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Les chasseurs, et parmi eux, le docteur, James Wall, Simpson, Johnson, Bell, ne manquaient pas de pourvoir le navire de viande fraîche. Les oiseaux avaient disparu, cherchant au sud des climats moins rigoureux. Les ptarmigans seuls, perdrix de rocher particulières à cette latitude, ne fuyaient pas devant l’hiver ; on pouvait les tuer facilement, et leur grand nombre promettait une réserve abondante de gibier.
Les lièvres, les renards, les loups, les hermines, les ours ne manquaient pas ; un chasseur français, anglais ou norvégien n’eût pas eu le droit de se plaindre ; mais ces animaux, très farouches, ne se laissaient guère approcher ; on les distinguait difficilement d’ailleurs sur ces plaines blanches dont ils possédaient la blancheur, car, avant les grands froids, ils changent de couleur et revêtent leur
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/183]]== fourrure d’hiver. Le docteur constata, contrairement à l’opinion de certains naturalistes, que ce changement ne provenait pas du grand abaissement de la température, car il avait lieu avant le mois d’octobre ; il ne résultait donc pas d’une cause physique, mais bien de la prévoyance providentielle, qui voulait mettre les animaux arctiques en mesure de braver la rigueur d’un hiver boréal. On rencontrait souvent des veaux marins, des chiens de mer, animaux compris sous la dénomination générale de phoques ; leur chasse fut spécialement recommandée aux chasseurs, autant pour leurs peaux que pour leur graisse éminemment propre à servir de combustible. D’ailleurs le foie de ces animaux devenait au besoin un excellent comestible ; on en comptait par centaines, et à deux ou trois milles au nord du navire, le champ était littéralement percé à jour par les trous de ces énormes amphibies ; seulement ils éventaient le chasseur avec un instinct remarquable, et beaucoup furent blessés, qui s’échappèrent aisément en plongeant sous les glaçons.
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Cependant, le 19, Simpson parvint à s’emparer de l’un d’eux à quatre cents yards du navire ; il avait eu la précaution de boucher son trou de refuge, de sorte que l’animal fut à la merci des chasseurs. Il se débattit longtemps, et, après avoir essuyé plusieurs coups de feu, il finit par être assommé. Il mesurait neuf pieds de long ; sa tête de bull-dog, les seize dents de ses mâchoires, ses grandes nageoires pectorales en forme d’ailerons, sa queue petite et munie d’une autre paire de nageoires, en faisaient un magnifique spécimen de la famille des chiens de mer. Le docteur, voulant conserver sa tête pour sa collection d’histoire naturelle, et sa peau pour les besoins à venir, fit préparer l’une et l’autre par un moyen rapide et peu coûteux. Il plongea le corps de l’animal dans le trou à feu, et des milliers de petites crevettes enlevèrent les moindres parcelles de chair ; au bout d’une demi journée, le travail était accompli, et le plus adroit de l’honorable corporation des tanneurs de Liverpool n’eût pas mieux réussi.
Dès que le soleil a dépassé l’équinoxe d’automne, c’est-à-dire le 23 septembre,
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/184]]== on peut dire que l’hiver commence dans les régions arctiques. Cet astre bienfaisant, après avoir peu à peu descendu au dessous de l’horizon, disparut enfin le 23 octobre, effleurant de ses obliques rayons la crête des montagnes glacées. Le docteur lui lança le dernier adieu du savant et du voyageur. Il ne devait plus le revoir avant le mois de février. Il ne faut pourtant pas croire que l’obscurité soit complète pendant cette longue absence du soleil ; la lune vient chaque mois le remplacer de son mieux ; il y a encore la scintillation très claire des étoiles, l’éclat des planètes, de fréquentes aurores boréales, et des réfractions particulières aux horizons blancs de neige ; d’ailleurs, le soleil, au moment de sa plus grande déclinaison australe, le 21 décembre, s’approche encore de treize degrés de l’horizon polaire ; il règne donc, chaque jour, un certain crépuscule de quelques heures. Seulement le brouillard et les tourbillons de neige venaient souvent plonger ces froides régions dans la plus complète obscurité.
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Le 25 octobre, le thermomètre ne marqua plus que quatre degrés au-dessous de zéro (-20° centigrades). Un ouragan d’une violence extrême se déchaîna ; une neige épaisse s’empara de l’atmosphère, ne permettant plus à un rayon de lumière d’arriver au Forward. Pendant plusieurs heures, on fut inquiet du sort de Bell et de Simpson, que la chasse avait entraînés au loin ; ils ne regagnèrent le bord que le lendemain, après être restés une journée entière couchés dans leur peau de daim, tandis que l’ouragan balayait l’espace au-dessus d’eux, et les ensevelissait sous cinq pieds de neige. Ils faillirent être gelés, et le docteur eut beaucoup de peine à rétablir en eux la circulation du sang.
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La tempête dura huit longs jours sans interruption. On ne pouvait mettre le pied dehors. Il y avait, pour une seule journée, des variations de quinze et vingt degrés dans la température.
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En somme, le sentiment général du bord, c’était la tristesse. Rien d’écœurant en effet comme la vue de ce navire captif, qui ne repose plus dans son élément naturel, dont les formes sont altérées sous ces épaisses couches de glace ; il ne ressemble à rien : fait pour le mouvement, il ne peut bouger ; on le métamorphose en maison de bois, en magasin, en demeure sédentaire, lui qui sait braver le vent et les orages ! Cette anomalie, cette situation fausse, portait dans les cœurs un indéfinissable sentiment d’inquiétude et de regret.
Pendant ces heures inoccupées, le docteur mettait en ordre les notes de voyage, dont ce récit est la reproduction fidèle ; il n’était jamais désœuvré, et son égalité d’humeur ne changeait pas. Seulement il vit venir avec satisfaction
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/186]]== la fin de la tempête, et se disposa à reprendre ses chasses accoutumées. Le 3 novembre, à six heures du matin, et par une température de cinq degrés au-dessous de zéro (-21° centigrades), il partit en compagnie de Johnson et de Bell ; les plaines de glace étaient unies ; la neige, répandue en grande abondance pendant les jours précédents et solidifiée par la gelée, offrait un terrain assez propice à la marche ; un froid sec et piquant se glissait dans l’atmosphère ; la lune brillait avec une incomparable pureté, et produisait un jeu de lumière étonnant sur les moindres aspérités du champ ; les traces de pas s’éclairaient sur leurs bords et laissaient comme une traînée lumineuse par le chemin des chasseurs, dont les grandes ombres s’allongeaient sur la glace avec une surprenante netteté.
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Le docteur avait emmené son ami Duk avec lui ; il le préférait pour chasser le gibier aux chiens groënlandais, et cela avec raison ; ces derniers sont peu utiles en semblable circonstance, et ne paraissent pas avoir le feu sacré de la race des zones tempérées. Duk courait en flairant la route, et tombait souvent en arrêt sur des traces d’ours encore fraîches. Cependant, en dépit de son habileté, les chasseurs n’avaient pas rencontré même un lièvre, au bout de deux heures de marche.
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Duk, qui flairait la glace en ce moment, excité par la voix et les caresses du docteur, partit tout d’un coup avec la rapidité d’un trait. Il aboyait avec vigueur, et malgré son éloignement, ses aboiements arrivaient avec force jusqu’aux chasseurs.
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Les chasseurs, guidés par ces aboiements lointains, se lancèrent sur les traces de Duk ; il leur fallut faire un mille, et ils arrivèrent essoufflés, car les poumons sont rapidement suffoqués dans une semblable atmosphère. Duk demeurait en arrêt à cinquante pas à peine d’une masse énorme qui s’agitait au sommet d’un monticule.
Duk aboyait avec fureur. Bell s’avança d’une vingtaine de pieds et fit feu ; mais l’animal
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/189]]== ne parut pas être atteint, car il continua de balancer lourdement sa tête. Johnson, s’approcha à son tour, et, après avoir soigneusement visé, il pressa la détente de son arme.
Les trois compagnons s’élancèrent rapidement vers l’animal que cette fusillade n’avait aucunement troublé ; il semblait être de la plus forte taille, et, sans calculer les dangers de l’attaque, les chasseurs se livraient déjà à la joie de la conquête. Arrivés à une portée raisonnable, ils firent feu ; l’ours, blessé mortellement sans doute, fit un bond énorme et tomba au pied du monticule.
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Duk se précipita sur lui.
En parlant de la sorte, les chasseurs arrivèrent au monticule, et, à leur grande stupéfaction, ils trouvèrent Duk acharné sur le cadavre d’un renard blanc !
Johnson ne savait trop que répondre.
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Mais, au moment où le maître d’équipage allait charger l’animal sur ses épaules :
En effet, un collier de cuivre à demi usé apparaissait au milieu de la blanche fourrure du renard ; le docteur crut y remarquer des lettres gravées ; en un tour de main, il l’enleva de ce cou autour duquel il paraissait rivé depuis longtemps.
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Johnson chargea la bête sur ses épaules. Les chasseurs se dirigèrent vers le navire en s’orientant sur les étoiles ; leur expédition ne fut pas cependant tout à fait infructueuse ; ils purent abattre plusieurs couples de ptarmigans.
Une heure avant d’arriver au Forward, il survint un phénomène qui excita au plus haut degré l’étonnement du docteur. Ce fut une véritable pluie d’étoiles filantes ; on pouvait les compter par milliers, comme les fusées dans un bouquet de feu d’artifice d’une blancheur éclatante ; la lumière de la lune pâlissait. L’œil ne pouvait se lasser d’admirer ce phénomène qui dura plusieurs heures. Pareil météore fut observé au Groënland par les Frères Moraves en 1799. On eut dit une véritable fête que le ciel donnait à la terre sous ces latitudes désolées. Le docteur, de retour à bord, passa la nuit entière à suivre la marche de ce météore, qui cessa vers les sept heures du matin, au milieu du profond silence de l’atmosphère.
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