« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Balustrade » : différence entre les versions

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[Illustration: Fig. 9 et 9 bis.]
 
 
 
 
 
 
notables dans l'écartement des axes, sans que ces différences soient appréciables
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[Illustration: Fig. 12.]
 
Longtemps les balustrades furent évidemment l'un des détails de l'architecture
ogivale sur lesquels on apporta une attention particulière; mais il
faut convenir qu'à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle déjà, si elles présentent des combinaisons
ingénieuses, belles souvent, on ne les trouve plus liées aussi
intimement à l'architecture; elles sont parfois comme une œuvre à part
ne participant plus à l'effet de l'ensemble, et le choix de leurs dessins, de
leurs compartiments ne paraît pas toujours avoir été fait pour la place
qu'elles occupent. La balustrade supérieure du chœur de la cathédrale de
Beauvais en est un exemple (14); l'alternance des quatre-feuilles posés en
carré et en diagonale est heureuse; mais cette balustrade est beaucoup trop
maigre pour sa place, les ajours en sont trop grands, et, de loin, elle ne
prête pas assez de fermeté au couronnement. Sous cette balustrade, la
corniche, bien que délicate, paraît lourde et pauvre en même temps. Nous
retrouvons cette combinaison de balustrades, amaigrie encore, au-dessus
des chapelles de l'église de Saint-Ouen de Rouen (15). Les défauts sont
encore plus choquants ici, malgré que cette balustrade, en elle-même, et
comme taille de pierre, soit un chef-d'œuvre de perfection; mais, étant
placée sur des côtés de polygones peu étendus, elle ne donne que quatre
ou cinq compartiments; leur dessin ne se comprend pas du premier coup,
parce que l'œil ne peut saisir cette combinaison alternée, qui serait heureuse
si elle se développait sur une grande longueur. L'excessive maigreur de
cette balustrade lui donne l'apparence d'une claire-voie de métal, non
d'une découpure faite dans de la pierre. Du reste, à partir de la fin du
XIII<sup>e</sup> siècle, on ne rencontre plus guère de balustrades composées d'une
suite de petits montants avec arcature; on semble préférer alors les
balustrades formées de trèfles, de quatre-feuilles, de triangles, ou de
carrés posés sur la pointe avec redents, comme celle qui couronne le
chœur et la nef de la cathédrale d'Amiens. Nous avons fait voir comme
à la Sainte-Chapelle du Palais on avait heureusement rompu les lignes
inclinées des gâbles couronnant les fenêtres par une balustrade à points
d'appui verticaux très-multipliés (voy. fig. 12), comme on avait tenu cette
balustrade haute pour qu'elle ne fût pas écrasée par l'élévation des pinacles
et gâbles. Cette balustrade, indépendante de ces pinacles et gâbles, passe
derrière eux, ne fait que s'y appuyer; elle leur laisse toute leur valeur, et
parait ce qu'elle doit être: une construction légère, ayant une fonction à
part, et n'ajoutant rien à la solidité de la maçonnerie, pouvant être
supprimée en laissant à l'édifice les formes qui tiennent à sa composition
architectonique. On ne s'en tint pas longtemps à ces données si sages.
De 1290 à 1310, on construisait à Troyes l'église de Saint-Urbain. Les
fenêtres supérieures du chœur de ce remarquable édifice sont surmontées
de gâbles à jour qui viennent, non pas comme à la Sainte-Chapelle de
Paris, faire saillie sur la corniche de couronnement et son chéneau, mais
qui les pénètrent. Et telle est la combinaison recherchée de cette construction,
que les deux pentes de ces gâbles et les cercles appareillés dans les
écoinçons portent cette corniche formant chéneau comme le feraient des
 
[Illustration: Fig. 14.]
 
liens en charpente. Il y avait à craindre que ces gâbles à jour qui n'étaient
pas reliés au mur, et cette corniche-chéneau qui reposait seulement sur la
tête de ce mur, sans être retenue dans sa partie engagée par une forte
charge supérieure, ne vinssent à se déverser en dehors. Le constructeur
imagina de se servir de la balustrade pour maintenir ce dévers (16); et
voici comment il s'y prit. Il faut dire d'abord qu'entre chaque travée
s'élève un contre-fort avec pinacle bien relié à la masse de la construction;
prenant ce pinacle ou contre-fort comme point fixe (il l'est en effet),
l'architecte fit ses demi-travées de balustrades A d'un seul morceau
chacune, et, ayant eu le soin de poser ses pinacles sur un plan plus avancé
que celui dans lequel se trouvent les gâbles, il maintint le sommet de
ceux-ci en les étrésillonnant avec les balustrades, ainsi que l'indique le
plan (16 bis). Soit B le pinacle rendu fixe par sa base portant chéneau
fortement engagée dans la construction, et C C les têtes des gâbles; les
demi-travées de balustrades B C étant d'un seul morceau chacune, et
formant en plan un angle rentrant en C, viennent étrésillonner et butter
les têtes des gâbles C C, de manière à rendre impossible leur déversement
en dehors. Mais pour rendre sa balustrade à jour très-rigide, tout en la
 
[Illustration: Fig. 15.]
 
découpant délicatement, l'architecte de Saint-Urbain la composa d'une
suite de triangles chevauchés réunis par leurs côtés, et formant comme
autant de petits liens inclinés se contre-buttant mutuellement de manière à
éviter les chances de rupture. C'était là, il faut le dire, plutôt une combinaison
de charpente qu'une construction de maçonnerie; mais il faut dire
aussi que la pierre à laquelle on imposait cette fonction anormale est de la
pierre de Tonnerre, d'une qualité, d'une fermeté et d'une finesse extraordinaires,
qui lui donnent, une fois taillée, l'aspect du métal. Certes, cela
était ingénieux et bien raisonné comme appareil; il était impossible de
dominer la matière d'une façon plus complète que ne le fit avec succès le
savant architecte de Saint-Urbain (voy. CONSTRUCTION); mais pour ne
parler que de la balustrade dont il est ici question, cette suite de petits
triangles semblables aux grands triangles formés par les gâbles est
 
[Illustration: Fig. 16.]
 
 
 
 
 
fâcheuse au point de vue de l'art. L'œil est tourmenté par ces figures
géométriques semblables mais inégales; l'harmonie qui doit résulter, non
de la similitude des diverses parties d'un édifice, mais de leur contraste,
est détruite. Ici, comme dans toutes les formes de l'architecture adoptées
à partir de cette époque, le raisonnement, la combinaison géométrique
prennent une place trop importante; le sentiment, l'instinct de l'artiste
disparaissent étouffés par la logique. L'amour des détails, les raffinements
dans leur application vinrent encore ôter aux balustrades leur sévérité de
formes. Les architectes du XIII<sup>e</sup> siècle, mus par ce sentiment d'art qu'on
retrouve à toutes les belles époques, avaient compris que plus les membres
de l'architecture sont d'une petite dimension, et plus leurs formes veulent
être largement composées, afin de ne pas détruire l'aspect de grandeur que
doivent avoir les édifices; car en multipliant les détails sans mesure, on
rapetisse au lieu de grandir l'architecture. Si parfois, au XIII<sup>e</sup> siècle, dans
quelques monuments exécutés avec un grand luxe, on s'était permis de
faire des balustrades très-riches par leur combinaison et leur sculpture,
sentiment de la grandeur apparaissait toujours, et les détails ne venaient
pas détruire les masses; témoin la balustrade qui couronne le passage
réservé au-dessus de la porte sud de Notre-Dame de Paris (17), élevée en
1257. Il est impossible de grouper plus d'ornements et de moulures sur
une balustrade, et cependant on remarque qu'ici Jean de Chelles, l'auteur
de ce portail, avait compris que l'excès de richesse prodigué sur un petit
espace pouvait détruire l'unité de sa composition, car il avait eu le soin de
relier cette balustrade aux divisions générales de l'architecture par des colonnettes
engagées qui viennent la pénétrer et la forcer, pour ainsi dire, à
participer à l'ensemble de la décoration<span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]]. Aussi raffinés, mais moins adroits,
les architectes du XIV<sup>e</sup> siècle arrivèrent promptement à la maigreur ou à la
lourdeur (car ces deux défauts vont souvent de compagnie dans les compositions d'art), en surchargeant les balustrades de profils et de combinaisons
plus surprenantes que belles. Ils cherchèrent souvent des dispositions
neuves et ne se contentèrent pas toujours de la claire-voie percée dans une
dalle de champ, et couverte par un appui horizontal. Parmi ces nouvelles
formes, nous devons citer les crénelages. Les créneaux avec leurs merlons
se découpaient vivement au sommet des édifices, et donnaient déjà, par
leur simple silhouette, une décoration. On se servit parfois, pendant le
XIV<sup>e</sup> siècle, de cette forme générale, pour l'appliquer aux balustrades. C'est
ainsi que fut couronnée la corniche supérieure du chœur de la cathédrale
de Troyes<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]]. Cet exemple de balustrade
 
[Illustration: Fig. 17.]
 
crénelée ne manque pas d'originalité ,mais il a le défaut de n'être nullement en harmonie avec l'édifice; nous
ne le donnons d'ailleurs que comme une exception (18). Les merlons de
cette balustrade crénelée sont alternativement pleins et à jour; les appuis
des créneaux sont tous à jour. Derrière chaque merlon plein est un
renfort A qui donne du poids à l'ensemble de la construction et retient
son dévers. On remarquera que cette balustrade est composée d'assises de
pierre d'un assez petit échantillon, et cela vient à l'appui de ce que nous
avons dit au commencement de cet article: que les matériaux et leurs
dimensions exerçaient une influence sur les formes données aux balustrades.
Et, en effet, à Troyes on ne se procurait que difficilement alors des pierres
basses, mais longues et larges, propres à la taille des balustrades à jour
posées en délit. Il fallait les faire venir de Tonnerre; elles devaient être
chères, et ces réparations faites au XIV<sup>e</sup> siècle à la cathédrale de Troyes
sont exécutées avec une extrême parcimonie. À l'église Saint-Urbain de la
 
[Illustration: Fig. 18.]
 
même ville, presque contemporaine de ces restaurations de la cathédrale,
mais où la question d'économie avait été moins impérieuse, nous avons vu,
au contraire, comme l'architecte avait profité de la qualité et de la dimension
des pierres de Tonnerre, pour faire des balustrades minces et
composées de grands morceaux.
 
Il n'est pas rare de trouver dans les édifices du commencement du
XIV<sup>e</sup> siècle des balustrades pleines, décorées d'un simulacre d'ajour.
C'est surtout dans les pays où la pierre, trop tenace ou trop grossière,
ne se prêtait pas aux dégagements délicats des redents, et ne conservait
pas ses arêtes, que ces sortes de balustrades ont été adoptées. Dans
la haute Bourgogne, par exemple, où le calcaire est d'une qualité ferme
et difficile à évider, on ne fit des balustrades à jour que fort tard, et
lorsque le style d'architecture adopté en France envahissait les provinces
voisines, c'est-à-dire vers le commencement du XIV<sup>e</sup> siècle; et même
alors les tailleurs de pierre se contentèrent-ils souvent de balustrades
pleines, de dalles posées de champ, décorées de compartiments se détachant
sur un fond. C'est ainsi qu'est taillée la balustrade qui surmonte les
deux chapelles du transept de l'église Saint-Bénigne de Dijon (18 bis). Le
 
[Illustration: Fig. 18 bis.]
 
cloître de l'église cathédrale de Béziers, dont la construction date des
premières années du XIV<sup>e</sup> siècle, est couronné d'une balustrade composée
de la même manière comme compartiments et comme appareil, ce qui est
motivé par la nature grossière de la pierre du pays, qui est un calcaire
alpin poreux, tenant mal les arêtes. Seulement ici (18 ter) l'appui forme recouvrement,
il est rapporté sur le corps de la balustrade. L'assise d'appui,
taillée dans une pierre d'un grain plus serré, protége les dalles de champ,
et (fait qui doit être noté) cet appui porte une dentelure, sorte d'amortissement
fleuronné couronnant la balustrade. Celle-ci, étant pleine, terminait
lourdement les arcades du cloître; sa ligne horizontale se détachant sur le
ciel (car ce cloître est couvert par une terrasse), reliait mal les pinacles qui
terminent les contre-forts; et c'est évidemment pour rompre la sécheresse
de cette ligne horizontale, à laquelle la balustrade pleine n'apportait aucun
allégement, que fut ménagée cette dentelure supérieure. On trouve plusieurs
exemples de ces balustrades fleuronnées, même lorsque celles-ci sont
à jour, dans quelques églises de Bretagne, surtout pendant les XV<sup>e</sup> et
XVI<sup>e</sup> siècles (voy. fig. 27). Ce qui caractérise les balustrades exécutées
pendant le XIV<sup>e</sup> siècle, c'est l'adoption du système de panneaux de pierre
percés chacun de leur ajour, séparés par un montant le long du joint, et
recouverts d'un appui les reliant tous ensemble. Si l'appareil y gagnait, la
succession de divisions verticales séparant chacun des panneaux juxtaposés
ôtait aux balustrades l'aspect qu'elles avaient au XIII<sup>e</sup> siècle, d'un
 
[Illustration: Fig. 18 ter.]
 
couronnement continu, d'une sorte de frise à jour, laissant aux lignes
horizontales leur simplicité calme; nécessaire dans des monuments de cette
étendue pour reposer les yeux, que les divisions régulières verticales, trop
répétées, fatiguent bientôt.
 
Les architectes étaient conduits à sacrifier l'art au raisonnement; ils
perdaient cette liberté qui avait permis à leurs prédécesseurs de mêler les
inspirations du goût aux nécessités de la construction ou de l'appareil.
L'exercice de la liberté dans les arts n'appartient qu'au génie, et le génie
avait fait place au calcul, aux méthodes, dès le commencement du
XIV<sup>e</sup> siècle, dans tout ce qui tenait à l'architecture. Nous donnons ici (19)
un exemple d'une balustrade exécutée en panneaux de pierre, tiré du bras
de croix méridional de l'ancienne cathédrale de la cité de Carcassonne. La
construction de cette balustrade remonte à 1325 environ. Il faut dire
cependant que les formes des balustrades adoptées par les architectes du
XIII<sup>e</sup> siècle furent longtemps employées; on les amaigrissait, ainsi que
nous l'avons vu dans l'exemple présenté dans la fig. 18, on les surchargeait
de moulures et de redents évidés; mais le principe était souvent
conservé; toutefois, on préférait les formes anguleuses aux formes engendrées
par des combinaisons de demi-cercles; les courbes brisées étaient en
honneur; et des voûtes, des fenêtres, elles pénétraient jusque dans les
plus menus détails de l'architecture. Le simple bizeau qui, au XIII<sup>e</sup> siècle,
était seul destiné à produire des jeux d'ombre et de lumière dans les
 
[Illustration: Fig. 19.]
 
balustrades, parut trop simple, lorsque tous les membres de l'architecture
se subdivisèrent à l'infini; on le doubla par un temps d'arrêt, et les balustrades
eurent deux plans de moulures; l'un donnait la forme générale, le
<i>thème</i>, le second était destiné à former les redents, la <i>broderie</i>. Un
exemple est nécessaire pour faire comprendre l'emploi de ce nouveau
mode.
 
Voici (20) la balustrade qui couronne la corniche du chœur de
l'église que nous venons de citer, la cathédrale de Carcassonne<span id="note5"></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]]. La forme
génératrice de cette balustrade, le <i>thème</i>, pour nous servir d'un mot qui
rend parfaitement notre pensée, est une suite de triangles équilatéraux
curvilignes.
 
Si nous examinons la coupe sur A B de cette balustrade, nous
voyons que le bizeau C est divisé par un arrêt résultant d'une petite coupe
à angle droit D. Cette coupe produit un listel, parallèle à la face de la
balustrade. C'est ce listel qui dessine les redents E, et le second membre
du bizeau qui leur donne leur modelé. Mais les parties pleines de l'architecture,
les points d'appui, se perdaient de plus en plus sous les subdivisions
des moulures, des colonnettes; les meneaux des fenêtres s'amaigrissaient
chaque jour sous la main de constructeurs; les balustrades
chargées de ce double bizeau taillé suivant un angle de 45 degrés, et de ce
listel du second plan, recevaient trop de lumière; elles paraissaient lourdes
 
[Illustration: Fig. 20.]
 
comparativement aux autres membres de l'architecture, dont les plans
renfoncés découpaient seulement quelques lignes fines de lumière, sur des
ombres larges. Dès lors on renonça aux bizeaux coupés suivant un angle
de 45 degrés dans le profil des balustrades, et l'on voulut avoir des plans
plus vivement accusés. Soit (21) fig. A: si le rayon lumineux B C tombe
sur le bizeau E F, lui étant parallèle, il le frisera et ne produira qu'une
demi-teinte. Mais si, fig. D, le bizeau E F donne un angle moindre de
45 degrés, le même rayon lumineux B C laissera toute la partie E F dans
une ombre franche. Les balustrades étant composées presque toujours de
petites courbes, la lumière frappe sur une grande partie des surfaces fuyantes;
pour obtenir des ombres larges, il était donc nécessaire de rapprocher,
autant que possible, la coupe de ces surfaces fuyantes de la ligne horizontale,
afin de les dérober à la lumière; et comme on ne donne de la finesse
aux parties éclairées que par l'opposition d'ombres larges, que les parties
éclairées, dans les formes de l'architecture, comptent seules, et qu'elles
produisent, suivant la largeur ou la maigreur de leurs surfaces, la lourdeur
ou la finesse, les architectes, voulant obtenir la plus grande finesse possible
dans la coupe des balustrades, arrivèrent à dérober de plus en plus les
surfaces fuyantes aux rayons lumineux. À la fin du XIV<sup>e</sup> siècle déjà, ils
avaient entièrement renoncé aux bizeaux qui, sur quelques points, par le
glissement de la lumière, donnaient toujours des demi-teintes, et ils les
remplaçaient par des profils légèrement concaves (22) qui donnent plus
d'ombre et découpent plus vivement les plans. Mais alors ils amaigrissaient
tellement les dalles à jour, qu'elles n'offraient plus de solidité; pour
remédier à cet inconvénient, ils leur donnèrent plus d'épaisseur, et les
balustrades qui, en moyenne, au XIII<sup>e</sup> siècle, n'avaient guère que 0,12 centimètres
d'épaisseur dans leur partie à jour, prirent jusqu'à 0,20 centimètres.
 
[Illustration: Fig. 21.]
 
Par l'effet de la perspective, ces balustrades, vues de bas en haut
ou de côté, présentaient de si larges surfaces de champ, qu'elles laissaient
à peine voir les ajours. Il fallut encore dissimuler ce défaut, et, pour
y arriver, on profila les balustrades en
dedans comme en dehors. On avait voulu
d'abord dérober à la lumière les surfaces
fuyantes des épaisseurs pour obtenir des
ombres accentuées; par ce dernier moyen,
on dérobait une partie de ces surfaces aux
yeux (23).
 
[Illustration: Fig. 22.]
 
On nous pardonnera la longueur d'une
théorie qu'il nous a paru nécessaire d'exposer,
afin de faire comprendre les motifs des
diverses transformations que l'on fit subir
aux balustrades jusqu'au XV<sup>e</sup> siècle. Nous
l'avons dit déjà, et nous le répétons, cet
accessoire de l'architecture du moyen âge
est d'une grande importance; il a préoccupé
nos anciens architectes, et cela avec
raison.
 
Une balustrade de couronnement complète heureusement ou gâte un
édifice, selon qu'elle est bien ou mal composée, qu'elle est ou n'est
pas, dans son ensemble et ses détails, à l'échelle des divers membres architectoniques
de cet édifice, qu'elle aide ou contrarie son système général
de décoration. Une balustrade bien liée à la corniche qui lui sert de
base, en rapport de proportions avec le monument qu'elle couronne, qui
 
[Illustration: Fig. 23.]
 
rappelle ses formes de détail sans les reproduire à une plus petite échelle,
dont les divisions font valoir les dimensions de ce monument, est une
œuvre assez rare pour qu'il soit permis de croire que c'est là un des
écueils de l'architecture du moyen âge, et pour qu'il soit nécessaire
d'étudier avec grand soin les quelques beaux exemples qui nous sont
restés.
 
L'adoption du système de panneaux divisés à chaque joint par des montants
verticaux dans l'appareil des balustrades fit quelquefois ajouter des
terminaisons en forme de fleurons ou d'aiguilles sur ces montants, car les
architectes du XIII<sup>e</sup> siècle et, à plus forte raison, du XIV<sup>e</sup> siècle n'admettaient
pas dans les formes de l'architecture un montant vertical d'une
certaine largeur sans le couronner par quelque chose. Pour eux, le <i>pilastre</i>
venant se perdre dans une moulure horizontale était un membre tronqué.
Mais c'est au commencement du XVI<sup>e</sup> siècle surtout que les balustrades à
panneaux séparés par des montants verticaux le long du joint, furent
adoptées sans exception. Les compartiments à jour dont elles se composaient
ne permettaient plus, par la complication de leur forme, un autre
appareil.
 
Pendant le XV<sup>e</sup> siècle, les balustrades à panneaux se rencontrent fréquemment,
mais ne sont pas les seules. Ce sont alors les losanges, les
triangles rectilignes qui dominent dans la composition des balustrades. Il
faut remarquer que ces formes se prêtaient mieux à l'assemblage d'ajours
en pierre, étaient plus solides que les formes curvilignes; et au XV<sup>e</sup> siècle,
l'architecte était surtout appareilleur.
 
Un morceau de balustrade, taillé suivant la fig. 24, présentait beaucoup
de résistance et s'assemblait facilement par les extrémités A B.
L'appui, souvent d'un autre morceau, recouvrait et reliait ces claires-voies.
Lorsque, pendant le XV<sup>e</sup> siècle, les balustrades étaient composées de
panneaux, les montants verticaux étaient parfois saillants en forme de
petits contre-forts, ainsi que l'indiquent les fig. 25 et 26.
 
Ce fut aussi pendant le XV<sup>e</sup> siècle que l'on eut l'idée de sculpter dans les
ajours des balustrades, des attributs, des pièces principales d'armoiries<span id="note6"></span>[[#footnote6|<sup>6</sup>]].
Nous donnons (25) des panneaux de la balustrade couronnant la nef de
la cathédrale de Troyes, et dans lesquels les tailleurs de pierre du XV<sup>e</sup> siècle
ont figuré alternativement les clefs de saint Pierre et des fleurs de lis.
La balustrade refaite, au XV<sup>e</sup> siècle, à la base du pignon de la Sainte-Chapelle
du Palais, à Paris, présente également, dans chacun de ses panneaux,
une belle et grande fleur de lis inscrite dans un cercle (26). Un
grand K couronné tenu par deux anges se détache au milieu de cette
balustrade; c'est le chiffre ou la première lettre du nom de Charles VII
(Karolus), qui la fit refaire (voy. CHIFFRE). La balustrade de l'oratoire, bâti
par Louis XI sur le flanc sud du même édifice, porte également un grand L
couronné. Cet usage de placer des chiffres, des lettres dans les balustrades
fut assez généralement adopté à la fin du XV<sup>e</sup> siècle et au commencement
 
[Illustration: Fig. 24 et 25.]
du XVI<sup>e</sup>; le château de Blois porte, sur la façade élevée par François I<sup>er</sup>, des balustrades dans lesquelles on voit des F couronnées et des
salamandres. On alla même jusqu'à y sculpter de grandes inscriptions à
jour, comme au chœur de l'église de la Ferté-Bernard près du Mans, comme
au château de Josselin en Bretagne, sur les balustrades duquel on lit la
devise: A PLUS (27)<span id="note7"></span>[[#footnote7|<sup>7</sup>]].
 
[Illustration: Fig. 26.]
 
Dans l'architecture civile de la fin du XV<sup>e</sup> siècle et du commencement du
XVI<sup>e</sup>, on fit souvent aussi des balustrades aveugles qui n'étaient, sous les
appuis des fenêtres, que des bandeaux larges formant une riche décoration.
Telles étaient 1es balustrades qui réunissaient les alléges des fenêtres du
premier étage de l'hôtel la Trémoille à Paris (28), balustrades qui sont
toutes variées soit comme dessin, soit comme division; car il n'est pas rare
de trouver une grande variété dans la composition d'une même balustrade
de la fin du XV<sup>e</sup> siècle et du commencement du XVI<sup>e</sup>.
 
Lorsque le goût de l'architecture romaine antique eut effacé, vers le
milieu du XVI<sup>e</sup> siècle, les derniers vestiges des formes adoptées par le
moyen âge dans les détails de l'architecture, on se complut à faire des
balustrades composées d'ordres réduits. Il existe une balustrade de ce genre
à la base du pignon de la petite église de Belloy près Beaumont; c'est une
suite de colonnettes doriques surmontées d'une corniche à denticules avec
soffites sculptés entre les chapiteaux. À Saint-Eustache de Paris, on voit
des balustrades formées de petits pilastres doriques ou composites séparés
par des arcades portées sur des pieds-droits avec leurs impostes<span id="note8"></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]]. Mais
cette succession de lignes verticales données par les colonnettes ou
pilastres rapprochés prenait trop d'importance dans l'ensemble de la
décoration, et avait l'inconvénient de rappeler en petit les grandes divisions
et décorations de l'architecture alors en honneur; c'était là un défaut
majeur, qui ne manqua pas de frapper les architectes de la renaissance; on
voulut rendre aux balustrades leur <i>échelle</i>, et pour que les colonnettes
formant la partie principale de leur décoration ne parussent pas un
diminutif des ordres de l'architecture, on leur donna un galbe particulier,
qui les fait ressembler à un potelet de bois tourné au tour. Les profils de
ces supports se divisent en bagues, gorges, panses, etc. Quelquefois même
 
[Illustration: Fig. 27.]
 
les renflements des colonnettes ainsi galbées furent décorés de sculptures;
celles-ci prirent dès lors le nom de balustres qui leur est resté. Peu à peu ces
balustres s'alourdirent et arrivèrent à ce profil bizarre qui rappelle la forme
d'un flacon avec son goulot, et dont la réunion, comprise entre des pilastres
et de lourds appuis, couronne assez désagréablement depuis le XVII<sup>e</sup> siècle
la plupart de nos édifices. Il faut croire que ces morceaux de pierre
tournés parurent être la dernière expression du goût, car, une fois adoptés,
les architectes ne se mirent plus en frais d'imagination pour composer
des balustrades en harmonie avec leur architecture; que celle-ci fut simple
ou riche, plate ou accusant de fortes saillies, basse ou élevée, religieuse ou
civile, la balustrade fut toujours la même ou peu s'en faut, bien que les
architectes du XVII<sup>e</sup> siècle aient prétendu la diviser en balustrade toscane,
ionique, corinthienne, etc. On ne se contenta pas d'en placer là où le
besoin demandait une barrière à hauteur d'appui, on s'en servit comme
d'un motif de décoration. Rien cependant n'autorisait, dans l'architecture
romaine antique que l'on voulait imiter, un pareil abus de la balustrade,
ni comme emploi ni comme forme. Il faut dire même que la corniche
saillante de l'entablement romain porte mal ces rangées de morceaux de
pierre tournés, posés à l'aplomb de la frise, et qui, par leur retraite,
n'indiquent pas la présence du chéneau. La balustrade de l'architecture du
moyen âge, posée sur l'arête supérieure du glacis du larmier portant le
chéneau, est non-seulement un garde-corps pour ceux qui passent dans ces
chéneaux, mais elle arrête la chute des tuiles ou des ardoises, et est une
 
[Illustration: Fig. 28.]
 
sécurité pour les couvreurs qui sont obligés de poser des échelles sur la
pente des combles lorsqu'il est nécessaire de les réparer; elle fait partie de
la corniche, car le glacis du larmier demande un couronnement; tandis
que la balustrade moderne, posée sur l'entablement romain, à l'aplomb de
la frise, est un grossier contre-sens, puisque, d'après la configuration de
cet entablement, le chéneau se trouverait en dehors de la balustrade et non
en dedans. Aussi, jamais les architectes Romains, qui possédaient cette
qualité précieuse qu'on appelle le sens-commun, n'ont eu l'idée bizarre
de placer des balustrades sur les corniches supérieures de leurs édifices,
faites pour porter les premières tuiles des combles.
 
Nous ne devons pas omettre de parler des balustrades de bois fréquemment
employées pendant les XV<sup>e</sup> et XVI<sup>e</sup> siècles. Quant aux balustrades en
métal, il en est fait mention dans le mot GRILLE. C'est à l'intérieur des
édifices ou à couvert qu'étaient posées les balustrades de bois. Le peu
d'exemples qui nous restent de ces claires-voies à hauteur d'appui, antérieures
au XVI<sup>e</sup> siècle, sont d'une grande simplicité; ce sont presque
toujours de petits potelets assemblés haut et bas dans deux traverses,
ainsi que le démontre la fig. 29, copiée sur une balustrade du XV<sup>e</sup> siècle,
posée encore aujourd'hui le long du triforium de l'église paroissiale de
Flavigny (Côte-d'Or). Au XVI<sup>e</sup> siècle, la forme des balustres tournés convenait
parfaitement aux balustrades de bois; c'était le cas de l'employer
et les architectes ne s'en firent pas faute (voy. MENUISERIE).
 
[Illustration: Fig. 29.]
 
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Ligne 339 ⟶ 783 :
 
<span id="footnote2">[[#note2|2]] : Cette balustrade n'appartient pas à la construction première de la nef, qui remonte à 1210 au plus tard; elle a été refaite vers 1230, lorsque après un incendie la partie supérieure de la nef fut complétement remaniée et rhabillée (voy. CATHÉDRALE).
 
<span id="footnote3">[[#note3|3]] : Il n'existe plus que deux fragments de cette charmante balustrade sur les deux contreforts du portail, mais ces fragments indiquent clairement la disposition de l'ensemble. La richesse de cette balustrade est motivée par l'extrême délicatesse des parties d'architecture qu'elle accompagne et couronne.
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : Le chœur de la cathédrale de Troyes fut construit de 1240 à 1250, mais tous les couronnements extérieurs furent refaits au XIV<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote5">[[#note5|5]] : Toutes les fois que nous aurons à parler des édifices du XIV<sup>e</sup> siècle, on ne s'étonnera pas si nous mettons en première ligne la cathédrale de Carcassonne, qui est un chef-d'œuvre de cette époque, et qui comme style appartient à l'architecture du Nord.
 
<span id="footnote6">[[#note6|6]] : Voir l'hôtel de Jacques Cœur à Bourges, sur les balustrades duquel on a sculpté des cœurs, des coquilles, et cette devise «A VAILLANS RIENS IMPOSSIBLE.»
 
<span id="footnote7">[[#note7|7]] : Cette baluslrade est taillée dans des dalles de granit; elle est surmontée d'une dentelure présentant des couronnes et des fleurons alternés.
 
<span id="footnote8">[[#note8|8]] : Voy. <i>L'Église Saint-Eustache à Paris</i>, par Victor Calliat. Paris, 1850.