 :
<poem>
 
—Mais— Mais c’est vous qui, ce soir, partagez mon malaise,
Dans l’église sans voix, au mur pâle et glacé,
Déesse catholique, ô ma sainte Thérèse,
Ligne 3 755 ⟶ 3 685 :
De deux enfants heureux, éperdus, inquiets,
Qui joignent leurs regards et leurs lèvres avides,
—Et— Et dont tout le sanglot riait !
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/169]]==
Ligne 3 775 ⟶ 3 705 :
Plus clair que les astres au ciel.
 
—Je— Je le prends dans mes mains, chaudes comme la lave,
Je le mêle aux élans de mon éternité,
Ce rire des humains, si farouche et si grave,
Qui prélude à la volupté !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/170]]==
Ligne 3 792 ⟶ 3 721 :
Où des volubilis d’un velours indigo
Suspendent mollement leurs fragiles haleines ! …
—Un— Un papillon, volant sur les fleurs africaines,
Faiblit, tombe, écrasé par le poids des odeurs.
Hélas ! on ne peut pas s’élever ! La langueur
Ligne 3 803 ⟶ 3 732 :
Des arbres exilés, qu’usent en cet îlot
La caresse des vents et les baisers de l’eau…
—Et— Et Pallanza, là-bas, sur qui le soleil flambe,
Semble un corps demi-nu, languissant, vaporeux,
</poem>
Ligne 3 810 ⟶ 3 739 :
Qui montre ses flancs d’or, mais dont les douces jambes
Se voilent des soupirs du lac voluptueux…
—O— O tristesse, plus tard, dans les nuits parfumées,
Quand les chauds souvenirs ont la moiteur du sang,
De revoir en son cœur, les paupières fermées,
Ligne 3 818 ⟶ 3 747 :
Je goûte vos parfums que les vents chauds inclinent,
Profonds magnolias, lauriers des Carolines…
—Les— Les rames, sur les flots palpitants comme un cœur,
Imitent les sanglots langoureux du bonheur.
O promesse de joie, ô torpeur juvénile !
Ligne 3 824 ⟶ 3 753 :
Qui, délicat et fier, semble un cyprès vermeil ;
Partout la volupté, la mélodie errante…
—O— O matin de Stresa, turquoise respirante,
Sublime agilité du cœur vers le soleil !
 
Ligne 3 831 ⟶ 3 760 :
Colombes au col noir, toujours toutes pâmées,
Espaliers de citrons qu’oppresse un vent trop lent,
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/172]]==
Ligne 3 839 ⟶ 3 767 :
Ah ! pourquoi donnez-vous, douceurs inanimées,
Le sens de l’éternel au corps qui doit mourir !
 
***
 
Ah ! dans les bleus étés, quand les vagues entre elles
Ligne 3 849 ⟶ 3 779 :
Est une joue ardente où s’exalte le sang,
J’ai cherché en quel lieu le désir se repose…
—Douces— Douces îles, pâmant sur des miroirs d’eau rose,
Vous déchirez le cœur que l’extase engourdit.
Pourquoi suis-je enfermée en un tel paradis !
 
***
 
Ah ! que lassée enfin de toute jouissance,
Ligne 3 864 ⟶ 3 796 :
Blancs oiseaux de sérail que le parfum abat,
Vous gémirez d’amour, colombes d’Aphrodite !
 
***
 
Des parfums assoupis aux rebords des terrasses,
L’azur en feu, des fleurs que la chaleur harasse,
Sur quel rocher d’amour tant d’ardeur me lia ! …
—Colombes— Colombes sommeillant dans les camélias,
Dans les verts camphriers et les saules de Chine,
Laissez dormir mes mains sur vos douces échines.
Consolez ma langueur, vous êtes, ce matin,
Le rose Saint-Esprit des tableaux florentins.
—Tourterelles— Tourterelles en deuil, si faibles, si lassées,
Fruits palpitants et chauds des branches épicées,
Hélas ! cet anneau noir qui cercle votre cou
Ligne 3 879 ⟶ 3 813 :
Et vos gémissements m’annoncent tout à coup
Les enivrants malheurs pour lesquels je suis née…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/174]]==
Ligne 3 903 ⟶ 3 836 :
<poem>
 
—O— O tragique douceur de la cité sanglante,
Rue où le passé vit sous les vents endormis :
Un masque court, ombre galante,
Ligne 3 923 ⟶ 3 856 :
Qui brillait au verger ce soir ! … »
 
—Auprès— Auprès de ta fureur héroïque et plaintive,
Auprès de tes appels, de ton brûlant tourment,
La soif est une source vive,
Ligne 3 936 ⟶ 3 869 :
N’en sont que le reflet pâli !
 
—Ma— Ma sœur, ton sein charmant, ton visage d’aurore,
Où sont-ils, cette nuit où je porte ton cœur ?
La colombe du sycomore
Ligne 3 964 ⟶ 3 897 :
Sanglotaient entre eux : « Je vous ai ! »
 
—Que— Que l’amour soit béni parmi toutes les choses,
Que son nom soit sacré, son règne ample et complet ;
Je n’offre les lauriers, les roses,
Qu’à la fille des Capulet !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/178]]==
Ligne 3 989 ⟶ 3 921 :
On ne voit pas languir son marbre submergé…
 
—Qu’importe— Qu’importe si là-bas Torcello des lagunes
Communique aux flots bleus sa pâmoison d’argent,
Si Murano, rêveuse ainsi qu’un clair de lune,
Ligne 4 017 ⟶ 3 949 :
Tandis que sur Saint-Marc tombe un soir rose et lent !
 
—Je— Je ne quitterai pas ce petit puits paisible,
Cet espalier par qui mon cœur est abrité ;
Qu’Eros pour ces poignards retrouve une autre cible,
Mon céleste désir n’a pas de volupté ! …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/180]]==
Ligne 4 060 ⟶ 3 991 :
Entraînent mollement les couples exaucés…
 
—Beau— Beau temple, que ta grâce est chaude, complaisante !
O jardin des langueurs, ô porte d’Orient !
Courtisane des Grecs, sultane agonisante,
Ligne 4 069 ⟶ 4 000 :
Comme aux rives en feu des mers asiatiques,
La Basilique où dort sainte Pasiphaé ! …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/182]]==
Ligne 4 080 ⟶ 4 010 :
Semblent de noirs pavots dans un sublime vase.
 
—Crucifix— Crucifix somptueux, Jésus des Byzantins,
Quel miel verserez-vous à ces pauvres ardentes,
Qui, pour vous adorer, désertent ce matin
Ligne 4 098 ⟶ 4 028 :
Sourit à leurs naïfs sanglots de tourterelles.
 
—Ah— Ah ! quel que soit le mal qu’elles portent vers vous,
Quel que soit le désir qui les brûle et les ploie,
Comblez d’enchantement leurs bras et leurs genoux,
Puisque l’on ne guérit jamais que par la joie…
NUIT VENITIENNE
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/184]]==
<poem>
NUIT VENITIENNE
 
Deux étoiles d’argent éclairent l’ombre et l’eau,
Ligne 4 138 ⟶ 4 068 :
Qui semble une liquide et molle éternité…
 
—Belle— Belle eau d’un pâle enfer qui m’attire et me touche,
Puisque la mort, ce soir, n’a rien qui m’effarouche,
Montez jusqu’à mon cœur, montez jusqu’à ma bouche…
CLOCHES VENITIENNES
 
La pauvreté, la faim,
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/186]]==
<poem>
CLOCHES VENITIENNES
le fardeau du soleil,
 
La pauvreté, la faim, le fardeau du soleil,
Le meurtrissant travail de cette enfant vieillie,
Qui respire, tressant l’osier jaune et vermeil,
Ligne 4 161 ⟶ 4 090 :
Ce cri voluptueux d’alarme et de désir :
« Jouir, jouir du temps qui passe ! »
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/187]]==
Ligne 4 183 ⟶ 4 111 :
Qui retient son manteau, volant sur sa poitrine,
Semble un charmant Satan flagellé par le vent !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/188]]==
Ligne 4 192 ⟶ 4 119 :
Le noir allongement incliné des gondoles
Passe sur cette eau glauque, et sous le ciel couvert.
—Ce— Ce rose bâtiment, c’est la maison des folles.
 
Fleur de la passion, île de Saint-Clément,
Ligne 4 199 ⟶ 4 126 :
Et l’eau se fige autour comme un cercle du Dante.
 
—Ce— Ce soir mélancolique où les cieux sont troublés,
Où l’air appesanti couve son noir orage,
J’entends ces voix d’amour et ces cœurs exilés
Ligne 4 210 ⟶ 4 137 :
Et m’apporte l’odeur des nuits de Dalmatie,
Guide jusqu’à mon cœur ces suprêmes sanglots,
—O— O folie, ô sublime et sombre poésie !
 
Le rire, les torrents, la tempête, les cris
Ligne 4 222 ⟶ 4 149 :
Je vous vénère, active et divine Folie !
 
—Pleureuses— Pleureuses des beaux soirs voisins de l’Orient,
Déchirez vos cheveux, égratignez vos joues,
Pour tous les insensés qui marchent en riant,
Ligne 4 245 ⟶ 4 172 :
L’effroyable épouvante où nous sommes de vivre.
 
—Par— Par quelle extravagante et morne pauvreté,
Par quel abaissement du courage et du rêve
L’esprit conserve-t-il sa chétive clarté
Quand tout l’être éperdu dans l’abîme s’achève ?
 
—O— O folles, que vos fronts inclinés soient bénis !
Sur l’épuisant parcours de la vie à la tombe
Qui va des cris d’espoir au silence infini,
Ligne 4 263 ⟶ 4 190 :
<poem>
 
—Amazones— Amazones en deuil, qui ne pouvez saisir
L’ineffable langueur éparse sur les mondes,
Sanglotez ! A vos cris de l’éternel désir,
Des bords de l’infini les amants vous répondent…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/192]]==
Ligne 4 284 ⟶ 4 210 :
Les rumeurs des hameaux ont le charme brouillé
D’une vague, glissant sur de blancs escaliers…
—O— O calme fixité, que ceint un clair rivage,
L’Amour rayonne au centre indéfini des âges ! —
Un noir cyprès, creusé par la foudre et le vent,
Ligne 4 290 ⟶ 4 216 :
Semble, par sa débile et céleste prière,
Un prophète expirant, entr’ouvert de lumière !
—Aérienne
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/193]]==
<poem>
— Aérienne idylle, envolement d’airain,
La cloche au chant naïf du couvent franciscain
Répond au tendre appel de la cloche des Carmes.
Ligne 4 300 ⟶ 4 225 :
Imite, en se courbant sous les placides cieux,
L’humble adoration des cœurs minutieux…
—Quel— Quel vœu déposerai-je en vos mains éternelles,
Sainte antiquité grecque, ô Moires maternelles ?
Déjà bien des printemps se sont ouverts pour moi.
Ligne 4 320 ⟶ 4 245 :
Sur le miroir, voilé par l’ombre qui descend,
Où déjà s’est penché son rire adolescent…
—Mais— Mais la fougueuse vie en mon cœur se déchaîne :
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/194]]==
Ligne 4 336 ⟶ 4 261 :
De la Mélancolie, errante dans ses pleurs,
Et qu’un faune poursuit sur la rapide pente…
—Muet— Muet accablement d’un square d’Agrigente :
Jardin tout excédé de ses fleurs, où j’étais
La Mémoire en éveil d’un monde qui se tait.
Ligne 4 345 ⟶ 4 270 :
De tous les avenirs, dont les heures fécondes
S’accompliront sans nous jusqu’à la fin des mondes…
—Chaud— Chaud silence ; et l’élan que donne la torpeur !
L’air luit ; le sifflement d’un bateau à vapeur
Jette son rauque appel à la rive marchande.
Ligne 4 359 ⟶ 4 284 :
D’une main qui se glisse et qui cherche le cœur…
 
—Par— Par ce cristal des jours, par ces splendeurs païennes,
Seigneur, préservez-nous de la paix quotidienne
Qui stagne sans désir, comme de glauques eaux !
Ligne 4 375 ⟶ 4 300 :
Lorsque parfois ma force extrême se lassait,
Un ange, au cœur cerclé de fer, me remplaçait…
—Et— Et pourtant, je ne veux pas amoindrir ma chance
D’être le lingot d’or qui brise la balance ;
D’être, parmi les cœurs défaillants, incertains,
Ligne 4 381 ⟶ 4 306 :
Je n’ai pas peur des jours, du feu, du soir qui tombe ;
Dans le désert, je suis nourrie par les colombes.
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/196]]==
Ligne 4 396 ⟶ 4 320 :
Où les flots démontés des colonnes d’Hercule
Engloutissaient les nefs, au vent du crépuscule ! …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/197]]==
Ligne 4 417 ⟶ 4 340 :
Paestum qu’on sent toujours visité par les dieux,
Où le souffle marin tord l’églantier fragile,
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/198]]==
Ligne 4 426 ⟶ 4 348 :
Apollon consolant les noirs chevaux d’Achille…
 
—Ces— Ces rivages de marbre embrassés par les flots,
Où les mânes des Grecs ensevelis m’attirent,
Je ne les ai connus que comme un matelot
Ligne 4 447 ⟶ 4 369 :
Qu’écrasait le fardeau des nuits monumentales ;
La mer syracusaine où soudain se répand
—Soupir— Soupir lugubre et vain que la nature exhale,
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/199]]==
<poem>
Le cri du batelier qui vit expirer Pan…
—Oui— Oui, c’est vous mon destin, Paris, cité des âmes,
Forge mystérieuse où les yeux sont la flamme,
Où les cœurs font un sombre et vaste rougeoiment,
Ligne 4 460 ⟶ 4 382 :
Cependant que le sol, où tout entre à son tour,
En mêlant tous ses morts fait un immense amour !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/200]]==
Ligne 4 501 ⟶ 4 422 :
Je songe à cette salle illustre, où je voyais
Des danseuses d’argent, dans leurs gaines de lave,
Fixer sur mon destin, —fortes— fortes, riantes, braves, —
Leurs yeux d’émail, pareils à de sombres œillets.
 
Ligne 4 522 ⟶ 4 443 :
Le vague meurtrier qui vous blesse et vous courbe.
 
—Aigle— Aigle maigre et divin convoitant un enfant,
Je vous vois, Jupiter, auprès de Ganymède ;
Votre œil de proie, où brille un amour sans remède,
Ligne 4 539 ⟶ 4 460 :
Son ardeur à mourir et ses sursauts lyriques,
Aux groupes des héros dans les musées antiques…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/203]]==
Ligne 4 613 ⟶ 4 533 :
Les sublimes leçons que donnent à nos rêves
L’infatigable voix de l’amour et des morts…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/206]]==
Ligne 4 629 ⟶ 4 548 :
Dont les bords lumineux s’inclinent sur la rive…
 
—Automne— Automne, quelle est donc votre séduction ?
Pourquoi, plus que l’été, engagez-vous à vivre ?
Bacchante aux froides mains, de quelle région
Ligne 4 652 ⟶ 4 571 :
Mais les cieux, les doux cieux, ont des lacs de lumière !
 
—Ces— Ces glauques flamboiements, cette poussière d’or,
Cet azur, embué comme une pensée ivre,
Ces soleils oscillant comme un vaisseau qui sort
Ligne 4 666 ⟶ 4 585 :
 
Les porte jusqu’aux cieux, avec un cri strident !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/208]]==
Ligne 4 706 ⟶ 4 624 :
De toute la douceur de cette nuit d’été !
 
—Pourquoi— Pourquoi nous trompez-vous, beauté des paysages,
Aspect fidèle et pur des romanesques nuits,
Engageante splendeur, vent courant comme un page,
Ligne 4 730 ⟶ 4 648 :
N’a d’accueil maternel que pour celui qui meurt.
 
—Terre— Terre, prenez les morts, soyez douce à leur rêve ;
Serrez-les contre vous, rendez-les éternels,
Donnez-leur des matins de rosée et de sève,
Ligne 4 747 ⟶ 4 665 :
Sans jamais secourir ou protéger nos rêves,
La force de nos cœurs construit les lendemains…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/211]]==
Ligne 4 772 ⟶ 4 689 :
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/212]]==
<poem>
 
Teinté de sombre argent, un cèdre contourné
A le tumulte obscur d’un nuage enchaîné
Ligne 4 782 ⟶ 4 698 :
Médite. Un clair fanal, douce sollicitude,
Egoutte dans les flots son rubis scintillant.
—O— O nuits de Lamartine et de Chateaubriand !
Vent dans les peupliers, sources sur les collines,
Tintement des grelots aux coursiers des berlines,
Ligne 4 796 ⟶ 4 712 :
Je montais vers ma paix et vers ma solitude !
 
—Nature— Nature, accordez-moi le plus d’amour humain,
Le plus de ses clartés, le plus de ses ténèbres,
Et la grâce d’errer sur les communs chemins,
Ligne 4 819 ⟶ 4 735 :
L’universel labeur dans le secret des chambres ;
 
Et que je ne sois plus, —au— au-dessus des abîmes
Où mon farouche esprit se tenait asservi, —
Comme un aigle blessé en atteignant les cimes,
Qui ne peut redescendre, et qu’on n’a pas suivi !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/214]]==
Ligne 4 888 ⟶ 4 803 :
Les prés verts semblent enlacés ;
Le soir vient, les bruits ont cessé ;
—Etranger— Etranger, mon ami, mon frère,
 
Il n’est pas que la passion,
Ligne 4 907 ⟶ 4 822 :
Et vois, flambeau des vertes cimes,
Bondir le sauvage écureuil !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/218]]==
Ligne 4 924 ⟶ 4 838 :
Font jaillir, comme un lis, leurs cris rafraîchissants !
 
—Et— Et, bien que le beau jour soit loin de la soirée,
Bien qu’encor le soleil étende sur les murs
Sa nappe de safran éclatante et moirée,
Déjà la molle lune, au contour pâle et pur,
Comme un soupir figé rêve au fond de l’azur…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/219]]==
Ligne 4 937 ⟶ 4 850 :
Puisque le souvenir du noble été s’endort,
Automne, par quel âpre et lumineux effort,
—Déjà— Déjà toute fanée, abattue et moisie, —
Jetez-vous ce brûlant accent de poésie ?
Votre feuillage est las, meurtri, presque envolé.
Ligne 4 944 ⟶ 4 857 :
Mais vous donnez ce soir une suprême rose.
 
—Ah— Ah ! comme l’ample éclat de ce dernier beau jour
Soudain réveille en moi le plus poignant amour !
Comme l’âme est par vous blessée et parfumée,
Triste Automne, couleur de nèfle et de fumée ! …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/220]]==
Ligne 5 009 ⟶ 4 921 :
Veut que mon cœur poursuive une éternelle histoire,
Et cherche en vain la source au milieu du désert.
—Et— Et je regarde, avec une tristesse immense,
Dans le ciel glauque et lourd comme un auguste pleur,
L’étoile qui palpite ainsi que l’espérance,
Et la lune immobile au-dessus de mon cœur…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/223]]==
Ligne 5 069 ⟶ 4 980 :
Qui jamais avouera l’âpre infidélité
D’un cœur sensible dans le silence ! …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/225]]==
Ligne 5 116 ⟶ 5 026 :
Car, ô nuit ! vous gardez le deuil continuel
De ce que rien d’humain ne peut être éternel…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/227]]==
Ligne 5 137 ⟶ 5 046 :
Un jeune, solitaire et joyeux héroïsme !
 
—A— A peine l’aube naît, chaque maison sommeille ;
L’atmosphère, flexible et prudente corbeille,
Porte le monde ainsi que des fruits nébuleux.
Ligne 5 172 ⟶ 5 081 :
Et pour un nouveau joug, ô mortels ! Eros ploie
La branche fructueuse et forte de l’été…
CEUX QUI
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/229]]==
<poem>
CEUX QUI N’ONT RESPIRE…
 
Ceux qui n’ont respiré que les nuits de Hollande,
Ligne 5 212 ⟶ 5 120 :
 
Ceux qui rêvent le soir dans le grand clair de lune,
—Aurore— Aurore qui soudain met sa robe d’argent
Et trempe de clarté la rue étroite et brune,
Et le divin détail des choses et des gens, —
Ligne 5 233 ⟶ 5 141 :
Que font le vert platane et la jaune mosquée
Sur le col des pigeons, attristés par midi…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/232]]==
Ligne 5 254 ⟶ 5 161 :
Tourne, et semble obéir à des milliers d’aimants :
L’espace est sillonné par ces rapprochements…
—Et— Et parfois, à côté de cette immense vie
On voit, protégé par un mur maussade et bas,
Le cimetière où sont, sans regard et sans pas,
Ceux pour qui ne luit plus l’étincelante fête,
Qui fait d’un jour d’été une heureuse tempête !
Hélas !
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/233]]==
<poem>
Hélas ! dans le profond et noir pays du sol,
Malgré les cris du geai, le chant du rossignol,
Ils dorment. Une enfant, sans frayeur, près des tombes,
Ligne 5 273 ⟶ 5 179 :
Que soulève, en passant, le véhément parcours
Des êtres que la mort prête encor à l’amour…
—Et— Et moi qui vous avais délaissée, humble terre,
Pour contempler la nue où l’âme est solitaire,
Je sais bien qu’en dépit d’un rêve habituel,
Ligne 5 285 ⟶ 5 191 :
Par l’odeur des étés, par la chaleur des mains…
 
—Vaste— Vaste Amour, conducteur des éternels demains,
Je reconnais en vous l’inlassable merveille,
L’inexpugnable vie, innombrable et pareille :
O croissance des blés ! ô baisers des humains !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/234]]==
Ligne 5 311 ⟶ 5 216 :
Et que guide un mystique et rêveur désespoir,
L’insistante langueur qui prélude aux caresses…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/235]]==
Ligne 5 332 ⟶ 5 236 :
Puisqu’elle a tenu sur mon doigt !
 
—Et— Et qu’un jour, dans l’espace immense,
Brille, ceinte d’un lien doré,
La Terre où j’aurai respiré
Avec tant d’âpre véhémence !
RIVAGES CONTEMPLES
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/236]]==
<poem>
RIVAGES CONTEMPLES
 
Rivages contemplés au travers de l’amour,
Ligne 5 349 ⟶ 5 253 :
Et que nos cœurs, emplis d’ardeur triste et profonde,
Avaient rendus plus beaux que la beauté du monde ?
 
UN SOIR
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/237]]==
<poem>
UN SOIR A LONDRES
 
…..
 
{{sp|. . . . . . . . . . . . . . .}}
Les parfums vont en promenade
Sur l’air brumeux,
Ligne 5 385 ⟶ 5 288 :
De tout l’été.
 
—Mais— Mais sur tant de langueur divine
Quel souffle prompt ?
Je respire l’odeur saline,
Ligne 5 395 ⟶ 5 298 :
L’air écossais !
 
—O— O toi qui romps, écartes, creuses
Le ciel d’airain,
Rapide odeur aventureuse
Ligne 5 413 ⟶ 5 316 :
Et le vin grec.
 
—Cavalerie— Cavalerie athénienne,
O jeunes gens !
Guirlande héroïque et païenne
Ligne 5 436 ⟶ 5 339 :
Et de mon cœur…
 
***
—Une maison de brique rouge
 
— Une maison de brique rouge
Tremble sur l’eau,
On entend un oiseau qui bouge
Ligne 5 453 ⟶ 5 358 :
La pluie attache sa guirlande
Au bois en fleur :
—Ecoute— Ecoute, il semble qu’on entende
Battre le cœur
</poem>
Ligne 5 469 ⟶ 5 374 :
Près des ifs bleus.
 
—Tout— Tout tremble, s’exalte, soupire ;
Ardent émoi.
O Juliette de Shakspeare,
Comprenez-moi ! …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/242]]==
Ligne 5 501 ⟶ 5 405 :
Ce dieu des sèves véhémentes ?
Tout encore est si sec, si nu, si mort de froid !
—C’est— C’est l’invisible qui fermente !
 
Là-bas, comme un orage aigu, accumulé,
Ligne 5 508 ⟶ 5 412 :
A ce ciel qui défaille et râle.
 
—Et— Et moi qui, d’un amour si grave et si puissant,
Contenais la rive et le fleuve,
Je sens qu’un mal divin veut détourner mon sang
Ligne 5 531 ⟶ 5 435 :
Par les odeurs réjouissantes !
 
—Mais— Mais non, vous n’êtes pas l’universel Printemps,
O saison humide et ployée
Que j’aspire ce soir, que je touche et j’entends,
Ligne 5 559 ⟶ 5 463 :
De votre croissance si lente.
 
Les autres ne verront, —Alsace— Alsace aux molles eaux
Qu’un zéphyr moite endort et creuse, —
Que vos étangs gisants, qui frappent de roseaux
Ligne 5 577 ⟶ 5 481 :
Que ta plaine qui rêve et fume,
Que tes châteaux du soir, endormis dans le ciel.
—J’ai— J’ai vu ton frein couvert d’écume !
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/246]]==
Ligne 5 584 ⟶ 5 488 :
Ceux-là ne sauront voir, à ton balcon fameux,
Que la Marseillaise endormie ;
—Moi— Moi j’ai vu le soleil, de son égide en feu,
Empourprer ta feinte accalmie.
 
Ligne 5 590 ⟶ 5 494 :
Où le Destin s’assied, hésite,
Et contemple le temps assoupi sur les corps…
—Moi— Moi j’ai vu ce qui ressuscite !
CE MATIN
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/247]]==
<poem>
CE MATIN CLAIR ET VIF…
 
Ce matin clair et vif comme un midi du pôle,
Ligne 5 611 ⟶ 5 514 :
Puisque le plus profond et plus lourd paysage
Ne vient que de mon cœur et de ton doux visage…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/248]]==
Ligne 5 636 ⟶ 5 538 :
 
O Destin suspendu, que vous m’êtes suspect !
—Sous— Sous les rameaux courbés des tilleuls centenaires
Un puéril torrent roulait son clair tonnerre ;
Des orchestres jouaient dans les bosquets épais,
Ligne 5 643 ⟶ 5 545 :
Distend à l’infini la détresse ou la paix…
 
—O— O pays de la valse et des larmes sans peines,
Pays où la musique est un vin plus hardi,
Qui, sans blâme et sans heurts, furtivement amène
Ligne 5 671 ⟶ 5 573 :
Tout souffrait, languissait, désirait, sans moyen,
Les voluptés de l’âme et la joie inconnue.
—Quand— Quand serez-vous formé, ineffable lien
Qui saurez rattacher les désirs à la nue ?
 
Ligne 5 680 ⟶ 5 582 :
Du romanesque hôtel que la lune caresse,
De mols bourgeons, hachés par des dents d’écureuil…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/251]]==
Ligne 5 723 ⟶ 5 624 :
Ses tourbillons de songe et ses buis arrachés…
 
—O— O sublime, languide, âpre mélancolie
Des beaux soirs où l’esprit, indomptable et captif,
Veut s’enfuir et ne peut, et rêve à la folie
Ligne 5 754 ⟶ 5 655 :
Pour qui l’espace même est un trop lourd filet !
 
—O— O soirs de Düsseldorf, quand les toits et leur neige
Font un scintillement de cristal et de sel,
Et que, petit garçon qui rentrait du collège,
Ligne 5 804 ⟶ 5 705 :
Vos Lieder, à la fois déchirés et fringants.
 
—Mais— Mais quand le vent se tait, quand l’étendue est calme,
Vous repoussez le verre où luit le vin du Rhin ;
Le Gange, les cyprès, la paresse des palmes
Ligne 5 819 ⟶ 5 720 :
Les gais myosotis des matins de Francfort.
 
—J’ai— J’ai vu, un soir d’automne, au bord d’un chaud rivage,
Un grand voilier, chargé de grappes de cassis,
Ne plus pouvoir voguer, tant le faible équipage,
Ligne 5 836 ⟶ 5 737 :
Vos soupirs envolés vers sa joue de cristal !
 
—Vous— Vous me l’avez transmis, ce désir des conquêtes,
Cet enfantin bonheur dans les matins d’été,
Ce besoin de mourir et de ressusciter
Ligne 5 848 ⟶ 5 749 :
Mais toujours vos regards s’enroulent à mon cou,
Sur le chemin du rêve où je marche avec vous…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/257]]==
 
<poem>
III
 
LES ELEVATIONS
 
Nous avons l’expérience de notre éternité.
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/258]]==
<poem>
éternité.
SPINOZA.
L
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/259]]==
<poem>
ALA PRIÈRE
 
Comment vous aborder, redoutable prière ?
Ligne 5 923 ⟶ 5 819 :
Absents de nous déjà, et vers vous en péril…
 
—Être— Être toujours vaincu et ne pouvoir l’admettre,
Ne pas donner au sort notre consentement,
Et, quand de toute part la mort monte et pénètre,
Ligne 5 974 ⟶ 5 870 :
Vous présentant l’esprit comme un diamant nu.
 
—Être— Être un tigre blessé, qui s’allonge et qui saigne
Dans vos forêts, mon Dieu, peu sûr d’être sauvé…
J’ai vu trop de repos chez ceux qui vous atteignent :
La sainteté n’est pas de vous avoir trouvé ! …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/264]]==
Ligne 5 998 ⟶ 5 893 :
Les hommes au front bas ont oublié le ciel.
 
—Mais— Mais quelques-uns n’ont pas cette humble conscience ;
Ils n’ont pas accepté de leur commun destin
Ces résignations, cet oubli, ce dédain,
Qui leur permet d’errer avec indindifférence.
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/265]]==
<poem>
ifférence.
 
Toujours interrogeant l’espace et les chemins,
Ligne 6 027 ⟶ 5 921 :
Et, comme un haut sommet, dépasse les orages.
 
—Seigneur— Seigneur, vous m’avez dit d’être ce pèlerin
Qui s’épuise et pourtant que jamais rien n’entrave ;
Vous m’avez infusé le chant du tambourin,
Ligne 6 050 ⟶ 5 944 :
Je touche un fruit secret que plus rien ne défend,
Et vous êtes mon Dieu, et je suis votre enfant…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/267]]==
Ligne 6 089 ⟶ 5 982 :
J’ai cherché le moment où l’on vous aperçoit.
 
—Je— Je vous ai vu au bord de ces païens rivages
Où les temples ouverts, envahis par l’été,
Maintiennent dans le temps, avec un long courage,
Ligne 6 130 ⟶ 6 023 :
<poem>
 
—Seigneur— Seigneur, vous l’entendez, je n’ai pas d’autre offrande
Que ces pourpres charbons retirés des enfers,
Depuis longtemps l’eau vive et l’agreste guirlande
Ligne 6 145 ⟶ 6 038 :
Quand mon esprit souffrait l’a laissé dans la nuit.
 
—J’ai— J’ai vu que tout priait, le désir et la plainte,
Que les regards priaient en se cherchant entre eux,
Que les emportements, le délire et l’étreinte
Ligne 6 182 ⟶ 6 075 :
Je vous bois, ô torrent dont le feu désaltère,
Dieu brûlant, vous en qui tout excès est permis…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/272]]==
Ligne 6 195 ⟶ 6 087 :
Et que déjà pour nous tout commence à se taire,
Puisqu’il faudra, pourtant, être un mort dans la terre…
SI VOUS
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/273]]==
<poem>
SI VOUS PARLIEZ, SEIGNEUR…
 
Si vous parliez, Seigneur, je vous entendrais bien,
Ligne 6 252 ⟶ 6 143 :
Mais je ne vous vois pas, ô mon Dieu ! et je chante
A cause du vide infini !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/276]]==
Ligne 6 308 ⟶ 6 198 :
<poem>
 
—Déjà— Déjà, loin du plaisir, du monde, des parades,
Mon cœur ardent n’est plus, dans son éclat voilé,
Qu’un feu de bohémiens sur la pauvre esplanade,
Où l’enfant nu console un cheval dételé.
 
—Mais— Mais s’il faut que ces jours de supplice reviennent,
S’il faut vivre sans eau, sans soleil et sans air,
Que du moins votre main s’empare de la mienne
Et m’aide à traverser l’effroyable désert…
COMME VOUS
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/279]]==
<poem>
COMME VOUS ACCABLEZ VOS PREFERES…
 
—Comme— Comme vous accablez vos préférés, Seigneur !
 
Comme l’éclair, comme le vent, comme un voleur,
Ligne 6 341 ⟶ 6 230 :
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/280]]==
<poem>
 
Il semble que votre ample et salubre courage
Veuille assainir en nous quelque obscur marécage,
Ligne 6 347 ⟶ 6 235 :
L’âcre ferment vivant, orgueilleux et puissant.
On pense qu’on mourra du mal que vous nous faites…
—Et— Et puis, c’est tout à coup la fin de la tempête ;
On est comme les bois légers, silencieux,
D’où le vent se retire et monte vers les cieux.
Ligne 6 355 ⟶ 6 243 :
Protégé comme un roi parmi ses étendards…
 
—Mais— Mais s’il fallait connaître encor cette furie,
Ah ! Seigneur, laissez-moi mourir sur la prairie,
Près de l’arbre du bien et du mal, dont mes mains
Ligne 6 362 ⟶ 6 250 :
Laissez-moi défaillir, et ne m’arrachez pas
Le perfide serpent qui dort entre mes bras…
JE SUIS FIÈRE
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/281]]==
<poem>
JE SUIS FIÈRE DE TOUT…
 
Je suis fière de tout ce que je vous fis faire,
Ligne 6 395 ⟶ 6 282 :
De m’avoir accordé la sombre indifférence
Qui prépare le corps au repos éternel…
J’AI REVU
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/283]]==
<poem>
J’AI REVU LA NATURE…
 
J’ai revu la Nature en son commencement.
Ligne 6 407 ⟶ 6 293 :
On voit partout jaillir de la terre âpre et dure
La vapeur balancée et molle des verdures…
—Nature— Nature, je connais votre piège éternel :
Forte par la beauté, humble par le silence,
Vous attendez qu’en nous sans cesse recommence
Ligne 6 417 ⟶ 6 303 :
De résine au soleil ; le vent, au haut des arbres,
A les grands mouvements de l’inspiration.
Hélas !
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/284]]==
<poem>
Hélas ! cette salubre et chaste passion,
Ce grand nid des vivants qui croît et se prépare,
Sera-t-il donc toujours l’ennemi des humains ?
Ligne 6 429 ⟶ 6 314 :
L’inutile désir d’un amour plus divin,
Que vous désabusez et que rien ne répare ? …
ON ETOUFFAIT
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/285]]==
<poem>
ON ETOUFFAIT D’ANGOISSE ATROCE…
 
On étouffait d’angoisse atroce, et l’on respire.
Ligne 6 475 ⟶ 6 359 :
Quel baume, quel secours subit, quelle allégeance
Me mêlera, Nature, à votre calme essence ?
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/287]]==
Ligne 6 493 ⟶ 6 376 :
Elle semble arrêtée entre l’air et la mort.
 
—Que— Que j’aime votre exacte, uniforme lumière,
Sans saillie et sans heurts, sans flèche et sans élan,
Où les noirs peupliers, recueillis, indolents,
Ligne 6 501 ⟶ 6 384 :
<poem>
 
—Nuit— Nuit paisible, pareille aux rochers des torrents
Vous laissez émaner des parfums froids et tristes,
Et dans votre caveau, pâle et grave, persiste
Ligne 6 511 ⟶ 6 394 :
Et qu’on se croit la nuit plus proche de l’amour ?
 
—Vous— Vous êtes aujourd’hui songeuse et solennelle,
Nuit tombale où se meut l’odeur d’un oranger ;
Je veux tracer mon nom sur votre blanche stèle,
Ligne 6 545 ⟶ 6 428 :
Puisque jamais le cœur ne rompt ni ne se lasse,
Et que, si l’on était paisible, on serait mort…
JE VIS, JE PENSE, ET
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/290]]==
<poem>
JE VIS, JE PENSE, ET L’OMBRE…
 
Je vis, je pense, et l’ombre insensible et divine
Ligne 6 585 ⟶ 6 467 :
 
Mais je ne saurai rien de ma tâche éphémère !
—Insondable— Insondable Univers que j’ai cru posséder,
Je n’interromprai pas ma pensive prière
Vers ton muet orgueil, qui ne peut pas céder.
 
—Beau— Beau soir, tout envolé de parfums et de brises,
Remuante ténèbre, agile et fraîche ardeur,
C’est en vain que ma voix vous suit et vous attise,
Ligne 6 597 ⟶ 6 479 :
<poem>
 
—Je— Je suis mortelle, et tout ce que je loue est stable !
Mon être se dissout, mon passé est errant ;
Vous brûlerez sans moi, ô monde délectable !
Ligne 6 604 ⟶ 6 486 :
Mon esprit dilaté, clairvoyant, secourable,
Qui, tout imprégné d’eux, leur est indifférent !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/293]]==
Ligne 6 629 ⟶ 6 510 :
Ces cieux du soir qui sont si doux et si propices
Aux âmes qui n’ont pas encor désespéré…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/294]]==
Ligne 6 653 ⟶ 6 533 :
Elle répande en vain son ineffable amour,
Et que toute sa joie, enivrée, abattue,
Retombe sur son cœur comme un fardeau qui tue !
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/295]]==
<poem>
qui tue !
Qu’aucun baiser ne soit assez âpre et puissant
Pour celle dont le sang veut rejoindre du sang ;
Ligne 6 678 ⟶ 6 557 :
Qui croient que leur bonheur est notre complaisance,
Voyant cette âme lasse et lourde de souffrance,
Ne puissent pas savoir, —secret— secret profond des dieux, —
Que c’était celle-là que nous aimions le mieux…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/296]]==
Ligne 6 742 ⟶ 6 620 :
Où les foules sans nombre ont aligné leurs os !
 
—Et— Et maintenant, debout comme les astronomes
Dans les limpides nuits d’Agra et de Philæ,
Je contemple, au-dessus des mondes et des hommes,
Les signes infinis de mon cœur étoilé ! …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/299]]==
Ligne 6 768 ⟶ 6 645 :
 
O Mistral, la Mireille antique,
—Chloé— Chloé qui dansait dans le thym—thym —
Suspend sa flûte bucolique
Au vert laurier de ton jardin !
Ligne 6 800 ⟶ 6 677 :
Et s’étend parmi les roseaux…
 
—Ainsi— Ainsi nous recherchions l’Histoire,
L’Hellade avec ses temples roux,
Quand c’est toi, la Nef, la Victoire,
Ligne 6 814 ⟶ 6 691 :
Que Daphnis, le plus beau des hommes,
A pris l’éclat d’un dieu vivant…
VERS ECRITS
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/302]]==
<poem>
VERS ECRITS SUR LES CHAMPS DE BATAILLE D’ALSACE-LORRAINE
 
O morts pour mon pays, je suis votre envieux…
Ligne 6 835 ⟶ 6 711 :
Dans son empire d’or, de soif et de famine !
 
—Quel— Quel mortel n’a connu vos somptueux élans,
Passion de l’amour, unique multitude,
Danger des jours aigus et des jours indolents,
Ligne 6 856 ⟶ 6 732 :
Hors des funèbres murs et des humbles clôtures.
 
—Un— Un jour, ils étaient là, vivants, graves, joyeux.
Les brumes du matin glissaient dans les branchages,
Les chevaux hennissaient, indomptés, anxieux,
Ligne 6 883 ⟶ 6 759 :
On ne sépare plus l’époux d’avec l’épouse…
 
—O— O terre mariée au sang de vos héros,
Ceux qui vous aimaient tant sont une forteresse
Ténébreuse, cachée, où le fer et les os
Ligne 6 904 ⟶ 6 780 :
<poem>
 
—Les— Les blés roux et liés sont aux ruches pareils,
De tous les chauds vallons monte un parfum d’enfance,
Mais, embusqué le soir sur le coteau vermeil,
Ligne 6 928 ⟶ 6 804 :
Préfère aux voluptés, qui toujours se défont,
Le grand embrassement du mort à sa patrie !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/306]]==
Ligne 6 948 ⟶ 6 823 :
Pour un esprit qui songe un tel lieu doit suffire.
 
—O— O héros endormi dans le bloc de porphyre,
En vain, dans l’univers, nous recherchions vos pas :
</poem>
Ligne 7 024 ⟶ 6 899 :
Ainsi qu’une pensive et vague sentinelle,
Autour du puits où dort votre cendre éternelle.
—Quand— Quand meurent des héros, la piété des humains
Leur élève au sommet fascinant des chemins
Un tombeau clair, altier, imposant, qui s’érige,
Ligne 7 034 ⟶ 6 909 :
Par qui tous les orgueils sont brisés tout à coup,
Qu’il faille se pencher pour regarder sur vous…
O DIEU MYSTERIEUX…
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/310]]==
<poem>
O DIEU MYSTERIEUX…
 
O Dieu mystérieux qui n’aimez pas les êtres,
Ligne 7 049 ⟶ 6 924 :
Et d’un apaisement que n’ont pas les visages ?
 
—Les— Les jeux des papillons, des oiseaux, des zéphirs,
Une branche qu’un flot de soleil ploie et marque,
Font bouger l’horizon, que l’on croit voir frémir
Ligne 7 082 ⟶ 6 957 :
Et partout c’est la joie : antique et neuve joie !
 
—Ah— Ah ! puisque vous n’étiez, Dieu des cieux enivrés,
Qu’un Sultan amoureux des jardins et des arbres,
Qui, la nuit, contemplez les bleus poissons nacrés
Ligne 7 100 ⟶ 6 975 :
Nous cherchons à goûter votre invisible essence ?
 
—Pauvres— Pauvres gladiateurs qui n’ont droit qu’à la mort,
La splendeur de l’espoir nous entraîne et nous broie ;
Quel but assignez-vous au courage, à l’effort,
Ligne 7 133 ⟶ 7 008 :
Je ne distingue pas l’homme d’avec les choses… »
 
***
—Que vos jardins sont beaux, que vos vergers sont clairs,
 
— Que vos jardins sont beaux, que vos vergers sont clairs,
Seigneur ! Père des flots, des saisons, des contrées ;
Des cymbales d’argent semblent frapper les airs,
Ligne 7 164 ⟶ 7 041 :
Ce qui n’est à vos yeux que la pente du sort.
Et qu’avec nos orgueils, nos défis, nos transports,
Nous viendrions, —Bouddha— Bouddha qui rêvez dans les astres,
Près de la lune, blanc lotus mort à demi,
Ecoutant la musique éparse et frémissante
Que font les sphères d’or en leur course dansante, —
Troubler par nos sanglots votre rire endormi…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/315]]==
 
<poem>
IV
 
LES TOMBEAUX
 
Grandeur, gloire, ô néant ! calme de la nature !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/316]]==
<poem>
V. HUGO.
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/317]]==
<poem>
Ligne 7 204 ⟶ 7 076 :
De la haute aventure, humaine, ample et vivace ;
Ils sont emplis d’oubli, d’abîme, de lourdeur ;
On sent s’éloigner d’eux l’atmosphère et ll’espace.
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/318]]==
<poem>
’espace.
 
Barques à la dérive, ils ont quitté nos ports ;
Ligne 7 217 ⟶ 7 088 :
Nos déférents regards humblement les contemplent :
Soldats anéantis, victimes sans splendeur !
—J’écoute— J’écoute s’écrouler les colonnes du temple
Que mon orgueil avait élevé sur mon cœur.
 
Ligne 7 238 ⟶ 7 109 :
<poem>
 
—Ah— Ah ! quand j’étais si jeune et que j’aimais les heures
Par besoin d’épuiser mon courage infini,
Je songeais en tremblant à la sombre demeure
Ligne 7 266 ⟶ 7 137 :
<poem>
 
—Ainsi— Ainsi je n’étais rien, et mon esprit qui songe
Avait bien parcouru les espaces, les temps ;
Comme l’aigle qui monte et le dauphin qui plonge
Ligne 7 299 ⟶ 7 170 :
Dont la flamme et le sang ont tracé les contours.
 
—Seigneur— Seigneur, l’âme est l’élan, la dépense infinie,
Seigneur, tout ce qui est, est amour ou n’est rien.
Au centre d’une ardente et plaintive agonie
Ligne 7 313 ⟶ 7 184 :
J’ignorerai l’abîme humiliant et morne,
Mon cœur dans la douleur eut son éternité !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/322]]==
Ligne 7 356 ⟶ 7 226 :
Ces pointes du malheur, que ta main dérobée
Fixe encor dans mon cœur comme de sombres clous…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/324]]==
Ligne 7 395 ⟶ 7 264 :
Qui te plaisait ainsi qu’un mutuel exploit.
 
—Puisque— Puisque je n’ai pas pu empêcher ces désastres,
Nature ! moi qui fus leur conseil et leur sœur,
Puisque je ne peux pas réveiller la torpeur
Ligne 7 403 ⟶ 7 272 :
Comme un reproche ardent, flotte éternellement
Entre les tombeaux et les astres !
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/326]]==
Ligne 7 419 ⟶ 7 287 :
Je ne t’aperçois plus au bout de l’horizon,
O jeune mort dormant sous de funèbres voiles !
—Le— Le bruit que fait la pluie en touchant les gazons
Semble, dans cette verte et sereine saison,
Un frais fourmillement qui tombe des étoiles…
Ligne 7 429 ⟶ 7 297 :
Avec un évident et ténébreux coup d’aile,
Comme par ses parfums un jardin dans la nuit…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/327]]==
Ligne 7 453 ⟶ 7 320 :
Tout mon être est lié à des souffles instables,
C’est par vous, mes humains, que je suis périssable !
IL PARAIT
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/328]]==
<poem>
IL PARAIT QUE LA MORT…
 
Il paraît que la mort est naturelle et juste,
Ligne 7 486 ⟶ 7 352 :
Mais je n’accepte pas cet horrible mélange
D’un soir épanoui et des morts recouverts.
—O— O mes jeunes amis, qui faisiez mes jours clairs,
Pourquoi sont-ce vos mains inertes qui dérangent
L’ordre imposant de l’univers ?
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/330]]==
Ligne 7 500 ⟶ 7 365 :
J’ai bâti ma maison pensive sur leur sable.
 
—Votre— Votre sommeil, ô morts déçus et sérieux,
Me jette, les yeux clos, un long regard farouche ;
Le vent de la parole emplit encor ma bouche,
Ligne 7 514 ⟶ 7 379 :
On ne possède bien que ce qu’on peut attendre :
Je suis morte déjà, puisque je dois mourir…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/331]]==
Ligne 7 531 ⟶ 7 395 :
 
Ainsi vont les humains tolérés par le Temps !
—Tel— Tel un chaînon léger à la chaîne des âges,
Il tinte clair et frais, le vaniteux printemps,
Et comme un vif grelot excite leur courage !
Ligne 7 543 ⟶ 7 407 :
Puisque tout est détresse accédant au repos.
 
—Multitude— Multitude endormie en la cité des pierres
Ils ont l’éternité que nous n’obtenons pas,
L’espace est concentré sous leur faible paupière,
Ligne 7 571 ⟶ 7 435 :
Je vous salue, ô Morts ! Constance, Fixité !
 
—On— On bâtit : des maçons debout sur les tranchées
Font vibrer dans l’azur le bruit vaillant du fer,
Mais mes yeux vont, emplis d’un songe âpre et désert,
Ligne 7 585 ⟶ 7 449 :
La Mort vous a groupés dans son grave concert,
Et sa sombre unité, nous la chantons ensemble ! …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/334]]==
Ligne 7 604 ⟶ 7 467 :
Cette paix sans bonheur qui lentement nous guette
Quand l’âme est délivrée, enfin, de tout espoir…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/335]]==
Ligne 7 632 ⟶ 7 494 :
L’ombre qui, sur nos fronts, met sa protection,
Le silence propice aux nobles passions.
—O— O lune aux flancs brisés, mélancolique amphore
D’où ne coule aucun vin pour les cœurs altérés,
Sur Tarente, Amalfi, sur les rochers sacrés,
Ligne 7 639 ⟶ 7 501 :
Secourir notre amère et plaintive indigence,
Mais ce soir je ne sens que votre froid dédain.
—Excitant— Excitant du désir et de l’intelligence,
O lune, accueillez-vous dans vos pâles jardins
L’immense poésie ailée et taciturne
Ligne 7 647 ⟶ 7 509 :
Notre cœur vous choisit comme un appui lointain ? …
Mais en vain mon esprit qui souffre et qui réclame
Interroge.—La — La brise, alerte et tiède, trame
Un tissu délié où les parfums se pâment.
Et je respire avec un cœur exténué
La douce odeur des nuits, qui vient atténuer
Le vide sans espoir où ne sont pas les âmes…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/337]]==
Ligne 7 691 ⟶ 7 552 :
 
Si je n’avais pas vu leur visage endormi…
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/339]]==
Ligne 7 705 ⟶ 7 565 :
Je sais que pour les morts plus aucun temps n’existe :
Je suis jalouse pour les morts.
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/340]]==
Ligne 7 716 ⟶ 7 575 :
Je vais regarder luire un éphémère été.
 
—Je— Je vous verrai, montagne où le jour bleu ruisselle,
Villas au bord des lacs, qui font croire au bonheur,
Rivages où la barque en forme de tonnelle
Ligne 7 734 ⟶ 7 593 :
Pesante et calme ainsi qu’un confiant amour.
 
—Mais— Mais je n’écoute plus vos voix élyséennes
O liquides tyrans des prés verts et des flots,
Sirènes ! taisez-vous, mensongères sirènes !
Ligne 7 743 ⟶ 7 602 :
Que pourrais-je espérer ou désirer encor,
Puisque tout l’univers est posé sur des morts ? …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/342]]==
Ligne 7 762 ⟶ 7 620 :
Avec les yeux ravis du pâtre et du marin
Nous bénissions le jour luisant, le soir serein ;
—Vous— Vous seule êtes fidèle, ô secrète ossature !
 
Autrefois, je voyais se dérouler le temps
Ligne 7 778 ⟶ 7 636 :
Retombe dans la terre ayant rêvé des cieux !
 
—Hélas— Hélas, mes disparus, mes archanges sans ailes,
Vous marchez devant moi pour m’éviter la peur ;
Et par vous je sens croître et brûler dans mon cœur,
Ligne 7 786 ⟶ 7 644 :
Déjà combien de mains ont délaissé mes mains…
 
—Du— Du moins, battez plus fort, cœur empli de courage !
Entraînez avec vous vos morts sur les chemins.
Que leurs regards nombreux brûlent dans mon visage,
Que mon âme abondante abreuve les humains,
Et que je meure enfin comme on vit davantage ! …
 
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/344]]==
Ligne 7 809 ⟶ 7 666 :
Entraîne un passager vers les rives sans gloire…
 
—Vivre— Vivre quand ils sont morts ! Respirer les saisons !
Voir que le temps sur eux s’épaissit et s’étire !
Commettre chaque jour cette ample trahison,
Ligne 7 816 ⟶ 7 673 :
Nous étendre le soir en leur froide prison,
Tandis que leurs doux corps rentrent dans les maisons…
JE VIVAIS.
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/345]]==
<poem>
JE VIVAIS. MON REGARD, COMME UN PEUPLE…
 
Je vivais. Mon regard, comme un peuple d’abeilles,
Ligne 7 889 ⟶ 7 745 :
 
Je m’emplis d’une vaste et rude connaissance,
Que j’acquiers d’heure en heure, ainsi qu’un noir trésor
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/348]]==
<poem>
trésor
Qui me dispense une âpre et totale science :
Je sais que tu es mort…
Ligne 7 899 ⟶ 7 751 :
1907-1913.
</poem>
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/349]]==
 
TABLE
 
I—LES PASSIONS
I — LES PASSIONS
 
Pages
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/349]]==
 
Tu vis, je bois l’azur 9
 
J’ai tant rêvé par vous 14
 
L’Amitié 16
 
Tu t’éloignes, cher être 19
 
J’espère de mourir 20
 
Que m’importe aujourd’hui 23
 
Je dormais, je m’éveille 29
 
On ne peut rien vouloir 31
 
Un jour, on avait tant souffert 35
 
Je me défends de toi 37
 
La Douleur 39
 
Seigneur, pourquoi l’amour 42
 
Le Chant du Printemps 45
 
Je vous avais donné 49
 
O mon ami, souffrez 52
 
Nous n’avions plus besoin de parler 53
 
J’ai vu à ta confuse 55
 
Je marchais près de vous 56
 
Tel l’arbre de corail 58
 
T’aimer. Et quand le jour timide 61
 
Cantique 63
 
Avoir tout accueilli 68
 
La Musique de Chopin 69
 
Tu ressembles à la musique 71
 
Je t’aime et cependant 73
 
En écoutant Schumann 75
 
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/350]]==
 
Qu’ai-je à faire de vous 77
 
Bénissez cette nuit 80
 
Tout semble libéré 83
 
Les soldats sur la route 84
 
La Tempête 87
 
La Nue est radieuse 91
 
La Passion 94
 
Je ne puis pas comprendre 97
 
Tendresse 99
 
Le Monde intérieur 100
 
Je ne me réjouis de rien 103
 
Destin imprévisible 104
 
Comme le temps est court 106
 
Vous emplissez ma vie 108
 
Ainsi les jours ont fui 110
 
Soir sur la terrasse 112
 
O mon ami, sois mon tombeau 114
 
Un abondant amour 117
 
La Musique et la Nuit 119
 
La Constance 122
 
II—LES CLIMATS
II — LES CLIMATS
 
Syracuse 125
 
Les Soirs du Monde 130
 
Dans l’Azur antique 135
 
Palerme s’endormait 140
 
Le Désert des Soirs 142
 
Le Port de Palerme 143
 
Les Soirs de Catane 145
 
A Palerme, au Jardin Tasca 148
 
Agrigente 152
 
L’Auberge d’Agrigente 156
 
L’Enchantement de la Sicile 158
 
L’air brûle, la chaude magie 161
 
Les Journées Romaines 164
 
Musique pour les jardins de Lombardie 170
 
Un Soir à Vérone 174
 
Un Automne à Venise 178
 
Va prier dans Saint-Marc 180
 
La Messe de L’Aurore à Venise 182
 
Nuit Vénitienne 184
 
Cloches Vénitiennes 186
 
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Siroco à Venise 187
 
L’Ile des Folles à Venise 188
 
Midi sonne au Clocher de la Tour Sarrasine 192
 
Je n’ai vu qu’un instant 197
 
Ainsi les jours s’en vont 200
 
Le Retour au Lac Léman 203
 
Octobre et son odeur 206
 
Les Rives romanesques 208
 
Au pays de Rousseau 211
 
Un Soir en Flandre 214
 
Bonté de l’Univers que je croyais éteinte 218
 
Automne 219
 
Chaleur des Nuits d’été 220
 
Arles 223
 
La Nuit flotte 225
 
L’Evasion 227
 
Ceux qui n’ont respiré 229
 
Le Ciel bleu du milieu du jour 232
 
La Langueur des voyages 234
 
La Terre 235
 
Rivages contemplés 236
 
Un Soir à Londres 237
 
Le Printemps du Rhin 242
 
Ce Matin clair et vif 247
 
Les Nuits de Baden 248
 
Henri Heine 251
 
III—LES ELEVATIONS
III — LES ELEVATIONS
 
La Prière 259
 
O Monde ! Nous passons 264
 
Mon Dieu, je ne sais rien 267
 
La Solitude 272
 
Si vous parliez, Seigneur 273
 
Mon Dieu, je sais qu’il faut 276
 
Comme vous accablez vos préférés 279
 
Je suis fière de tout 281
 
J’ai revu la nature 283
 
On étouffait d’angoisse atroce 285
 
L’Espace nocturne 287
 
Je vis, je pense, et l’ombre 290
 
Je sais que rien n’est plus 293
 
Le Destin du Poète 294
Elévation
==[[Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/352]]==
 
296
Elévation 296
 
En ces jours déchirants 299
 
A Mistral 300
 
Vers écrits sur les Champs de bataille d’Alsace-Lorraine 302
 
Les Mânes de Napoléon 306
 
O Dieu mystérieux 310
 
IV—LES TOMBEAUX
IV — LES TOMBEAUX
 
Les Morts 317
 
Ainsi les jours légers 322
 
L’Abîme 324
 
Hélas, il pleut sur toi 326
 
Puisque j’ai su par toi 327
 
Il paraît que la mort 328
 
Les vivants se sont tus 330
 
Le Souvenir des Morts 331
 
Ton absence est partout 334
 
La nuit rapproche mieux 335
 
Puisqu’il faut que l’on vive 337
 
Je ne veux pas savoir s’il fait clair 339
 
Je respire et tu dors, à présent 340
 
Malgré mes bras tendus 342
 
Puisqu’il faut que la mort 344
 
Je vivais. Mon regard, comme un peuple345
Je vivais. Mon regard, comme un peuple 345