« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Autel » : différence entre les versions

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autels; pour être suspendus aux ciboires des autels; pour être attachés
aux arcades des ciboires autour des autels... Guillaume le bibliothécaire,
qui a ajouté les vies de cinq papes, savoir: d'Adrien II, de Jean VIII, de
Martin II, ou Marin I, d'Adrien III et d'Étienne VI, à celles qu'Anasthase
a finies par Nicolas I, parle encore de ces mêmes voiles, dans la vie
d'Étienne VI, où il dit que ce pape donna un voile de lin et trois autres
voiles de soie pour mettre autour de l'autel de l'église de Saint-Pierre à
Rome...» Thiers, qui ne va guère chercher ses documents que dans les
textes, ne paraît pas certain que dans l'église d'Occident il y eût eu des
voiles devant les autels. Le fait ne nous semble pas douteux cependant, au
moins dans un certain nombre de diocèses. Voici (10) comme preuve la
copie d'un ivoire du XIII<sup>e</sup> siècle<span id="note34"></span>[[#footnote34|<sup>34</sup>]], sur lequel le voile <i>antérieur</i> de l'autel est
parfaitement visible. Dans cette petite sculpture, que nous donnons
grandeur d'exécution, le prêtre
est assis dans une chaire sous un
dais; devant l'autel, trois clercs
sont également assis, le voile antérieur
est relevé. La suspension
du saint sacrement est attachée
sous le <i>ciborium</i>. On ne voit sur la
table de l'autel qu'un livre posé à
plat, l'Évangile; des clercs tiennent
trois flambeaux du côté droit
de l'autel. Nous trouvons des
exemples analogues dans des vitraux,
dans des manuscrits et
sculptures du XI<sup>e</sup> au XIII<sup>e</sup> siècle.
Plus tard les voiles antérieurs des
autels sont rares et on ne les retrouve
plus, en Occident, que sur
les côtés, entre les colonnes, ainsi
que le font voir les fig. 7, 8 et 9.
Il semblerait que les voiles antérieurs
aient cessé d'être employés pour cacher les autels des églises
d'Occident pendant la consécration, lorsque le schisme grec se fut établi.
C'est aussi à cette époque que le <i>ciborium</i>, ou baldaquin recouvrant
directement l'autel, cesse de se rencontrer dans les églises de France, et
n'est plus remplacé que par la clôture de courtines latérales. En effet, dans
tous les monuments de la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, ainsi que dans ceux des XIV<sup>e</sup> et
XV<sup>e</sup>, l'autel n'est plus couvert de cet édicule, désigné encore en Italie sous
le nom de <i>ciborium</i> (voy. ce mot); tandis que, pendant la période romane
et jusque vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, on trouve, soit dans les bas-reliefs,
les peintures, les vitraux ou les vignettes des manuscrits, des édicules
portés sur des colonnes et recouvrant l'autel, comme ceux qu'on peut
 
[Illustration: Fig. 10.]
 
encore voir à Rome, dans les églises de Saint-Clément, de Sainte-Agnès
(hors les murs), de S. Georgio in Velabro; à Venise, dans l'église de
Saint-Marc, etc. Cependant du temps de Guillaume Durand, comme le
fait remarquer Thiers, les voiles antérieurs des autels étaient encore posés
pendant le carême, et Guillaume Durand écrivait son <i>Rational</i> à la fin du
XIII<sup>e</sup> siècle. «Il est à remarquer, dit-il<span id="note35"></span>[[#footnote35|<sup>35</sup>]], que l'on suspend trois sortes de
voiles dans l'église, à savoir: celui qui couvre les choses saintes, celui
qui sépare le sanctuaire du clergé, et celui qui sépare le clergé du
peuple... Le premier voile, c'est-à-dire les rideaux que l'on tend des
deux côtés de l'autel, et dont le prêtre pénètre le secret, a été figuré
d'après ce qu'on lit dans l'Exode (XXXIV). «Moïse mit un voile sur sa
figure, parce que les fils d'Israël ne pouvaient soutenir l'éclat de son
visage...» Le second voile, ou courtine, que, pendant le carême et la
célébration de la messe, on étend devant l'autel, tire son origine et sa
figure de celui qui était suspendu dans le tabernacle qui séparait le Saint
des saints du lieu saint... Ce voile cachait l'arche au peuple, et il était
tissu avec un art admirable et orné d'une belle broderie de diverses
couleurs, et il se fendit lors de la Passion du Seigneur; et, à son imitation,
les courtines sont encore aujourd'hui tissues de diverses couleurs
très-belles...» Le troisième voile a tiré son origine du cordon de muraille
ou tapisserie qui, dans la primitive Église, faisait le tour du chœur et ne
s'élevait qu'à hauteur d'appui, ce qui s'observe encore dans certaines
églises...<span id="note36"></span>[[#footnote36|<sup>36</sup>]] Mais le vendredi saint, on ôte tous les voiles de l'église,
parce que, lors de la Passion du Seigneur, le voile du temple fut
déchiré... Le voile qui sépare le sanctuaire du clergé est tiré ou enlevé
à l'heure de vêpres de chaque samedi de carême, et quand l'office du
dimanche est commencé, afin que le clergé puisse regarder dans le
sanctuaire, parce que le dimanche rappelle le souvenir de la résurrection...
Voilà pourquoi cela a lieu aussi pendant les six dimanches qui
suivent la fête de Pâques...»
 
L'autel de la Sainte-Chapelle haute de Paris ne paraît pas avoir été disposé
pour être voilé, et l'édicule qui portait le grand reliquaire était placé derrière
et non au-dessus de lui. Nous donnons ici (11) le plan de cet autel
et de son entourage. L'autel semble être contemporain de la sainte-Chapelle
(1240 à 1250); quant à la tribune sur laquelle est posée la grande
châsse, et dont tous les débris sont aujourd'hui replacés, elle date évidemment
des dernières années du XIII<sup>e</sup> siècle. Quatre colonnes portant des anges
de bronze doré étaient placées aux quatre coins de l'emmarchement de
l'autel; mais ces colonnes avaient été élevées sous Henri III. Au fond du
rond-point, derrière le maître autel A, était dressé un petit autel B;
suivant un ancien usage, ce petit autel était désigné sous le nom d'autel
<i>de retro</i>. C'était, comme à la cathédrale de Paris, comme à Bourges, à
Chartres, à Amiens, à Arras, l'autel des reliques, qui n'avait qu'une place
secondaire, le maître autel ne devant avoir au-dessus de lui que la
suspension de l'eucharistie. Voici l'élévation perspective de cet autel (12)
avec la tribune, les deux petits escaliers en bois peint et doré qui accèdent
à la plate-forme de cette tribune voûtée et à la grande châsse en vermeil
posée sur une crédence de bois doré, surmontée d'un dais également en
bois enrichi de dorures et de peintures.
 
[Illustration: Fig. 11.]
 
Nous entrerons dans quelques détails descriptifs à propos de cet autel
et de ses accessoires si importants, conservés au musée des Augustins et
rétablis aujourd'hui à leur place. L'autel n'existe plus, mais des dessins et
une assez bonne gravure faisant partie de l'ouvrage de Jérôme Morand<span id="note37"></span>[[#footnote37|<sup>37</sup>]], nous
en donnent une idée exacte. Cet autel était fort simple; la table formée d'une
moulure enrichie de roses, portée sur un dossier et trois colonnettes,
n'était pas surmontée d'un retable. Derrière cet autel s'ouvre une arcade
formant l'archivolte d'une voûte figurant une abside et s'étendant jusqu'au
fond du chevet; la grande arcade est accompagnée et contre-buttée par une
arcature à jour servant de clôture. Deux anges adorateurs sculptés et peints
se détachent sur les écoinçons de la grande arcade, ornés d'applications de
verre bleu avec fleurs de lis d'or. Sous la courbe ogivale de cet arc sont
suspendus des anges plus petits; les deux du sommet tiennent la couronne
d'épine, les quatre inférieurs les instruments de la Passion.
L'arcature et les archivoltes en retour s'ouvrant sous la voûte, sont couverts
d'applications de verre, de gaufrures dorées et de peintures. La voûte est
composée de nervures également gaufrées, enrichies de pierres fausses, et
 
[Illustration: Fig. 12.]
 
de remplissages bleus avec étoiles d'or. Les deux petits escaliers en bois
qui montent sur la voûte sont d'une délicatesse extrême et très-habilement
combinés comme menuiserie. Au roi de France seul était réservé le
privilége d'aller prendre la monstrance contenant la couronne d'épine
renfermée dans la grande châsse, et de présenter la très-sainte relique à
l'assistance ou au peuple dans la cour de la Sainte-Chapelle. À Cet effet,
en bas de la grande verrière absidale, était laissé un panneau de vitres
blanches, afin que le reliquaire pût être vu du dehors, entre les mains du
roi. La suspension du saint sacrement était devant la grande châsse
au-dessus de l'autel. Notre gravure ne peut donner qu'une bien faible idée
de ce chef-d'œuvre, où l'art l'emporte de beaucoup sur la richesse des
peintures, des applications, des dorures. Il va sans dire que la grande
châsse fut fondue et que nous n'en possédons plus que des dessins ou des
représentations peintes. Derrière la clôture, l'arcature qui garnit le soubassement
de la sainte chapelle continue; seulement à droite, sous la première
fenêtre, est pratiquée une piscine d'un travail exquis (voy. PISCINE); à
gauche une armoire. Deux des douze apôtres, dont les statues ont été adossées
aux piliers, sont placés à côté des deux escaliers; ce sont les statues
de saint Pierre et de saint Paul. Au-dessus du petit autel de retro, sous le
formeret de la voûte de la tribune, est peint un crucifiement, avec le
soleil et la lune et deux figures, dont l'une, couronnée, est probablement
saint Louis<span id="note38"></span>[[#footnote38|<sup>38</sup>]]. Deux marches montent à l'autel principal.
 
On observera que les autels derrière lesquels s'élèvent des reliquaires,
tels que ceux de l'église abbatiale de Saint-Denis, de Notre-Dame de Paris
et de la Sainte-Chapelle, sont placés de façon à ce que le dessous du
reliquaire forme comme une
grotte ou crypte à rez-de-chaussée.
À Saint-Denis, cette petite
crypte était occupée par les corps
saints; mais à Notre-Dame de
Paris, à la Sainte-Chapelle. les
châsses sont fort élevées au-dessus
du sol, comme suspendues
en l'air, de manière à ce que
l'on puisse se placer au-dessous
d'elles. Cette disposition paraît
avoir été adoptée fort anciennement.
Il existe dans les cryptes
de l'église de Saint-Denis, du
côté du nord, proche l'entrée
du caveau central, une arcature
dépendant de l'église carlovingienne; sur l'un des chapiteaux de cette arcature,
est sculpté un autel (12 A), derrière lequel est posé un édicule
 
[Illustration: Fig. 12 A.]
 
portant un reliquaire. Une petite église du midi de la France, l'église de
Valcabrère près Saint-Bertrand
de Comminges, a conservé dans
son chevet, dont la construction
appartient à l'époque carlovingienne,
un autel établi très-franchement
au XIII<sup>e</sup> siècle d'après
cette donnée. Le plan (12 B)
de l'abside de cette église, l'élévation
(12 C) et la coupe (12 D)
de l'autel, indiquent nettement
la petite crypte placée sous le
reliquaire contenant la châsse.
Un escalier conduit sur la voûte
qui reçoit la châsse, et les fidèles
peuvent circuler derrière
l'autel sous cette voûte, pour se placer directement sous la protection du
saint. Nous verrons tout à l'heure comme ce principe est appliqué aux
autels secondaires de l'église abbatiale de Saint-Denis.
 
[Illustration: Fig. 12 B.]
 
[Illustration: Fig. 12 C.]
 
Il est une chose digne de remarque lorsqu'on examine ces restes
précieux, ainsi que ceux qui nous sont encore, et en si grand nombre,
conservés à Saint-Denis; c'est que, dans les décorations des autels, dans
tout ce qui semblait fait pour accompagner dignement le sanctuaire des
églises, on s'est préoccupé au moyen âge, surtout en France, d'honorer
l'autel, plus encore par la beauté du travail, par la perfection de la <i>main-d'œuvre</i>
que par la richesse intrinsèque des matières employées. À la
Sainte-Chapelle, ce gracieux sanctuaire n'est composé que de pierre et de
bois; les moyens de décorations employés sont d'une grande simplicité:
du verre appliqué, des gaufrures faites dans une pâte de chaux, des
peintures et des dorures, n'ont rien qui soit dispendieux. La valeur réelle
de ce monument tient à l'extrême perfection du travail lie l'artiste. Toutes
les sculptures sont traitées avec un soin, un art, et nous dirons avec un
respect scrupuleux de l'objet, dont rien n'approche. N'était-ce pas, en
effet, la plus noble manière d'honorer Dieu que de faire passer l'art avant
toute chose dans son sanctuaire? et n'y avait-il pas un sentiment vrai et
juste dans cette perfection que l'artiste cherchait à donner à la matière
grossière? Nous avouerons que nous sommes bien plus touchés à la vue
d'un autel de pierre sur lequel l'homme a épuisé toutes les ressources de
 
[Illustration: Fig. 12 D.]
 
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Ligne 655 ⟶ 860 :
 
<span id="footnote33">[[#note33|33]] : C. 15.
 
<span id="footnote34">[[#note34|34]] : Moulage tiré du cabinet de M. Alf. Gérente. Cet ivoire paraît appartenir à la première moitié du XIII<sup>e</sup> siècle et au style rhénan.
 
<span id="footnote35">[[#note35|35]] : <i>Rational</i>, chap. III, L. I.
 
<span id="footnote36">[[#note36|36]] : C'est par suite de cette tradition que nous voyons encore sur les murs de quelques églises des peintures simulant des tentures suspendues. (Voy. PEINTURE.)
 
<span id="footnote37">[[#note37|37]] : <i>Hist. de la Sainte-Chapelle royale du Palais</i>, par M. S. Jérôme Morand. Paris, 1790.
 
<span id="footnote38">[[#note38|38]] : Ces peintures étaient à peine visibles.