« La Petite Roque (recueil)/Édition Conard, 1910/La Peur » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
mAucun résumé des modifications
Phe-bot (discussion | contributions)
m Pmx: match
Ligne 14 :
}}
 
 
==__MATCH__:[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/275]]==
 
Le train filait, à toute vapeur, dans les ténèbres.
Ligne 24 ⟶ 25 :
Partis de Paris depuis trois heures, nous allions vers le centre de la France sans rien voir des pays traversés.
 
Ce fut tout à coup comme une apparition
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/276]]==
fantastique. Autour d’un grand feu, dans un bois, deux hommes étaient debout.
 
Nous vîmes cela pendant une seconde : c’était, nous sembla-t-il, deux misérables en haillons, rouges dans la lueur éclatante du foyer, avec leurs faces barbues tournées vers nous, et autour d’eux, comme un décor de drame, les arbres verts, d’un vert clair et luisant, les troncs frappés par le vif reflet de la flamme, le feuillage traversé, pénétré, mouillé par la lumière qui coulait dedans.
Ligne 37 ⟶ 40 :
 
J’en convins et nous commençâmes à causer, à chercher ce que pouvaient être ces personnages : des malfaiteurs qui brûlaient des preuves ou des sorciers qui préparaient un philtre ? On n’allume pas un feu pareil, à minuit, en plein été, dans une forêt, pour cuire la soupe ? Que faisaient-ils donc ? Nous ne pûmes rien imaginer de vraisemblable.
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/277]]==
 
Et mon voisin se mit à parler… C’était un vieil homme, dont je ne parvins point à déterminer la profession. Un original assurément, fort instruit, et qui semblait peut-être un peu détraqué.
Ligne 52 ⟶ 56 :
On se dit : « Plus de fantastique, plus de croyances étranges, tout l’inexpliqué est explicable. Le surnaturel baisse comme un lac qu’un canal épuise ; la science, de jour en jour, recule les limites du merveilleux. »
 
Eh bien, moi, Monsieur, j’appartiens à la vieille race, qui aime à croire. J’appartiens à
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/278]]==
la vieille race naïve accoutumée à ne pas comprendre, à ne pas chercher, à ne pas savoir, faite aux mystères environnants et qui se refuse à la simple et nette vérité.
 
Oui, Monsieur, on a dépeuplé l’imagination en surprenant l’invisible. Notre terre m’apparaît aujourd’hui comme un monde abandonné, vide et nu. Les croyances sont parties qui la rendaient poétique. Quand je sors la nuit, comme je voudrais frissonner de cette angoisse qui fait se signer les vieilles femmes le long des murs des cimetières et se sauver les derniers superstitieux devant les vapeurs étranges des marais et les fantasques feux follets ! Comme je voudrais croire à ce quelque chose de vague et de terrifiant qu’on s’imaginait sentir passer dans l’ombre.
Ligne 58 ⟶ 64 :
Comme l’obscurité des soirs devait être sombre, terrible, autrefois, quand elle était pleine d’êtres fabuleux, inconnus, rôdeurs méchants, dont on ne pouvait deviner les formes, dont l’appréhension glaçait le cœur, dont la puissance occulte passait les bornes de notre pensée, et dont l’atteinte était inévitable ?
 
Avec le surnaturel, la vraie peur a disparu
Avec le surnaturel, la vraie peur a disparu de la terre, car on n’a vraiment peur que de ce qu’on ne comprend pas. Les dangers visibles peuvent émouvoir, troubler, effrayer ! Qu’est cela auprès de la convulsion que donne à l’âme la pensée qu’on va rencontrer un spectre errant, qu’on va subir l’étreinte d’un mort, qu’on va voir accourir une de ces bêtes effroyables qu’inventa l’épouvante des hommes ? Les ténèbres me semblent claires depuis qu’elles ne sont plus hantées.
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/279]]==
Avec le surnaturel, la vraie peur a disparu de la terre, car on n’a vraiment peur que de ce qu’on ne comprend pas. Les dangers visibles peuvent émouvoir, troubler, effrayer ! Qu’est cela auprès de la convulsion que donne à l’âme la pensée qu’on va rencontrer un spectre errant, qu’on va subir l’étreinte d’un mort, qu’on va voir accourir une de ces bêtes effroyables qu’inventa l’épouvante des hommes ? Les ténèbres me semblent claires depuis qu’elles ne sont plus hantées.
 
Et la preuve de cela, c’est que si nous nous trouvions seuls tout à coup dans ce bois, nous serions poursuivis par l’image des deux êtres singuliers qui viennent de nous apparaître dans l’éclair de leur foyer, bien plus que par l’appréhension d’un danger quelconque et réel.
Ligne 68 ⟶ 76 :
L’a-t-il écrite quelque part, je n’en sais rien.
 
Personne plus que le grand romancier
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/280]]==
russe ne sut faire passer dans l’âme ce frisson de l’inconnu voilé, et, dans la demi-lumière d’un conte étrange, laisser entrevoir tout un monde de choses inquiétantes, incertaines, menaçantes.
 
Avec lui, on la sent bien, la peur vague de l’Invisible, la peur de l’inconnu qui est derrière le mur, derrière la porte, derrière la vie apparente. Avec lui, nous sommes brusquement traversés par des lumières douteuses qui éclairent seulement assez pour augmenter notre angoisse.
Ligne 76 ⟶ 86 :
Il n’entre point hardiment dans le surnaturel, comme Edgar Poe ou Hoffmann, il raconte des histoires simples où se mêle seulement quelque chose d’un peu vague et d’un peu troublant.
 
Il nous dit aussi, ce jour-là : « On n’a vraiment peur que de ce qu’on ne comprend point. »
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/281]]==
peur que de ce qu’on ne comprend point. »
 
Il était assis, ou plutôt affaissé dans un grand fauteuil, les bras pendants, les jambes allongées et molles, la tête toute blanche, noyé dans ce grand flot de barbe et de cheveux d’argent qui lui donnait l’aspect d’un Père éternel ou d’un Fleuve d’Ovide.
Ligne 88 ⟶ 100 :
Elle coulait sous les arbres, dans les arbres, pleine d’herbes flottantes, profonde, froide et claire.
 
Un besoin impérieux saisit le chasseur de se jeter dans cette eau transparente. Il se dévêtit et s’élança dans le courant. C’était un
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/282]]==
très grand et très fort garçon, vigoureux et hardi nageur.
 
Il se laissait flotter doucement, l’âme tranquille, frôlé par les herbes et les racines, heureux de sentir contre sa chair le glissement léger des lianes.
Ligne 100 ⟶ 114 :
Tourgueneff se sentit traversé par la peur hideuse, la peur glaciale des choses surnaturelles.
 
Sans réfléchir, sans songer, sans comprendre il se mit à nager éperdument vers la rive. Mais le monstre nageait plus vite encore et il lui touchait le cou, le dos, les jambes, avec de petits ricanements de joie. Le jeune homme, fou d’épouvante, toucha la berge, enfin, et s’élança de toute sa vitesse à travers
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/283]]==
le bois, sans même penser à retrouver ses habits et son fusil.
 
L’être effroyable le suivit, courant aussi vite que lui et grognant toujours.
Ligne 112 ⟶ 128 :
Mon compagnon, à qui j’avais dit cette aventure, reprit :
 
— Oui, on n’a peur que de ce qu’on ne comprend pas. On n’éprouve vraiment l’affreuse convulsion de l’âme, qui s’appelle l’épouvante, que lorsque se mêle à la peur
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/284]]==
un peu de la terreur superstitieuse des siècles passés. Moi, j’ai ressenti cette épouvante dans toute son horreur, et cela pour une chose si simple, si bête, que j’ose à peine la dire.
 
Je voyageais en Bretagne, tout seul, à pied. J’avais parcouru le Finistère, les landes désolées, les terres nues où ne pousse que l’ajonc, à côté des grandes pierres sacrées, des pierres hantées. J’avais visité la veille, la sinistre pointe du Raz, ce bout du vieux monde, où se battent éternellement deux océans : l’Atlantique et la Manche ; j’avais l’esprit plein de légendes, d’histoires lues ou racontées sur cette terre des croyances et des superstitions.
Ligne 120 ⟶ 138 :
J’avais dîné dans un cabaret de pêcheurs, et je marchais maintenant sur la route droite, entre deux landes. Il faisait très noir.
 
De temps en temps, une pierre druidique, pareille à un fantôme debout, semblait me regarder passer, et peu à peu entrait en moi
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/285]]==
une appréhension vague ; de quoi ? Je n’en savais rien. Il est des soirs où l’on se croit frôlé par des esprits, où l’âme frissonne sans raison, où le cœur bat sous la crainte confuse de ce quelque chose d’invisible que je regrette, moi.
 
Elle me semblait longue, cette route, longue et vide interminablement.
Ligne 133 ⟶ 153 :
 
Et tout à coup j’entendis devant moi, très loin, un roulement. Je pensai : « Tiens, une voiture. » Puis je n’entendis plus rien.
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/286]]==
 
Au bout d’une minute, je perçus distinctement le même bruit, plus proche.
Ligne 147 ⟶ 168 :
 
Mon cœur se mit à bondir si violemment que je m’affaissai sur l’herbe et j’écoutais le roulement de la roue qui s’éloignait, qui s’en allait vers la mer. Et je n’osais plus me lever, ni marcher, ni faire un mouvement ; car si elle était revenue, si elle m’avait poursuivi, je serais mort de terreur.
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/287]]==
 
Je fus longtemps à me remettre, bien longtemps. Et je fis le reste du chemin avec une telle angoisse dans l’âme que le moindre bruit me coupait l’haleine.
Ligne 160 ⟶ 182 :
Vous sentez le phénol dont ces wagons sont empoisonnés, c’est qu’il est là quelque part.
 
Il faut voir Toulon en ce moment. Allez, on sent bien qu’il est là, Lui. Et ce n’est pas la peur d’une maladie qui affole ces gens. Le choléra c’est autre chose, c’est l’Invisible, c’est un fléau d’autrefois, des temps passés, une sorte d’Esprit malfaisant qui revient et qui nous étonne autant qu’il nous épouvante, car il appartient, semble-t-il, aux âges disparus.
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/288]]==
car il appartient, semble-t-il, aux âges disparus.
 
Les médecins me font rire avec leur microbe. Ce n’est pas un insecte qui terrifie les hommes au point de les faire sauter par la fenêtre ; c’est le choléra, l’être inexprimable et terrible venu du fond de l’Orient.
Ligne 171 ⟶ 195 :
 
</div>
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/289]]==