« Histoire d’Agathon ou Tableau philosophique des moeurs de la Grèce - Tome 2 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Ligne 23 :
=== CHAPITRE PREMIER. Introduction à un discours intéressant d’Hippias. ===
 
LORSQUE nous faisons attenionattention aux actions des hommes, dit Hippias, il semble que leurs ef<!--Page 2-->forts n’ont point d’autre but que de se rendre heureux : mais le petit nombre de ceux qui le sont réellement, ou du moins, qui, croyent l’être, prouve, en méme-tems, que la plupart d’entr’eux ne connoissent point la route qui mène à ce but, ou ne sçavent pas se servir de leur bonne fortune pour y parvenir. Il en est autant de misérables dans le sein de l’autorité, de la fortune & de la molesse, qu’il s’en trouve dans la servitude, l’indigence & l’oppression. Quelques-uns sont sortis, à force de travail, de cet état d’abjection, dans l’opinion qu’ils n’étoient malheureux que par la privation des biens & de la fortune : mais l’expérience leur a appris que, si c’est un art de se procurer <!--Page 3-->les moyens de parvenir à la félicité qu’ils imaginoient, c’en étoit encore un plus difficile & plus rare de se servir à propos de ces moyens. De-là vient que les hommes les plus sages se sont constamment occupés à chercher dans la combinaison de ces deux arts celui qu’on peut appeller l’art de vivre heureux, & dans l’éxercice duquel réside, selon mes idées, la sagesse qui est si rarement le partage des humains. Je donne â cette sagesse le titre d’art, parce-qu’elle dépend de l’application facile de certaines regles qu’on ne peut acquérir que par l’éxercice : mais elle suppose, comme tous les arts, un certain degré de capacité, que la nature donne seule, & qu’elle ne donne pas, <!--Page 4-->ordinairement, à tous. Quelques hommes paroissent, à-peine, susceptibles d’une plus grande félicité que les insectes, &, s’ils sont pourvus d’une ame, il semble que ce ne soit que pour préserver quelque temps leurs corps du néant. Une partie plus grande, & c’est, peut-être, la plus grande partie des hommes, n’est pas dans ce cas. Mais, il leur manque une force suffisante dans l’ame & une certaine délicatesse dans les sensations. Leur vie, pareille à celle des animaux, passe sur la terre entre le plaisir, qu’ils ne sçavent ni choisir ni goûter, & la douleur, qu’ils ne sçavent point éviter & à laquelle ils ne peuvent résister. Les caprices, les passions sont les ressorts impulsifs de ces <!--Page 5-->machines humaines, & les exposent également à une infinité de maux. Il est vrai que ces maux n’éxistent que dans une imagination éblouie ; mais ils sont, par cette raison, plus douloureux, plus durables, plus invétérés que ceux que la nature nous inflige. Cette espéce d’hommes n’est susceptible d’aucun plaisir solide & durable, d’aucune félicité. Leur joie est momentanée. Le reste de leur éxistence est, ou une souffrance réelle, ou un sentiment insatiable de vœux confus, un flux & reflux continuel de crainte & d’espérance, de fantaisies & de douleurs ; en un mot, un mouvement impétueux qui n’a point de mesure certaine, ni de but fixe, & qui, conséquemment, ne <!--Page 6-->peut être un moyen de leur faire conserver ce qui est bon, & ne leur permet pas de jouir de ce qu’ils possédent réellement.
 
Il paroît donc impossible de parvenir à cet état tranquile de jouissance & de contentement qui constitue le véritable bonheur, sans une certaine délicatesse dans les sensations qui nous fait jouir dans une sphere plus étendue, avec des sens plus fins, plus vifs, & plus agréables, & sans cette force d’ame qui nous rend capables de sécouer le joug des préjugés, des prestiges, & de commander à nos passions. Il n’y a d’homme vraiment heureux, que celui qui sçait s’affranchir entiérement des maux, dont la fource est dans son imagination, <!--Page 7-->éviter, ou, du moins, diminuer ceux auxquels la Nature l’a assujetti, en assoupir le sentiment ; & qui sçait, en même-temps, soumettre dans la possession de tous les biens que la Nature a mis à sa portée, & jouir de ce qu’il posséde de la maniére la plus agréable ; & cet heureux est le sage.
Ligne 36 :
 
<!--Page 11-->
 
=== CHAPITRE II. Théorie des sentimens agréables. ===