« Histoire d’Agathon ou Tableau philosophique des moeurs de la Grèce - Tome 2 » : différence entre les versions
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=== CHAPITRE V. L’Anti-Platonisme en abrégé ===
<br />Nos anciens Tournois avoient de la resemblance avec quelques uns de ces éxercices. Mais je ne sçais si pour donner quelque prix à leur maniére de se battre la plus familiére nos voisins doivent s’autoriser de l’exemple des Grecs.</ref> poussés au <!--Page 82-->plus haut degré de perfection. Les hommes de leur côté n’auroient qu’une voix pour choisir la <!--Page 83-->plus belle des femmes parmi celles d’un peuple qui, dans leur éducation, s’occupe principalement du développement & de la culture de la beauté naturelle & porte ce soin au plus haut degré de la possibilité. Ainsi le Spartiate serait probablement déclaré le plus bel homme, & la plus belle femme seroit une Persanne. Les Grecs qui préférent les graces à la beauté, parce que les dames Grecques sont plus jolies que belles, n’en choisiroient pas moins par goût une fille de Paphos ou de Milet. Le Sérien préféreroit de son côté l’embonpoint & le visage rond de sa compatriote : mais les uns & les autres, malgré leurs inclinations particuliéres, conviendroient que la Per<!--Page 84-->sanne est la plus belle. N’en est-il pas à-peu-près de même pour le beau moral ? La différence des idées dans les différentes zones est toute aussi grande à cet égard que pour la beauté. On ne peut nier pourtant que les mœurs de la Nation qui est la plus spiriruelle, la plus gaie, la plus sociable, la plus agréable n’ayent la préférence. La politesse sans affectation, les maniéres engageantes des Athéniens doivent-être plus agréables aux étrangers que la politesse mesurée, sérieuse & pleine de cérémonies des Orientaux. L’air obligeant, l’apparence d’aménité qu’ils sçavent donner à leurs moindres actions, leur doit faire obtenir sur la sérieuse roideur du Persan ou la rude bon<!--Page 85-->hommie du Scythe la même préférence, qu’une dame de Smirne, qui ne cache & ne découvre pas entiérement à la vue sa beauté, doit avoir sur l’orientale voilée ou sur la nudité animale d’une sauvage. Le modèle de la Nation la plus éclairée & la plus sociable paroît donc être la vraie regle du beau moral ou de ce qui est décent : ainsi Athènes & Smirne sont les écoles où il faut former son goût & ses maniéres.
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<!--Page 90-->Les Sophistes dont la morale ne se fonde pas sur des idées abstraites, mais sur la Nature & sur le véritable état des choses, trouvent les hommes à chaque endroit tels qu’ils peuvent être. Ils n’estiment pas plus en lui-même un homme d’Etat à Athènes qu’un Histrion à Persépolis, & une Matrone respectable à Sparte n’est pas un être plus précieux à leurs yeux qu’une Laïs à Corinthe. Il est vrai que l’Histrion à Athènes & la Laïs à Sparte seroient nuisibles : mais si un Aristide à Persépolis & une matrone Spartiate à Corinthe n’étoient pas aussi nuisibles, ils y seroient, du moins, tout-à-fait inutiles. Les Idéalistes, comme j’ai coutume d’appeller ces Philosophes qui veulent ab<!--Page 91-->solument refondre le monde selon leurs idées, forment de leurs disciples des hommes qui sont par-tout déplacés, parce que leur morale suppose une législation qu’on ne trouve nulle part. Ils demeurent pauvres & mésestimés, parce qu’un Peuple n’accorde de l’estime & des récompenses qu’à ceux qui contribuent à son bien-être ou, du moins, paroissent y contribuer. On les regarde même comme des corrupteurs de la jeunesse, comme de secrets ennemis de la société. L’éxil ou la coupe empoisonnée est souvent même, à la fin, le salaire de tous les efforts ingrats qu’ils ont fait pour élever les hommes au-dessus de la matiére dans la classe des êtres idéaux. Les Sophistes <!--Page 92-->sont plus prudens que ces Sages Imaginaires, qui, comme ce joueur de flûte d’Aspondus, ne chantent que pour eux-mêmes : ils laissent aux Loix de chaque Peuple à fixer aux Citoyens les règles du juste & de l’injuste. Ils n’appartiennent à aucun corps particulier, & jouissent par-là des priviléges d’un Cosmopolite. Ils témoignent, en apparence, une estime extérieure aux Loix & au Culte de chaque Peuple avec lequel ils vivent, mais c’est uniquement pour se garantir des véxations qu’ils éprouveroient de la part de ceux qui sont chargés de faire éxécuter les Loix ou des Ministres qui font observer le Culte. Ils n’ont dans le fonds aucune autre loi que cette Loi <!--Page 93-->universelle de la Nature qui prescrit à l’homme son propre bien-être pour seul but. Tout ce qui met des bornes à leur liberté naturelle se réduit à une seule chose. C’est d’observer une prudence utile qui leur prescrit de donner à leurs actions l’apparence, le coloris & l’ornement convenables pour plaire à ceux auxquels ils ont affaire. Le beau moral est à nos actions ce qu’est la parure à une belle femme. Il est aussi nécessaire de modeler sa conduite d’après les préjugés & le goût de ceux avec lesquels on vit, qu’il est nécessaire de s’habiller comme eux. Un homme qui n’est formé que d’après un modèle particulier mérite d’être enchaîné à ses foyers comme ces statues de Dédale <!--Page 94-->qui se promenoient<ref group="V">Dédale étoit le Vaucanson de la Grèce. Il fit des statues mouvantes & des machines qui lui donnerent une réputation immortelle. Dans la crainte que Talus son neveu ne l’emportât sur lui dans son art, on dit qu’il le fit périr, & qu’il s’enfuit ensuite dans l’Isle de Crête, où il bâtit ce fameux Labyrinthe qui porte son nom.</ref>. Il n’est nulle part à sa place que parmi ses égaux. Un Spartiate ne joueroit pas mieux le rôle du premier esclave d’Artaxerxe qu’un Sarmate seroit en état d’être Polemarque<ref group="V">Polemarque, dignité militaire.</ref> à Sparte. Le sage au contraire est l’homme universel ; l’homme à qui toutes les couleurs, toutes les circonstances, toutes les conditions, toutes les situations conviennent également. Il l’est parce qu’il n’a point <!--Page 95-->de préjugés, point de passions particuliéres, enfin il l’est plus précisément encore parce qu’il n’est qu’homme. Il plaît partout, parce que par tout où il va il s’accommode aux préjugés & aux sottises qu’il rencontre.
Comment ne seroit-il pas aimé ? N’est-il pas toujours plein de zéle pour contribuer à l’avantage des autres ? Pour approuver leur idées ? Pour flater leurs passions? Ne sçait-il pas que les hommes n’aiment rien plus tendrement que leurs défauts ? Qu’il n’est rien dont ils soient moins convaincus que de leurs erreurs ? Il n’y auroit certainement pas de moyen plus sûr pour se faire détester d’eux que de leur découvrir une vérité qu’ils ne voudroient <!--Page 96-->pas sçavoir. Ainsi bien loin de vouloir les détromper ou de leur présenter un miroir qui leur montreroit leur laideur, le sage fortifie les sots dans l’idée que rien n’est plus absurde que d’avoir de l’esprit, le prodigue dans l’opinion qu’il est généreux, l’avare dans la pensée qu’il est bon économe. Il entretient la laide dans la douce imagination qu’elle en est d’autant plus spirituelle. Il augmente sa persuasion qu’a l’opulent d’étre à la fois un politique, un sçavant, un héros, un protecteur des Muses, un favori des dames. Il admire le systême du philosophe, l’ignorance arrogante du courtisan, les grands exploits du général. Il accorde au Maître de danse, sans la moin<!--Page 97-->dre contradiction, que Cimon eût été le plus grand homme de la Grèce, s’il eût mieux sçu poser ses pieds, & il convient avec le peintre qu’il faut plus de génie pour être Zeuxis que pour être Homère.
Cette maniére de fréquenter les hommes lui est d’un avantage infiniment plus grand qu’on ne le pense au premier aspect. Elle lui gagne leur amour, leur confiance. L’opinion qu’ils prennent de son mérite est toujours d’autant plus grande qu’il
▲Cette maniére de fréquenter les hommes lui est d’un avantage infiniment plus grand qu’on ne le pense au premier aspect. Elle lui gagne leur amour, leur confiance. L’opinion qu’ils prennent de son mérite est toujours d’autant plus grande qu’il paroit en avoir du leur, & elle est le moyen le plus sûr d’arriver au plus haut degré de la Fortune ; car tu ne penses pas, sans doute, que ce sont les plus grands talens, le mérite le plus distingué qui fassent seuls
un Archonte, un Général, un Satrape ou le favori d’un Prince ; tu serôis dans une grande erreur. Jette les yeux sur les Républiques qui t’entourent. Tu verras que ce Magistrat ne doit son autorité qu’à l’air agréable dont il salue les Citoyens, un autre à la périphérie emphatique de son embonpoint, un troisiéme â la beauté de sa femme, un quatriéme à sa voix insinuante. Vas à la Cour des Rois, tu trouveras des gens qui doivent leur état brillant à la recommandation d’un valet de chambre, à la faveur d’une dame qui a cautionné leurs talens, à la facilité de s’endormir quand leurs femmes reçoivent certaines visites. Rien n’en plus commun dans ce pays d’enchan.1
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