« Histoire d’Agathon ou Tableau philosophique des moeurs de la Grèce - Tome 2 » : différence entre les versions

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=== CHAPITRE II. Hippias rend visite à une Dame ===
 
LES Dames de Smirne avoient une coutume qui faisoit plus d’hon<!--Page 130-->heur à leur beauté qu’à leur modestie. Elles étoient dans l’habitude de prendre, les après-midi, pendant les mois chauds, des bains rafraichissans, & pour ne point s’y ennuyer, elles recevoient, pendant ce temps la visite des hommes à qui elles avoient accordé une libre entrée dans leurs maisons. Nos Dames aujourd’hui, les admettent à leur toilette : y ont-ils perdu ? Ce nouvel usage, ce semble, vaut bien l’autre. Il y a pourtant cette différence remarquable. C’est qu’à Smirne cette liberté ne s’accordait qu’aux amis dans la rigueur du mot. Les amans en étoient entiérement exclus. Il falloit, du moins, qu’ils fussent tout-à-fait novices. Alors, la nécessité de les instruire, de les en<!--Page 131</small>courager & de vaincre leur timidité, forçoit de passer les bornes prescrites.
LES Dames de Smirne avoient une coutume qui faisoit plus d’hon-
 
Hippias jouissoit de ce privilège chez presque toutes les beautés : mais elles ne lui inspiroient pas également le désir d’en faire usage. Il s’étoit fait un choix. Celle qui s’attiroit le plus sa préférence étoit la belle Danaë. Elle tenoit le premier rang dans la classe de ces Dames auxquelles les Grecs donnoient le nom d’''amies'', & qui n’étoient pas moins connues sous le titre de ''Dames de société''. Ces Dames étoient, dans leur sexe, ce que les Sophistes étoient dans le leur. Elles ne jouissoient pas d’une moindre considération. Elles pouvoient se vanter, qu’excepté l’austère vertu, qui fait toujours bande <!--Page 132-->à part, les modèles les plus parfaits de la beauté, les Aspalies, les Leontium, les Phryné<ref group="II">Fameuses Courtisanes.</ref> n’eussent point hésité à se mettre dans leur société. Danaë, de l’aveu de tous les hommes de Smirne, surpassoit en attraits toutes les autres Dames, 1es galantes, les prudes, les vertueuses & les dévotes. Il est vrai que l’histoire ne dit point que les Dames aient confirmé cette opinion par leur suffrage : mais il est certain qu’il n’y en avoit pas une qui ne convînt qu’à l’exception d’une certaine personne qu’elle ne se permettoit jamais de nommer publiquement, la belle Danaë effaçoit autant les autres qu’elle était elle-même eclipsée par cette modeste anoni<!--Page 133-->me. Sa gloire étoit effectivement si bien établie de ce côté-là qu’on ne trouvoit rien d’extraordinaire au bruit qui s’étoit répandu que, dans les premieres années de sa jeunesse, elle avoit servi de modèle aux Peintres les plus célebres, & que c’étoit même de là qu’elle avoit obtenu le nom sous lequel elle étoit si connue en Ionie. Elle étoit déja à sa trentieme année ; mais sa beauté y avoit plus gagné que perdu. L’éclat éblouissant de la jeunesse, qui disparoit ordinairement, avec le Printems de la vie, étoit remplacé par mille autres charmes, qui au jugement des connoisseurs, lui donnoient un empire auquel il étoit impossible de résister. Hippias cependant, sous l’égide de l’indifférence <!--Page 134-->dans laquelle le laissoient alors les plus belles femmes, ne craignoit point d’exposer souvent sa vertu à ce danger. C’étoit singulierement à titre d’ami qu’il plaisoit à la belle Danaë : mais, si l’on en croit l’Histoire sécrette, elle ne l’avoit pas autrefois trouvé indigne d’occuper près de sa personne une place plus intéressante, ce qu’elle ne confioit jamais qu’aux hommes les plus aimables. Enfin, c’étoit d’elle qu’Hippias vouloit emprunter le secours, dont il avoit besoin, pour l’exécution du projet qu’il avoit formé contre Agathon. Il vouloit, à quelque prix que ce fût, vaincre cette vertu fanatique qui contrarioit si fort ses opinions. Il se rendit donc chez elle à l’heure <!--Page 135-->ordinaire ; c’est-à-dire pendant qu’elle étoit dans le bain, & que deux jeunes Esclaves plus beaux que l’Amour lui rendoient tous les petits services que cette situation éxigeoit. A peine le vit-elle qu’elle s’apperçut â l’air de son visage, qu’il étoit occupé de quelque chose d’extraordinaire.
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« Mais qu’as-tu donc Hippias, lui dit-elle, tu parois rêveur.»
heur à leur beauté qu’à leur modestie. Elles étoient dans l’habitude de prendre, les après-midi, pendant les mois chauds, des bains rafraichissans, & pour ne point s’y ennuyer, elles recevoient, pendant ce temps la visite des hommes à qui elles avoient accordé une libre entrée dans leurs maisons. Nos Dames aujourd’hui, les admettent à leur toilette : y ont-ils perdu ? Ce nouvel usage, ce semble, vaut bien l’autre. Il y a pourtant cette différence remarquable. C’est qu’à Smirne cette liberté ne s’accordait qu’aux amis dans la rigueur du mot. Les amans en étoient entiérement exclus. Il falloit, du moins, qu’ils fuient tout-à-fait novices. Alors, la nécesité de les instruire, de les en-
 
« Je ne sçais, répliqua-t-il, quand je viens voir une Dame au bain, ce qui pouroit me donner un air abstrait : mais je sçais bien que je ne t’ai jamais vue si belle qu’aujourd’hui.»
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« Bon dit-elle. Cela me prouve que j’ai deviné juste. Je suis sure que je ne suis pas mieux aujourd’hui qu’hier. Mais ton <!--Page 136-->imagination est montée sur un autre ton qu’à l’ordinaire, & tu attribues généreusement l’influence qu’elle a sur tes yeux à l’objet qui paroît devant toi. La plus laide de mes Soubrettes te paroitroit une des graves.»
courages & de vaincre leur timidité, forçoit de passer les bornes proscrites.
 
« Ma foi, dit Hippias, tu te trompes. Eusai-je l’imagination plus vive & plus brillante que Zeuxis, je ne pourois me former l’idée d’un objet plus aimable que Danaë.»
Hippias jouissoit de ce privilège chez presque toutes les beautés : mais elles ne lui inspiroient pas également le désir d’en faire urge. Il s’étoit fait un choix. Celle qui s’attiroit le plus sa préférence étoit la belle Danaë. Elle tenoit le premier rang dans la classe de ces Dames auxquelles les Grecs donnoient le nom d’amies, & qui n’étoient pas moins connues sous le titre de Dames de société. Ces Dames étoient, dans leur sexe, ce que les Sophistes étoient dans le leur. Elles ne jouissôient pas d’une moindre considération. Elles pouvoient se vanter, qu’excepté l’austère vertu, qui fait toujours bande
 
« Mais tu prends le ton le plus recherché de la galanterie.
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« Et toujours, dit Hippias, celui de la vérité. Je t’assure que je voudrois en ce moment are Jupiter.
à part, les modèles les plus parfaits de la beauté, les Aspalies, les Lcontiunt, les Phryné (a ) n’entrent point hésité à k mettre dans leur société. Danaë, de Pavcu de tous les hommes de Smirne, s’urpassoit en attraits toutes les autres Dames, 1es galantes, les prudes, les vertueuses & les dévotes. Il est vrai que l’histoire ne cuit point que les Dames aient confirmé cette opinion par leur iùfliage : mais il est certain qu’il n’y en avait pas une qui ne convînt qu’à l’exception d’une certaine personne qu’elle ne se permettoit jamais de nommer publiquement, la belle Danaë effacoit autant les autres qu’elle était elle-même eclipsée par cette modeste anoni-
 
« Ah ah ! Et que ferois-tu pour tromper à la fois ta chere Epou<!--Page 137-->se, & ma timide vertu ? Toutes les métamorphoses font épuisées, & grace aux Dieux, on ne pouroit pas trouver un seul Etre parmi les Animaux ailés, quadrupedes & rampans, qui n’eût déja servi à la séduction de quelque pauvre innocente.
<!--Page 133-->
 
« Oh ! j’en trouverois bien, moi, dit Hippias, & je ne réfléchirais pas longtemps : ce Moineau qui fait l’envie de tes Amans, qui, animé par les noms les plus tendres, voltige avec tant de liberté sur ton cou, 9:ti becquete si amoureusement ton beau sein, ne kt-oit pas, je crois, une métamorphose qui te déplairoit.»
me. Sa gloire étoit effectivement si bien établie de ce côté-là qu’on ne trouvoit rien d’extraordinaire
 
« Ce que je sçais de mieux, dit-elle, en souriant, c’est qu’il <!--Page 138-->te seroit, peut-être, plus facil de mettre 1e Moineau à ta place, que de te mettre à la place du Moineau. Mais en voila assez sur les merveilles que tu attribues à ma beauté. Parlons d’autre chose. Sçais-tu que j’ai congédié le beau Hyacinthe ? »
au bruit qui s’étoit répandu que, dans les premieres années de sa jeunesse, elle avoit servi de modèle aux Peintres les plus célebres, & que c’étoit même de là qu’elle avoit obtenu le nom sous lequel elle étoit si connue en Ionie. Elle étoit déja à sa trentieme année ; mais sa beauté y avoit plus gagné que perdu. L’éclat éblouissânt de la jeunesse, qui disparoit ordinairement, avec le Printems de la vie, étoit remplacé par mille autres charmes, qui au jugement des connoisseurs, lui donnoient un empire auquel il étoit impossible de résister. Hippias cependant, sous l’égide de l’indifférence
 
« Hyacinthe Î . .? s’écria Hippias avec étonnement.»
<!--Page 134-->
 
« Lui-méme. Et je suis dans la résolution de ne jamais le remplacer.»
dans laquelle le laissôient alors les plus belles femmes, ne craignoit point d’exposer souvent sa vertu à ce danger. C’étoit singulierement à titre d’ami qu’il plaisait à la belle Danaë : mais, si l’on en croit l’Histoire secrette, elle ne l’avoit pas autrefois trouvé indigne d’occuper près de sa personne une place plus intéressante, ce qu’elle ne confioit jamais qu’aux hommes les plus aimables. Enfin, c’étoit d’elle qu’Hippias vouloit emprunter le secours, dont il avoit besoin, pour l’exécution du projet qu’il avoit formé contre Agathon. Il vouloit, à quelque prix que ce fût, vaincre cette vertu fanatique qui contrarioit si fort ses opinions. Il se rendit donc chez elle à l’heure
 
« Oh ! voila, certainement, sur quoi tu ne voudrois pas faire une gageure.»
<!--Page 135-->
 
« Oh! FIOUL’cela fi. Je suis décidée. Je n’y tenois plus. Je suis n Iafl’e d’esuyer toutes les absurdites de ces impertinens infa-tués d’eux-mêmes, qui veulent <!--Page 139-->parler le langage du sentiment, & ne sentent rien, dont le cœur n’est pas seulement effleuré, quoiqu’ils parlent de passion, qui sont incapables d’aimer un autre objet qu’eux-mémes, ^S. . qui ne voudroient se servir de mes yeux, que comme d’un miroir pour y admirer le prix de leur petite figure. A peine croyent-ils avoir droit à nos bontés, qu’ils s’imaginent nous faire grace quand ils souffrent nos caresses avec un air distrait. Ils ne me jettent pas un regard qui ne me dise que je leur sers de jouet. La moitié de mes charmes est perdue pour eux, parce qu’ils n’ont point d’ame pour sentir la beauté d’une ame.»
ordinaire ; c’est-à-dire pendant qu’elle étoit dans le bain, & que deux jeunes Esclaves plus beaux que l’Amour lui rendoient tous les petits services que cette situation éxigeoit. A peine le vit-elle qu’elle s’apperçut â l’air de son visage, qu’il étoit occupé de quelque chose d’extraordinaire.
 
« Voilà, dit Hippias, ce qui <!--Page 140-->s’appelle un dépit bien fondé. Il est vraiment fâcheux de ne pouvoir faire comprendre aux hommes que lame est ce qu’il y a de plus aimable dans une femme. Mais tranquilise-toi. Tous les hommes ne l’eurent pas si matériellement, 8; j’en connois un qui te plairoit, si pour varier tes amusemens tu voulois drayer d’un amant qui est tout esprit.»
:« Mais qu’as-tu donc Hippias, lui dit-elle, tu parois rêveur.»
:« Je ne sçais, répliqua-t-il, quand je viens voir une Dame au bain, ce qui pouroit me donner un air abstrait : mais je sçais bien que je ne t’ai jamais vue si belle qu’aujourd’hui.»
:« Bon dit-elle. Cela me prouve que j’ai deviné juste. Je suis sure que je ne suis pas mieux aujourd’hui qu’hier. Mais ton <!--Page 136-->imagination est montée sur un autre ton qu’à l’ordinaire, & tu attribues généreusement l’influence qu’elle a sur tes yeux à l’objet qui paroît devant toi. La plus laide de mes Soubrettes te paroitroit une des graves.»
:« Ma foi, dit Hippias, tu te trompes. Eusai-je l’imagination plus vive & plus brillante que Zeuxis, je ne pourois me former l’idée d’un objet plus aimable que Danaë.»
:« Mais tu prends le ton le plus recherché de la galanterie.
:« Et toujours, dit Hippias, celui de la vérité. Je t’assure que je voudrois en ce moment are Jupiter.
:« Ah ah ! Et que ferois-tu pour tromper à la fois ta chere Epou<!--Page 137-->se, & ma timide vertu ? Toutes les métamorphoses font épuisées, & grace aux Dieux, on ne pouroit pas trouver un seul Etre parmi les Animaux ailés, quadrupedes & rampans, qui n’eût déja servi à la séduction de quelque pauvre innocente.
:« Oh ! j’en trouverois bien, moi, dit Hippias, & je ne réfléchirais pas longtemps : ce Moineau qui fait l’envie de tes Amans, qui, animé par les noms les plus tendres, voltige avec tant de liberté sur ton cou, 9:ti becquete si amoureusement ton beau sein, ne kt-oit pas, je crois, une métamorphose qui te déplairoit.»
:« Ce que je sçais de mieux, dit-elle, en souriant, c’est qu’il <!--Page 138-->te seroit, peut-être, plus facil de mettre 1e Moineau à ta place, que de te mettre à la place du Moineau. Mais en voila assez sur les merveilles que tu attribues à ma beauté. Parlons d’autre chose. Sçais-tu que j’ai congédié le beau Hyacinthe ? »
:« Hyacinthe Î . .? s’écria Hippias avec étonnement.»
:« Lui-méme. Et je suis dans la résolution de ne jamais le remplacer.»
:« Oh ! voila, certainement, sur quoi tu ne voudrois pas faire une gageure.»
:« Oh! FIOUL’cela fi. Je suis décidée. Je n’y tenois plus. Je suis n Iafl’e d’esuyer toutes les absurdites de ces impertinens infa-tués d’eux-mêmes, qui veulent <!--Page 139-->parler le langage du sentiment, & ne sentent rien, dont le cœur n’est pas seulement effleuré, quoiqu’ils parlent de passion, qui sont incapables d’aimer un autre objet qu’eux-mémes, ^S. . qui ne voudroient se servir de mes yeux, que comme d’un miroir pour y admirer le prix de leur petite figure. A peine croyent-ils avoir droit à nos bontés, qu’ils s’imaginent nous faire grace quand ils souffrent nos caresses avec un air distrait. Ils ne me jettent pas un regard qui ne me dise que je leur sers de jouet. La moitié de mes charmes est perdue pour eux, parce qu’ils n’ont point d’ame pour sentir la beauté d’une ame.»
:« Voilà, dit Hippias, ce qui <!--Page 140-->s’appelle un dépit bien fondé. Il est vraiment fâcheux de ne pouvoir faire comprendre aux hommes que lame est ce qu’il y a de plus aimable dans une femme. Mais tranquilise-toi. Tous les hommes ne l’eurent pas si matériellement, 8; j’en connois un qui te plairoit, si pour varier tes amusemens tu voulois drayer d’un amant qui est tout esprit.»
:« Je t’écoute : mais en vérité, je conçois très-peu, malgré cela, ce que tu veux me dire avec ton Ani.! nt tout e1j rit. Quel est donc cet Etre singulier ? »
:« C’est un jeune homme qui effàce tous les Hyacinthes du monde. Il est plus beau qu’A.do-ms.»
 
« Je t’écoute : mais en vérité, je conçois très-peu, malgré cela, ce que tu veux me dire avec ton Ani.! nt tout e1j rit. Quel est donc cet Etre singulier ? »
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« C’est un jeune homme qui effàce tous les Hyacinthes du monde. Il est plus beau qu’A.do-ms.»
:« Ah ! Ne m’en parle pas, Hippias ! Tu ne sçais pas à quel point je suis dégoutée de tous ces jolis Seigneurs.»
:« Celui-ci te plaira, je t’en réponds. Il n’a aucun des défauts de ces Narcisses qui te sont si odieux. A peine paroît-il sçavoir qu’il a un corps.»
:« Comment ? Que dis-tu? »
:« C’est un homme tout-à-fait extraordinaire. Beau comme Appollon ; mais si spiritualisé, que je le comparerois volontiers au Zéphir. Ce n’est qu’une anse, & tu ne sçais pas ? »
:« Quoi ? »
:« Il te prendroit toi-meme, & telle que te voilà, pour une ame pure, immatérielle&hellip; Hé bien <!--Page 142-->conçois-tu l’idée que je t’en donne ? »
:« Fort peu je te l’avoue. Malgre cela ce que tu m’en dis me plaît&hellip; Tu ris&hellip; Tu me trompes.»
:« Non, vraiment. Je te parle sérieusement. Si tu as envie de goûter d’un amour métaphisique, j’ai ton homme. Il est plus platonique que Platon même&hellip; Car, si je me le rappelle bien, ce sage célébre, m’as-il dit&hellip;»
:« Oui, je me fouviens, dit Danaë, en souriant, d’une petite distraction qu’il eut avec une de mes amies&hellip; Mais quel est l’esprit auquel une jeune Fille u de dix-huit ans ne donneroit pas un corps ?
 
<!--Page 141-->« Ah ! Ne m’en parle pas, Hippias ! Tu ne sçais pas à quel point je suis dégoutée de tous ces jolis Seigneurs.»
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« Celui-ci te plaira, je t’en réponds. Il n’a aucun des défauts de ces Narcisses qui te sont si odieux. A peine paroît-il sçavoir qu’il a un corps.»
:« Eh bien ! Tu ne convois donc pas encore le Galant que te je propose ? La Déesse de Paphos, ou plutôt toi-même, ne pouroit pas faire cet effet-là sur lui. Oh ! Tu peux, certainement, le gareder autour de toi jour & nuit&hellip; tu peux le mettre à l’épreuve&hellip; Je dirai plus, tu peux aller jusqu’à le faire coucher avec toi. Ne crains pas qu’il te donne lieu de placer seulement la moindre petite exclamation. En un mot ta vertu peut sommeiller à côté de lui, fort tranquilement, & sans être exposée au danger d’être éveillée.»
:« Ah ! je t’entends à présent, dit Danaë d’un air piqué. Il étoit inutile de pousser si loin le badinage. Je ne demande point <!--Page 144-->un amant qui ne s’attache à mon ame, que parce que le reste ne peut être d’aucun prix pour lui.»
:« Tu te fâches ? Eh! Mais celui dont je te fais l’éloge n’a point du tout de cette classe. Tu crois que son insensibilité est la suite de quelque accident Physique. Point du tout ; c’est l’effet de la vertu & de la sublime Philosophie dont il fait profession.»
:« Je ne sçais toujours point si tu ne badines pas. Mais je t’avoue que tu me donnes une vive curiosité de le voir. Sçais-tu, cependant que ma vanité ne s’accommoderoit pas de me voir aimée si froidement ? Je suis excédée, à la verité, de toutes ces machines qui me disent <!--Page 145-->qu’elles m’adorent : mais je serois également mécontente d’un Amant qui seroit tout-à-fait insensible. Une femme est toujours bien aise d’inspirer des desirs, quoique souvent elle ne u se sente point d’humeur à les satisfaire. Les précieuses meme ne font pas éxemptes de cette foiblesse, & qu’avons-nous besoin d’entendre un amant vanter nos charmes ? Nous voulons voir s’il dit vrai, par l’effet que nous faisons sur lui. Plus il est sage, plus il est flateur pour notre vanité de le faire sortir de lui-même. Non, tu ne conçois pas le plaisir que nous causent toutes les sottises que nous faisons fàire à cés maîtres de la création. Un Philosophe qui <!--Page 146-->soupire à mes pieds, qui, pour me faire plaisir se parfume & met tous ses soins à mon ajustement, babille avec mon petit Chien, & fait des odes sur mon Moineau.... Ah ! Hippias, il faut être Femme pour sentir tout le plaisir que cade le ridicule....»
:« Je te plains, » répliqua mali finement le Sophiste en l’interrompant. « Tu seras forcée de renoncer à ce plaisir avec l’Amant dont je te parle. Il a déja résisté à des épreuves .... Son cœur pourtant est bien tendre. Mais je te l’ai dit, ce n’est que pour l’amie des belles. Tout le reste ne fait pas plus d’impression sur lui qu’un tableau ou une statue.»
 
« Comment ? Que dis-tu? »
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« C’est un homme tout-à-fait extraordinaire. Beau comme Appollon ; mais si spiritualisé, que je le comparerois volontiers au Zéphir. Ce n’est qu’une anse, & tu ne sçais pas ? »
:« Hé bien Nous verrons cela, dit Danaë un peu piquée. Je prétens que tu me l’amenes ce soir. Je n’aurai chez moi qu’une petite compagnie qui ne nous gênera point. Mais voilà une heure que nous parlons de cet homme extraordinaire, & tu ne m’as point encore dit qui il est...»
:« Ce n’est qu’un Esclave, » repartit Hippias ; « que j’achetai il y a quelques semainès d’un Pirate Cilicien. Mais sous cet habit, c’est un homme comme on n’en voit nulle part. Il a été élevé dans le Temple d’Apollon, à Delphes...»
:« Et, peut-être, dit, en souriant, Danaë, est-il redevable de son éxistence â quelqu’amou<!--Page 148-->rette anti-platonique de c » Dieu ? Oui, quelque bergére se sera. hazardée à pénétrer trop avant dans l’es bosquets de Laurier .. .
:« Mais, reprit Hyppias, quel que soit sa naissance, il a passé ensuite à Athènes un temps considérable. C’est là que les beaux discours de Platon ont achevé l’éducation romanesque dont il avoit reçu les principes dans les bois sacrés de Delphes. Il tomba, par accident, dans les mains d’une troupe de Pirates. Ils l’ont amené ici, & le hazard me l’a fàit acheter. Il l’appellent Pythocles. Ce sont des noms que je déteste. Je le nommai Caillas, & je l’avoue : il mérite de porter ce nom; je n’ai <!--Page 149-->jamais vu d’homme mieux fait. Ses talens confirment la bonne opinion qu’il donne de lui au premier aspect. Il a de l’esprit, du goût, il est éloquent : il sçait beaucoup. Il aime les Muses, & il en est favorisé. Mais avec tous ces avantages ce n’est pourtant rien de plus qu’une tête singuliere, un fanatique, un homme inutile â la société. Il donne à son caprice le nom de vertu, parce qu’il s’imagine que la vertu doit être l’opposée de la nature. Il prend les extravagances de son imagination pour de la raison, parce qu’il les a mises en système. Il se croit sage parce qu’il rêve d’une manière méthodique. Il me plut aussitôt que je le vis. Je pris <!--Page 150-->la resolution d’en faire quelque chose, j’ai essayé : mais toutes mes tentatives ont été inutiles. Je crois qu’il n’y a qu’une femme qui puisse le corriger. On ne peut gagner son esprit que par son cœur & cette entreprise seroit assurément digne de toi, belle Danaë.»
:« Et si je ne réussissois pas ?»
:« C’est qu’il seroit incorrigible. Je l’abandonnerois à sa folie & à son sort.»
:« Tu as irrité mon ambition. Amènes-le ce soir ; je veux le voir, & s’il est composé des mêmes démens que les autres fils de la terre, ne t’inquiete pas. Danaë se rendra digne de celle qui l’a instruite dans l’art de les assujettir.»
 
« Quoi ? »
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« Il te prendroit toi-meme, & telle que te voilà, pour une ame pure, immatérielle&hellip; Hé bien <!--Page 142-->conçois-tu l’idée que je t’en donne ? »
Hippias satisfait d’avoir si bien réussi dans le but de sa visite, se retira en promettant d’amener son jeune homme à l’heure indiquée. « N’y manque pas, au moins, » s’écria Danaë, comme il étoit presque déja hors de sa vue. « Certainement », dit-il, en se retournant.
 
« Fort peu je te l’avoue. Malgre cela ce que tu m’en dis me plaît&hellip; Tu ris&hellip; Tu me trompes.»
 
« Non, vraiment. Je te parle sérieusement. Si tu as envie de goûter d’un amour métaphisique, j’ai ton homme. Il est plus platonique que Platon même&hellip; Car, si je me le rappelle bien, ce sage célébre, m’as-il dit&hellip;»
 
« Oui, je me fouviens, dit Danaë, en souriant, d’une petite distraction qu’il eut avec une de mes amies&hellip; Mais quel est l’esprit auquel une jeune Fille u de dix-huit ans ne donneroit pas un corps ?
 
<!--Page 143-->« Eh bien ! Tu ne convois donc pas encore le Galant que te je propose ? La Déesse de Paphos, ou plutôt toi-même, ne pouroit pas faire cet effet-là sur lui. Oh ! Tu peux, certainement, le gareder autour de toi jour & nuit&hellip; tu peux le mettre à l’épreuve&hellip; Je dirai plus, tu peux aller jusqu’à le faire coucher avec toi. Ne crains pas qu’il te donne lieu de placer seulement la moindre petite exclamation. En un mot ta vertu peut sommeiller à côté de lui, fort tranquilement, & sans être exposée au danger d’être éveillée.»
 
« Ah ! je t’entends à présent, dit Danaë d’un air piqué. Il étoit inutile de pousser si loin le badinage. Je ne demande point <!--Page 144-->un amant qui ne s’attache à mon ame, que parce que le reste ne peut être d’aucun prix pour lui.»
 
« Tu te fâches ? Eh! Mais celui dont je te fais l’éloge n’a point du tout de cette classe. Tu crois que son insensibilité est la suite de quelque accident Physique. Point du tout ; c’est l’effet de la vertu & de la sublime Philosophie dont il fait profession.»
 
« Je ne sçais toujours point si tu ne badines pas. Mais je t’avoue que tu me donnes une vive curiosité de le voir. Sçais-tu, cependant que ma vanité ne s’accommoderoit pas de me voir aimée si froidement ? Je suis excédée, à la verité, de toutes ces machines qui me disent <!--Page 145-->qu’elles m’adorent : mais je serois également mécontente d’un Amant qui seroit tout-à-fait insensible. Une femme est toujours bien aise d’inspirer des desirs, quoique souvent elle ne u se sente point d’humeur à les satisfaire. Les précieuses meme ne font pas éxemptes de cette foiblesse, & qu’avons-nous besoin d’entendre un amant vanter nos charmes ? Nous voulons voir s’il dit vrai, par l’effet que nous faisons sur lui. Plus il est sage, plus il est flateur pour notre vanité de le faire sortir de lui-même. Non, tu ne conçois pas le plaisir que nous causent toutes les sottises que nous faisons fàire à cés maîtres de la création. Un Philosophe qui <!--Page 146-->soupire à mes pieds, qui, pour me faire plaisir se parfume & met tous ses soins à mon ajustement, babille avec mon petit Chien, & fait des odes sur mon Moineau.... Ah ! Hippias, il faut être Femme pour sentir tout le plaisir que cade le ridicule....»
 
« Je te plains, » répliqua mali finement le Sophiste en l’interrompant. « Tu seras forcée de renoncer à ce plaisir avec l’Amant dont je te parle. Il a déja résisté à des épreuves .... Son cœur pourtant est bien tendre. Mais je te l’ai dit, ce n’est que pour l’amie des belles. Tout le reste ne fait pas plus d’impression sur lui qu’un tableau ou une statue.»
 
<!--Page 147-->« Hé bien Nous verrons cela, dit Danaë un peu piquée. Je prétens que tu me l’amenes ce soir. Je n’aurai chez moi qu’une petite compagnie qui ne nous gênera point. Mais voilà une heure que nous parlons de cet homme extraordinaire, & tu ne m’as point encore dit qui il est...»
 
« Ce n’est qu’un Esclave, » repartit Hippias ; « que j’achetai il y a quelques semainès d’un Pirate Cilicien. Mais sous cet habit, c’est un homme comme on n’en voit nulle part. Il a été élevé dans le Temple d’Apollon, à Delphes...»
 
« Et, peut-être, dit, en souriant, Danaë, est-il redevable de son éxistence â quelqu’amou<!--Page 148-->rette anti-platonique de c » Dieu ? Oui, quelque bergére se sera. hazardée à pénétrer trop avant dans l’es bosquets de Laurier .. .
 
« Mais, reprit Hyppias, quel que soit sa naissance, il a passé ensuite à Athènes un temps considérable. C’est là que les beaux discours de Platon ont achevé l’éducation romanesque dont il avoit reçu les principes dans les bois sacrés de Delphes. Il tomba, par accident, dans les mains d’une troupe de Pirates. Ils l’ont amené ici, & le hazard me l’a fàit acheter. Il l’appellent Pythocles. Ce sont des noms que je déteste. Je le nommai Caillas, & je l’avoue : il mérite de porter ce nom; je n’ai <!--Page 149-->jamais vu d’homme mieux fait. Ses talens confirment la bonne opinion qu’il donne de lui au premier aspect. Il a de l’esprit, du goût, il est éloquent : il sçait beaucoup. Il aime les Muses, & il en est favorisé. Mais avec tous ces avantages ce n’est pourtant rien de plus qu’une tête singuliere, un fanatique, un homme inutile â la société. Il donne à son caprice le nom de vertu, parce qu’il s’imagine que la vertu doit être l’opposée de la nature. Il prend les extravagances de son imagination pour de la raison, parce qu’il les a mises en système. Il se croit sage parce qu’il rêve d’une manière méthodique. Il me plut aussitôt que je le vis. Je pris <!--Page 150-->la resolution d’en faire quelque chose, j’ai essayé : mais toutes mes tentatives ont été inutiles. Je crois qu’il n’y a qu’une femme qui puisse le corriger. On ne peut gagner son esprit que par son cœur & cette entreprise seroit assurément digne de toi, belle Danaë.»
 
« Et si je ne réussissois pas ?»
 
« C’est qu’il seroit incorrigible. Je l’abandonnerois à sa folie & à son sort.»
 
« Tu as irrité mon ambition. Amènes-le ce soir ; je veux le voir, & s’il est composé des mêmes démens que les autres fils de la terre, ne t’inquiete pas. Danaë se rendra digne de celle qui l’a instruite dans l’art de les assujettir.»
 
<!--Page 151-->Hippias satisfait d’avoir si bien réussi dans le but de sa visite, se retira en promettant d’amener son jeune homme à l’heure indiquée. « N’y manque pas, au moins, » s’écria Danaë, comme il étoit presque déja hors de sa vue. « Certainement », dit-il, en se retournant.
 
==== Notes ====
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=== CHAPITRE III Histoire de la belle Danaë. ===