« Anthologie des poètes français contemporains/Louis Bouilhet » : différence entre les versions

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==[[Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t1.djvu/101]]==
<poem>
Il aperçut, au fond des brumes incertaines,
Un vieux temple isolé, sur le bord d’un chemin ;
 
<pages index="Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t1.djvu" from=101 to=103 />
Un vieux temple isolé, plein de mornes visages,
Un de ces noirs débris, au souvenir amer,
Qui dorment échoués sur la grève des âges.
Quand les religions baissent comme la mer.
 
Le seuil croulait ; la pluie avait rongé la porto
Toute la lune entrait par les toits crevassés.
Au milieu de la route, il quitta son escorte,
Et s’avança, pensif, au long des murs glacés.
 
Les colonnes de marbre, à ses pieds, abattues,
Jonchaient de toutes parts les pavés précieux ;
L’herbe haute montait au ventre des statues,
Des cigognes rêvaient sur l’épaule des dieux.
 
Parfois, dans le silence, éclatait un bruit d’aile ;
On entendait, au loin, comme un frisson courir ;
Et, sur les grands vaincus penchant son front fidèle,
Phcebé, froide comme eux, les regardait mourir.
 
Et, comme il restait là, perdu dans ses pensées,
Des profondeurs du temple il vit se détacher,
Avec un bruit confus de plaintes cadencées,
Une lueur tremblante et qui semblait marcher.
 
Cela se rapprochait et sonnait sur les dalles.
C’était un grand vieillard qui pleurait en chemin,
Courbé, maigre, en haillons, et traînant ses sandales,
Une tiare au front, une lampe à la main.
 
Il cachait sous sa robe une blanche colombe ;
Dernier prêtre des dieux, il apportait encor
Sur le dernier autel la dernière hécatombe...
Et l’Empereur pleura, — car son rêve était mort !
 
Il pleura, jusqu’au jour, sous cette voûte noire.
Tu souriais, 6 Christ, dans ton paradis bleu,
Tes chérubins chantaient sur des harpes d’ivoire,
Tes anges secouaient leurs six ailes de feu !
 
Et du morne Empyrée insultant la détresse,
Comme au bord d’un grand lac aux flots étjncelants.
Dans le lait lumineux perdu par la Déesse,
Tes martyrs couronnés lavaient leurs pieds sanglants.
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==[[Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t1.djvu/102]]==
<poem>
 
Ta régnais, sans partage, au ciel et sur la terre ;
Ta croix couvrait le monde et montait au milieu ;
Tout, devant ton regard, tremblait, — jusqu’à ta mère.
Pâle éternellement d’avoir porté son Dieu.
 
Mais tu ne savais pas le mot des destinées,
O toi qui triomphais près de l’Olympe mort ;
Vois : c’est le même gouffre... Avant deux mille années
Ton ciel y descendra, — sans le combler encor !
 
Ta connaîtras aussi, ployé sous l’anathème,
La désaffection des peuples et des rois,
Si pauvre et si perdu que tu n’auras plus même,
Pour t’y coucher en paix, la largeur de ta croix !
 
Ton dernier temple, ô Christ, est froid comme une tombe ;
Ta porte n’ouvre plus sur le vaste Avenir ;
Voilà que le jour baisse et qu’on entend venir
Le vieux prêtre courbé, qui porte une colombe !
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{{droite|(''Dernières Chantons.'')}}
 
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{{Centré|<big>VERS A UNE FEMME</big>}}
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<poem>
Quoi ! tu raillais vraiment, quand tu disais : «Je t’aime ! »
Quoi ! tu mentais aussi, pauvre fille !... A quoi bon ?
Tu ne me trompais pas, tu te trompais toi-même,
Pouvant avoir l’amour, tu n’as que le pardon !
 
Garde-le, large et franc, comme fut ma tendresse.
Que par aucun regret ton cœur ne soit mordu :
Ce que j’aimais en toi, c’était ma propre ivresse ;
Ce que j’aimais en toi, je ne l’ai pas perdu...
 
Tu n’as jamais été, dans tes jours les plus rares,
Qu’un banal instrument sous mon archet vainqueur,
Et, comme un air qui sonne aux bois creux des guitares,
J’ai fait chanter mon rêve au vide de ton cœur...
 
S’il fut sublime et doux, ce n’est point ton affaire.
Je peux le dire au monde et ne te pas nommer :
Pour tirer du néant sa splendeur éphémère,
Il m’a suffi de croire. ll m’a suffi d’aimer.
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==[[Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t1.djvu/103]]==
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{{Centré|<big>LE TUNG-WHANG-FUNG</big>}}
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<poem>
La fleur Ing-wha, petite et pourtant des plus belles,
N’ouvre qu’à Ching-tu-fu son calice odorant ;
Et l’oiseau Tung-whang-fung est tout juste assez grand
Pour couvrir cette fleur en tendant ses deux ailes.
 
Et l’oiseau dit sa peine à la fleur qui sourit,
Et la fleur est de pourpre, et l’oiseau lui ressemble,
Et l’on ne sait pas trop, quand on les voit ensemble,
Si c’est la fleur qui chante, ou l’oiseau qui fleurit.
 
Et la fleur et l’oiseau sont nés à la même heure,
Et la même rosée avive chaque jour
Les deux époux vermeils, gonflés du même amour.
Mais quand la fleur est morte, il faut que l’oiseau meure.
 
Alors, sur ce rameau d’où son bonheur a fui,
On voit pencher sa tête et se faner sa plume.
Et plus d’un jeune cœur, dont le désir s’allume,
Voudrait, aimé comme elle, expirer comme lui.
 
Et je tiens, quant à moi, ce récit qu’on ignore
D’un mandarin de Chine, au bouton de couleur.
La Chine est un vieux monde où l’on respecte encore
L’amour qui peut atteindre à l’âge d’une fleur.
</poem>
 
{{droite|(''Dernières Chansons.'')}}