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Le 30, on releva le cap Walker, à l’extrémité nord-est de la terre du Prince de Galles ; c’est le point extrême que Kennedy et Bellot aperçurent le 3 mai 1852, après une excursion à travers tout le North-Sommerset. Déjà en 1851, le capitaine Ommaney, de l’expédition Austin, avait eu le bonheur de pouvoir y ravitailler son détachement.
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Ce cap, fort élevé, est remarquable par sa couleur d’un rouge brun ; de là, dans les temps clairs, la vue peut s’étendre jusqu’à l’entrée du canal Wellington. Vers le soir, on vit le cap Bellot séparé du cap Walker par la baie de Mac-Leon. Le cap Bellot fut ainsi nommé en présence du jeune officier français, que l’expédition anglaise salua d’un triple hurrah. En cet endroit, la côte est faite d’une pierre calcaire jaunâtre, d’apparence très rugueuse ; elle est défendue par d’énormes glaçons que les vents du nord y entassent de la façon la plus imposante. Elle fut bientôt perdue de vue par le Forward, qui s’ouvrit au travers des glaces mal cimentées un chemin vers l’île Beechey, en traversant le détroit de Barrow.
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Hatteras, résolu à marcher en ligne droite, pour ne pas être entraîné au-delà de l’île, ne quitta guère son poste pendant les jours suivants ; il montait fréquemment dans les barres de perroquet pour choisir les passes avantageuses. Tout ce que peuvent faire l’habileté, le sang-froid, l’audace, le génie même d’un marin, il le fit pendant cette traversée du détroit. La chance, il est vrai, ne le favorisait guère, car à cette époque il eût dû trouver la mer à peu près libre. Mais enfin, en ne ménageant ni sa vapeur, ni son équipage, ni lui-même, il parvint à son but.
 
Le 3 juillet, à onze heures du matin, l’ice-master signala une terre dans le nord ; son observation faite, Hatteras reconnut l’île Beechey, ce rendez-vous général des navigateurs arctiques. Là touchèrent presque tous les navires qui s’aventuraient dans ces mers. Là Franklin établit son premier hivernage, avant de s’enfoncer dans le détroit de Wellington. Là Creswell, le lieutenant de Mac-
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Clure, après avoir franchi quatre cent soixante-dix milles sur les glaces, rejoignit le Phénix et revint en Angleterre. Le dernier navire qui mouilla à l’île Beechey avant le Forward fut le Fox ; MacClintock s’y ravitailla, le 11 août 1855, et y répara les habitations et les magasins ; il n’y avait pas deux ans de cela ; Hatteras était au courant de ces détails.
 
Le cœur du maître d’équipage battait fort à la vue de cette île ; lorsqu’il la visita, il était alors quartier-maître à bord du Phénix ; Hatteras l’interrogea sur la disposition de la côte, sur les facilités du mouillage, sur l’atterrissement possible ; le temps se faisait magnifique ; la température se maintenait à cinquante-sept degrés (+14° centigrades).
 
Eh bien, Johnson, demanda le capitaine, vous y reconnaissez-vous ?
 
Oui, capitaine, c’est bien l’île Beechey ! Seulement, il nous faudra laisser porter un peu au nord ; la côte y est plus accostable.
 
Mais les habitations, les magasins ? dit Hatteras.
 
Oh ! vous ne pourrez les voir qu’après avoir pris terre ; ils sont abrités derrière ces monticules que vous apercevez là-bas.
 
Et vous y avez transporté des provisions considérables ?
 
Considérables, capitaine. Ce fut ici que l’Amirauté nous envoya en 1853, sous le commandement du capitaine Inglefield, avec le steamer le Phénix et un transport chargé de provisions, le Breadalbane ; nous apportions de quoi ravitailler une expédition tout entière.
 
Mais le commandant du Fox a largement puisé à ces provisions en 1855, dit Hatteras.
 
Soyez tranquille, capitaine, répliqua Johnson, il en restera pour vous ; le froid conserve merveilleusement, et nous trouverons tout cela frais et en bon état comme au premier jour.
 
Les vivres ne me préoccupent pas, répondit Hatteras ; j’en ai pour plusieurs années ; ce qu’il me faut, c’est du charbon.
 
Eh bien, capitaine, nous en avons laissé plus de mille tonneaux ; ainsi vous pouvez être tranquille.
 
Approchons-nous, reprit Hatteras, qui, sa lunette à la main, ne cessait d’observer la côte.
 
Vous voyez cette pointe, reprit Johnson ; quand nous l’aurons doublée, nous serons bien près de notre mouillage. Oui, c’est bien de cet endroit que nous sommes partis pour l’Angleterre avec le lieutenant Creswell et les douze malades de l’Investigator. Mais si nous avons eu le bonheur de rapatrier le lieutenant du capitaine Mac-Clure, l’officier Bellot, qui nous accompagnait sur le
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Phénix, n’a jamais revu son pays ! Ah ! c’est là un triste souvenir. Mais, capitaine, je pense que nous devons mouiller ici-même.
 
Bien, répondit Hatteras.
 
Et il donna ses ordres en conséquence. Le Forward se trouvait dans une petite baie naturellement abritée contre les vents du nord, de l’est et du sud, et à une encablure de la côte environ.
 
Monsieur Wall, dit Hatteras, vous ferez préparer la chaloupe, et vous l’enverrez avec six hommes pour transporter le charbon à bord.
 
Oui, capitaine, répondit Wall.
 
Je vais me rendre à terre dans la pirogue avec le docteur et le maître d’équipage. Monsieur Shandon, vous voudrez bien nous accompagner ?
 
À vos ordres, répondit Shandon.
 
Quelques instants après, le docteur, muni de son attirail de chasseur et de savant, prenait place dans la pirogue avec ses compagnons ; dix minutes plus tard, ils débarquaient sur une côte assez basse et rocailleuse.
 
Guidez-nous, Jobnson, dit Halteras. Vous y retrouvez-vous ?
 
Parfaitement, capitaine ; seulement, voici un monument que je ne m’attendais pas à rencontrer en cet endroit !
 
Cela ! s’écria le docteur, je sais ce que c’est ; approchons-nous ; cette pierre va nous dire elle-même ce qu’elle est venue faire jusqu’ici.
 
Les quatre hommes s’avancèrent, et le docteur dit en se découvrant :
 
Ceci, mes amis, est un monument élevé à la mémoire de Franklin et de ses compagnons.
 
En effet, lady Franklin, ayant remis en 1855 une table de marbre noir au docteur Kane,
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en confia une seconde en 1858 à MacClintock, pour être déposée à l’île Beechey. MacClintock s’acquitta religieusement de ce devoir, et il plaça cette table non loin d’une stèle funéraire érigée déjà à la mémoire de Bellot par les soins de sir John Barrow.
 
Cette table portait l’inscription suivante :
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Hatteras s’arracha le premier à cette pénible contemplation, et gravit rapidement un monticule assez élevé et presque entièrement dépourvu de neige.
 
Capitaine, lui dit Johnson en le suivant, de là nous apercevrons les magasins.
 
Shandon et le docteur les rejoignirent au moment où ils atteignaient le sommet de la colline.
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Mais, de là, leurs regards se perdirent sur de vastes plaines qui n’offraient aucun vestige d’habitation.
 
Voilà qui est singulier, dit le maître d’équipage.
 
Eh bien ! et ces magasins ? dit vivement Hatteras.
 
Je ne sais… je ne vois… balbutia Johnson.
– Eh bien ! et ces magasins ? dit vivement Hatteras.
 
Vous vous serez trompés de route, dit le docteur.
– Je ne sais… je ne vois… balbutia Johnson.
 
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– Vous vous serez trompés de route, dit le docteur.
 
Il me semble pourtant, reprit Johnson en réfléchissant, qu’à cet endroit même…
 
Enfin, dit impatiemment Hatteras, où devons-nous aller ?
 
Descendons, fit le maître d’équipage, car il est possible que je me trompe ! depuis sept ans, je puis avoir perdu la mémoire de ces localités !
 
Surtout, répondit le docteur, quand le pays est d’une uniformité si monotone.
 
Et cependant… murmura Johnson.
 
Shandon n’avait pas fait une observation. Au bout de quelques minutes de marche, Johnson s’arrêta.
 
Mais non, s’écria-t-il, non, je ne me trompe pas !
 
Eh bien ? dit Hatteras en regardant autour de lui.
 
Qui vous fait parler ainsi, Johnson ? demanda le docteur.
 
Voyez-vous ce renflement du sol ? dit le maître d’équipage en indiquant sous ses pieds une sorte d’extumescence dans laquelle trois saillies se distinguaient parfaitement.
 
Qu’en concluez-vous ? demanda le docteur.
 
Ce sont-là, répondit Johnson, les trois tombes des marins de Franklin ! J’en suis sûr ! je ne me suis pas trompé, et à cent pas de nous devraient se trouver les habitations, et si elles n’y sont pas… c’est que…
 
Il n’osa pas achever sa pensée ; Hatteras s’était précipité en avant, et un violent mouvement de désespoir s’empara de lui. Là avaient dû s’élever en effet ces magasins tant désirés, avec ces approvisionnements de toutes sortes sur lesquels il comptait ; mais la ruine, le pillage, le bouleversement, la destruction avaient passé là où des mains civilisées créèrent d’immenses ressources pour les navigateurs épuisés. Qui s’était livré à ces déprédations ? Les animaux de ces contrées, les loups, les renards, les ours ? Non, car ils n’eussent détruit que les vivres, et il ne restait pas un lambeau de tente, pas une pièce de bois, pas un morceau de fer, pas une parcelle d’un métal quelconque, et, circonstance plus terrible pour les gens du Forward, pas un fragment de combustible ! Évidemment les Esquimaux, qui ont été souvent en relation avec les navires européens, ont fini par apprendre la valeur de ces objets dont ils sont complètement dépourvus ; depuis le passage du Fox, ils étaient venus et revenus à ce lieu d’abondance, prenant et pillant sans cesse, avec l’intention bien raisonnée de ne laisser aucune trace de ce qui avait été ; et maintenant, un long rideau de neige à demi fondue recouvrait le sol !
 
Hatteras était confondu. Le docteur regardait en secouant la tête. Shandon se
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taisait toujours, et un observateur attentif eût surpris un méchant sourire sur ses lèvres.
 
En ce moment, les hommes envoyés par le lieutenant Wall arrivèrent. Ils comprirent tout. Shandon s’avança vers le capitaine et lui dit :
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« Monsieur Hatteras, il me semble inutile de se désespérer ; nous sommes heureusement à l’entrée du détroit de Barrow, qui nous ramènera à la mer de Baffin !
 
Monsieur Shandon, répondit Hatteras, nous sommes heureusement à l’entrée du détroit de Wellington, et il nous conduira au nord !
 
Et comment naviguerons-nous, capitaine ?
 
À la voile, monsieur ! Nous avons encore pour deux mois de combustible, et c’est plus qu’il ne nous en faut pendant notre prochain hivernage.
 
Vous me permettrez de vous dire, reprit Shandon…
 
Je vous permettrai de me suivre à mon bord, monsieur, répondit Hatteras.
 
Et tournant le dos à son second, il revint vers le brick, et s’enferma dans sa cabine.
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Pendant deux jours, le vent fut contraire ; le capitaine ne reparut pas sur le pont. Le docteur mit à profit ce séjour forcé en parcourant l’île Beechey, il recueillit les quelques plantes qu’une température relativement élevée laissait croître çà et là sur les rocs dépourvus de neige, quelques bruyères, des lichens peu variés, une espèce de renoncule jaune, une sorte de plante semblable à l’oseille, avec des feuilles larges de quelques lignes au plus, et des saxifrages assez vigoureux.
 
La faune de cette contrée était supérieure à cette flore si restreinte ; le docteur aperçut de longues troupes d’oies et de grues qui s’enfonçaient dans le nord ; les perdrix, les eider-ducks d’un bleu noir, les chevaliers, sorte d’échassiers de la classe des scolopax, des northern-divers, plongeurs au corps très long, de nombreux ptarmites, espèce de gelinottes fort bonnes à manger, les dovekies avec le corps noir, les ailes, tachetées de blanc, les pattes et le bec rouges comme du corail, les bandes criardes de kitty-wakes, et les gros loons au ventre blanc, représentaient dignement l’ordre des oiseaux. Le docteur fut assez heureux pour tuer quelques lièvres gris qui n’avaient pas encore revêtu leur blanche fourrure
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d’hiver, et un renard bleu que Duk força avec un remarquable talent. Quelques ours, habitués évidemment à redouter la présence de l’homme, ne se laissèrent pas approcher, et les phoques étaient extrêmement fuyards, par la même raison sans doute que leurs ennemis les ours. La baie regorgeait d’une sorte de buccin fort agréable à déguster. La classe des animaux articulés, ordre des diptères, famille des culicides, division des némocères, fut représentée par un simple moustique, un seul, dont le docteur eut la joie de s’emparer après avoir subi ses morsures. En qualité de conchyliologue, il fut moins favorisé, et il dut se borner à recueillir une sorte de moule et quelques coquilles bivalves.
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