« Les Aventures du capitaine Hatteras/Première partie/6 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
YannBot (discussion | contributions)
m Correction des redirects après renommage
Phe-bot (discussion | contributions)
m match et typographie
Ligne 1 :
{{chapitre|[[Les Aventures du capitaine Hatteras]]|[[Auteur:Jules Verne|Jules Verne]]|Première partie|Chapitre VI. Le grand courant polaire}}
<div class="text">
 
{{Navigateur|[[Les Aventures du capitaine Hatteras/Première partie/5|Première partie - 5]]|[[Les Aventures du capitaine Hatteras]]|[[Les Aventures du capitaine Hatteras/Première partie/7|Première partie - 7]]}}
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/48]]==
 
 
{{chapitre|[[Les Aventures du capitaine Hatteras]]|[[Auteur:Jules Verne|Jules Verne]]|Première partie|Chapitre VI. Le grand courant polaire}}
 
 
Ligne 9 :
Bientôt des bandes d’oiseaux de plus en plus nombreux, des pétrels, des puffins, des contre-maîtres, habitants de ces parages désolés, signalèrent l’approche du Groënland. Le Forward gagnait rapidement dans le nord, en laissant sous le vent une longue traînée de fumée noire.
 
Le mardi 17 avril, vers les onze heures du matin, l’ice-master signala la première vue du blink de la glace16. Il se trouvait à vingt milles au moins dans le nord-nord-ouest. Cette bande d’un blanc éblouissant éclairait vivement, malgré la présence de nuages assez épais, toute la partie de l’atmosphère voisine de l’horizon. Les gens d’expérience du bord ne purent se méprendre sur ce phénomène,
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/49]]==
et ils reconnurent à sa blancheur que ce blink devait venir d’un vaste champ de glace situé à une trentaine de milles au-delà de la portée de la vue, et provenait de la réflexion des rayons lumineux.
 
Vers le soir, le, vent retomba dans le sud, et devint favorable ; Shandon put établir une bonne voilure, et, par mesure d’économie, il éteignit ses fourneaux. Le Forward, sous ses huniers, son foc et sa misaine, se dirigea vers le cap Farewel.
Ligne 19 ⟶ 21 :
En ce moment, le commandant, le docteur, James Wall et Johnson se trouvaient réunis sur la dunette, examinant la direction et la force de ce courant. Le docteur demanda s’il était avéré que ce courant existât uniformément dans la mer de Baffin.
 
Sans doute, répondit Shandon, et les bâtiments à voile ont beaucoup de peine à le refouler.
 
D’autant plus, ajouta James Wall, qu’on le rencontre aussi bien sur la côte orientale de l’Amérique que sur la côte occidentale du Groënland.
 
Eh bien ! fit le docteur, voilà qui donne singulièrement raison aux chercheurs du passage du Nord-Ouest ! Ce courant marche avec une vitesse de cinq milles à l’heure environ, et il est difficile de supposer qu’il prenne naissance au fond d’un golfe.
 
Ceci est d’autant mieux raisonné, docteur, reprit Shandon, que, si ce courant va du nord au sud, on trouve dans le détroit de Behring un courant contraire qui coule du sud au nord, et doit être l’origine de celui-ci.
 
D’après cela, messieurs, dit le docteur, il faut admettre que l’Amérique est complètement détachée des terres polaires, et que les eaux du Pacifique se rendent, en contournant ses côtes, jusque dans l’Atlantique. D’ailleurs, la plus grande élévation des eaux du premier donne encore raison à leur écoulement vers les mers d’Europe.
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/50]]==
 
Mais, reprit Shandon, il doit y avoir des faits à l’appui de cette théorie ; et s’il y en a, ajouta-t-il avec une certaine ironie, notre savant universel doit les connaître.
 
Ma foi, répliqua ce dernier avec une aimable satisfaction, si cela peut vous intéresser, je vous dirai que des baleines, blessées dans le détroit de Davis, ont été prises quelque temps après dans le voisinage de la Tartarie, portant encore à leur flanc le harpon européen.
 
Et à moins qu’elles n’aient doublé le cap Horn ou le cap de Bonne-Espérance, répondit Shandon, il faut nécessairement qu’elles aient contourné les côtes septentrionales de l’Amérique. Voilà qui est indiscutable, docteur.
 
Si cependant vous n’étiez pas convaincu, mon brave Shandon, fit le docteur en souriant, je pourrais produire encore d’autres faits, tels que ces bois flottés dont le détroit de Davis est rempli, mélèzes, trembles et autres essences tropicales. Or, nous savons que le gulf-stream empêcherait ces bois d’entrer dans le détroit ; si donc ils en sortent, ils n’ont pu y pénétrer que par le détroit de Behring.
 
Je suis convaincu, docteur, et j’avoue qu’il serait difficile avec vous de demeurer incrédule.
 
Ma foi, dit Johnson, voilà qui vient à propos pour éclairer la discussion. J’aperçois au large une pièce de bois d’une jolie dimension ; si le commandant veut le permettre, nous allons pêcher ce tronc d’arbre, le hisser à bord, et lui demander le nom de son pays.
 
C’est cela, fit le docteur ! l’exemple après la règle.
 
Shandon donna les ordres nécessaires ; le brick se dirigea vers la pièce de
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/51]]==
bois signalée, et, bientôt après, l’équipage la hissait sur le pont, non sans peine.
 
C’était un tronc d’acajou, rongé par les vers jusqu’à son centre, circonstance sans laquelle il n’eût pas pu flotter.
 
Voilà qui est triomphant, s’écria le docteur avec enthousiasme, car, puisque les courants de l’Atlantique n’ont pu le porter dans le détroit de Davis, puisqu’il n’a pu être chassé dans le bassin polaire par les fleuves de l’Amérique septentrionale, attendu que cet arbre-là croît sous l’Équateur, il est évident qu’il arrive en droite ligne de Behring. Et tenez, messieurs, voyez ces vers de mer qui l’ont rongé ; ils appartiennent aux espèces des pays chauds.
 
II est certain, reprit Hall, que cela donne tort aux détracteurs du fameux passage.
 
Mais cela les tue tout bonnement, répondit le docteur. Tenez, je vais vous faire l’itinéraire de ce bois d’acajou : il a été charrié vers l’océan Pacifique par quelque rivière de l’isthme de Panama ou du Guatemala ; de là, le courant l’a traîné le long des côtes d’Amérique jusqu’au détroit de Behring, et, bon gré, mal gré, il a dû entrer dans les mers polaires ; il n’est ni tellement vieux ni tellement imbibé qu’on ne puisse assigner une date récente à son départ ; il aura heureusement franchi les obstacles de cette longue suite de détroits qui aboutit à la mer de Baffîn, et, vivement saisi par le courant boréal, il est venu par le détroit de Davis se faire prendre à bord du Forward pour la plus grande joie du docteur Clawbonny, qui demande au commandant la permission d’en garder un échantillon.
 
Faites donc, reprit Shandon ; mais permettez-moi à mon tour de vous apprendre que vous ne serez pas le seul possesseur d’une épave pareille. Le gouverneur Danois de l’île de Disko…
 
Sur la côte du Groënland, continua le docteur, possède une table d’acajou faite avec un tronc pêché dans les mêmes circonstances ; je le sais, mon cher Shandon ; eh bien, je ne lui envie pas sa table, car, si ce n’était l’embarras, j’aurais là de quoi me faire toute une chambre à coucher.
 
Pendant la nuit du mercredi au jeudi, le vent souffla avec une extrême violence ; le drift wood17 se montra plus fréquemment ; l’approche de la côte offrait des dangers à une époque où les montagnes de glace sont fort nombreuses ; le commandant fit donc diminuer de voiles, et le Forward courut seulement sous sa misaine et sa trinquette.
 
Le thermomètre descendit au-dessous du point de congélation. Shandon fit
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/52]]==
distribuer à l’équipage des vêtements convenables, une jaquette et un pantalon de laine, une chemise de flanelle, des bas de wadmel, comme en portent les paysans norvégiens. Chaque homme fut également muni d’une paire de bottes de mer parfaitement imperméables.
 
Quant à Captain, il se contentait de sa fourrure naturelle ; il paraissait peu sensible aux changements de température ; il devait avoir passé par plus d’une épreuve de ce genre, et, d’ailleurs, un danois n’avait pas le droit de se montrer difficile. On ne le voyait guère, et il se tenait presque toujours caché dans les parties les plus sombres du bâtiment.
Ligne 71 ⟶ 78 :
Enfin, par une température qui ne fut à midi que de 12° (-11° centigrades), sous un ciel de neige et de brouillards, on aperçut le cap Farewel. Le Forward arrivait au jour fixé ; le capitaine inconnu, s’il lui plaisait de venir relever sa position par ce temps diabolique, n’aurait pas à se plaindre.
 
Voilà donc, se dit le docteur, ce cap célèbre, ce cap si bien nommé ! 19 Beaucoup l’ont franchi comme nous, qui ne devaient jamais le revoir ! Est-ce donc un adieu éternel dit à ses amis d’Europe ? Vous avez passé là, Frobisher, Knight,
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/53]]==
Barlow, Vaugham, Scroggs, Barentz, Hudson, Blosseville, Franklin, Crozier, Bellot, pour ne jamais revenir au foyer domestique, et ce cap a bien été pour vous le cap des Adieux !
 
Ce fut vers l’an 970 que des navigateurs partis de l’Islande20 découvrirent le Groënland. Sébastien Cabot, en 1498, s’éleva jusqu’au 56e degré de latitude ; Gaspard et Michel Cotréal, de 1500 à 1502, parvinrent au 60e, et Martin Frobisher, en 1576, arriva jusqu’à la baie qui porte son nom.
Ligne 90 ⟶ 99 :
 
Pendant ce temps, Franklin, par la voie de terre, reconnaissait les côtes septentrionales de l’Amérique, da la rivière Mackensie à la pointe Turnagain ; le capitaine Back marchait sur ses traces de 1823 à 1835, et ces explorations étaient complétées en 1839 par MM. Dease, Simpson et le docteur Rae.
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/54]]==
 
Enfin, sir John Franklin, jaloux de découvrir le passage du nord-ouest, quitta l’Angleterre en 1845 sur l’Erebus et le Terror ; il pénétra dans la mer de Baffin, et depuis son passage à l’île Disko, on n’eut plus aucune nouvelle de son expédition.
Ligne 96 ⟶ 106 :
 
La curieuse histoire de ces contrées se présentait ainsi à l’imagination du docteur, tandis qu’appuyé sur la lisse, il suivait du regard le long sillage du brick. Les noms de ces hardis navigateurs se pressaient dans son souvenir, et il croyait entrevoir sous les arceaux glacés de la banquise les pâles fantômes de ceux qui ne revinrent pas.
</div>