« Continuation des Amours (1555) » : différence entre les versions

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==Sonnets en vers héroïques ==
 
'''I '''
<poem>
Thiard, chacun disoit à mon commencement
Que j'estoi trop obscur au simple populaire:
Aujourd'hui, chacun dit que je suis au contraire,
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'''XXXI '''
Dites maitresse, é que vous ai-je fait?
E, pourquoy las! m'estes vous si cruelle?
Ai-je failly de vous estre fidelle?
Ai-je envers vous commis quelque forfait?
Dites maitresse, é que vous ai-je fait?
E, pourquoy las! m'estes vous si cruelle?
Ai-je failli de vous estre fidelle?
Ai-je envers vous commis quelque forfait?
Certes nenny: car plutost que de faire
Chose qui deust, tant soit peu, vous déplaire,
J'aimerois mieus mille mors encourir.
Mais je voi bien que vous avez envie
De me tuer: faites-moy donq mourir,
Puis qu'il vous plaît, car à vous est ma vie.
 
'''XXXII '''
Chacun qui voit ma couleur triste et noire
Me dit, Ronsard, vous estes amoureus.
Mais cette-là qui me fait langoreus
Le sçait, le voit, et si ne le veut croire.
E, que me sert que mon mal soit notoire
A un chacun, quand son coeur rigoreus,
Par ne sçai quel desastre malheureus,
Me fait la playe, et si la prend à gloire?
C'est un grand cas, que pour cent fois jurer,
Cent fois promettre, et cent fois asseurer
Qu'autre jamais n'aura sus moi puissance,
Qu'elle s'esbat de me voir en langueur:
Et plus de moi je lui donne asseurance,
Moins me veut croire, et m'appelle un moqueur.
 
'''XXXIII '''
Plus que jamais je veus aimer, maitresse,
Vôtre oeil divin, qui me detient ravy
Mon coeur chez lui, du jour que je le vi,
Tel, qu'il sembloit celui d'une déesse?
C'est ce bel oeil qui me paist de liesse,
Liesse, non, mais d'un mal dont je vi,
Mal, mais un bien, qui m'a toujours suivy,
Me nourrissant de joye et de tristesse.
Desja neuf ans evanouiz se sont
Que vos beaus yeus en me riant me font
La playe au coeur, et si ne me soucye
Quand je mourois d'un mal si gracieus:
Car rien ne peut venir de voz beaus yeus
Qui ne me soit trop plus cher que la vie.
 
'''XXXIV '''
Quand ma maitresse au monde print naissance,
Honneur, Vertu, Grace, Savoir, Beauté
Eurent debat avec la Chasteté
Qui plus auroit sus elle de puissance.
L'une vouloit en avoir joüyssance,
L'autre vouloit l'avoir de son costé,
Et le debat immortel eust esté
Sans Jupiter, qui leur posa silence.
Filles, dit-il, ce n'est pas la raison
Que l'une seule ait si belle maison,
Pour-ce je veus qu'apointement on face:
L'accord fut fait: et plus soudainement
Qu'il ne l'eut dit, toutes également
En son beau cors pour jamais prindrent place.
 
'''XXXV '''
Je vous envoye un bouquet de ma main
Que j'ai ourdy de ces fleurs epanies:
Qui ne les eust à ce vespre cuillies,
Flaques à terre elles cherroient demain.
Cela vous soit un exemple certain
Que voz beautés, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de tems cherront toutes flétries,
Et periront, comme ces fleurs, soudain.
Le tems s'en va, le tems s'en va, ma Dame:
Las! le tems non, mais nous nous en allons,
Et tost serons estendus sous la lame:
Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts n'en sera plus nouvelle:
Pour-ce aimés moi, ce pendant qu'estes belle.
 
'''XXXVI '''
Gentil barbier, enfant de Podalyre,
Je te supply, seigne bien ma maitresse,
Et qu'en ce mois, en seignant, elle laisse
Le sang gelé dont elle me martyre.
Encore un peu dans la palette tire
De son sang froid, ains de sa glace épesse,
A celle fin qu'en sa place renaisse
Un sang plus chaut qui de m'aimer l'inspire.
Ha! velelà, c'estoit ce sang si noir
Que je n'ay peu de mon chaud émouvoir
En soupirant pour elle mainte année.
Ha c'est assez, cesse gentil barbier,
Ha je me pâme! et mon ame estonnée
S'evanouist en voiant son meurtrier.
 
'''XXXVII '''
J'aurai tousjours en une hayne extréme
Le soir, la chaire, et le lit odieus,
Où je fus pris, sans y penser, des yeus
Qui pour aimer me font hayr moi-mesme.
J'aurai tousjours le front pensif et bléme
Quand je voirray ce bocage ennuieus,
Et ce jardin de mon aise envieus,
Où j'avisay cette beauté supréme.
J'aurai toujours en haine plus que mort
Le mois de Mai, le lyerre, et le sort
Qu'elle écrivit sus une verte feille:
J'auray tousjours cette lettre en horreur,
Dont pour adieu sa main tendre et vermeille
Me feit present pour me l'empreindre au coeur.
 
'''XXXVIII '''
E, Dieu du ciel, je n'eusse pas pensé
Qu'un seul depart eust causé tant de pene!
Je n'ai sur moi nerf, ni tendon, ni vene,
Faie, ni coeur qui n'en soit offensé,
Helas! je suis à-demi trespassé,
Ains du tout mort, las! ma douce inhumaine
Avecques elle, en s'en allant, enmaine
Mon coeur captif de ses beaus yeus blessé.
Que pleust à Dieu ne l'avoir jamais veue!
Son oeil gentil ne m'eust la flamme esmeue,
Par qui me faut un tourment recevoir,
Tel, que ma main m'occiroit à cette heure,
Sans un penser que j'ai de la revoir,
Et ce penser garde que je ne meure.
 
'''XXXIX '''
Ha, petit chien, que tu serois heureus
Si ton bon heur tu sçavois bien entendre,
D'ainsi coucher au giron de Cassandre,
Et de dormir en ses bras amoureus.
Mais, las! je vy chetif et langoreus,
Pour sçavoir trop mes miseres comprendre:
Las! pour vouloir en ma jeunesse aprendre
Trop de sçavoir, je me fis malheureus.
Mon Dieu, que n'ai-je au chef l'entendement
Aussi plombé qu'un qui journelement
Béche en la vigne ou fagotte au bocage!
Je ne serois chetif comme je suis,
Le trop d'esprit ne me seroit domage,
Et ne pourrois comprendre mes ennuis.
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==Sonetz en vers heroiques ==
 
<poem>'''XL '''
<poem>
D'une belle Marie en une autre Marie,
Belleau, je suis tombé, et si dire ne puis
De laquelle des deux plus l'amour je poursuis,
Car j'en aime bien l'une, et l'autre est bien m'amie.
On dit qu'une amitié qui se depart demie
Ne dure pas long tems, et n'aporte qu'ennuis,
Mais ce n'est qu'un abus: car tant ferme je suis
Que, pour en aimer une, une autre je n'oublie.
Tousjours une amitié plus est enracinée,
Plus long tems elle dure, et plus est ostinée
A soufrir de l'amour l'orage vehement:
E, ne sçais-tu, Belleau, que deux ancres getées
Dans la mer, quand plus fort les eaus sont agitées,
Tiennent mieus une nef qu'une ancre seulement?
 
'''XLI '''
Quand je serois un Turc, un Arabe, ou un Scythe,
Pauvre, captif, malade, et d'honneur devestu,
Laid, vieillard, impotent, encor' ne devrois tu
Estre, comme tu es, envers moi si dépite:
Je suis bien asseuré que mon coeur ne merite
D'aimer en si bon lieu, mais ta seule vertu
Me force de ce faire, et plus je suis batu
De ta fiere rigueur, plus ta beauté m'incite.
Si tu penses trouver un serviteur qui soit
Digne de ta beauté, ton penser te deçoit,
Car un Dieu (tant s'en faut un homme) n'en est digne.
Si tu veus donq aimer, il faut baisser ton coeur:
Ne sçais-tu que Venus (bien qu'elle fust divine)
Jadis pour son ami choisit bien un pasteur?
 
'''XLII '''
Dame, je ne vous puis ofrir à mon depart
Sinon mon pauvre coeur, prenés-le je vous prie:
Si vous ne le prenés, jamais une autre amie
(J'en jure par voz yeus) jamais n'y aura part.
Je le sen déjà bien, comme joyeus il part
Hors de mon estomac, peu songneus de ma vie,
Pour s'en aller chés vous, et rien ne le convie
D'y aller (ce dit-il) que vôtre dous regard.
Or si vous le chassés, je ne veus plus qu'il vienne
Vers moi, pour y r'avoir sa demeure ancienne,
Hayssant à la mort ce qui vous deplaira:
Il m'aura beau conter sa peine et son malaise,
Comme il fut paravant plus mien il ne sera,
Car je ne veus rien voir chés moi, qui vous deplaise.
 
'''XLIII '''
Rossignol mon mignon, qui dans cette saulaye
Vas seul de branche en branche à ton gré voletant,
Degoisant à l'envy de moi, qui vois chantant
Celle qui faut tousjours que dans la bouche j'aie,
Nous soupirons tous deux, ta douce vois s'essaie
De flechir celle-là, qui te va tourmentant,
Et moi, je suis aussi cette-là regrettant,
Qui m'a fait dans le coeur une si aigre plaie.
Toutesfois, Rossignol, nous differons d'un point.
C'est que tu es aimé, et je ne le suis point,
Bien que tous deux aions les musiques pareilles,
Car tu flechis t'amie au dous bruit de tes sons,
Mais la mienne, qui prent à dépit mes chansons,
Pour ne les escouter se bouche les oreilles.
 
'''XLIV '''
Si vous pensés que Mai, et sa belle verdure
De vôtre fievre quarte effacent la langueur,
Vous vous trompés beaucoup, il faut premier mon coeur
Garir du mal qu'il sent, et si n'en avés cure.
Il faut donque premier me garir la pointure
Que voz yeus dans mon coeur me font par leur rigueur,
Et tout soudain apres vous reprendrés vigueur,
Quand vous l'aurés gary du tourment qu'il endure.
Le mal que vous avés ne vient d'autre raison,
Sinon de moi, qui fis aus Dieus une oraison
Pour me venger de vous, de vous faire malade.
E, vraiment c'est bien dit; é, vous voulez garir,
Et si ne voulez pas vôtre amant secourir,
Que vous gaririez bien seulement d'une oeillade.
 
'''XLV '''
J'ay cent fois desiré et cent encores d'estre
Un invisible esprit, afin de me cacher
Au fond de vôtre coeur, pour l'humeur rechercher
Qui vous fait contre moi si cruelle aparoistre.
Si, j'estois dedans vous, aumoins je serois maistre,
Maugré vous, de l'humeur qui ne fait qu'empescher
Amour, et si n'auriez nerf, ne poux sous la chair
Que je ne recherchasse afin de vous cognoistre.
Je sçaurois une à une et voz complexions,
Toutes voz voluntés, et voz conditions,
Et chasserois si bien la froideur de vos venes,
Que les flammes d'Amour vous y allumeriez:
Puis quand je les voirrois de son feu toutes plenes,
Je redeviendrois homme, et lors vous m'aimeriez.
 
'''XLVI '''
Pour-ce que tu sçais bien que je t'aime trop mieus,
Trop mieus dix mille fois que je ne fais ma vie,
Que je ne fais mon coeur, ma bouche, ni mes yeus,
Plus que le nom de mort tu fuis le nom d'amie.
Si je faisois semblant de n'avoir point envie
D'estre ton serviteur, tu m'aimerois trop mieus,
Trop mieus dix mille fois que tu ne fais ta vie,
Que tu ne fais ton coeur, ta bouche, ni tes yeus.
C'est d'amour la coustume, alors que plus on aime
D'estre tousjours hay: je le sçai par moi-mesme
Qui suis hay de toi, seulement quand tu m'ois
Jurer que je suis tien: helas! que doi-je faire?
Tout ainsi qu'on garist un mal par son contraire,
Si je te haïssois, soudain tu m'aimerois.
 
'''XLVII '''
Quand je vous dis adieu, Dame, mon seul apuy,
Je laissé dans voz yeus mon coeur pour sa demeure
En gaige de ma foi: et si ay, depuis l'heure
Que je le vous laissay, tousjours vescu d'ennuy
Mais pour Dieu je vous pri, me le rendre aujourd'huy
Que je suis retourné, de peur que je ne meure:
Car je mourois sans coeur, ou, que vôtre oeil m'asseure
Que vous me donnerez le vôtre en lieu de lui.
Las! donez-le moi donq, et de l'oeil faittes signe
Que vôtre coeur est mien, et que vous n'avés rien
Qui ne soit fort joieus, vous laissant, de me suivre:
Ou bien si vous voyés que je ne sois pas digne
D'avoir chés moi le vôtre, aumoins rendés le mien,
Car sans avoir un coeur je ne saurois plus vivre.
 
'''XLVIII '''
Tu as beau, Jupiter, l'air de flammes dissouldre,
Et faire galloper tes haux-tonnans chevaus,
Ronflans deçà delà dans le creux des nuaus,
Et en cent mille esclats tout d'un coup les descoudre,
Ce n'est pas moi qui crains tes esclairs, ni ta foudre
Comme les coeurs poureus des autres animaus:
Il y a trop lon tems que les foudres jumeaus
Des yeus de ma maitresse ont mis le mien en poudre.
Je n'ai plus ni tendons, ni arteres, ni nerfs,
Venes, muscles, ni poux: les feux que j'ai soufferts
Au coeur pour trop aimer me les ont mis en cendre.
Et je ne suis plus rien (ô estrange meschef)
Qu'un Terme qui ne peut voir, n'oüyr, ni entendre,
Tant la foudre d'amour est cheute sus mon chef.
 
'''XLIX '''
Donques pour trop aimer il fault que je trépasse,
La mort, de mon amour sera donq le loyer:
L'homme est bien malheureus qui se veut emploier
Par travail meriter d'une ingrate la grace:
Mais je te pri, di moi, que veus tu que je face?
Quelle preuve veus-tu afin de te ployer
A pitié, las! veus-tu que je m'aille noyer,
Ou que de ma main propre à mort je me deface?
Es tu quelque Busire, ou Cacus inhumain,
Pour te souler ainsi du pauvre sang humain?
E, di, ne crains-tu point Nemesis la Déesse,
Qui redemandera mon sang versé à tort?
E, di, ne crains-tu point la troupe vengeresse
Des Soeurs, qui puniront ton crime apres la mort?
 
'''L '''
Veus-tu sçavoir, Brués, en quel estat je suis?
Je te le conterai: d'un pauvre miserable
Il n'i a nul estat, tant soit il pitoiable
Que je n'aille passant d'un seul de mes ennuis.
Je tien tout, je n'ay rien, je veus, et si ne puis,
Je revy, je remeurs, ma plaie est incurable.
Qui veut servir Amour, ce tyran execrable,
Pour toute recompense il reçoit de tels fruis.
Pleurs, larmes, et souspirs acompagnent ma vie,
Langueur, douleur, regrets, soupçon, et jalousie,
Avecques un penser qui ne me laisse avoir
Un moment de repos: et plus je ne sens vivre
L'esperance en mon coeur, mais le seul desespoir
Qui me guide à la mort, et je le veus bien suivre.
 
'''LI '''
Ne me di plus, Imbert, que je chante d'Amour,
Ce traistre, ce mechant; comment pouroi-je faire
Que mon esprit voulust loüer son adversaire,
Qui ne donne à sa peine un moment de sejour!
Si m'avoit fait aumoins quelque petit bon tour,
Je l'en remercirois, mais il ne veut se plaire
Qu'à rengreger mon mal, et pour mieus me défaire
Me met devant les yeux ma Dame nuit et jour.
Bien que Tantale soit miserable là-bas,
Je le passe en malheur; car si ne mange pas
Le fruit qui pend sur lui, toutesfois il le touche,
Et le baise, et s'en joue: et moi, bien que je sois
Aupres de mon plaisir, seulement de la bouche
Ni des mains, tant soit peu, toucher ne l'oserois.
 
'''LII '''
Quiconque voudra suivre Amour ainsi que moi,
Celui se delibere en penible tristesse
Mourir ainsi que moi: il pleust à la Déesse
Qui tient Cypre en ses mains de faire telle loi.
Apres mainte misere et maint fascheus émoi
Il lui faudra mourir, et sa fiere maitresse,
Le voiant au tombeau, sautera de liesse
Sus le corps de l'amant, mort pour garder sa foy.
Allez-donq maintenant faire service aus Dames,
Offrez-leur pour present et voz corps et voz ames,
Vous en receverés un salaire bien dous.
Je croi que Dieu les feit afin de nuire à l'homme:
"Il les feit, Pardaillan, pour nostre malheur, comme
Les tygres, les lyons, les serpens, et les lous.
 
'''LIII '''
J'avois cent fois juré de jamais ne revoir
(O serment d'amoureus) l'angelique visage
Qui depuis quinze mois en penible servage
Emprisonne mon coeur, et ne le puis ravoir.
J'en avois fait serment: mais je n'ai le pouvoir
M'engarder d'y aller, car mon forcé courage,
Bien que soit maugré moi surmonté de l'usage
D'amour, tousjours m'y mene, abusé d'un espoir.
Le destin, Pardaillan, est une forte chose!
L'homme dedans son coeur ses affaires dispose
Et le ciel fait tourner ses dessains au rebours.
Je sçai bien que je fais ce que je ne doy faire,
Je sçay bien que je sui de trop folles amours:
Mais quoy, puis que le ciel delibere au contraire.
 
'''LIV '''
Ne me sui point, Belleau, allant à la maison
De celle qui me tient en douleur nompareille:
E ne sçais-tu pas bien ce que dit la corneille
A Mopse, qui suivoit la trace de Jason?
Profete, dit l'oiseau, tu n'as point de raison
De suivre cet amant qui de voir s'apareille
Sa Dame: en autre part va, suy le et le conseille,
Mais ore de le suivre il n'est pas la saison.
Pour ton profit, Belleau, je ne vueil que tu voye'
Celle qui par les yeus la plaie au coeur m'envoye,
De peur que tu ne prenne' un mal au mien pareil.
Il suffist que sans toi je sois seul miserable:
Reste sain, je te pri, pour estre secourable
A ma douleur extréme, et m'y donner conseil.
 
'''LV '''
Si j'avois un hayneus qui me voulust la mort
Pour me venger de luy je ne voudrois lui faire
Que regarder les yeus de ma douce contraire,
Qui si fiers contre moi me font si dur effort.
Ceste punition, tant son regard est fort,
Luy seroit peine extréme, et se voudroit deffaire:
Ne lit, ne pain, ne vin ne luy sauroient complaire,
Et sans plus au trespas seroit son reconfort.
Tout cela que lon dit d'une Meduse antique
Au prix d'elle n'est rien que fable poëtique:
Meduse seulement tournoit l'homme en rocher,
Mais cette-cy en-roche, englace, en-eaue, en-foue
Ceus qui ozent sans peur de ses yeus approcher:
Et si en les tuant vous diriez qu'el' se joue.
 
'''LVI '''
Amour se vint cacher dans les yeus de Cassandre,
Comme un tan, qui les boeufs fait mouscher par les bois,
Puis il choisit un trait sur tous ceus du carquois,
Qui piquant sçait le mieus dedans les coeur descendre.
Il élongna ses mains, et feit son arc estendre
En croissant, qui se courbe aus premiers jours du mois,
Puis me lascha le trait, contre qui le harnois
D'Achille, ni d'Hector ne se pourroit defendre.
Apres qu'il m'eut blessé, en riant s'en volla,
Et par l'air mon esprit avec lui s'en alla:
Mais toutefois au coeur me demoura la playe,
Laquelle pour neant cent fois le jour j'essaye
De la vouloir garir, mais tel est son efort
Que je voy bien qu'il faut que maugré moi je l'aye,
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'''LVII '''
Dame, je meurs pour vous, je meurs pour vous, ma dame,
Dame, je meurs pour vous, et si ne vous en chaut:
Je sens pour vous au coeur un brasier si treschaut,
Que pour ne le sentir je veus bien rendre l'ame.
Ce vous sera pour-tant un scandaleus diffame,
Si vous me meurdrissés sans vous faire un defaut:
E, que voulés vous dire? Esse ainsi comme il faut
Par pitié refroidir de vôtre amant la flamme?
Non, vous ne me povés reprocher que je sois
Un effronté menteur, car mon teint, et ma voix,
Et mon chef ja grison vous servent d'asseurance,
Et mes yeus trop cavés, et mon coeur plein d'esmoi:
E, que feroi-je plus, puis que nulle creance
Il ne vous plait donner aus tesmoins de ma foy?
 
'''LVIII '''
Il ne sera jamais, soit que je vive en terre,
Soit qu'aus enfers je sois, ou là-haut dans les cieus,
Il ne sera jamais que je n'aime trop mieus
Que myrthe ou que laurier la feuille de lierre.
Sus elle cette main qui tout le coeur me serre
Trassa premierement de ses doigts gracieus
Les lettres de l'amour que me portoient ses yeus,
Et son coeur qui me fait une si douce guerre.
Jamais si belle fueille à la rive Cumée
Ne fut par la Sibylle en lettres imprimée
Pour bailler par écrit aus hommes leur destin,
Comme ma Dame a paint d'une espingle poignante
Mon sort sus le lierre: é Dieu, qu'amour est fin!
Est-il rien qu'en aimant une Dame n'invente.
 
'''LIX '''
J'aurai toujours au coeur attachés les rameaus
Du lierre, où ma Dame oza premier écrire
(Douce ruze d'amour) l'amour qu'el'n'osoit dire,
L'amour d'elle et de moy, la cause de noz maus:
Sus toi jamais, sus toi orfrayes ny corbeaus
Ne se viennent brancher, jamais ne puisse nuire
Le fer à tes rameaus, et à toi soit l'empire
Pour jamais, dans les bois, de tous les arbrisseaus.
Non pour autre raison (ce croi-je) que la mienne,
Bacchus orna de toi sa perruque Indienne,
Que pour recompenser le bien que tu lui fis,
Quand sus les bords de Die Ariadne laissée
Luy feit sçavoir par toi ses amoureus ennuys,
Ecrivant dessus toi s'amour et sa pensée.
 
'''LX '''
Je mourois de plaisir voyant par ces bocages
Les arbres enlassés de lierres épars,
Et la lambruche errante en mille et mille pars
Es aubepins fleuris prés des roses sauvages.
Je mourois de plaisir oyant les dous langages
Des hupes, et coqus, et des ramiers rouhars
Sur le haut d'un fouteau bec en bec fretillars,
Et des tourtres aussi voyant les mariages.
Je mourois de plaisir voyant en ces beaus mois
Sortir de bon matin les chevreuilz hors des bois,
Et de voir fretiller dans le ciel l'alouëtte.
Je mourois de plaisir, où je meurs de soucy,
Ne voyant point les yeus d'une que je souhette
Seule, une heure en mes bras en ce bocage icy.
 
'''LXI '''
A pas mornes et lents seulet je me promene,
Non-challant de moi-mesme: et quelque part que j'aille
Un importun penser me livre la bataille,
Et ma fiere ennemie au devant me ramene:
Penser, un peu de treve, et permets que ma pene
Se soulage un petit, et tousjours ne me baille
Argument de pleurer pour une qui travaille
Sans relasche mon coeur, tant elle est inhumaine.
Ou si tu ne le fais, je te tromperay bien:
Je t'assure ma foy que tu perdras ta place
Bien-tost, car je mouray pour ruïner ton fort.
Puis, quand je seray mort, plus ne sentiray rien
(Tu m'auras beau pincer) que ta rigueur me face,
Ma dame, ni amour: car rien ne sent un mort.
 
'''LXII '''
Pourtant si ta maitresse est un petit putain,
Tu ne dois pour cela te courrousser contre elle
Voudrois-tu bien hayr ton ami plus fidelle
Pour estre un peu jureur, ou trop haut à la main?
Il ne faut prendre ainsi tous pechés à dedain,
Quand la faute en pechant n'est pas continuelle:
Puis il faut endurer d'une maitresse belle
Qui confesse sa faute, et s'en repent soudain.
Tu me diras qu'honneste et gentille est t'amie,
Et je te respondrai qu'honneste fut Cynthie,
L'amie de Properce en vers ingenieus,
Et si ne laissa pas de faire amour diverse.
Endure donc, Ami, car tu ne vaus pas mieus
Que Catulle valut, que Tibulle et Properce.
 
'''LXIII '''
Amour, voiant du ciel un pescheur sur la mer,
Calla son aisle bas sur le bord du navire,
Puis il dit au pescheur: je te pri que je tire
Ton ret, qu'au fond de l'eau le plomb fait abymer.
Un daulphin, qui savoit le feu qui vient d'aimer,
Voiant Amour sur l'eau, à Tethis le va dire:
Tethys, si quelque soing vous tient de vôtre empire,
Secourés-le, ou bien tost il est prest d'enflammer.
Tethys laissa de peur sa caverne profonde,
Haussa le chef sur l'eau, et vit Amour sur l'onde
Qui peschoit à l'escart: las, dit el', mon nepveu,
Oustés-vous, ne bruslés mes ondes, je vous prie:
N'aiés peur, dit Amour, car je n'ay plus de feu,
Tout le feu que j'avois est aus yeus de Marie.
 
'''LXIV '''
Calliste mon amy, je croi que je me meurs,
Je sens de trop aimer la fievre continue,
Qui de chaud, qui de froid jamais ne diminue,
Ainçois de pis en pis rengrege mes douleurs:
Plus je vueil refroidir mes bouillantes chaleurs,
Plus Amour les ralume: et plus je m'esvertue
De rechaufer mon froid, plus la froideur me tue,
Pour languir au meilleu de deux divers malheurs.
Un ardent apetit de joüir de l'aimée
Tient tellement mon ame en pensers alumée,
Et ces pensers douteus me font réver si fort,
Que diette, ne just, ni section de vene
Ne me sauroient garir, car de la seule mort
Depend, et non d'ailleurs, le secours de ma pene.
 
'''LXV '''
Je veus lire en trois jours l'Iliade d'Homere,
Et pour-ce; Corydon, ferme bien l'huis sur moi:
Si rien me vient troubler, je t'asseure ma foi,
Tu sentiras combien pesante est ma colere.
Je ne veus seulement que nôtre chambriere
Vienne faire mon lit, ou m'apreste de quoi
Je menge, car je veus demeurer à requoi
Trois jours, pour faire apres un an de bonne chere.
Mais si quelcun venoit de la part de Cassandre,
Ouvre lui tost la porte, et ne le fais attendre:
Soudain entre en ma chambre, et me vien acoustrer,
Je veus tanseulement à lui seul me monstrer:
Au reste, si un Dieu vouloit pour moi descendre
Du ciel, ferme la porte, et ne le laisse entrer.
 
'''LXVI '''
J'ai l'ame pour un lit de regrets si touchée,
Que nul, et fusse un Roy, ne fera que j'aprouche
Jamais de la maison, encor moins de la couche
Où je vy ma maitresse, au mois de May couchée.
Un somme languissant la tenoit mi-panchée.
Dessus le coude droit, fermant sa belle bouche,
Et ses yeus, dans lesquels l'archer Amour se couche,
Ayant tousjours la fleche en la corde encochée.
Sa teste en ce beau mois, sans plus, estoit couverte
D'un riche escofion ouvré de soie verte,
Où les Graces venoient à l'envy se nicher,
Et dedans ses cheveus choysissoient leur demeure.
J'en ai tel souvenir que je voudrois qu'à l'heure
(Pour jamais n'y penser) son oeil m'eust fait rocher.
 
'''LXVII '''
Douce, belle, gentille, et bien fleurente Rose,
Que tu es à bon droit à Venus consacrée,
Ta delicate odeur hommes et Dieus recrée,
Et bref, Rose, tu es belle sur toute chose.
La Grace pour son chef un chapellet compose
De ta feuille, et tousjours sa gorge en est parée,
Et mille fois le jour la gaye Cytherée
De ton eau, pour son fard, sa belle joue arrose.
Hé Dieu, que je suis aise alors que je te voi
Esclorre au point du jour sur l'espine à requoy,
Dedans quelque jardin pres d'un bois solitere!
De toi les Nymphes ont les coudes et le sein:
De toi l'Aurore emprunte et sa joue, et sa main,
Et son teint celle-là qui d'Amour est la mere.
 
'''LXVIII Sonnet en dialogue.'''
R. Que dis-tu, que fais-tu, pensive tourterelle
Desus cest arbre sec? T. Helas je me lamente.
R. Et pourquoi, di-le moi? T. De ma compagne absente,
Plus chere que ma vie. R. En quelle part est-elle?
T. Un cruel oyselleur par glueuse cautelle
L'a prise, et l'a tuée: et nuit et jour je chante
Son trespas dans ces bois, nommant la mort méchante
Qu'elle ne m'a tuée aveques ma fidelle.
R. Voudrois-tu bien mourir aveques ta compaigne?
T. Oui, car aussi bien je languis de douleur,
Et toujours le regret de sa mort m'acompaigne.
R. O gentils oysellets, que vous estes heureus
D'aimer si constamment, qu'heureus est vôtre coeur,
Qui, sans point varier, est tousjours amoureus!
 
'''LXIX '''
Le sang fut bien maudit de ceste horrible face
Qui premier engendra les serpens venimeus:
Helene, tu devois quand tu marchas sus eus,
Non sans plus les arner, mais en perdre la race.
Nous estions l'autre jour dans une verte place,
Cuillants, m'amie, et moi, les fraiziers savoureux,
Un pot de cresme estoit au meillieu de nous deux,
Et sur le jonc du laict treluisant comme glace.
Quand un villain serpent, de venin tout couvert,
Par ne sçai quel malheur sortit d'un buisson vert
Contre le pied de celle à qui je fais service,
Pour la blesser à mort de son venin infect;
Et lors je m'écriay, pensant qu'il nous eut faict
Moi, un second Orphée, et elle, une Eurydice.
 
'''LXX '''
Marie, tout ainsi que vous m'avés tourné
Mon sens, et ma raison, par vôtre voix subtile,
Ainsi m'avés tourné mon grave premier stile,
Qui pour chanter si bas n'estoit point destiné:
Aumoins si vous m'aviés, pour ma perte, donné
Congé de manier vôtre cuisse gentile,
Ou si à mes baisers vous n'estiés dificile,
Je n'eusse regretté mon stile abandonné.
Las, ce qui plus me deut, c'est que vous n'êtes pas
Contente de me voir ainsi parler si bas,
Qui soulois m'élever d'une muse hautaine:
Mais, me rendant à vous, vous me manquez de foy,
Et si me traités mal, et sans m'outer de peine
Tousjours vous me liés, et triomphés de moi.</poem>