« Le Rosier de Madame Husson (recueil, Ollendorff 1902)/Une soirée » : différence entre les versions

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Le maréchal des logis Varajou avait obtenu huit jours de permission pour les passer chez sa sœur, {{Mme}} Padoie. Varajou, qui tenait garnison à Rennes et y menait joyeuse vie, se trouvant à sec et mal avec sa famille, avait écrit à sa sœur qu’il pourrait lui consacrer une semaine de liberté. Ce n’est point qu’il aimât beaucoup {{Mme}} Padoie, une petite femme moralisante, dévote, et toujours irritée ; mais il avait besoin d’argent, grand besoin, et il se rappelait que, de tous ses parents, les Padoie étaient les seuls qu’il n’eût jamais rançonnés.
 
Le père Varajou, ancien horticulteur à Angers, retiré maintenant des affaires, avait fermé sa bourse à son garnement de fils et ne le voyait guère
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depuis deux ans. Sa fille avait épousé Padoie, ancien employé des finances, qui venait d’être nommé receveur des contributions à Vannes.
 
Donc Varajou, en descendant du chemin de fer, se fit conduire à la maison de son beau-frère. Il le trouva dans son bureau, en train de discuter avec des paysans bretons des environs. Padoie se souleva sur sa chaise, tendit la main par-dessus sa table chargée de papiers, murmura : « Prenez un siège, je suis à vous dans un instant », se rassit et recommença sa discussion.
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Les paysans ne comprenaient point ses explications, le receveur ne comprenait pas leurs raisonnements ; il parlait français, les autres parlaient breton, et le commis qui servait d’interprète ne semblait comprendre personne.
 
Ce fut long, très long. Varajou considérait son beau-frère en songeant : « Quel crétin ! » Padoie devait avoir près de cinquante ans ; il était grand, maigre, osseux, lent, velu, avec des sourcils en
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arcade qui faisaient sur ses yeux deux voûtes de poils. Coiffé d’un bonnet de velours orné d’un feston d’or, il regardait avec mollesse, comme il faisait tout. Sa parole, son geste, sa pensée, tout était mou. Varajou se répétait : « Quel crétin ! »
 
Il était, lui, un de ces braillards tapageurs pour qui la vie n’a pas de plus grands plaisirs que le café et la fille publique. En dehors de ces deux pôles de l’existence, il ne comprenait rien. Hâbleur, bruyant,
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plein de dédain pour tout le monde, il méprisait l’univers entier du haut de son ignorance. Quand il avait dit : « Nom d’un chien, quelle fête ! » il avait certes exprimé le plus haut degré d’admiration dont fût capable son esprit.
 
Padoie, ayant enfin éloigné ses paysans, demanda :
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— Où est-elle donc ?
 
— Elle fait quelques visites ; nous avons beaucoup de relations
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ici ; c’est une ville très comme il faut.
 
— Je m’en doute.
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— Oh ! ne nie pas, je le sais.
 
Il essaya encore de se défendre, mais elle lui ferma la bouche
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par une semonce si violente qu’il dut se taire.
 
Puis elle reprit :
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Il gagna le port, si morne, revint par un boulevard solitaire et désolé, et rentra avant cinq heures. Alors il se jeta sur son lit pour sommeiller jusqu’au dîner.
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La bonne le réveilla en frappant à sa porte.
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— Oui, ma chère.
 
— Ne reste pas tard. Tu te fatigues toutes les
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fois que tu sors. Tu n’es pas fait pour le monde avec ta mauvaise santé.
 
Alors elle parla de la société de Vannes, de l’excellente société où les Padoie étaient reçus avec considération, grâce à leurs sentiments religieux.
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Et il se sauva, dès sept heures.
 
A peine dans la rue, il commença par se secouer comme un chien qui sort de l’eau. Il
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murmurait : « Nom d’un nom, d’un nom, d’un nom, quelle corvée ! »
 
Et il se mit à la recherche d’un café, du meilleur café de la ville. Il le trouva, sur une place, derrière deux becs de gaz. Dans l’intérieur, cinq ou six hommes, des demi-messieurs peu bruyants, buvaient et causaient doucement, accoudés sur de petites tables, tandis que deux joueurs de billard marchaient autour du tapis vert où roulaient les billes en se heurtant.
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Puis il s’assit, attendant sa consommation.
 
Il était accoutumé à passer ses soirs de liberté avec ses camarades, dans le tapage et la fumée des pipes. Ce silence, ce calme l’exaspéraient. Il se mit à boire, du café d’abord ; puis son carafon d’eau-de-vie, puis un second
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qu’il demanda. Il avait envie de rire maintenant, de crier, de chanter, de battre quelqu’un.
 
Il se dit : « Cristi, me voilà remonté. Il faut que je fasse la fête. » Et l’idée lui vint aussitôt de trouver des filles pour s’amuser. Il appela le garçon.
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— Des demoiselles ?
 
— Mais, oui, des demoiselles !
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des demoiselles !
 
Le garçon se rapprocha, baissa la voix :
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— Merci, ma vieille. V’là pour toi.
 
— Merci, m’sieu.
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m’sieu.
 
Et Varajou sortit en répétant : « Deuxième à gauche, première à droite, 15. » Mais au bout de quelques secondes, il pensa : « Deuxième à gauche, — oui, — Mais en sortant du café, fallait-il prendre à droite ou à gauche ? Bah ? tant pis, nous verrons bien. »
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— Bonjour, mon enfant. Ces dames sont en haut ?
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— Oui, monsieur.
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— Bonjour, mesdames.
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La vieille se retourna, parut surprise, mais s’inclina :
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Mais, voyant qu’on ne semblait pas l’accueillir avec empressement, il songea que les officiers seuls étaient sans doute admis dans ce lieu ; et cette pensée le troubla. Puis il se dit : « Bah ! s’il en vient un, nous verrons bien. » Et il demanda :
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— Alors, ça va bien ?
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Alors Varajou poussa un hurlement d’allégresse, et, se dressant, il sauta sur son beau-frère, le saisit dans ses bras et le fit danser tout autour du salon en hurlant : « V’là Padoie … V’là Padoie … V’là Padoie … » Puis, lâchant le percepteur éperdu de surprise, il lui cria dans la figure :
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— Ah ! ah ! ah ! farceur !… farceur. Tu fais donc la fête, toi, … Ah ! Farceur…. Et ma sœur !… Tu la lâches, dis !…