« Melænis » : différence entre les versions
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{{titrePoeme|[[Auteur:Louis Bouilhet|Louis Bouilhet]]||
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<poem>
L’auteur n’est pas de ceux qui cherchent les scandales,
Mais depuis Romulus, bien d’autres l’ont été !
Ligne 172 :
Qu’on voit grandir, la nuit, dans un songe fébrile,
Quand arrive aux vivants la visite des morts.
Par un matin joyeux, quand le soleil éclaire
Ligne 185 :
<poem>
Et lui tendant la main :
Paulus sentit des pleurs lui mouiller la prunelle
Et jeta sur Staphyle un regard plein d’émoi.
Ligne 322 :
Paulus, sans hésiter, heurta la porte close.
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/27]]==
<poem>
S’éclaira cependant, et Paulus pensa bien
Que le son des écus lèverait tout scrupule.
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Habile à se plier au goût de l’auditeur.
La cause fut gagnée, et, sans plus de murmure :
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/28]]==
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Paulus était parfait ; sa chevelure noire
Ondulait sur son front, son regard plein de feu
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/31]]==
<poem>
Il avait un sourire aux belles dents d’ivoire :
Ni grand, ni trop petit, il tenait le milieu.
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Elle le regardait mollement inclinée,
Puis craintive et vers lui soulevant ses grands yeux :
Paulus, en souriant, prit ses mains dans la sienne :
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/32]]==
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Comprit notre héros, mais il était charmant
Et présentait à l’oeil l’étoffe d’un amant
Solide, — en faut-il plus aux femmes ? —
Pour Paulus, il nageait dans le ravissement.
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Qu’un bon gîte la nuit et qu’une fille aimable !
Elle avait sur son cou jeté ses bras de lait :
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/33]]==
<poem>
Répandaient çà et là leur reflet incertain
Sur les buveurs couchés parmi les flots de vin.
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Bénissant les destins qui le servaient ainsi.
Ils montèrent tous deux le long du mur noirci.
— Paulus avait vingt ans,
Magnanimes lecteurs, n’en prenez de souci !</
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/35]]==▼
▲ DEUXIÈME
<poem>
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Si l’on ne mange pas, que faire dans la vie ?
Faisait les deux ensemble avec distinction.
Toute chose frivole est d’un retour suivie :
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Joyeux comme un baiser, légers comme une haleine :
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/47]]==
<poem>
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/48]]==
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— Et que le lièvre pousse aux rêves amoureux.
Avant d’aller plus loin, je m’arrête, et pour cause,
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C’était un hôte aimable et discret par nature,
Qui de l’urbanité suivait toutes les lois ;
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/50]]==
<poem>
Interrogeant son monde avec discernement,
Le rhéteur sur les mots, l’histrion sur la danse,
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Cependant, roulant l’oeil et gonflant sa narine,
L’élève de Platon étalait sa doctrine :
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/51]]==
<poem>
De l’autre il ramena sa tunique. — A vrai dire,
Il se peut qu’on empêche un fleuve de couler,
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Rejetant ses cheveux, comme un lion d’Afrique
Sa crinière, et la voix modulée avec art :
Dans une coupe d’ambre aux perles de corail.
Le philosophe grec devint bleu de colère,
Ligne 856 ⟶ 844 :
Puis il adoucissait l’hyperbole trop vive
Par des preuves sans nombre et des citations :
« — Et Platon ?" dit le Grec. "—▼
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/54]]==
<poem>
« — Je cherchais, dit Paulus, une transition.▼
« Et d’abord, je ferai cette concession▼
« Que d’un style sublime il orna ses ouvrages,▼
« Mais son esprit rêveur se perd dans les nuages,▼
« Et trop loin de ce monde emporte la raison.▼
« Moi, je reste sur terre, et la métempsycose▼
« Me paraît quelquefois une admirable chose ;▼
« J’aime la vie éparse au sein de l’univers,▼
« Et l’âme qui s’agite en ses états divers,▼
« Exhalant ses parfums dans la fleur demi-close,▼
« Volant avec l’oiseau, rampant avec les vers.▼
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/55]]==
<poem>
Et Coracoïdès, armé d’un long bâton,
Vint tomber au milieu de la table agitée :
Ligne 897 ⟶ 883 :
Dont le nez comme un bec caressait le menton.
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/56]]==
<poem>
Je veux ta bague d’or, dit le nain en courroux.
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/57]]==
<poem>
Puis le drôle en parlant prenait de telles poses
Que tous les conviés se tordaient sur leurs lits.
Ligne 952 ⟶ 937 :
Jusqu’au lit du rhéteur, le bouffon se glissa,
Furtif et l’oeil au guet ; puis tout bas, à l’oreille :
Entre Paulus et lui la chose se passa.
Ligne 986 ⟶ 971 :
Laissons courir Paulus où son amour le guide,
Puisqu’on est bien ici, pourquoi chercher ailleurs ?
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/60]]==
<poem>
Mais un repas d’édile a bien son beau côté ;
Epicure, le soir, trouve l’amour blâmable
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Le rhéteur aussitôt composa sa tournure,
Et, jusque sous les bras, remontant sa ceinture :
— Ami, tu le sais bien, je ne suis pas déesse,
Reprit la douce voix aux sons harmonieux,
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/63]]==
<poem>
Et, des mains écartant un beau rosier punique,
Ligne 1 075 ⟶ 1 058 :
Phébé, du fond des cieux, donnait en plein sur elle.
Et roulant dans ses doigts le collier qui ruisselle,
De la gorge pudique il cherchait les chemins.
Ligne 1 088 ⟶ 1 071 :
Sonner les bleus saphirs de ses pendants d’oreilles.
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/65]]==
<poem>
Marcia l’écoutait rieuse et confiante :
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/66]]==
<poem>
Elle étreignit Paulus en palpitant d’émoi ;
Pâle et le sein brûlant d’ardente volupté,
Ligne 1 149 ⟶ 1 131 :
Marcius écumant apparut devant eux,
Un esclave à côté l’éclairait immobile.
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/68]]==
Ligne 1 171 ⟶ 1 153 :
C’est ce qui reste à faire en un pareil moment.
Et Marcius, tournant comme un loup dans sa cage,
Allait de l’un à l’autre.
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/69]]==
<poem>
Mais ses bras étendus retombèrent, sa tête
S’injecta ; car Paulus, pendant cette tempête,
Ligne 1 199 ⟶ 1 180 :
<poem>
La foule, en un moment, dans l’ombre s’éparpille.
Ligne 1 213 ⟶ 1 194 :
Et les rouges flambeaux se croisent en fuyant.
— Il eut beau s’emporter, Paulus était absent.
</poem>
Ligne 1 221 ⟶ 1 202 :
Sa colère dès lors ne connut plus d’entrave,
Il saisit un épieu, sur le sable gisant :
— Et soudain au discours il joignit l’action
Ligne 1 244 ⟶ 1 225 :
Et la lune entoura de son voile argenté
Les deux cadavres froids, étendus sur la terre.
D’un bosquet où, par crainte, il s’était arrêté ;
Après ce beau discours, le nain tourna la tête,
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Ses longs regards suivaient la route Tiburtine :
Le parasite au bond saisit la récompense,
Jura d’être discret et s’éloigna soudain ;
Gaiement les pièces d’or lui sonnaient dans la main.
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/75]]==
<poem>
Chacun, sans qu’on la nomme, eût reconnu, je pense,
Celle qu’un soir Paulus trouva sur son chemin ;
Ligne 1 309 ⟶ 1 289 :
Et, par les nuits d’été, chantait aux carrefours ;
Pâle, elle frémissait, puis levant ses yeux lourds
Au ciel :
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/76]]==
<poem>
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/77]]==
<poem>
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/78]]==
<poem>
</poem> ==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/79]]==▼
▲ TROISIÈME
<poem>
J’ai bâti quelquefois ce projet fantastique
Ligne 1 387 ⟶ 1 366 :
<poem>
Je disais :
Mais les soupers sont longs, mais on se couche tard ;
On a passé la nuit dans de folles ivresses ;
Ligne 1 462 ⟶ 1 441 :
Par contraste, et du coup l’histoire était finie.
Il en eut le cœur fade et la tête engourdie :
Et son corps s’affaissa sur ses membres perclus.
</poem>
Ligne 1 545 ⟶ 1 524 :
Et tous accompagnés d’une exclamation,
De longs trépignements, de notes gutturales :
— Gaulois, pourquoi me fuir ? J’en veux à ton poisson ! »
</poem>
Ligne 1 578 ⟶ 1 557 :
Il parait et frappait, se courbant à demi,
Et s’arrêtant parfois, sur sa jambe affermi.
Dit le gladiateur, apercevant notre homme,
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/90]]==
<poem>
L’homme au glaive de bois mit son front dans sa main
Et parut réfléchir, puis relevant la face :
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/91]]==
<poem>
Il avait dans la voix une telle puissance,
Que Paulus, malgré lui, se voyait terrassé.
Il reprit :
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/92]]==
<poem>
Et Mirax, l’oeil en feu, la narine gonflée,
Ligne 1 661 ⟶ 1 639 :
Les soins de Staphyla, ses travaux, son amour.
Le vieux gladiateur souriait comme un père :
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/94]]==
Ligne 1 774 ⟶ 1 752 :
Quand Paulus aperçut le bouffon de l’édile.
Il écarta la foule, et, debout près du nain :
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/99]]==
<poem>
A ce commandement le peuple fut docile,
Car le soleil frappait sur son casque d’airain.
Ligne 1 789 ⟶ 1 766 :
Il allait retrouver sa maîtresse en litière.
— C’est lui ! dit le bouffon. — Silence ! On nous entend !
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/100]]==
<poem>
En bénissant le ciel, Paulus prit ses tablettes,
Et d’une main tremblante il y traça son nom :
A peine eut-il jeté ces phrases inquiètes,
Qu’aux thermes de Commode il s’élança d’un bond.
Ligne 1 999 ⟶ 1 976 :
Car il frappait la terre en comptant sur ses doigts ;
Notre gladiateur oublia sa prudence :
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/110]]==
Ligne 2 011 ⟶ 1 988 :
Pareil au voyageur qui rencontre un serpent.
Paulus dit simplement :
Il ajouta :
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/111]]==
<poem>
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/112]]==
<poem>
De sa main vénérable il se voila la face,
Ligne 2 194 ⟶ 2 170 :
Tout à coup un grand bruit ébranla le portique :
Se tourna vers la porte avec empressement,
Et le Sénat, orné du laticlave antique,
Ligne 2 210 ⟶ 2 186 :
<poem>
Tenant comme Mercure un riche caducée,
Ligne 2 224 ⟶ 2 200 :
Son costume semblait celui d’un sécutor.
Et le vaste empereur, sous son grand pavillon,
Comme un dieu couronné, vint s’asseoir en silence.
Ligne 2 252 ⟶ 2 228 :
Le prélude ordonné se prolongea longtemps :
L’escrime s’arrêta ; la trompette bruyante
Tordit sa note rauque et ses sons palpitants,
Ligne 2 263 ⟶ 2 239 :
L’autre, fixant sur lui son regard intrépide,
Lentement sur le sol posa son pied solide.
C’était lui ! Le vainqueur ! Le héros de la ville !
Ligne 2 292 ⟶ 2 268 :
<poem>
Varolus triomphait, l’honneur de la journée
Lui semblait garanti par ce coup de bonheur ;
Ligne 2 301 ⟶ 2 277 :
Il fut calme et sublime, en cet instant suprême,
Et leva sur la foule un regard assuré :
Alors jetant au loin sa cuirasse pesante,
Il tendit son cou nu sous l’acier du poignard,
Puis, tourné vers la foule, et d’une voix puissante :
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/125]]==
<poem>
Le sang jaillit à flots par la gorge béante,
Et Mirax se souvint de tomber avec art.
Ligne 2 362 ⟶ 2 337 :
Se penchait, palpitant de terreur et d’espoir ;
César tout ébloui se tordait sur son trône :
Et le thrace tomba dans les flots d’un sang noir.
Ligne 2 385 ⟶ 2 360 :
Commode l’empereur franchit la balustrade,
Et lui-même au jeune homme il donna l’accolade :
Il saisit la couronne aux longs rubans de laine
Ligne 2 396 ⟶ 2 371 :
<poem>
Jetaient leur note grêle à l’immense clameur :
Le héraut répondit :
Deux cris longs et perçants montèrent vers les cieux :
L’un partait de l’orchestre où va la courtisane,
Et l’autre des gradins ornés de lits soyeux
Où, sous le blanc réseau d’un voile diaphane,
La matrone se cache aux regards envieux.
</poem> CHANT QUATRIIÈME
<poem>
Commodus, à tout prendre, était, sur ma parole,
Ligne 2 415 ⟶ 2 392 :
Il était franc d’allure, et portait à l’épaule,
Non la peau d’un renard, mais celle d’un lion !
Il avait ses défauts ; qui n’en a, dans son âme ? —
Ligne 2 469 ⟶ 2 444 :
Les choses traînent moins ; c’est le lien fameux
Qu’Alexandre dénoue au tranchant de sa lame.
Comme en un grand danger de la chose publique,
Ligne 2 509 ⟶ 2 484 :
S’en allait, tour à tour, de la crainte à l’espoir.
— Certes, les Marcius sont de race qui brille,
— Vieillard, reprit Commode, accepte cet honneur,
La foudre au triple dard eût tombé sur notre homme,
Qu’il eût été moins pâle et moins épouvanté :
Un taureau furieux que le grand prêtre assomme.
Fit tressaillir d’effroi les esclaves fidèles ;
Ligne 2 544 ⟶ 2 519 :
Il abattit d’un coup la tête de l’oiseau.
Demanda gravement l’Esope au sceptre d’or.
Car de cet apologue il comprit la morale,
Et ses yeux agrandis, au pavé de la salle,
Ligne 2 611 ⟶ 2 586 :
Sur ses traits sans couleurs luisaient par intervalle,
Comme un soleil d’hiver sur la neige des monts.
Paulus l’examina de toutes les façons.
Sans aller jusqu’au cœur, avait glissé sur lui :
Car l’homme est oublieux ; le baiser d’une femme,
Ligne 2 628 ⟶ 2 603 :
Meurt, la sagette aux flancs et des pleurs dans les yeux !
Les sanglots étouffés soulevaient sa ceinture ;
Elle reprit :
— Je l’aime ! dit Paulus, malheur à qui la touche ! »
Et dans ses doigts crispés il serrait son poignard ;
Tandis qu’un rire amer serpentait sur sa bouche.
— Laisse-moi ! dit Paulus, j’obéis au destin
— Mais l’édile est puissant ! — Mais César est le maître ! »
— Et sa fille oserait ? — Je l’épouse demain ! »
Ligne 2 693 ⟶ 2 668 :
La danseuse, à ces mots, haletante, éperdue,
Se dressa comme un arc dont la corde est rompue :
Et, secouant la tête, il reprit son essor.
Il disparut bientôt au fond de la cité,
Comme un songe rapide, au réveil emporté…
Ligne 2 742 ⟶ 2 717 :
Tout à coup, vis-à-vis de la Borne qui sue
Et vomit l’onde à flots, par six bouches d’airain,
Dit-elle, et promenant ses regards dans la rue,
Elle aperçut un bouge où l’on vendait du vin.
Ligne 2 754 ⟶ 2 729 :
Un grand ours au poil brun, coiffé d’un casque d’or.
Se plongea sous la voûte, ainsi qu’en un tombeau ;
Et le vieux cabaret à la dalle glissante
Ligne 2 779 ⟶ 2 754 :
Le vin qu’il avait bu lui colorait la joue,
Un tas de pots à sec roulaient à ses côtés :
L’hôte du lieu parut, la toge retroussée,
Ligne 2 790 ⟶ 2 765 :
L’ivrogne, à cet aspect, se pâma de tendresse :
Puis il se mit à l’œuvre avec des dents de fer ;
Il prenait, il mangeait, il reprenait sans cesse,
Ligne 2 798 ⟶ 2 773 :
La pâle courtisane, immobile à sa place,
Contemplait gravement cette scène vorace :
Puis vers un jeune esclave elle fit quelques pas ;
C’était un beau garçon, sans barbe et plein de grâce :
Elle allait furetant par la taverne humide
Ligne 2 822 ⟶ 2 797 :
Son long glaive battait sur sa cuisse ; le vin
De rubis éclatants semait sa barbe noire…
Au bruit que fit sa robe en frôlant la muraille,
Ligne 2 831 ⟶ 2 806 :
A couper du revers, un éléphant en deux.
Cria Pantabolus, en s’abattant sur elle ;
Puis caressant sa barbe et roulant ses regards :
Tout en parlant ainsi, sa main large et rugueuse
Sur sa vaste poitrine étreignait la danseuse :
Et les yeux éclataient avides, et les bras
S’étendaient, comme on voit, hors de la roche creuse,
Ligne 2 849 ⟶ 2 824 :
Se roula, culbutant les tables et les pots ;
Lui, saisit au hasard le pied d’une escabelle,
Et devant
Se posa largement ; on eût dit que son dos,
Mieux que celui d’Atlas, pouvait porter le monde.
Brillaient sous ses cils noirs, comme un feu rougissant
Sous les branches. Lancée avec un bruit de fronde,
Ligne 2 866 ⟶ 2 841 :
Et quand il fut s’asseoir, on ne le suivit pas !
Eclatait sur son front par la douleur pâli,
Sa bouche demi-close où se creusait un pli
Ligne 2 873 ⟶ 2 848 :
Comme un flot écumeux sur un rocher poli.
Et lui serrant la main :
Et sa voix, en parlant, modulée avec grâce,
Comme des doigts lascifs lui parcourait le corps.
Il ouvrit de grands yeux, haletant et stupide ;
Aux lèvres du soldat elle tendit le vin ;
Puis s’échappant d’un bond, quand la coupe fut vide,
Ligne 2 905 ⟶ 2 880 :
Un gai rayon, glissant comme l’aube au réveil,
D’une barre d’azur coupait la salle entière,
Et
Semblait, la lyre en main, danser dans le soleil.
Et sa pose enivrante était plus molle encor.
Le soldat n’y tint plus, d’un bond il fut près d’elle,
A sa taille glissante attacha son bras fort ;
Et sa main vers le banc l’entraîna sans effort ;
Ligne 2 922 ⟶ 2 897 :
Frôlaient la guêtre noire et le rude soulier.
Le soldat la couvait sous ses yeux éclatants,
Les mots qu’il entendait le prenaient aux entrailles.
Et tandis que sa voix s’en allait large et pleine,
Puis se dressant, ainsi qu’un enfant curieux,
Dans le casque de cuivre elle mirait ses yeux,
Ligne 2 958 ⟶ 2 933 :
La taverne alentour se vidait ; la nuit sombre
Arrivait par degrés.
— Non, dit-elle, en baissant des yeux irrésolus. »
— Tu me détestes donc ? — Non, reprit-elle ; pose
Le bon Pantabolus crut trouver le défaut,
Mit l’escarcelle au vent, et la fit sonner haut ;
— Celui-là n’eut pour moi ni pitié ni pardon,
— Son nom ! dit le soldat. —C’est Paulus qu’on l’appelle.
— Mais… dit Pantabolus. — Mais ton âme chancelle !
Elle voulut partir ; comme dans une chaîne,
Pantabolus tremblant la retint dans ses bras.
— Va, fit Pantabolus, j’accepte le message ! »
— Demain ? dit
Elle tendit sa lèvre au gros légionnaire.
Puis glissant de ses bras, elle bondit à terre ;
L’hôtelier, sur le seuil, paraissait affairé,
Ligne 3 020 ⟶ 2 995 :
Il avait le nez rouge et le front balafré.
Quand
La lune, au fond du ciel, ébauchait sa figure,
Le soleil descendait, et ses derniers rayons
Ligne 3 037 ⟶ 3 012 :
Qui serpente et se tord au pied de l’Esquilin,
Une réflexion vint la frapper soudain :
Mais elle tressaillit d’une joie inconnue,
Ligne 3 046 ⟶ 3 021 :
Un jeune esclave noir passait en ce moment,
Avec un vase plein sur son épaule nue :
Staphyla ! Staphyla ! La vieille campanienne,
Qui va hochant la tête et murmure tout bas
Des mots mystérieux que l’on ne comprend pas !…
Elle frappa trois coups à la porte de chêne,
Et dans la grande salle on entendit des pas.
Ligne 3 062 ⟶ 3 037 :
Qu’en cette nuit fameuse, où Paulus vint la voir.
— Qu’ils entrent, fit la vieille, on les connaît ici ! »
Et, dans l’ombre, grinça la porte de la salle,
Ligne 3 090 ⟶ 3 065 :
Et tout l’antre gémir d’une immense douleur.
Elle jeta de l’or, luisant dans la poussière ;
La vieille, à cet aspect, crispa ses doigts nerveux ;
Un feu rapide et clair jaillit de sa prunelle :
— Non ! Cria
— Alors, je puis t’offrir, répliqua la sorcière,
Puis la vieille, joignant les gestes aux paroles,
De sa torche rougeâtre éclairait les fioles,
Les coupes, les bassins suspendus aux lambris :
La danseuse reprit :
— Non, reprit l’autre. — Après,
Qui, pour toute infortune, avait des philtres prêts,
— Je ne veux pas guérir ! cria la jeune fille ;
La sorcière fait trêve à sa loquacité
Et plante, sur le banc, la torche qui pétille :
— Son nom ?… dit
Tout en disant ces mots, dans un coin ténébreux
Prit un baquet étrange, au ventre spacieux,
Ligne 3 190 ⟶ 3 165 :
Suivait, d’un doigt tremblant, mainte ligne bizarre,
Alphabet monstrueux d’un langage inconnu.
Près d’elle est
Elle jette sur l’eau son regard éperdu,
Dans l’immobilité de l’aigle ou de l’avare
Ligne 3 202 ⟶ 3 177 :
L’une le commençait, l’autre l’avait fini…
Le silence se fit solennel et profond ;
Et de nouveau la vieille, avec sa voix tranquille :
— Il viendra !
Et le doute à l’espoir se mêlait sur son front.
Mais soudain Staphyla vit pâlir son visage,
Un frisson secoua ses membres, et ses yeux
Brillèrent :
Sa lèvre dédaigneuse essayait un sourire…
On eût dit à la voir, la bacchante en délire,
Quand sonne le tambour et la cymbale d’or.
Ligne 3 244 ⟶ 3 219 :
Avec un bâton blanc, fait en bois d’olivier.
Sortir en longs filets du philtre bouillonnant ;
Quand soudain Staphyla, pâle et l’oeil rayonnant,
Ligne 3 251 ⟶ 3 226 :
La toupie au flanc creux, qui bruit en tournant :
Sa chevelure grise, à son front hérissée,
Ses yeux sanglants, ses doigts crispés, son bras tendu,
Ligne 3 267 ⟶ 3 242 :
Tout passait, tout grinçait, ainsi qu’un rêve étrange,
Devant la courtisane immobile d’effroi…
Mais sa voix s’éteignit, arrêtée au passage,
Ligne 3 279 ⟶ 3 254 :
Puis, sur les durs pavés s’affaissa lourdement.
L’écho seul répondit, et l’antre spacieux,
Ainsi qu’un grand tombeau, resta silencieux !
Ligne 3 288 ⟶ 3 263 :
Elle la réchauffait sous son souffle tremblant,
Et de ses doigts légers, soulevait sa paupière :
— Où suis-je ? dit Staphyle, oh ! J’ai le front brûlant,
Vibrait étrangement, et son regard, pareil
Ligne 3 317 ⟶ 3 292 :
Quelque chose de grand planait sur cette femme.
Enfin, se roidissant par un dernier effort :
— Pourquoi, dit
— Parle !
Que ses cheveux bouclés frôlaient la moribonde.
La sorcière reprit :
(
— Toi, sa mère !
Le front de Staphyla prit un air soucieux.
Sa voix s’affaiblissait, et son souffle débile
Râlait, comme le vent dans les feuillages morts !
De longs frémissements lui parcouraient le corps ;
Enfin, elle reprit :
La sorcière à sa voix se levait par degrés.
Elle heurta son front entre ses poings serrés,
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Et relève son âme en lui tendant la main…
Plus ardent que Vulcain au bord de ses fourneaux :
— Non, maître ! — Par Bacchus ! C’est une raillerie !
Et le bon cuisinier tordait avec furie
Ses cheveux grisonnants, sur son front en sueur.
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De vaisselle sonore et de poêlons d’airain,
Frémissant sur le feu comme le flot marin :
— Bombax !…
Les marmitons tremblaient et Bacca devint pâle :
— Les turbots !
Plutôt qu’il ne l’ouvrit, tant sa joie était forte ;
Puis, auprès du vieux maître arrivant en deux bonds :
Dit Bacca radieux, si les turbots sont bons !… »
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Les matrones tiraient le voile de safran,
Avec la pièce d’or des fêtes nuptiales,
Et le fuseau qui dit :
Ainsi qu’un arc tendu, sur son oeil qui pétille,
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Et mille reflets d’or à troubler les regards.
Avec une façon de tête triomphale,
Et portant, comme amour, la torche et le carquois :
Et Coracoïdès, comme un patron sans gêne,
Devant chaque suivante agitait son flambeau ;
Puis, saisissant le bras d’une esclave africaine :
Et vers sa sombre épouse il tendait, en parlant,
Une poire de coing, d’après l’antique usage :
La suivante, immobile, écoutait cette histoire,
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La pudeur libyenne est une fiction,
On ne saurait rougir, quand on a la peau noire
Et roulait au hasard, des yeux irrésolus.
Enfin, la tête basse, et d’une voix câline,
— C’est que… fit le bouffon, pâle et balbutiant,
Et Coracoïdès, qu’un double instinct domine,
Sentait sourdre en lui-même, un combat effrayant :
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On entendait, au loin, les jeunes gens heureux
Qui jetaient, tous en chœur, leurs chansons aux étoiles.
Dont le mince tissu voltigeait sur ses yeux.
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Cinq enfants secouaient des flambeaux et des fleurs.
Ainsi chantaient cent voix montant à l’unisson ;
Des esclaves portaient la quenouille ordonnée,
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On entendit des cris dans l’ombre du jardin,
Et la voix des valets courant sous les portiques :
La porte tressaillit, et, cessant les cantiques,
La foule, comme un flot, se replia soudain…
Calme plein de terreur qui couve la tempête !
On eût dit une morte échappée au cercueil ;
Entre les rangs pressés, sans retourner la tête,
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L’or et la pourpre en feu sur les robes de fête :
Sa voix sur tous les fronts roulait comme un tonnerre :
— Son frère !… dit la foule, étrange événement !
— C’est faux ! hurla Paulus, cette danseuse ment !
— Staphyla ! fit Paulus. — Ta mère !
— Vieillard, dit
— Dieux ! fit l’édile en pleurs, ma jeunesse lointaine
Rien n’est tendre et naïf comme un buveur joyeux ;
Ce fut, sur ma parole, un tableau curieux
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Il riait, il pleurait, et tournant par la salle,
De sa fille à son fils courait incessamment ;
—
Et Marcia, sans voix comme sans mouvement,
Egalait en pâleur sa robe nuptiale :
Il avait ce visage, à peindre difficile,
Qu’il est fin de cacher sous un pan du manteau.
Marcia,
Tout s’agitait ensemble au fond de son cerveau,
Et chaque souvenir, fugitif et mobile,
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Sous ses pieds, en passant faisait craquer les noix
Dont on avait semé les routes tiburtines :
— Paulus ! dit une voix, quelqu’un te reste encore !… »
Le jeune homme effaré fit un pas en arrière :
— Paulus, dit
Elle avait dans la voix une musique étrange ;
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Une puissance occulte envahissait son âme,
Des tonnerres lointains roulaient au fond des cieux :
— Que t’importe, ô Paulus ! s’écria la danseuse,
Sa voix tomba ; le vent soulevait la poussière,
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Mais tout à coup, le bruit d’un pas retentissant
Frappa l’ombre, un fer nu brilla près d’un visage.
Puis il tomba d’un bloc, sans parler davantage,
Et la danseuse vit, aux lueurs de l’orage,
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*
Ce que fit
Je l’ignore ! O lecteur ! Vint-elle au cabaret
Trouver Pantabolus et payer la blessure ?
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