« Études sur les glaciers/II » : différence entre les versions

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Les conditions les plus favorables à la formation des glaciers existent lorsque plusieurs hautes som­ mités se trouvent très rapprochées : telles la Jungfrau, l'Eiger, le Mönch, le Finsteraarhorn, le Schreckhorn, etc., dans l'Oberland bernois ; le Gornerhorn, le Mont-Rose, le Lyskamm, etc., dans la chaîne du Mont-Rose, ou bien le Mont-Blanc, l'Aiguille du midi, le dôme du Goûté, le pic du Géant, etc., dans la chaîne du Mont-Blanc. Il arrive alors que non seule­ment les sommités, mais même les plateaux et les vallées intermédiaires se recouvrent de glaciers, jusqu'à des niveaux où probablement il n'en existerait pas si les hautes cimes n'étaient pas aussi voisines l'une de l'autre. De vastes plateaux qui ont dix, vingt et même trente lieues carrées ne présentent ainsi qu'une surface continue de glace , du milieu de laquelle les crêtes et les cimes des plus hautes montagnes s'élèvent comme des îles volcaniques du milieu de l'Océan. Ce sont ces vastes étendues de glaciers auxquelles on a donné en Suisse le nom de ''mers de glace''. Les plus remarquables sont : celle du Mont-Blanc, celle du Mont-Rose et celle de l'Oberland bernois, dont M. Hugi a donné une carte très instructive dans son voyage aux Alpes. Ces mers de glace détachent sur toute leur circonférence des émissaires, qui descendent par les gorges et les anfractuosités des montagnes dans les régions inférieures : ce sont les ''glaciers proprement dits''. Leur nombre est très variable et dépend essentiellement de la structure des massifs recouverts par les mers de glace. Suivant que ces massifs sont continus ou entamés par des vallées profondes, les glaciers qui en descendent sont plus ou moins nombreux. C'est ainsi que la mer de glace de l'Oberland bernois a plus de glaciers que celle du Mont-Rose ; mais ils sont moins grands que ceux de cette dernière chaîne.
 
Jusque dans ces derniers temps les glaciers proprements dits avaient seuls eu le privilège de fixer l'atten­tion des physiciens, et de nos jours encore bien des personnes qui s'extasient devant la masse colossale d'un glacier dont ils ne voient que la partie terminale, ne se doutent pas même de la présence de ces vastes surfaces de glace cachées derrière les crêtes des montagnes. Tous les glaciers n'arrivent pas au même niveau ; il y en a qui cessent déjà entre 7 et 8000'<ref>Note Wikisource : entrele 2350pied etde 2700Paris mesure environ 0,32 mètres, voir [[:w:Pied (unité)|l'article sur Wikipédia]]</ref> de hauteur absolue, tandis que d'autres descendent jusqu'à près de 3000 pieds <ref>Note Wikisource : environ 1000 mètres</ref>. Leur longueur est également très variable; ceux qui atteignent les niveaux les plus bas ne sont pas toujours ceux qui ont le plus long cours. Loin de là, nous avons dans les Alpes des exemples frappans du contraire ; ainsi le glacier inférieur de l'Aar, le plus grand de tous les glaciers de l'Oberland bernois, ne descend qu'à 5728 pieds, d'après M. Hugi, tandis que le glacier inférieur de Grindelwald, quoique moins long , arrive jusqu'à 3200 pieds<ref>Note Wikisource : environ 1050 mètres</ref>. Le grand glacier d'Aletsch, le plus long de tous ceux du Valais, ne descend pas plus bas que 4000 pieds <ref>Note Wikisource : environ 1300 mètres</ref>.
 
Les glaciers se rétrécissent en général vers leur partie terminale. Tel glacier dont la largeur est d'une lieue et au-delà à sa partie supérieure, n'a guère plus de cinq à six cents pieds de large à son extré­mité. Quant à leur épaisseur, on n'a pas encore fait d'observations suivies à ce sujet; mais elle paraît être également très-variable. M. Hugi l'évalue en moyenne à 80 et 100 pieds <ref>Note Wikisource : entre 25 et 35 mètres</ref> pour la partie inférieure, et à 120 jusqu'à 180 pieds <ref>Note Wikisource : entre 40 et 60 mètres</ref> pour la partie supérieure. La partie terminale est souvent bien moins puissante. Certains glaciers qui descendent très-bas n'ont guère que cinquante ou soixante pieds de haut à leur extrémité. Chaque glacier donne naissance, du moins pendant l'été, à un ruisseau qui est d'autant plus abondant que le glacier est plus considérable. Ce ruisseau s'échappe fréquemment par une voûte plus ou moins spacieuse, située pour l'ordinaire au centre de la face terminale. Quelquefois l'on rencontre à côté de la voûte principale une ou deux voûtes latérales ; mais elles sont toujours moins vastes et moins constantes que la voûte principale. Le Rhône, le Rhin, l'Arve, l'Aar et toutes les rivières des Alpes naissent ainsi sous les glaciers.
 
Les mers de glace forment sans contredit la partie essentielle du phénomène ; c'est là qu'est l'origine et le berceau des glaciers qui ne font que porter dans les régions inférieures la masse d'eau qui tombe à l'état de neige dans ces hautes régions. Pour se faire une juste idée de la nature des placiers, il importe donc avant tout de connaître leur origine, les modifications qu'ils subissent dans leur cours, l'influence qu'exercent sur eux les agents extérieurs, et la manière dont ils agissent eux-mêmes sur les corps environnants. Afin d'en faciliter l'intelli­gence, j'ai ajouté à mon ouvrage un recueil de planches représentant les glaciers aux différentes phases de leur développement et dans leurs formes les plus diverses. La plupart de ces vues sont em­pruntées à la chaîne du Mont-Rose, qui présente à cet égard la plus grande variété de phénomènes. En effet, sous le rapport de l'intérêt scientifique comme sous le rapport pittoresque, le Mont-Rose l'emporte de beaucoup sur tous les autres grands massifs des Alpes. Ses nombreuses cîmes, qui approchent toutes à-peu-près de la hauteur du Mont-Blanc, et dont quelques-unes, entre autres le Mont-Cervin, sont remarquables par leur forme hardie et élancée; ses glaciers se réunissant au nombre de cinq, six et même huit dans un lit commun, et formant ainsi des fleuves de glace d'une vaste étendue; ses nombreuses vallées qui viennent toutes aboutir au massif central, et dont le caractère, ainsi que celui de leurs habitans est de nature à exciter un vif intérêt; enfin les traces nombreuses d'un vaste réseau de glaciers recouvrant autrefois toutes ces contrées, tout cela forme un en­semble des plus instructifs, digne à un haut point de fixer l'attention du physicien et de tout homme sé­rieux.
 
Les planches 1 et 2 de mon atlas représentent le pa­norama de la chaîne du Mont-Rose, pris du haut du Riffel, au-dessus de Zermatt, dans la vallée de St Nicolas. Il est impossible de rien voir de plus im­posant et de plus majestueux que cette série de hautes sommités, séparées les unes des autres par des glaciers d'une blancheur éclatante, et qui tous viennent apporter leur tribut au grand glacier de Zermatt qui est à leur pied <ref>M. Engelhardt a publié un panorama de cette chaîne encore plus étendu que le mien et qui embrasse en même temps le massif du Mont-Rose et celui du Mont-Cervin. Les planches de M. Engel­hardt ont sur les miennes le grand avantage d'être plus pitto­resques et plus finies ; mais les phénomènes particuliers qu'offrent les glaciers y ressortent moins, par la raison bien simple qu'elles sont sur une plus petite échelle et que le devant du tableau y occupe plus de place.</ref>. Cette chaîne, telle qu'elle est ici représentée, occupe un espace de cinq à six lieues en longueur. Le large massif que l'on aperçoit sur la gauche de planche 1, porte, chez les habitants de la vallée de St-Nicolas, le nom de ''Gornerhorn''; c'est suivant Zumstein la plus haute cime de toute la chaîne. Son sommet est une sorte de vaste cirque, entouré de nombreux pics, auxquels M. de Welden a donné différents noms <ref>''H. L. von Welden''. Der Monte Rosa. p.35. Vienne, in-8*°. 1824.</ref>. Il appelle entre autres ''Cîme de Zumstein'' celle que cet intrépide voyageur escalada plusieurs fois pendant les années de 1819 à 1823, dans le but d'y faire des observations baro­métriques et thermométriques, et dont la hauteur se trouva être, d'après la moyenne de ses observations, de 14,160 pieds de Paris <ref>Note Wikisource : le pied de Paris mesure environ 0,32 mètres, voir [[:w:Pied (unité)|l'article sur Wikipédia]]</ref>. C'est selon toute apparence celle qui est marquée d'un 6 dans ma 1<sup>ère</sup> planche au trait. La cîme a, qui est la plus haute de tout le groupe, n'est pas accessible. Zumstein pense qu'elle peut être d'environ 270 pieds plus haute <ref>Note Wikisource : 90 mètres</ref> que la précédente. Toutes ces cimes s'élèvent du milieu d'un vaste plateau de glace qui envoie des glaciers dans toutes les direc­tions. Celui qu'on voit monter jusqu'au sommet du massif est le ''grand glacier du Gornerhorn'' ; à gauche est le grand ''glacier de la Porte-Blanche'', qui sépare le Gornerhorn de la Cima di Jazi ; mais les plus grands de tous descendent du côté du Piémont : ce sont les glaciers d'Ayas, de Lys et surtout le grand glacier de Macugnaga.
 
J'appelle, avec les habitants de la vallée de St Ni­colas, ''Cîme du Mont-Rose'', le grand massif qui est à droite du Gornerhorn; mais je dois faire remarquer que ce nom n'est point entendu de la même manière partout; et il paraît que les habitants de différentes vallées ont l'habitude de le donner au massif qui est le plus en vue chez eux. Je suis porté à croire que le pic qui porte le nom de Cîme du Mont-Rose dans mon atlas est identique avec celui que M. de Welden ap­pelle le ''Dôme du signal''. Il est couvert de neige qu'à son sommet, comme le Gornerhorn, et le rocher ne perce que sur quelques points trés-escarpés. De ses flancs descendent plusieurs glaciers qui viennent se joindre à ceux du Gornerhorn et de la Porte blanche. J'ai appelé du nom de ''grand glacier du Mont-Rose'' y celui qui occupe la grande dépression entre la cîme de ce nom et le Gornerhorn, afin de le distinguer d'un autre glacier moins considérable, mais d'un caractère tout particulier, qui en est séparé par une moraine médiane, et auquel j'ai donné le nom de ''petit glacier du Mont-Rose''; il descend de l'arête latérale du même massif. Entre le dôme du Mont-Rose et le Gornerhorn, on aperçoit dans le lointain une autre cîme, qui me paraît être le ''Pic Vincent'' de Welden. Du côté de l'ouest, la cîme du Mont-Rose se rattache au ''Lyskamm'' par un immense plateau de glace, qui envoie au grand glacier de Zermatt un émissaire très-considérable que j'appelle le ''glacier du Lyskamm''. Le massif qui succède au Lyskamm à droite est le ''Breithorn'' ; s'il paraît ici plus large et plus élevé que le Gornerhorn et la Cîme du Mont-Rose, c'est parce que, du point où le pano­rama a été dessiné, il se présente droit en face, tandis que les autres sont vus obliquement. Un vaste glacier, le ''grand glacier du Breithorn'', s'élève jusqu'à son sommet. La cîme assez raide et dégagée de neige, que l'on aperçoit à droite du Breithorn, est le ''Petit Cervin'' ; M. de Saussure, qui en fit l'ascension, jusl'appelle la ''Corne brune'', pour le distinguer du Breithorn, qui n'en est séparé que par un glacier étroit, le ''glacier du Petit Cervin''. Ce dernier se réunit bientôt au ''glacier de la Furkeflue'', qui est beaucoup plus large, et communique avec le grand plateau de glace de St Théodule. Je l'appelle glacier de la ''Furke­flue'' , parce qu'avant de descendre au grand glacier de Zermatt, il longe les flancs de l'arête qui porte ce nom. Enfin la grande plage de glace qui s'étend à droite de la Furkeflue , est le plateau ou ''glacier de St Théodule'', qui sépare le Petit Cervin et le Breit­horn du Grand Cervin ou Matterhorn. Ce plateau, qui porte aussi le nom de col de St Jacques, sert de communication entre le Piémont et le Valais, pen­dant les mois les plus favorables de l'été. C'est au haut de ce col que sont situées les ruines du fort de St Théodule, construit jadis par les Piémontais pour se préserver contre les invasions des Valaisans. Saussure y établit sa tente, lorsqu'en 1792, il vint mesurer la hauteur du Mont-Cervin.