« Histoire d’Agathon ou Tableau philosophique des moeurs de la Grèce - Tome 2 » : différence entre les versions

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UNE imagination vive procure, à quiconque en est doué, un nombre infini de plaisirs qui font refusés au reste des mortels. Sa vertu magique embellit même le beau à ses yeux, & le jette dans un ravissement où d’autres sentent à <!--Page 163-->peine. Elle soustrait son ame aux chagrins qui suivent les évenemens fâcheux, en lui montrant l’ombre d’une parfaite félicité : mais si elle a tous ces avantages, il faut avouer qu’elle n’est pas moins une source d’erreurs, d’extravagances & de tourmens pour ceux qui se livrent à ses illusions. Le sage Hippias n’avoit certainement pas eu grand tort, d’attribuer à notre Héros une imagination de cette espèce. Nous sommes sans doute fort éloignés d’approuver les moyens par lesquels il vouloit la mettre en équilibre avec les facultés de son ame, ou plutôt avec la nature, mais la force de la verité ne nous permet pas de refuser cet éloge à sa pénétration.
 
<!--Page 164-->Danaë s’étoit fait une telle idée d’Agathon qu’elle se croyoit sûre du succès, si elle pouvoit seulement enflamer pour elle son imagination. « Hippias, disoit-elle, a négligé cette ressource. Il a voulu le séduire par les sens. Quelle faute ! Je n’y tomberai certainement pas.» Dans cette supposition elle s’étaits’étoit formé un plan dont elle n’étoit pas peu satisfaite, & elle ne prévoyoit pas plus qu’elle seroit par-là un piege à elle-méme, qu’Agathon ne songeoit au danger qu’on lui préparoit. L’heure destinée arriva enfin. Hippias sortit, & se fit accompagner d’Agathon, qui ne sçavoit point où le menoit son maître. Ils entrérent dans un Palais soutenu par un double rang <!--Page 165-->de colonnes Ioniques, & orné d’un nombre infini de Statues de Marbre & de Bronze doré. L’intérieur répondoit à la magnificence du dehors. Des Esclaves en grand nombre s’offroient de tous côtés à la vue d’Agathon. Ils étoient dans les deux sexes d’une beauté extraordinaire. Leur habillement présentoit à l’œil une agréable combinaison de monotonie & de variété. Les uns étoient habillés de blanc, les autres en bleu céleste. On en voyoit des troupes en couleur de rose, d’autres en d’autres couleurs, & chaque couleur sembloit désigner une classe particuliere & le genre de service auquel elle étoit destinée. Agathon, sur qui les choses faisoient ordinairement une impression plus <!--Page 166-->forte qu’il ne falloit, fut tellement enchanté de tout ce qu’il voyoit qu’il se crut transporté dans un de ces mondes qu’il se créoit si souvent : mais Hippias ne lui laissa pas le temps de revenir a lui-même. Il le fit entrer dans un grand salon bien éclairé, où étoit la compagnie qu’ils dévoient augmenter. A-peine y avoit-il jetté les premiers regards, que Danaë vint au devant de lui avec une affabilité & une douceur qui n’étoient propres qu’à elle, & lui dit qu’un ami d’Hippias avoit droit de se regarder dans sa maison & en cette compagnie comme chez lui. Un compliment aussi obligeant auroit sans doute mérité une réponse dans le même goût. Mais Agathon hors de lui-<!--Page 167-->même, ne put être poli dans ce moment. Un regard qui peignoit le plus haut degré d’un agréable étonnement fut sa seule réponse. La compagnie n’étoit composée que de personnes qui jouissoient de la plus grande familiarité dans la maison : elles possédoient, comme Danaë même, cette urbanité attique qui est si différente de la politesse précieuse, simétrisée & affectée de nos Européens modernes. Agathon, dans nos compagnies d’aujourd’hui, auroit donné lieu au premier moment qu’il se présenta à une infinité de remarques malignes & satyriques : mais il n’eut à essuyer ici qu’un de ces regards qu’on semble jetter au hazard. On continua la conversation comme si elle n’avoit pas <!--Page 168-->été interrompue : on ne se chuchota point à l’oreille ; personne ne s’appercevoit de l’étonnement où il étoit, & de l’espéce d’avidité avec laquelle ses yeux sembloient dévorer la belle Danaë. En un mot on lui laissa tout le temps nécessaire pour revenir à lui-même, si l’on peut parler ainsi de la disposition dans laquelle il se trouva toute la soirée. Peut-être s’attend-on que nous donnions une idée plus particuliere de cette impression extraordinaire que faisoit Danaë sur notre Héros : mais nous ne sommes pas encore en état de satisfaire la curiosité du lecteur sur un point dont Agathon lui-même n’auroit guére pu rendre compte. Nous pouvons dire, cependant, que Danaë <!--Page 169-->n’avoit jamais moins dû s’attendre à faire une pareille impression. A-peine avoit-elle pris quelque soin de mettre ses charmes dans un jour favorable par une parure bien ménagée. Une robe de taffetas blanc, à petites rayes pourpre, & une rose à demi-épanouie dans ses cheveux noirs composoient tout son ajustement, & son habillement étoit si éloigné de la transparence de celui de Cyane, qui avoit blessé les yeux d’Agathon, qu’on pouvoit plutôt se plaindre de ce qu’il étoit trop enveloppé. Il est vrai qu’elle avoit soin qu’un petit pied, qui surpassoit l’albâtre en blancheur, ne fût pas toujours caché à la vue; on eût dit qu’elle pensoit que les charmes de sa figure ne suffisoient <!--Page 170-->pas pour fixer l’attention de notre Héros. Ce pied charmant, une main blanche comme la neige, le commencement d’un bras parfaitement beau, étoit tout ce que l’habillement jaloux ne déroboit pas aux regards curieux. De quelque nature que fût ce qui se passoit dans son cœur, on ne pouvoit découvrir la moindre chose dans sa personne, dans sa conduite & dans son maintien, qui pût faire soupçonner qu’elle avoit des desseins sur Agathon. Elle ne paroissoit pas même observer, soit par distraction, soit par modestie qu’il n’avoit des yeux que pour elle seule, & qu’il perdoit, à la voir, l’usage de tous ses autres sens.
 
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=== CHAPITRE V. Pantomimes ===
Le soupé fut gai. Agathon n’y avoit pour ainsi dire, été que spectateur : à-peine fut-il fini, qu’on vit paroître un Danseur & une jeune Danseuse, qui aux accens modulés de deux flûtes, figurérent en dansant l’histoire d’Apollon & de Daphné<ref group="V">Daphné étoit fille du Fleuve Pénée. Apollon en devint amoureux. Pour se soustraire à ses transports, elle eut recours à son pere, qui la changea en Laurier.