« Toine (recueil)/Édition Conard, 1910/L’Ami Patience » : différence entre les versions

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Sais-tu ce qu'est devenu Leremy ?
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- Et Patience, le gros Patience ?
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Je poussai une sorte de hurlement
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- Oh ! quant à celui-là, écoute un peu. J'étais, voici quatre ou cinq ans, en tournée d'inspection à Limoges, attendant l'heure du dîner. Assis devant le grand café de la place du Théâtre, je m'ennuyais ferme. Les commerçants s'en venaient, à deux, trois ou quatre, prendre l'absinthe ou le vermout, parlaient tout haut de leurs affaires et de celles des autres, riaient violemment ou baissaient le ton pour se communiquer des choses importantes et délicates.
 
Je me disais : "Que vais-je faire après dîner ?" Et je songeais à la longue soirée dans cette ville de province, à la promenade lente et sinistre à travers les rues inconnues, à la tristesse accablante qui se dégage, pour le voyageur solitaire, de ces gens qui passent et qui vous sont étrangers en tout, par tout, par la forme du veston provincial, du chapeau et de la culotte, par les habitudes et l'accent local, tristesse pénétrante venue aussi des maisons, des boutiques, des voitures aux formes singulières, des bruits ordinaires auxquels on n'est point accoutumé, tristesse harcelante qui vous fait presser peu à peu le pas comme si on était perdu dans un pays dangereux, qui vous oppresse, vous fait désirer l'hôtel, le hideux hôtel dont la chambre
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a conservé mille odeurs suspectes, dont le lit fait hésiter, dont la cuvette garde un cheveu collé dans la poussière du fond.
 
Je songeais à tout cela en regardant allumer le gaz, sentant ma détresse d'isolé accrue par la tombée des ombres. Que vais-je faire après dîner J'étais seul, tout seul, perdu lamentablement.
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Le garçon apporta ''Le Temps''. Je fus surpris. Pourquoi ''Le Temps'', journal grave, gris, doctrinaire, pondéré ? Je pensai :
 
- C'est donc un homme sage, de mœurs
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sérieuses, d'habitudes régulières, un bon bourgeois, enfin.
 
Il posa sur son nez des lunettes d'or, se renversa et, avant de commencer à lire, il jeta un nouveau regard circulaire. Il m'aperçut et se mit aussitôt à me considérer d'une façon insistante et gênante. J'allais même lui demander la raison de cette attention, quand il me cria de sa place :
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- Allons, pas de blague. Je suis Patience, Robert Patience, ton copain, ton camarade.
 
Je le reconnus. Oui, Robert Patience, mon
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camarade de collège. C'était cela. Je serrai la main qu'il me tendait :
 
- Et toi, tu vas bien ?
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- Tant mieux. Et tu aimes toujours la joie et les pommes de terre ?
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Je commençais à le trouver déplorablement commun. Je répondis néanmoins :
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- Depuis dix ans, mon cher, et j'ai quatre enfants, des mioches étonnants. Mais tu les verras avec la mère.
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Nous parlions fort ; les voisins se retournaient pour nous considérer avec étonnement.
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Et nous nous mîmes en route.
 
J'atteignis bientôt la rue cherchée. Elle était grande, assez belle, sur la limite de la ville et des champs. Je regardais les maisons
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et j'aperçus le 17. C'était une sorte d'hôtel avec un jardin derrière. La façade ornée de fresques à la mode italienne me parut de mauvais goût. On voyait des déesses penchant des urnes, d'autres dont un nuage cachait les beautés secrètes. Deux amours de pierre tenaient le numéro.
 
Je dis au trésorier-payeur général :
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Le vestibule était également orné de peintures dues au pinceau de quelque artiste du lieu. Des Paul et des Virginie s'embrassaient sous des palmiers noyés dans une lumière rose. Une lanterne orientale et hideuse pendait au plafond. Plusieurs portes étaient masquées par des tentures éclatantes.
 
Mais ce qui me frappait surtout, c'était l'odeur. Une odeur écœurante et parfumée, rappelant la poudre de riz et la moisissure des
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caves. Une odeur indéfinissable dans une atmosphère lourde, accablante comme celle des étuves où l'on pétrit des corps humains. Je montai, derrière la bonne, un escalier de marbre que couvrait un tapis de genre oriental, et on m'introduisit dans un somptueux salon.
 
Resté seul je regardai autour de moi.
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La pièce était richement meublée, mais avec une prétention de parvenu polisson. Des gravures du siècle dernier, assez belles d'ailleurs, représentaient des femmes à haute coiffure poudrée, à moitié nues, surprises par des messieurs galants en des postures intéressantes. Une autre dame couchée en un grand lit ravagé batifolait du pied avec un petit chien noyé dans les draps ; une autre résistait avec complaisance à son amant dont la main fuyait sous les jupes. Un dessin montrait quatre pieds dont les corps se devinaient cachés derrière un rideau. La vaste pièce, entourée de divans moelleux, était tout entière imprégnée de cette odeur énervante et fade qui m'avait déjà saisi. Quelque chose de suspect se dégageait des murs, des étoffes, du luxe exagéré, de tout.
 
Je m'approchai de la fenêtre pour regarder le jardin dont j'apercevais les arbres. Il était fort grand, ombragé, superbe. Un large chemin
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contournait un gazon où s'égrenait dans l'air un jet d'eau, entrait sous des massifs, en ressortait plus loin. Et tout à coup, là-bas, tout au fond, entre deux taillis d'arbustes, trois femmes apparurent. Elles marchaient lentement, se tenant par le bras, vêtues de longs peignoirs blancs ennuagés de dentelles. Deux étaient blondes, et l'autre brune. Elles rentrèrent aussitôt sous les arbres. Je demeurai saisi, ravi, devant cette courte et charmante apparition qui fit surgir en moi tout un monde poétique. Elles s'étaient montrées à peine, dans le jour qu'il fallait, dans ce cadre de feuilles, dans ce fond de parc secret et délicieux. J'avais revu, d'un seul coup, les belles dames de l'autre siècle errant sous les charmilles, ces belles dames dont les gravures galantes des murs rappelaient les légères amours. Et je pensais au temps heureux, fleuri, spirituel et tendre où les mœurs étaient si douces et les lèvres si faciles...
 
Une grosse voix me fit bondir sur place. Patience était entré, et, radieux, me tendit les mains.
 
Il me regarda au fond des yeux de l'air sournois qu'on prend pour les confidences amoureuses, et, d'un geste large et circulaire, d'un geste de Napoléon, il me montra son salon somptueux, son parc, les trois
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femmes qui repassaient au fond, puis, d'une voix triomphante où chantait l'orgueil :
 
- Et dire que j'ai commencé avec rien... ma femme et ma belle-sœur.
 
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