« Études sur les glaciers/XIII » : différence entre les versions

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C'est surtout à l'entrée de la voûte que les éboulements sont à craindre ; aussi peut-on ordinairement juger s'il y a du danger à pénétrer dans l'intérieur, en ayant égard à la disposition des crevasses envi­ronnantes. La voûte du glacier des Bois, l'une des plus grandes et des plus belles qui existent, est peut-être la plus accessible de toutes, quoique l'on ne puisse pas pénétrer bien loin dans l'intérieur, à cause de la masse considérable d'eau qui s'en échappe. Il est d'autres glaciers sous lesquels on pénètre bien plus loin. M. Hugi raconte avoir parcouru un espace de plus d'un quart de lieue carrée sous le glacier d'Uraz, prés du Titlis. Les couloirs, de dimensions très variables, avaient de deux jusqu'à douze pieds de haut <ref>Hugi, Naturhistorische Alpenreise, p. 261.</ref>. Un Oberlandais, nommé Christian Bohrer, père du guide qui habite prés du glacier supérieur de Grindelwald, eut le malheur de tomber dans une crevasse de ce glacier ; bien qu'il eût eu un bras cassé dans la chute, il chercha cependant un moyen de sortir. Pour éviter de nouvelles chutes, il remonta un couloir qu'il aper­çut près de lui sous le glacier, et au moyen d'efforts inouis, il arriva, après trois heures d'angoisses et de luttes, au bord du glacier. Cette histoire a été rap­portée en son temps dans beaucoup d'ouvrages et de journaux ; j'en ai causé plusieurs fois avec le fils du défunt, qui avait à cœur de redresser une erreur qui s'est glissée dans ce récit : tous, me disait-il, ont ré­pété que mon père s'était sauvé en descendant le cou­loir, tandis qu'il le remonta. L'on comprend en effet que la tâche soit beaucoup plus dangereuse à la des­cente qu'à la montée ; car si l'on arrive à un endroit escarpé que l'obscurité empêche de distinguer, on doit nécessairement courir les plus grands dangers, tandis qu'en remontant, on peut espérer de le contourner; et c'est ce qui sauva sans doute le guide de Grindelwald.
 
Saussure attribue, avec raison, la formation de ces voûtes à l'action des eaux, qui, grossies par les cha­leurs de l'été, « facilitent la désunion de la glace et rongent par les côtés les glaces qui gênent leur sortie ; alors celles du milieu n'étant plus soutenues, tombent dans l'eau qui les entraîne, et il s'en détache ainsi successivement des morceaux, jusqu'à ce que la partie supérieure ait pris la forme d'une voûte dont les parties se soutiennent mutuellement. » (''Voyages dans les Alpes'', tom. II, p. 16, g 622). Cette explication est sans contredit la plus simple que l'on puisse donner de ce phénomène; car l'on ne saurait douter que l'eau n'en soit la cause première. Mais il est plusieurs autres agents qui réclament aussi leur part d'influence, sinon dans la formation, au moins dans l'agrandissement de ces voûtes. Ce sont, en particu­lier , les vents chauds et les sources. L'on conçoit en effet que les vents de la vallée., dont la température esi souvent de beaucoup au-dessus de 0°, en s'en-gouffrant dans ces canaux et couloirs intérieurs du glacier, fondent plus ou moins les parois de glace avec lesquelles ils entrent en contact. Ces vents sont très fréquents et proviennent de la tendance qu'a l'air chaud de la vallée à se mettre en équilibre avec l'air froid qui règne dans les canaux du glacier, et dont la température ne peut guère être de plus de 0°, attendu qu'elle est continuellement re­froidie par les parois du glacier. Cet air est con-séquemment plus pesant que l'air chaud du dehors, et il tend, par cette même raison, à gagner les endroits les plus bas, entre autres le bas de la voûte et les lieux environnans. En même temps l'air chaud pé­nètre dans les canaux par le haut de la voûte ; il en résulte un double courant, savoir : un d'air froid de dedans en dehors, et un d'air chaud de dehors en de­dans. La même chose a lieu lorsque l'on ouvre, en été, la porte d'une glacière : il s'y forme aussitôt deux courants, un d'air chaud en haut, et un autre d'air froid en bas. Cependant ce phénomène ne se montre pas d'une manière également nette dans tous les glaciers, par la raison que les canaux, s'entrecroisant dans toutes les directions, communiquent de toutes parts avec l'air extérieur, par les crevasses : l'air froid des régions supérieures pénètre par ces crevasses dans l'intérieur du glacier ; son propre poids et le courant de l'eau qui circule dans ces canaux l'entraînent vers l'issue du glacier, où il s'échappe par la voûte termi­nale ou par les crevasses. Lorsque l'air ambiant est très chaud, de manière à rendre le contraste de ces vents froids très sensible, les habitants des Alpes disent que le ''glacier souffle''. Ces vents froids sont d'autant plus intenses que la différence entre la température de l' air du glacier et de l'air ambiant est plus considérable; leur force augmente et diminue par consé­ quent avec les saisons, et même d'un jour à l'autre : ils sont très faibles le matin avant le lever du soleil, et ils atteignent leur plus grande intensité à midi. Au reste, il faudra des observations suivies pour déter­miner l'influence que la position, la hauteur, la gran­deur des voûtes et d'autres circonstances locales ex­ercent sur l'intensité de ce souffle des glaciers ; car il est évident qu'il règne à cet égard des différences no­tables entre les divers glaciers.
 
Une conséquence naturelle de l'action de ces vents- coulis , c'est que les voûtes et les couloirs dans les­quels ils circulent, au lieu d'être anguleux, comme ils devraient l'être, s'ils n'avaient subi aucune in­fluence destructive depuis la chute des masses qui s'en sont détachées, sont, au contraire, arrondies, et ne présentent que rarement des angles bien saillants.
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Dans les régions supérieures cette couche est gé­néralement gelée et par conséquent fortement adhé­ rente au sol ; dans les régions inférieures, au con­traire, elle se dégèle plus ou moins sous l'influence de la température plus chaude qui règne dans les basses vallées. Le glacier supérieur de Grindelwald et celui de Rosenlaui montrent d'une manière très distincte cette couche remarquable. Elle se remarque aussi tou­jours à la face inférieure des blocs de glace détachés du sol, ainsi qu'à la surface du sol lui-même ; car lorsque l'on veut examiner la nature d'un rocher quel­conque que le glacier vient de quitter, l'on est obligé d'en laver la surface qui est toujours boueuse.
 
Indépendamment de cette couche boueuse ou sa­bleuse, il n'est pas rare de rencontrer sous les glaciers un lit plus ou moins considérable de petits blocs ar­rondis, dont les dimensions varient depuis celle de petits cailloux jusqu'à celle de galets d'un demi-pied et même d'un pied de diamètre. Ces galets, tout-à-fait sem­blables , par leur forme et la variété de leurs carac­tères minéralogiques, au gros gravier de certains ter­rains soi-disant diluviens, sont évidemment arrondis par la trituration que les fragments de roche qui tom­bent sous le glacier éprouvent à la longue, lorsqu'ils sont pressés les uns contre les autres et sur le fond. Quelquefois ils sont entourés de glace qui remplit les insterstices; mais on les voit aussi entassés à sec les uns sur les autres. Lorsque le glacier se retire, ces galets restent en place ; leur apparence pourrait alors faire supposer qu'ils ont été charriés par de grands torrens, si les moraines terminales n'étaient pas là pour attester leur origine. Les torrents qui circulent sous le glacier exercent bien aussi quelque influence sur la forme de ces galets; mais cette influence est relativement très peu sensible, car ils sont tout aussi arrondis sous la surface immédiate de la glace que dans les couloirs par lesquels s'échappent les rivières. Ces lits de galets varient considérablement d'épais­seur dans les différons glaciers ; nulle part je ne les ai mieux observés que sous le glacier du Trient : là il est de toute évidence qu'ils proviennent des détritus des parois de la vallée, et qu'il s'en re­forme continuellement à mesure que les plus anciens sont poussés dans la partie inférieure de la vallée. J'insiste sur ce point, parce que tout récemment M. Godeffroy a prétendu que les glaciers reposaient sur un terrain détritique ''tertiaire'', qu'ils refoulaient sur leurs bords pour former les moraines. Rien n'est cependant moins fondé que cette assertion ; les détritus sur lesquels les glaciers reposent n'ont aucun des ca­ractères des terrains en série; ils ne renferment jamais de fossiles, et pour quiconque sait observer, il est évi­dent qu'ils se forment de nos jours et tous les jours, de même que les sillons, les stries et les surfaces po­lies du fond des glaciers, que l'on a également voulu envisager comme de formation plus ancienne.
 
La surface inférieure de la glace elle-même, quoi­que lisse et unie comme un glaçon que l'on aurait poli sur une meule, est généralement garnie de petits grains de sable ou de petits fragments de roche qui la rendent plus ou moins âpre au toucher, et en font une sorte de râpe, comme serait une plaque de cire que l'on aurait fortement pressée sur du gravier. Des lignes si­nueuses plus ou moins distinctes indiquent les contours des fragments angulaires de la glace usée sur le fond par le frottement. C'est du contact de cette surface avec la roche solide du fond, aidé du mouvement du gla­cier, que résultent les polis, les stries et les sillons si variés que l'on voit sur le fond de tous les glaciers.