« L’Ami Fritz/9 » : différence entre les versions

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Les mardis et les vendredis matin, jours de marché, Kobus avait l’habitude de fumer des pipes à sa fenêtre, en regardant les ménagères de Hunebourg aller et venir, d’un air affairé, entre les longues rangées de paniers, de hottes, de cages d’osier, de baraques, de poteries et de charrettes alignées sur la place des Acacias. C’étaient, en quelque sorte, ses jours de grand spectacle ; toutes ces rumeurs, ces mille attitudes d’acheteurs et de vendeurs débattant leur prix, criant, se disputant, le réjouissaient plus qu’on ne saurait le dire.
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Apercevait-il de loin quelque belle pièce, aussitôt il appelait Katel et lui disait :
 
« Vois-tu, là-bas, ce chapelet de grives ou de mésanges ?
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vois-tu ce grand lièvre roux, au troisième banc de la dernière rangée ? Va voir. »
 
Katel sortait ; il suivait avec intérêt la marche de la discussion ; et la vieille servante revenait-elle avec les mésanges, les grives ou le lièvre, il se disait : « Nous les avons ! »
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« Monsieur, dit-elle, voici quelque chose que j’ai trouvé dans votre capote d’hiver. »
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C’était un papier ; il le prit et l’ouvrit.
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— Soyez tranquille, monsieur, soyez tranquille, je vais vous soigner cela. »
 
Katel sortit, et Fritz, bourrant une pipe avec soin, se remit à la fenêtre. Alors, tout avait changé sous ses yeux ; les figures, les mines, les discours,
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les cris des uns et des autres : c’était comme un coup de soleil sur la place.
 
Et rêvant encore à la ferme, il se prit à songer que le séjour des villes n’est vraiment agréable qu’en hiver ; qu’il fait bon aussi changer de nourriture quelquefois, car la même cuisine, à la longue, devient insipide. Il se rappela que les bons œufs frais et le fromage blanc, chez l’anabaptiste, lui faisaient plus de plaisir au déjeuner, que tous les petits plats de Katel.
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— Tu les as réussis ?
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— J’ai suivi la recette ; cela ne pouvait pas manquer.
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— Et qu’est-ce qu’elle dit donc ? demanda Kobus, dont la large figure s’épatait d’aise, en pensant que la petite était gaie.
 
— Qu’est-ce que je sais ? Rien que d’avoir passé sur
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la place, elle a tout vu, et elle vous raconte la mine de chacun mais d’un air si drôle…
 
— Je parie qu’elle s’est aussi moquée de moi, s’écria Fritz.
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Quand il revint, la table était mise et le potage servi. Il déboucha sa bouteille, se mit la serviette au menton d’un air de satisfaction profonde, se retroussa les manches et dîna de bon appétit.
 
Katel vint servir les beignets avant le dessert. Alors, remplissant son verre, il dit : « Nous allons voir cela. » La vieille servante restait près de la table, pour entendre son jugement. Il prit donc un beignet, et le goûta d’abord sans rien dire ; puis un autre, puis un
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troisième ; enfin, se retournant, il prononça ces paroles avec poids et mesure :
 
« Les beignets sont excellents, Katel, excellents ! Il est facile de reconnaître que tu as suivi la recette aussi bien que possible. Et cependant, écoute bien ceci — ce n’est pas un reproche que je veux te faire, — mais ceux de la ferme étaient meilleurs ; ils avaient quelque chose de plus fin, de plus délicat, une espèce de parfum particulier, — fit-il en levant le doigt, — je ne peux pas t’expliquer cela ; c’était moins fort, si tu veux, mais beaucoup plus agréable.
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— C’est positif. J’aurais tort de ne pas trouver ces beignets délicieux ; mais au-dessus des meilleures choses, il y a ce que le professeur Speck appelle “l’idéal” ; cela veut dire quelque chose de poétique, de…
 
— Oui, monsieur, je comprends, fit Katel : par exemple, comme les saucisses de la mère Hâfen, que personne ne pouvait réussir aussi bien qu’elle, à
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cause des trois clous de girofles qui manquaient.
 
— Non, ce n’est pas mon idée ; rien n’y manque, et malgré tout… » Il allait en dire plus, lorsque la porte s’ouvrit et que le vieux rabbin entra : « Hé ! c’est toi, David, s’écria-t-il ; arrive donc, et tâche d’expliquer à Katel ce qu’il faut entendre par “l’idéal”. »
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— Allons, je vois bien que tu veux me chasser.
 
— Mais non, je dis seulement que si tu n’étais pas juif, tu pourrais manger de ces beignets, et que tu serais forcé de reconnaître qu’ils valent mille fois mieux que la manne, qui tombait du ciel
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pour vous purger de la lèpre, et des autres maladies que vous aviez attrapées chez les infidèles.
 
— Ah !maintenant, je m’en vais ; c’est aussi trop fort ! » Katel sortit, et Kobus, retenant le vieux rebbe par la manche, ajouta :
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— Délicieux, David !
 
— Hé ! hé ! hé ! oui… cette petite est capable de
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tout… même de satisfaire un gourmand de ton espèce. »
 
Puis, changeant de ton :
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En ce moment, je ne sais quelle idée passa par la tête de Fritz ; il observa le vieux rebbe du coin de l’œil et dit : « Elle fait très bien les beignets, mais quant au reste…
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— Et moi, s’écria David, je dis qu’elle fera le bonheur du brave fermier qui l’épousera, et que ce fermier-là deviendra riche et sera très heureux ! Depuis que j’observe les femmes, et il y a pas mal de temps, je crois m’y connaître ; je sais tout de suite ce qu’elles sont et ce qu’elles valent, ce qu’elles seront et ce qu’elles vaudront. Eh bien, cette petite Sûzel m’a plu, et je suis content d’apprendre qu’elle fasse si bien les beignets. »
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— À qui, David ?
 
— Tu connais le père Hertzberg, le colporteur, eh
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bien, sa fille est demandée en mariage par le fils Salomon ; deux braves enfants, fit le vieux rebbe en joignant les mains d’un air attendri ; seulement, tu comprends, il faut une petite dot, et Hertzberg est venu me trouver…
 
— Tu seras donc toujours le même ? interrompit Fritz, non content de tes propres dettes, il faut que tu te mettes sur le dos celles des autres ?
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Kobus ouvrit son secrétaire, compta deux cents florins sur la table, pendant que le vieux rebbe regardait avec impatience ; puis il sortit le papier, l’écritoire, la plume, et dit :
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« Allons, David vérifie le compte.
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Le vieux rebbe alors se leva, lui serra la main et dit tout attendri : « Merci, Kobus. » Puis il s’en alla.
 
« Brave homme ! faisait Fritz en le voyant remonter la rue, le dos courbé et la main sur sa poche ;
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le voilà qui court chez l’autre, comme s’il s’agissait de son propre bonheur ; il voit les enfants heureux, et rit tout bas, une larme dans l’œil. »
 
Sur cette réflexion, il prit sa canne et sortit pour aller lire son journal.