« Yvette (éd. Ollendorff, 1902)/Les Idées du Colonel » : différence entre les versions

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— Ma foi, dit le colonel Laporte, je suis vieux, j’ai la goutte, les jambes raides comme des poteaux de barrière, et cependant, si une femme, une jolie femme, m’ordonnait de passer par le trou d’une aiguille, je crois que j’y sauterais comme un clown dans un cerceau. Je mourrai ainsi, c’est dans le sang. Je suis un vieux galantin, moi, un vieux de la vieille école. La vue d’une femme, d’une jolie femme, me remue jusque dans mes bottes. Voilà.
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D’ailleurs nous sommes tous un peu pareils, en France, messieurs. Nous restons des chevaliers quand même, les chevaliers de l’amour et du hasard, puisqu’on a supprimé Dieu, dont nous étions vraiment les gardes du corps.
 
Mais la femme, voyez-vous, on ne l’enlèvera
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pas de nos cœurs. Elle y est, elle y reste. Nous l’aimons, nous l’aimerons, nous ferons pour elle toutes les folies, tant qu’il y aura une France sur la carte d’Europe. Et même si on escamote la France, il restera toujours des Français.
 
Moi, devant les yeux d’une femme, d’une jolie femme, je me sens capable de tout. Sacristi ! quand je sens entrer en moi son regard, son sacré nom de regard, qui vous met du feu dans les veines, j’ai envie de je ne sais quoi, de me battre, de lutter, de casser des meubles, de montrer que je suis le plus fort, le plus brave, le plus hardi et le plus dévoué des hommes.
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Je me rappelle justement une petite anecdote de la guerre qui prouve bien que nous sommes capables de tout, devant une femme.
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J’étais alors capitaine, simple capitaine, et je commandais un détachement d’éclaireurs qui battait en retraite au milieu d’un pays envahi
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par les Prussiens. Nous étions cernés, pourchassés, éreintés, abrutis, mourant d’épuisement et de faim.
 
Or, il nous fallait, avant le lendemain, gagner Bar-sur-Tain, sans quoi nous étions flambés, coupés et massacrés. Comment avions-nous échappé jusque-là ? je n’en sais rien. Nous avions donc douze lieues à faire pendant la nuit, douze lieues par la neige et sous la neige, le ventre vide. Moi je pensais : « C’est fini, jamais mes pauvres diables d’hommes n’arriveront. »
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À cinq heures, il faisait nuit, cette nuit blafarde des neiges. Je secouai mes gens. Beaucoup ne voulaient plus se lever, incapables de remuer ou de se tenir debout, ankylosés par le froid et le reste.
 
Devant nous, la plaine, une grande vache de plaine toute nue, où il pleuvait de la neige. Ça tombait, ça tombait, comme un rideau, ces flocons blancs, qui cachaient tout sous un lourd
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manteau gelé, épais et mort, un matelas en laine de glace. On aurait dit la fin du monde.
 
— Allons, en route, les enfants.
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Je me disais : « Jamais nous ne sortirons de là, à moins d’un miracle. »
 
Parfois on s’arrêtait quelques minutes, à cause de ceux qui ne pouvaient pas suivre. Alors on
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n’entendait plus que ce glissement vague de la neige, cette rumeur presque insaisissable que font le froissement et l’emmêlement de tous ces flocons qui tombent.
 
Quelques hommes se secouaient, d’autres ne bougeaient point.
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— Vous allez nous accompagner, leur dis-je.
 
On repartit. Comme le vieux connaissait le pays, il nous guida.
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Comme le vieux connaissait le pays, il nous guida.
 
La neige cessa de tomber ; les étoiles parurent, et le froid devint terrible.
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— Père, dit-elle, je suis si fatiguée que je n’irai pas plus loin.
 
Le vieux voulut la porter ; mais il ne pouvait
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seulement pas la soulever ; et elle s’affaissa par terre en poussant un grand soupir.
 
On faisait cercle autour d’eux. Quant à moi, je piétinais sur place, ne sachant que faire, et ne pouvant me résoudre vraiment à abandonner ainsi cet homme et cette enfant.
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Et dix capotes vinrent tomber autour du soldat. En une seconde, la jeune fille fut couchée dans ces chauds vêtements, et enlevée sur six épaules. Je m’étais placé en tête, à droite, et content, ma foi, d’avoir ma charge.
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On repartit comme si on eût bu un coup de vin, plus gaillardement et plus vivement. J’entendis même des plaisanteries. Il suffit d’une femme, voyez-vous, pour électriser les Français.
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Car là-bas, au milieu de la plaine, quelque chose d’étrange remuait. On eût dit une bête énorme qui courait, s’allongeait comme un serpent ou se ramassait en boule, prenait de brusques élans, tantôt à droite, tantôt à gauche, s’arrêtait, puis repartait.
 
Tout à coup,
Tout à coup, cette forme errante se rapprocha ; et je vis venir, au grand trot, l’un derrière l’autre, douze ulhans perdus qui cherchaient leur route.
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Tout à coup, cette forme errante se rapprocha ; et je vis venir, au grand trot, l’un derrière l’autre, douze ulhans perdus qui cherchaient leur route.
 
Ils étaient si près, maintenant, que j’entendais parfaitement le souffle rauque des chevaux, le son de ferraille des armes, et le craquement des selles.