« Histoire d’Agathon ou Tableau philosophique des moeurs de la Grèce - Tome 2 » : différence entre les versions
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Avouons donc, Callias, que <!--Page 26-->tous les plaisirs qui nous sont offerts par la Nature sont sensuels, & que l’imagination la plus exhaltée, la plus abstraite, la plus déliée, ne peut nous en procurer d’autres que ceux que nous pouvons sucer d’une maniére bien plus parfaite d’une coupe ornée des fleurs & des lèvres de la belle Cyane.
Il est vrai qu’il y a encore d’autres espèces de plaisirs qui, au premier coup d’œil, paroissent faire une exception à mes principes. On pouroit les appeller artificiels. En effet, nous ne les tenons point des mains de la Nature. Nous n’en
Mais, dit-on, s’il est prouvé que les plaisirs des sens sont tout ce que la Nature nous a accordé, qu’y a-t-il de plus aisé & qui éxige moins d’art pour être heureux? Il faut si peu à la Nature pour être satisfaite ! Il est vrai que la Nature brute n’a besoin que de peu. Son ignorance est sa richesse. Du mouvement qui entretient l’agilité de son corps, une nouriture qui satisfait son appétit, une femme belle ou laide quand le besoin l’inquiéte, un gazon <!--Page 30-->ombragé quand le sommeil le presse, & un antre pour se mettre â l’abri du mauvais temps, est tout ce qu’il faut à l’homme sauvage, pour ne pas seulement imaginer, dans le cours de quatre-vingt ou cent ans, qu’il auroit besoin de davantage. Les plaisirs de l’imagination & du goût ne sont pas pour lui, il ne jouit pas plus que les autres animaux, & il jouit comme eux. Il est heureux parce qu’il ne se croit pas malheureux : mais son bonheur ne peut, cependant, se comparer à celui d’un homme pour lequel les arts, l’esprit & le goût ont inventé la maniére la plus agréable de jouir des besoins de la Nature, & une multitude infinie d’amusemen pour les sens & l’imagination, dont la Nature <!--Page 31-->n’a aucune idée dans l’état brute & telle que nous pensons qu’elle étoit aux temps les plus anciens. Il est vrai que cette comparaison n’a lieu que dans l’état d’une société qui, par un grand nombre de siécles, s’est enfin élevée à un certain degré de perfection : mais dans un état pareil, tout ce que le sauvage ne desire pas, parce qu’il ne le connoît pas, devient besoin. Diogène ne pouroit pas être heureux à Corinthe, s’il n’étoit pas fou. Quelques Poëtes ont créé un Age-d’or<ref group="II">Age-d’or. C’est le nom qu’on a donné au règne de Saturne. On raconte mille belles choses de ce temps. Tout le monde vivoit dans l’innocence. La terre produisoit d’elle-mème & sans culture tout ce qui étoit nécessaire à la vie & au bonheur de ses habitans. Cela a bien changé. Aussi sommes-nous, dit-on, dans le siècle de fer. Cependant, comme dit Hippias, nos dames font bien plus aimables que du temps de Saturne.</ref>, une <!--Page 32-->Arcadie, une vie pastorale & agréable qui, selon eux, doit tenir le milieu, entre la nature sauvage & la façon de vivre de l’opulence parmi un Peuple policé & ingénieux. Ils ont dépouillé la nature embellie de tout ce qui l’embellissoit, & ils ont appellé cet être idéal la belle Nature. Mais, outre que cette ''belle Nature'' n’a jamais éxisté, le genre de vie de l’âge d’or des Poëtes est aussi éloigné de celui que les arts ont enrichi & orné de tout ce que l’esprit est capable d’inventer, pour nous garantir de la satiété au milieu d’une volupté non interrompue, que le <!--Page 33-->genre de vie du Sogdien<ref group="II">Les Sogdiens étoient un Peuple barbare qui habitoit une grande contrée de l’Asie, entre les deux Scythies, la Margiane, la Bactriane & la Mer Caspienne. On n’en connoit pas trop à présent les limites. Les uns aiment que c’est le Zagaray d’aujourd’hui ; les autres veulent que ce soit le pays des Tartares Usbecks, & il y en a qui prétendent que la Sogdiane fait partie du Royaume de Maweralnhar, tandis que d’autres qui ne sont pas plus instruits assurent que c’est le canton de la Tartarie Asiatique, dont Sarmacand, si fameuse par la naissance de Tamerlan, est la Capitale. Il faut avouer que nos livres de Géographie sont admirables par les certitudes qu’on y trouve.</ref> le plus sauvage est éloigné de celui de l’âge d’or même. S’il est plus agréable de vivre dans une cabane commode que dans le creux d’un arbre, il l’est encore plus d’habiter un palais spacieux pourvu des commodités les plus recherchées <!--Page 34-->& les plus molles, & décoré d’image de plaisir de quelque côté qu’on tourne la vue. Une ''Phillis'' parée de rubans & de fleurs est, sans doute, plus charmante qu’une sauvage mal propre & dégoutante ; mais une de nos belles dont les charmes naturels sont relevés par une parure brillante, ne doit-elle pas plaire davantage qu’une ''Phillis'' ?
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