« Melænis » : différence entre les versions

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{{titrePoeme|[[Auteur:Louis Bouilhet|Louis Bouilhet]]||MelaenisMelænis<br><small>Conte romain</small>}}
{{SommaireADroite}}
<br />
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<poem>
 
«» Tout beau ! dit le censeur, aux poses magistrales.
«» Un héros clandestin ! C’est une indignité !… »
L’auteur n’est pas de ceux qui cherchent les scandales,
Mais depuis Romulus, bien d’autres l’ont été !
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Qu’on voit grandir, la nuit, dans un songe fébrile,
Quand arrive aux vivants la visite des morts.
«» Qui m’appelle en ces lieux ? "» murmura la sibylle.
«» Paulus, "» dit une voix qui venait du dehors.
 
Par un matin joyeux, quand le soleil éclaire
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<poem>
 
Et lui tendant la main : "» Tu peux entrer, dit-elle,
«» Nous n’avons pas ici de mystères pour toi.
«» Enfant, tu viens bien tard ! Quelle cause t’appelle ?
«» Tu m’oubliais, Paulus, et tu vivais sans moi !… »
Paulus sentit des pleurs lui mouiller la prunelle
Et jeta sur Staphyle un regard plein d’émoi.
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Paulus, sans hésiter, heurta la porte close.
 
«» Qui frappe ? — Ouvrez. — Ton nom ? — Qu’importe ! — Tout est plein
«» Comme le ventre rond d’un prêtre salien,
«» Les chambres et les lits ; une ombre, par Hercule !
«
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/27]]==
<poem>
» Ne s’y logerait pas ; bonsoir ! "» Le vestibule
S’éclaira cependant, et Paulus pensa bien
Que le son des écus lèverait tout scrupule.
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Habile à se plier au goût de l’auditeur.
La cause fut gagnée, et, sans plus de murmure :
«» Les gens se presseront, dit l’hôte, entrez, seigneur ! »
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/28]]==
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Paulus était parfait ; sa chevelure noire
Ondulait sur son front, son regard plein de feu
Etincelait
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/31]]==
<poem>
Etincelait parfois comme celui d’un dieu ;
Il avait un sourire aux belles dents d’ivoire :
Ni grand, ni trop petit, il tenait le milieu.
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Elle le regardait mollement inclinée,
Puis craintive et vers lui soulevant ses grands yeux :
«» O jeune homme inconnu, qui t’amène en ces lieux ?
«» Tu contemples de loin cette troupe avinée,
«» Sans boire et sans dormir, et sembles soucieux,
«» Apprends-moi ton pays, ton nom, ta destinée !
 
«» Ton sein est large et fort, ton regard plein d’ardeur :
«» Es-tu soldat aux camps, ou lutteur dans l’arène ?
«» Perces-tu, sans pâlir, une poitrine humaine ?
«» Dit-on, quand tu parais : c’est un gladiateur ?… »
Paulus, en souriant, prit ses mains dans la sienne :
«» Je sais tuer aussi, dit-il, je suis rhéteur ! »
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/32]]==
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Comprit notre héros, mais il était charmant
Et présentait à l’oeil l’étoffe d’un amant
Solide, — en faut-il plus aux femmes ? — "» On m’appelle
«» MelaenisMelænis, j’ai vingt ans et je t’aime "» dit-elle.
Pour Paulus, il nageait dans le ravissement.
 
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Qu’un bon gîte la nuit et qu’une fille aimable !
Elle avait sur son cou jeté ses bras de lait :
«» Ami, je danserai, si ma danse te plaît ;
«» Où tes pieds passeront, je baiserai le sable,
«» Car tes grands yeux sont doux ! Quand ta bouche parlait,
 
«» Je me sentais mourir ! Oh ! Mon âme est blessée
«» D’un amour inconnu qui ne s’éteindra pas !
«» Parle ! Veux-tu quelqu’un qui s’attache à tes pas,
« Qui,
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/33]]==
<poem>
» Qui, le jour, qui, la nuit, t’étreigne en sa pensée ;
«» Une esclave fidèle, une femme insensée
«» Qui donnera son sang pour dormir dans tes bras ? »
 
«» — Je t’aime ! "» dit Paulus. Les lampes dans l’espace
Répandaient çà et là leur reflet incertain
Sur les buveurs couchés parmi les flots de vin.
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Bénissant les destins qui le servaient ainsi.
Ils montèrent tous deux le long du mur noirci.
MelaenisMelænis demeurait à la troisième échelle.
— Paulus avait vingt ans, MelaenisMelænis était belle.
Magnanimes lecteurs, n’en prenez de souci !</
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/3435]]==
<poem>
poem>
 
CHANT DEUXIÈME
 
CHANT
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/35]]==
<poem>
DEUXIÈME
 
<poem>
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Si l’on ne mange pas, que faire dans la vie ?
«» Boire ! "» dira quelqu’un. L’édile en question
Faisait les deux ensemble avec distinction.
Toute chose frivole est d’un retour suivie :
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Joyeux comme un baiser, légers comme une haleine :
 
:::Oh ! Moi, tout ce que je veux,
:::C’est une maîtresse aimée,
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/47]]==
<poem>
:::C’est ma barbe parfumée
:::Et des fleurs dans mes cheveux !
 
:::Le jour présent seul m’importe ;
:::Demain, c’est un inconnu !
:::C’est un hôte mal venu
:::Qu’on doit laisser à la porte !
 
:::Le jour qu’on a sous la main,
:::Il faut le passer à boire !
:::Buvons donc, chantons victoire
:::A Bacchus, au dieu du vin !
 
:::De peur que la mort avide,
:::Sourde à mes cris superflus,
:::Ne dise : "» La coupe est vide,
":::» Ami, tu ne boiras plus !… »
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/48]]==
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— Et que le lièvre pousse aux rêves amoureux.
 
«» Et, d’ailleurs, s’écriait un grec à barbe grise,
«» L’homme est un composé de principes divers,
«» L’idée une harmonie, et, quand le corps se brise,
«» L’âme, d’après Platon, se mêle à l’univers.
«» — Par le chien ! dit Paulus, c’était une sottise
«» Qu’Epicurus faisait, de la jeter aux vers !… »
 
Avant d’aller plus loin, je m’arrête, et pour cause,
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C’était un hôte aimable et discret par nature,
Qui de l’urbanité suivait toutes les lois ;
 
Il
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/50]]==
<poem>
 
Il savait des talents faire la différence,
Interrogeant son monde avec discernement,
Le rhéteur sur les mots, l’histrion sur la danse,
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Cependant, roulant l’oeil et gonflant sa narine,
L’élève de Platon étalait sa doctrine :
«» Tout se divise en trois, dans le monde animé ;
«» Les dieux supérieurs ont l’Olympe enflammé ;
«» L’homme, empruntant au sol sa première origine,
«» Cache un souffle divin dans le corps enfermé.
 
«» Entre eux sont les démons, sans corps et sans figures,
«» De la chaîne éternelle invisibles anneaux :
«» Ils vont de l’homme aux dieux, fendant les vagues pures
«
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/51]]==
<poem>
» De l’éther, messagers des biens comme des maux ;
«» Ils dirigent la foudre, inspirent les augures,
«» Et tracent dans le ciel la route des oiseaux.
 
«» D’autres, plus près de nous, pénates ou fantômes,
«» Protégent la famille et le foyer joyeux ;
«» De là naît le grand ordre, en ce monde où nous sommes,
«» Et le sage prévoit le but mystérieux… »
«» — Prévoir, dit Stellio, c’est l’affaire des dieux ! »
«» — Buvons, dit Marcius, c’est l’affaire des hommes ! »
 
«» — Discutons, "» dit Paulus ; et, la main droite en l’air,
De l’autre il ramena sa tunique. — A vrai dire,
Il se peut qu’on empêche un fleuve de couler,
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Rejetant ses cheveux, comme un lion d’Afrique
Sa crinière, et la voix modulée avec art :
«» Dans mon sujet, dit-il, je me lance au hasard ;
«» Le genre ne veut pas d’exorde magnifique,
«» J’aurais l’insinuant, s’il n’était pas si tard.
 
«» — Passons ! "» dit Marcius, en buvant l’eau glacée
Dans une coupe d’ambre aux perles de corail.
«» Il faut, reprit Paulus, disposer mon travail :
«» En deux points capitaux la thèse est divisée ;
«» D’abord que la dispute éclaire une pensée ;
«» Puis que le vieux Platon pèche par maint détail.
 
Le philosophe grec devint bleu de colère,
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Puis il adoucissait l’hyperbole trop vive
Par des preuves sans nombre et des citations :
«» Devait-on isoler la force intellective
«» Du cliquetis des mots, du choc des passions ?
«» Le fucus noir s’attache à la carène oisive,
«» La rouille au fer, le doute à nos opinions… »
 
« — Et Platon ?" dit le Grec. "—
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/54]]==
<poem>
M’y voici. — Point d’ambages !
« — Je cherchais, dit Paulus, une transition.
« Et d’abord, je ferai cette concession
« Que d’un style sublime il orna ses ouvrages,
« Mais son esprit rêveur se perd dans les nuages,
« Et trop loin de ce monde emporte la raison.
 
«» — Et Platon ?" dit le Grec. " M’y voici. — Point d’ambages !
« Moi, je reste sur terre, et la métempsycose
«» — Je cherchais, dit Paulus, une transition.
« Me paraît quelquefois une admirable chose ;
«» Et d’abord, je ferai cette concession
« J’aime la vie éparse au sein de l’univers,
«» Que d’un style sublime il orna ses ouvrages,
« Et l’âme qui s’agite en ses états divers,
«» Mais son esprit rêveur se perd dans les nuages,
« Exhalant ses parfums dans la fleur demi-close,
«» Et trop loin de ce monde emporte la raison.
« Volant avec l’oiseau, rampant avec les vers.
 
«» Moi, je reste sur terre, et la métempsycose
«» Me paraît quelquefois une admirable chose ;
«» J’aime la vie éparse au sein de l’univers,
«» Et l’âme qui s’agite en ses états divers,
«» Exhalant ses parfums dans la fleur demi-close,
«» Volant avec l’oiseau, rampant avec les vers.
 
«» Ainsi l’être montant cette échelle mobile,
«» De degrés en degrés arrive jusqu’en haut ;
«» Mais il reste lui-même, et quel que soit son lot,
«
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/55]]==
<poem>
» Conserve du passé la trace indélébile… »
«» — Vous étiez, dit le grec, un âne ! — Et vous un sot !
«» Par Pollux ! — Par Hercule ! — Arrêtez, fit l’édile.
 
«» Je respecte Epicure et j’adore Platon !
«» — Que les sages sont fous ! "» dit une voix flûtée ;
Et Coracoïdès, armé d’un long bâton,
Vint tomber au milieu de la table agitée :
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Dont le nez comme un bec caressait le menton.
 
«» Ohé ! Ne vidons pas l’étable d’Epicure !
«» A quoi bon sur les mots sans fin nous quereller ?
«» Laissons Platon dormir et le bon vin couler !
«» Je m’embarrasse peu des démons sans figure,
«» Et j’estime, à propos des lois de la nature,
«» Que toute la sagesse est de les violer !
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/56]]==
<poem>
 
«» La vie est comme un marbre à l’écorce rugueuse,
«» Le sage est le sculpteur qui taille l’univers :
«» Il caresse le bloc sous sa main amoureuse,
«» Il façonne, il polit, en mille endroits divers ;
«» Et la forme s’asseoit sur la pierre anguleuse,
«» Comme Vénus la blonde, au dos houleux des mers ! »
 
«» — Fort beau ! fit Marcius. "»— Pour couper ma tirade,
Je veux ta bague d’or, dit le nain en courroux.
«» — Prends ! — Je l’ai ! Maintenant, où donc en étions-nous ?
«»Je vous disais, je crois, que la nature est fade ;
«» Pour que la perle éclose, il faut l’huître malade,
«» Et l’arbre mutilé pour que les fruits soient doux !
 
«» Je suis le fruit, je suis la perle ! La nature
«» Avait l’intention de me former géant ;
«» Elle faisait son coup et j’allais m’allongeant.
«
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/57]]==
<poem>
» C’est l’art qui m’a sauvé d’une telle envergure,
«» Et si je suis mignon d’esprit et de tournure,
«» C’est qu’en un moule étroit on me mit tout enfant.
 
«» Je suis le nain joyeux qui danse sur les roses,
«» J’aime le vin de Crète et les faisans rôtis ;
«» Si le bon Marcius n’eût arrangé les choses,
«» J’étais un fort bel homme, et mangeais des pois frits ! »
Puis le drôle en parlant prenait de telles poses
Que tous les conviés se tordaient sur leurs lits.
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Jusqu’au lit du rhéteur, le bouffon se glissa,
Furtif et l’oeil au guet ; puis tout bas, à l’oreille :
«» Dans les jardins, dit-il, j’ai laissé Marcia,
«» Pars vite, sans qu’un doute à la table s’éveille !… »
Entre Paulus et lui la chose se passa.
 
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Laissons courir Paulus où son amour le guide,
Puisqu’on est bien ici, pourquoi chercher ailleurs ?
 
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/60]]==
<poem>
 
L’amour, me direz-vous, est chose délectable ;
Mais un repas d’édile a bien son beau côté ;
Epicure, le soir, trouve l’amour blâmable
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Le rhéteur aussitôt composa sa tournure,
Et, jusque sous les bras, remontant sa ceinture :
«» Heureux, s’écria-t-il, l’homme ici-bas jeté,
«» Qui sut gagner l’amour d’une divinité !
«» Quelque chose de grand se mêle à sa nature,
«» Le temple au serviteur prête sa majesté !
 
— Ami, tu le sais bien, je ne suis pas déesse,
Reprit la douce voix aux sons harmonieux,
«» Tant de trouble sied-il aux habitants des cieux ?
«
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/63]]==
<poem>
» Je ne suis qu’une femme et j’en ai la faiblesse !
«» Un mot me fait pâlir, un seul regard me blesse,
«» Ami, tu le sais bien, quand il part de tes yeux ! »
 
Et, des mains écartant un beau rosier punique,
Ligne 1 075 ⟶ 1 058 :
 
Phébé, du fond des cieux, donnait en plein sur elle.
«» Marcia, dit Paulus, en lui baisant les mains,
«» Les dieux se sont trompés en te faisant si belle,
«» Puisqu’ils te laissent vivre au milieu des humains ! »
Et roulant dans ses doigts le collier qui ruisselle,
De la gorge pudique il cherchait les chemins.
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Sonner les bleus saphirs de ses pendants d’oreilles.
 
«» Verse, sur ton beau sein, des perles et de l’or !
«» Marcia ! Marcia ! Garde ces riches voiles
«» Que prendrait Arachné pour une de ses toiles !
«
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/65]]==
<poem>
» Le luxe à ta beauté ne saurait faire tort ;
«» Uranus, à ton front, suspendrait ses étoiles,
«» Que tes yeux en éclat les passeraient encor !»
 
Marcia l’écoutait rieuse et confiante :
«» Paulus, quand je te vis pour la première fois,
«» Ce n’était point ainsi, dans le calme des bois ;
«» C’était sur le Forum ; ta parole puissante
«» Remuait à longs flots la foule frémissante,
«» Et je battais des mains, suspendue à ta voix !
 
«» Un pouvoir inconnu m’enchaînait sur la place ;
«» Avide, je buvais ta parole qui passe,
«» Et, contemplant au loin tout ce peuple arrêté,
«» Je rêvais le triomphe, assise à ton côté.
«» Puis je te voulais seul, à l’ombre, face à face,
«» Cachant dans mon amour ta popularité !
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/66]]==
<poem>
 
«» Car il me faut, vois-tu, pour que mon cœur chancelle,
«» Celui qu’un peuple adore et qu’il montre du doigt,
«» L’homme qu’on applaudit et qui, bien mieux qu’un roi,
«» De toutes les beautés peut choisir la plus belle ! »
Elle étreignit Paulus en palpitant d’émoi ;
«» D’ailleurs, je t’aime encor pour tes grands yeux, "» dit-elle.
 
Pâle et le sein brûlant d’ardente volupté,
Ligne 1 149 ⟶ 1 131 :
Marcius écumant apparut devant eux,
Un esclave à côté l’éclairait immobile.
«» Par le Styx ! s’écria le père furieux,
«» Traître ! pendard ! voleur !… Outrage indélébile !…
«» chez moi… dans ma maison… la fille d’un édile !…
«» Un histrion pour elle !… O sang de mes aïeux ! »
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/68]]==
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C’est ce qui reste à faire en un pareil moment.
 
«» Je vous prends pour témoins ! On m’insulte, on m’outrage ! »
Et Marcius, tournant comme un loup dans sa cage,
Allait de l’un à l’autre. "» Oh ! Le crime est flagrant !
«
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/69]]==
<poem>
» On boit mon vin de Crète, et, pour dessert, on prend
«» Ma fille ! Et l’on se rit du bonhomme, je gage,
«» Qui chante fleurs en tête, et soupe en conquérant !…
 
«» Tu ne m’attendais pas, infâme, à cette fête !
«» Plus d’excuse à présent, plus de mots superflus,
«» Je te tiens ! "» dit l’édile, en marchant sur Paulus.
Mais ses bras étendus retombèrent, sa tête
S’injecta ; car Paulus, pendant cette tempête,
Ligne 1 199 ⟶ 1 180 :
<poem>
 
«» Au mur ! Courez au mur ! Il n’est pas loin encore,
«» Qu’on le prenne ! Au voleur ! Mes esclaves ! Mes chiens !
«» Mes convives, holà ! C’est vous qu’on déshonore,
«» Quand on touche à votre hôte, ô mes dignes soutiens !
«» Des torches ! Mais partez ! La rage me dévore !…
«» Par Bacchus ! Qu’attend-on ? Seriez-vous pas des siens ? »
 
La foule, en un moment, dans l’ombre s’éparpille.
Ligne 1 213 ⟶ 1 194 :
Et les rouges flambeaux se croisent en fuyant.
 
«» Le voici ! — Non ! — Plus loin ! — C’est Chrysale ! —c’est Dave
«» — Finirez-vous ? "» hurla l’édile frémissant.
— Il eut beau s’emporter, Paulus était absent.
</poem>
Ligne 1 221 ⟶ 1 202 :
Sa colère dès lors ne connut plus d’entrave,
Il saisit un épieu, sur le sable gisant :
«» Je suis trompé, dit-il, et je vois qu’on me brave !
 
«» Mais je me vengerai de toute la maison ;
«» La croix à ces valets qui trahissent le maître !
«» Les tenailles de fer ! Le feu ! La question !
«» S’il en est un de vous que je rencontre ! Ah ! Traître,
«» Ah ! Furcifer, tu vas apprendre à me connaître !… »
— Et soudain au discours il joignit l’action
 
Ligne 1 244 ⟶ 1 225 :
Et la lune entoura de son voile argenté
Les deux cadavres froids, étendus sur la terre.
«» Dormez ! "» dit le bouffon, sortant avec mystère
D’un bosquet où, par crainte, il s’était arrêté ;
 
«» Dormez ! La nuit est belle et la brise embaumée !
«» Un bon lit vous attend, sur le mont Esquilin !
«» Vous ne porterez plus la chaîne accoutumée,
«» Vous ne tournerez plus la meule du moulin !
«» A toutes vos douleurs la barrière est fermée,
«» Citoyens de la tombe, affranchis du Destin ! »
 
Après ce beau discours, le nain tourna la tête,
Ligne 1 289 ⟶ 1 270 :
 
Ses longs regards suivaient la route Tiburtine :
«» Stellio, prends ton or ; il triomphe aujourd’hui !
«» Je n’ai pas vu ses traits, mais je sens que c’est lui,
«» Dit-elle, aux battements qui brisent ma poitrine !
«» Stellio, prends ton or ! Et que nul ne devine
«» D’où l’orage est venu qui gronda cette nuit ! »
 
Le parasite au bond saisit la récompense,
Jura d’être discret et s’éloigna soudain ;
Gaiement les pièces d’or lui sonnaient dans la main.
Melaenis à
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/75]]==
<poem>
Melænis à l’écart se tenait en silence ;
Chacun, sans qu’on la nomme, eût reconnu, je pense,
Celle qu’un soir Paulus trouva sur son chemin ;
Ligne 1 309 ⟶ 1 289 :
Et, par les nuits d’été, chantait aux carrefours ;
Pâle, elle frémissait, puis levant ses yeux lourds
Au ciel : "» Je laverai cette mortelle injure !
«» Paulus, tu peux aller, souriant et parjure,
«» Je te suivrai partout, je t’atteindrai toujours ;
 
«» Je te suivrai si près, qu’en marchant, mon haleine
«» Ira dans tes cheveux, de parfums ruisselants ;
«» Toujours derrière toi, par la ville ou la plaine,
«» Mon pas retentira ; mes yeux étincelants
«» Te verront dans la nuit, ô Paulus ; et ma haine
«» Etreindra ta jeunesse, en ses réseaux brûlants.
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/76]]==
<poem>
 
«» Comme la tombe aux morts je te serai fidèle !
«» Je suis à toi ! Je suis ton génie envieux !
«» Je ne te cherchais pas, quand tu vins, curieux,
«» Me trouver dans cette ombre où mon passé m’appelle ;
«» Je dansais dans la rue, insouciante et belle,
«» Et j’avais, chaque soir, des fleurs dans mes cheveux ;
 
«» Comme un ruisseau chantant qui court par les prairies,
«» Mon cœur se répandait en ses bonds incertains.
«» Regarde, maintenant, j’ai mes lèvres flétries,
«» Mon visage a pâli, mes yeux se sont éteints ;
«» Et tu jurais d’aimer, à ces heures chéries
«» Où pour un seul baiser j’ai livré mes destins !
 
«» Ah ! Ah ! Tu croyais donc m’échapper ? Cette idée
«» Te vint de me laisser, ton désir assouvi,
«» Comme on jette aux bouffons une coupe vidée,
« Comme
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/77]]==
<poem>
» Comme on brise un hochet après qu’il a servi.
«» La chose, par Hercule ! était bien décidée !
«» Et peut-être, en effet, que la matrone a ri !…
 
«» Insensés ! J’étais là, seule, dans l’ombre obscure,
«» Je comptais vos soupirs et vos joyeux serments.
«» Le piége était tout prêt, j’attendis sans murmure,
«» La trahison veillait sur vos embrassements.
«» J’ai ramassé cet or aux fanges de Suburre ;
«» J’avais la haine au cœur, et j’ai dansé longtemps !
 
«» Maintenant, tout repose au loin dans les campagnes ;
«» La louve aux yeux brillants se cache au fond des bois,
«» Les grands pins chevelus tremblent sur les montagnes,
«» Des oiseaux bigarrés on n’entend plus la voix.
«» O nuit au front d’ébène ! Et vous, blanches compagnes,
«» Etoiles qui roulez par d’éternelles lois !
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/78]]==
<poem>
 
«» Flots du lac Stygien, puissances solitaires,
«» Mânes qui vous levez la nuit sur les tombeaux !
«» Qu’il soit comme une proie à mes longues colères
«» Et qu’il paye à l’amour ses dédains et mes maux.
«» Pareil à ce chanteur qui troubla les mystères
«» Et dont l’hébrus neigeux a reçu les lambeaux ! " »
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/3579]]==
 
CHANT TROISIÈME
 
CHANT
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/79]]==
TROISIÈME
<poem>
J’ai bâti quelquefois ce projet fantastique
Ligne 1 387 ⟶ 1 366 :
<poem>
 
Je disais : "»A demain ! "» Mais on a ses paresses,
Mais les soupers sont longs, mais on se couche tard ;
On a passé la nuit dans de folles ivresses ;
Ligne 1 462 ⟶ 1 441 :
Par contraste, et du coup l’histoire était finie.
Il en eut le cœur fade et la tête engourdie :
«» Si les dieux maintenant s’en mêlent, je n’ai plus
«» Que la corde, dit-il, pour accrocher ma vie ! »
Et son corps s’affaissa sur ses membres perclus.
</poem>
Ligne 1 545 ⟶ 1 524 :
Et tous accompagnés d’une exclamation,
De longs trépignements, de notes gutturales :
«» Il en tient ! — Il en a ! — Ferme sur les sandales !
— Gaulois, pourquoi me fuir ? J’en veux à ton poisson ! »
</poem>
Ligne 1 578 ⟶ 1 557 :
Il parait et frappait, se courbant à demi,
Et s’arrêtant parfois, sur sa jambe affermi.
«» C’est un fou, pensa-t-il, ou c’est peut-être un sage,
«» Les deux professions ont le même visage,
«» On s’y trompe de loin ! — Je te salue, ami ! »
 
Dit le gladiateur, apercevant notre homme,
«» C’est s’y prendre matin, mais je me fais le bras !
«» Trouves-tu que mon jeu soit agréable, en somme ? »
«» — Moi ! répondit Paulus, j’ignore les combats. »
«» — C’est un tort, compagnon, et quand on est de Rome,
«» On sait juger des coups. Tu ne me connais pas ?
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/90]]==
<poem>
 
«» On m’appelle Mirax."» — Et moi, Paulus."» — Je gage
«» Pour un homme lettré. — Tu l’as dit. — Moi, demain,
«» Je vais me rendre au cirque. — Et moi, j’ai l’avantage
«» D’aller un peu plus loin ; mais, pour ce long voyage,
«» J’ai la corde ou le Tibre, et je suis incertain !… »
L’homme au glaive de bois mit son front dans sa main
 
Et parut réfléchir, puis relevant la face :
«» J’ai peu d’amour, dit-il, pour le meilleur des deux ;
«» Je n’aime pas mourir en faisant la grimace,
«» Les pendus sont trop noirs, les noyés sont trop bleus ;
«» Il faut savoir tomber, mais tomber avec grâce,
«» Et rejeter la vie en regardant les dieux.
 
«» Il faut donner à l’âme une large ouverture,
«» Qu’elle parte d’un bond, comme un aigle puissant.
«» Jeune homme, dit Mirax superbe et frémissant,
«
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/91]]==
<poem>
» Il faut jusqu’à la fin respecter sa nature ;
«» Celui-là sait mourir qui, pour sa sépulture,
«» Se fait un beau linceul de pourpre avec son sang ! »
 
Il avait dans la voix une telle puissance,
Que Paulus, malgré lui, se voyait terrassé.
Il reprit : "» Avant toi, jeune homme, j’ai passé
«» Par les jours inquiets où tombe l’espérance ;
«» J’ai pour cercueil alors choisi le cirque immense,
«» Où j’entrai, comme un mort, impassible et glacé.
 
«» J’étais libre, et je pris le métier des esclaves.
«» J’ai vu le peuple entier bruire autour de moi,
«» Et la fête chanter, sur mon front calme et froid,
«» Comme un pâtre joyeux sur l’Etna gros de laves ;
«» Et puis plus fièrement j’agitai ces entraves
«» Qu’on ne changerait pas pour un sceptre de roi !
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/92]]==
<poem>
 
«» Connais-tu cette vie effrayante et sublime,
«» Ce triomphe d’un jour si lugubre et si beau,
«» Ce dédain pour la foule, imbécile troupeau,
«» Qu’au fond d’un bouge obscur la vieillesse décime ?
«» Ces plaisirs, suspendus au penchant d’un abîme !
«» Ces voluptés, râlant sur le bord d’un tombeau !
 
«» Sais-tu la frénésie et toutes les tendresses
«» Qu’à ceux qui vont périr la femme garde encor ?
«» Sais-tu l’âpre bonheur d’abandonner au sort
«» Un front tout bourdonnant de royales ivresses,
«» Et de baiser ces mains aux lascives caresses
«» Dont le pouce charmant demandera ta mort ?… »
 
Et Mirax, l’oeil en feu, la narine gonflée,
Ligne 1 661 ⟶ 1 639 :
Les soins de Staphyla, ses travaux, son amour.
Le vieux gladiateur souriait comme un père :
«» Viens avec moi, dit-il, viens mourir à ton tour !
«» Foule aux pieds, ô mon fils, les choses de la terre,
«» Laissons faire aux destins, ils savent notre jour !… »
 
«» J’y consens, dit Paulus, mais je crois difficile
«» D’éviter bien longtemps le regard de l’édile…
«» — Qu’importe, dit Mirax, l’édile et son regard ?
«» Jeune homme, on ne craint rien quand on est à César ;
«» On n’ira pas chercher le rhéteur, sois tranquille,
«» Sous le casque de fer et le double cuissard ! »
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/94]]==
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Quand Paulus aperçut le bouffon de l’édile.
Il écarta la foule, et, debout près du nain :
«
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/99]]==
<poem>
» Je le connais, "» dit-il, en étendant la main.
A ce commandement le peuple fut docile,
Car le soleil frappait sur son casque d’airain.
Ligne 1 789 ⟶ 1 766 :
Il allait retrouver sa maîtresse en litière.
 
«» Marcia ! Marcia ! dit Paulus palpitant,
«» Marcia près de moi ! Marcia que j’adore !
«» Parle ! De son rhéteur se souvient-elle encor ? »
— C’est lui ! dit le bouffon. — Silence ! On nous entend !
«» Je te conterai tout… mais il faut qu’on l’ignore,
«» Parlons bas !…Ta maîtresse… — Elle vous aime tant !
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/100]]==
<poem>
 
«» Vingt fois, sans vous trouver, j’ai couru par la ville ;
«» Elle voulait mourir ! — Et l’édile ? — L’édile
«» S’abandonna d’abord à des cris furieux ;
«» Il demandait vengeance, il maudissait les dieux ;
«» Plus tard on vous crut mort ; puis, pour chasser sa bile,
«» Il a bu quatre jours, et s’en est trouvé mieux.»
 
En bénissant le ciel, Paulus prit ses tablettes,
Et d’une main tremblante il y traça son nom :
«» Pour Marcia, pars vite, il faut que tu promettes
«» De garder sur ce point un silence profond !… »
A peine eut-il jeté ces phrases inquiètes,
Qu’aux thermes de Commode il s’élança d’un bond.
Ligne 1 999 ⟶ 1 976 :
Car il frappait la terre en comptant sur ses doigts ;
Notre gladiateur oublia sa prudence :
«» Salut, maître, "» dit-il en élevant la voix.
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/110]]==
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Pareil au voyageur qui rencontre un serpent.
 
«» Paulus ! s’écria-t-il, quelle métamorphose !
«» En croirai-je mes yeux ? Est-ce un songe menteur ?
«» Que veut ce casque énorme et ce fer destructeur ?
«» Où sont les arguments pour expliquer la chose ?
«» Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Qui t’aida ? Quelle cause ?… »
Paulus dit simplement : "» Je suis gladiateur ! »
 
Il ajouta : "» Par goût ! "» Ce fut le coup de grâce.
«» Eheu ! dit le vieillard, les orateurs s’en vont !
«» De ses vieux fondements le monde se déplace,
«
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/111]]==
<poem>
» Le corps se prostitue et l’esprit se corrompt ;
«» On bâtira le cirque au sommet du Parnasse ;
«» Quand nous n’y serons plus, les baladins viendront !
 
«» Qui s’occupe aujourd’hui de faconde et de style ?
«» Qui sait plier la phrase aux flexibles tissus ?
«» O race dépravée ! O jeunesse imbécile !
«» Qu’as-tu fait maintenant des préceptes reçus ?
«» Où vont ces romains-là qui courent par la ville
«» Voir grimacer des nains ou danser des bossus ?
 
«» Le lieu des arguments, est-ce le cirque immonde ?
«» Tullius en cuirasse avait-il combattu ?
«» Le pathos tombera dans une nuit profonde !
«» La logique elle-même y perdra sa vertu !…
«» — Maître, dit l’écolier, je ne sais pas au monde
«» Syllogisme plus fort qu’un glaive bien pointu ;
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/112]]==
<poem>
 
«» L’escrime est, après tout, la sœur de l’éloquence ;
«» Qu’on manie une phrase ou qu’on tourne un poignard
«» C’est de la rhétorique, ô maître, et c’est de l’art ;
«» Epée ou preuve en main, on recule, on avance ;
«» Parer ou réfuter, quelle est la différence ?
«» Je plais par mon aigrette et touche par mon dard !
 
«» Seulement, reprit-il, l’arène est élargie,
«» Et le cœur bondit mieux sous le baudrier d’or !…
«» — Mais la gloire, ô mon fils ! — La gloire que j’envie,
«» C’est le vin ! C’est l’amour ! Et la joyeuse vie !
«» L’autre n’est qu’un son creux sur le tombeau d’un mort !
«» — Eheu ! "» dit le vieillard en soupirant plus fort.
 
De sa main vénérable il se voila la face,
Ligne 2 194 ⟶ 2 170 :
 
Tout à coup un grand bruit ébranla le portique :
«» L’empereur ! L’empereur ! "» La foule, en un moment,
Se tourna vers la porte avec empressement,
Et le Sénat, orné du laticlave antique,
Ligne 2 210 ⟶ 2 186 :
<poem>
 
«» César ! — Aurélius ! — Lucius ! — Débonnaire !
«» Auguste ! — Bienheureux ! — Gouverneur de la terre !
«» Très grand ! — Britannicus ! — Invincible ! — Romain !
«» Hercule ! — Généreux ! — Pontife souverain !
«» Vingt fois tribun du peuple ! — Empereur ! — Consulaire !
«» Au peuple, aux chevaliers, salut ! "» Et, dans sa main
 
Tenant comme Mercure un riche caducée,
Ligne 2 224 ⟶ 2 200 :
Son costume semblait celui d’un sécutor.
 
«» Longue vie à César ! "» cria la foule immense ;
Et le vaste empereur, sous son grand pavillon,
Comme un dieu couronné, vint s’asseoir en silence.
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Le prélude ordonné se prolongea longtemps :
«» Du fer ! Du fer ! "» hurlait la foule impatiente ;
L’escrime s’arrêta ; la trompette bruyante
Tordit sa note rauque et ses sons palpitants,
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L’autre, fixant sur lui son regard intrépide,
Lentement sur le sol posa son pied solide.
«» Mirax ! "» cria le peuple en se levant soudain.
 
C’était lui ! Le vainqueur ! Le héros de la ville !
Ligne 2 292 ⟶ 2 268 :
<poem>
 
«» Il est pris ! Il est pris ! "» dit la foule étonnée.
Varolus triomphait, l’honneur de la journée
Lui semblait garanti par ce coup de bonheur ;
Ligne 2 301 ⟶ 2 277 :
Il fut calme et sublime, en cet instant suprême,
Et leva sur la foule un regard assuré :
«» Pourquoi trembler ? dit-il au rétiaire blême,
«» C’est le peuple, ô mon fils ! Et j’étais préparé ;
«» Il aime à voir tomber qui porte un diadème,
«» Et se venge à sa mort de l’avoir admiré ! »
 
Alors jetant au loin sa cuirasse pesante,
Il tendit son cou nu sous l’acier du poignard,
Puis, tourné vers la foule, et d’une voix puissante :
«
</poem>
==[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/125]]==
<poem>
» Frappe, enfant ! cria-t-il, et salut à César !… »
Le sang jaillit à flots par la gorge béante,
Et Mirax se souvint de tomber avec art.
Ligne 2 362 ⟶ 2 337 :
Se penchait, palpitant de terreur et d’espoir ;
César tout ébloui se tordait sur son trône :
«» Aux mânes de Mirax ! "» dit une voix qui tonne ;
Et le thrace tomba dans les flots d’un sang noir.
 
Ligne 2 385 ⟶ 2 360 :
Commode l’empereur franchit la balustrade,
Et lui-même au jeune homme il donna l’accolade :
«» Grâce à toi, cria-t-il, je triomphe aujourd’hui !
«» Tu peux de mes faveurs essayer l’escalade,
«» Comme tu fus le mien, je serai ton appui. »
 
Il saisit la couronne aux longs rubans de laine
Ligne 2 396 ⟶ 2 371 :
<poem>
Jetaient leur note grêle à l’immense clameur :
«» Son nom ! "» criait le peuple en respirant à peine ;
Le héraut répondit : "» C’est Paulus le rhéteur ! »
 
«» C’est Paulus ! "» A ce nom qui sur la foule plane,
Deux cris longs et perçants montèrent vers les cieux :
L’un partait de l’orchestre où va la courtisane,
Et l’autre des gradins ornés de lits soyeux
Où, sous le blanc réseau d’un voile diaphane,
La matrone se cache aux regards envieux.
</poem>
==__MATCH__:[[Page:Bouilhet - Melænis, 1857.djvu/79131]]==
 
 
CHANT QUATRIIÈME
 
<poem>
Commodus, à tout prendre, était, sur ma parole,
Ligne 2 415 ⟶ 2 392 :
Il était franc d’allure, et portait à l’épaule,
Non la peau d’un renard, mais celle d’un lion !
=== no match ===
 
 
Il avait ses défauts ; qui n’en a, dans son âme ? —
Ligne 2 469 ⟶ 2 444 :
Les choses traînent moins ; c’est le lien fameux
Qu’Alexandre dénoue au tranchant de sa lame.
«» Hélas ! pensait Paulus, le père est furieux !
«» — Dès demain, dit Commode, elle sera ta femme ;
«» Je vais tuer un ours ou quelque hippopotame,
«» Pour marquer dignement cet hymen glorieux !»
 
Comme en un grand danger de la chose publique,
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S’en allait, tour à tour, de la crainte à l’espoir.
 
«» Un mot ! fit Commodus en quittant son escorte,
«» Qu’as-tu sur ton cachet que l’on dit fort ancien ?
«» Un port ? Un aqueduc ? Car ce point-là m’importe.
«»— César, j’ai l’aqueduc et j’ai le port ! — Très bien !
«» Est-ce Ancus ou Numa que ta médaille porte ?
«» — C’est Ancus et Numa ! Dit le patricien. »
 
— Certes, les Marcius sont de race qui brille,
«» Je le savais déjà, dit l’empereur joyeux,
«» Et j’ai cherché moi-même un mari pour ta fille,
«» Qui fût digne de toi comme de tes aïeux.
«» — Un mari pour ma fille ! — Eh ! Sans doute ! — Grands dieux !
«» Quel astre bienveillant plane sur ma famille ?»
 
— Vieillard, reprit Commode, accepte cet honneur,
«» Et cherche en ton esprit quel gendre on te destine.
«»— Un chevalier ? — Non pas. — Un consul, j’imagine ?
«» — Avance ! — Un sénateur à l’antique origine ?
«» — Monte encor, Marcius. — C’est donc… un empereur ?
«» — Plus haut ! — Un dieu ? — Plus haut ! C’est un gladiateur ! »
 
La foudre au triple dard eût tombé sur notre homme,
Qu’il eût été moins pâle et moins épouvanté :
«» C’est Paulus, "» ajouta Commode avec gaieté.
«» Jamais ! "» hurla le père en se débattant comme
Un taureau furieux que le grand prêtre assomme.
«» Jamais ! Jamais !… "» Ce cri, par l’écho répété,
 
Fit tressaillir d’effroi les esclaves fidèles ;
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Il abattit d’un coup la tête de l’oiseau.
 
«» A quand, ô Marcius, la fête nuptiale ? »
Demanda gravement l’Esope au sceptre d’or.
«» Dès demain, si tu veux… "» dit l’autre avec effort,
Car de cet apologue il comprit la morale,
Et ses yeux agrandis, au pavé de la salle,
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Sur ses traits sans couleurs luisaient par intervalle,
Comme un soleil d’hiver sur la neige des monts.
«» C’est moi, dit MelaenisMelænis, et je sais ma rivale !… »
Paulus l’examina de toutes les façons.
 
«» Je ne te connais pas, dit-il ; qui me réclame ?
«» Que me demandes-tu ?… "» Cet amour d’une nuit,
Sans aller jusqu’au cœur, avait glissé sur lui :
Car l’homme est oublieux ; le baiser d’une femme,
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Meurt, la sagette aux flancs et des pleurs dans les yeux !
 
«» Ce que je veux, dit-elle, écoute : c’est la vie
«» Que j’avais autrefois au fond de la cité,
«» Tout ce que j’ai perdu, tout ce qu’un soir d’été
«» Tu m’as pris en jouant. ô démence et folie !
«» J’ai versé tant de pleurs dans mes nuits d’insomnie
«» Qu’il ne me connaît plus et qu’il passe à côté !… »
 
Les sanglots étouffés soulevaient sa ceinture ;
«» MelaenisMelænis ! "» dit Paulus en étendant la main.
Elle reprit : "» Je suis la courtisane impure !
«» La foule aux mille pieds, comme sur un chemin,
«» A marché sur mon cœur ; mais, malgré sa souillure,
«» J’en garde assez encor pour en mourir demain !
 
«» Donc, j’ai pleuré longtemps, dans mon oubli perdue,
«» Depuis que loin de moi ton amour s’envola ;
«» Les hommes, ô Paulus, ne savent pas cela…
«» Une fois, tu passais, je te vis dans la rue,
«» Tu me parus plus grand !… une force inconnue
«» M’étreignit à la gorge, et tout mon corps trembla !…
 
«» De ce jour, j’attachai mes pas aux tiens, sans cesse
«» Tournant autour de toi, comme autour des flambeaux
«» La phalène inquiete ; et je sentais l’ivresse
«» De me brûler le cœur à tes regards si beaux.
«» Mais tu fuyais toujours, et toute ma tendresse
«» Fut pareille à ces fleurs que l’on jette aux tombeaux !
 
«» Enfin — laisse-moi donc continuer, la peine
«» Se dissipe en parlant — enfin, j’appris son nom,
«» Qu’elle était jeune et fière, et de noble maison ;
«» Puis je la vis… et comme un lion qu’on déchaîne,
«» Je sentis dans mon sein rugir toute ma haine,
«» Car elle était charmante, et tu l’aimais, dit-on !… »
 
— Je l’aime ! dit Paulus, malheur à qui la touche ! »
Et dans ses doigts crispés il serrait son poignard ;
MelaenisMelænis, sans trembler, le couvait du regard,
Tandis qu’un rire amer serpentait sur sa bouche.
«» Le lit des morts, dit-elle, est moins froid que ma couche.
«» Que veut ton fer, Paulus ? Il arrive trop tard !
 
«» Ecoute-moi plutôt, je n’ai plus de colère,
«» Je suis douce à présent, et suppliante, vois !
«» Tu ne le savais pas, car, par pitié pour moi,
«» Tu m’aimerais un peu. Qu’ai-je encor sur la terre,
«» Si tu me prends l’amour ?… dans mon cœur solitaire,
«» Le souvenir, c’est toi ! l’espérance, c’est toi !…
 
«» Tu l’aimais, elle était belle, tu la regrettes,
«» Et je comprends cela ; mais je sais bien comment
«» Tu ne peux plus l’aimer ; étrange empressement
«» Des hommes à railler les femmes inquiètes !
«» A quoi bon ? Je sais tout, oublions maintenant ;
«» Viens, nous serons joyeux, au sortir de tes fêtes.
 
«» Sur ton front ruisselant et couronné, ma main
«» Essuiera la sueur ; tu m’aimeras peut-être ! »
— Laisse-moi ! dit Paulus, j’obéis au destin
«» Sans contrainte et sans peur, mon amour va paraître ! »
— Mais l’édile est puissant ! — Mais César est le maître ! »
— Et sa fille oserait ? — Je l’épouse demain ! »
Ligne 2 693 ⟶ 2 668 :
La danseuse, à ces mots, haletante, éperdue,
Se dressa comme un arc dont la corde est rompue :
«» Je le défends, dit-elle, et, lui prenant le bras :
«» Que me fait ton César ? Je ne le connais pas !
«» C’est une étrange erreur, si l’on me croit vaincue,
«» Et si quelqu’un ici pense arrêter mes pas !…
 
«» Je n’ai point sur mon front semé la perle fine,
«» Ni comme elle, au milieu des esclaves tremblants,
«» Dans les bains parfumés amolli mes bras blancs ;
«» Mais un sang jeune et fort bruit dans ma poitrine,
«» Et j’ai sucé le lait dont la louve latine,
«» Sous le figuier antique abreuve ses enfants !
 
«» Oh ! Si tu l’épousais, ce serait chose affreuse !
«» Tu saurais ce que vaut la femme furieuse !
«» Et la torche d’hymen, la torche aux cheveux d’or,
«» Pourrait prêter sa flamme à ton bûcher de mort !…
«» — Elle est, pensa Paulus, plus folle qu’amoureuse ;»
Et, secouant la tête, il reprit son essor.
 
MelaenisMelænis du regard le suivit en silence :
Il disparut bientôt au fond de la cité,
Comme un songe rapide, au réveil emporté…
Ligne 2 742 ⟶ 2 717 :
Tout à coup, vis-à-vis de la Borne qui sue
Et vomit l’onde à flots, par six bouches d’airain,
MelaenisMelænis s’arrêta, la tête dans sa main :
«» Les dés en sont jetés !… il faut que je le tue ! »
Dit-elle, et promenant ses regards dans la rue,
Elle aperçut un bouge où l’on vendait du vin.
Ligne 2 754 ⟶ 2 729 :
Un grand ours au poil brun, coiffé d’un casque d’or.
 
MelaenisMelænis aussitôt, rapide, palpitante,
Se plongea sous la voûte, ainsi qu’en un tombeau ;
Et le vieux cabaret à la dalle glissante
Ligne 2 779 ⟶ 2 754 :
Le vin qu’il avait bu lui colorait la joue,
Un tas de pots à sec roulaient à ses côtés :
«» A manger, criait-il, la piquette m’enroue !
«» J’ai l’océan au ventre et ses dieux irrités !… »
 
L’hôte du lieu parut, la toge retroussée,
Ligne 2 790 ⟶ 2 765 :
 
L’ivrogne, à cet aspect, se pâma de tendresse :
«» Evohé ! cria-t-il, salut à Jupiter ! »
Puis il se mit à l’œuvre avec des dents de fer ;
Il prenait, il mangeait, il reprenait sans cesse,
Ligne 2 798 ⟶ 2 773 :
La pâle courtisane, immobile à sa place,
Contemplait gravement cette scène vorace :
«» Il est perdu, dit-elle, et ne comprendrait pas ! »
Puis vers un jeune esclave elle fit quelques pas ;
C’était un beau garçon, sans barbe et plein de grâce :
«» Que m’importe ! dit-elle, il faudrait un bon bras ! »
 
Elle allait furetant par la taverne humide
Ligne 2 822 ⟶ 2 797 :
Son long glaive battait sur sa cuisse ; le vin
De rubis éclatants semait sa barbe noire…
«» C’est lui ! "» dit MelaenisMelænis, en s’arrêtant soudain.
 
Au bruit que fit sa robe en frôlant la muraille,
Ligne 2 831 ⟶ 2 806 :
A couper du revers, un éléphant en deux.
 
«» Par la cuisse d’Hercule ! Elle est charmante et belle ! »
Cria Pantabolus, en s’abattant sur elle ;
Puis caressant sa barbe et roulant ses regards :
«» Vénus est toujours là, quand on parle de Mars !
«» Elle aime les grands coups et le sang qui ruisselle,
«» Les boucliers luisants, les casques et les chars !… »
 
Tout en parlant ainsi, sa main large et rugueuse
Sur sa vaste poitrine étreignait la danseuse :
«» A moi ! "» dit-il ; "» A nous ! "» hurlèrent les soldats ;
Et les yeux éclataient avides, et les bras
S’étendaient, comme on voit, hors de la roche creuse,
Ligne 2 849 ⟶ 2 824 :
Se roula, culbutant les tables et les pots ;
Lui, saisit au hasard le pied d’une escabelle,
Et devant MelaenisMelænis, comme une sentinelle,
Se posa largement ; on eût dit que son dos,
 
Mieux que celui d’Atlas, pouvait porter le monde.
«» Au large ! "» cria-t-il, et ses yeux pleins de sang
Brillaient sous ses cils noirs, comme un feu rougissant
Sous les branches. Lancée avec un bruit de fronde,
Ligne 2 866 ⟶ 2 841 :
Et quand il fut s’asseoir, on ne le suivit pas !
 
MelaenisMelænis le suivit : une joie inconnue
Eclatait sur son front par la douleur pâli,
Sa bouche demi-close où se creusait un pli
Ligne 2 873 ⟶ 2 848 :
Comme un flot écumeux sur un rocher poli.
 
«» Bien ! dit-elle, voilà ce que je veux, l’audace ! »
Et lui serrant la main : "» J’aime les hommes forts !
«» Ton sein large est taillé pour porter la cuirasse,
«» Ton bras se gonfle bien quand il tend ses ressorts… »
Et sa voix, en parlant, modulée avec grâce,
Comme des doigts lascifs lui parcourait le corps.
 
Il ouvrit de grands yeux, haletant et stupide ;
«» Bois ! "» dit-elle ; et prenant la patère à sa main,
Aux lèvres du soldat elle tendit le vin ;
Puis s’échappant d’un bond, quand la coupe fut vide,
Ligne 2 905 ⟶ 2 880 :
Un gai rayon, glissant comme l’aube au réveil,
D’une barre d’azur coupait la salle entière,
Et MelaenisMelænis, baignée aux flots de la lumière,
Semblait, la lyre en main, danser dans le soleil.
 
«» Viens ! dit Pantabolus. — Non, "» répondit la belle,
Et sa pose enivrante était plus molle encor.
Le soldat n’y tint plus, d’un bond il fut près d’elle,
A sa taille glissante attacha son bras fort ;
«» Oh ! Je t’aime ! dit-il, que sert d’être rebelle ?… »
Et sa main vers le banc l’entraîna sans effort ;
 
Ligne 2 922 ⟶ 2 897 :
Frôlaient la guêtre noire et le rude soulier.
 
«» Si j’étais homme aussi, j’aimerais les batailles,
«» Dit-elle, et sur mon front les panaches mouvants,
«» La marche en plein soleil, l’assaut sur les murailles,
«» La tente qu’on déploie et qui frissonne aux vents !… »
Le soldat la couvait sous ses yeux éclatants,
Les mots qu’il entendait le prenaient aux entrailles.
 
«» Tu dis vrai ! cria-t-il en agitant ses mains ;
«» Du temps de Cassius, j’ai vu de grandes guerres,
«» Les scythes vagabonds aux flèches meurtrières,
«» Les gélons demi-nus, les sarmates lointains…
«» C’était plaisir alors ! Des légions entières
«» Franchissaient le Danube, au pays des Germains ! »
 
Et tandis que sa voix s’en allait large et pleine,
MelaenisMelænis le brûlait du feu de son haleine ;
Puis se dressant, ainsi qu’un enfant curieux,
Dans le casque de cuivre elle mirait ses yeux,
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La taverne alentour se vidait ; la nuit sombre
Arrivait par degrés. "» Tiens ! dit Pantabolus,
«» Je ne sais pas ton nom, mais je ne vivrai plus
«» Sans ta danse, et ton rire, et tes chansons sans nombre ;
«» Parle ! Un seul mot d’amour, embrassons-nous dans l’ombre… »
— Non, dit-elle, en baissant des yeux irrésolus. »
 
— Tu me détestes donc ? — Non, reprit-elle ; pose
«» Ta main, là, sur mon cœur, il en sait quelque chose ! »
Le bon Pantabolus crut trouver le défaut,
Mit l’escarcelle au vent, et la fit sonner haut ;
«» Jamais ! "» dit MelaenisMelænis, puis après une pause :
«» Soldat, garde ton or, c’est du fer qu’il me faut !
 
«» Tu m’aimes, n’est-ce pas ? Eh bien ! Il est au monde
«» Un homme que je hais, d’une haine profonde,
«» Celui-là voit le jour !… — Comment l’appelle-t-on ? »
— Celui-là n’eut pour moi ni pitié ni pardon,
«» Celui-là !… je l’aimais !… Que le ciel me confonde !…
«» Je crois l’aimer encor ! — Son nom ! son nom ! son nom !
 
«» — Cet homme, écoute bien, de mon amour se joue,
«» Il en fait un haillon qu’il traîne dans la boue !
«» Quand j’ai prié, quand j’ai pleuré, quand j’ai rampé,
«» Il a ri ! Par une autre il était occupé !
«» Il me le faut, demain, mort ; veux-tu ? Je l’avoue,
«» Je t’aime ! Prends ta lame, et qu’il soit bien frappé ! »
 
— Son nom ! dit le soldat. —C’est Paulus qu’on l’appelle.
«» — Eh bien ! Mort à Paulus ! — Ecoute, reprit-elle,
«» C’est Paulus, le préfet du prétoire, celui
«» Que l’empereur adore et qui règne après lui. »
— Mais… dit Pantabolus. — Mais ton âme chancelle !
«» Je vois bien que sur toi je me trompe aujourd’hui ! »
 
Elle voulut partir ; comme dans une chaîne,
Pantabolus tremblant la retint dans ses bras.
«» Laisse-moi ! lui dit-elle, il me faut son trépas !
«» Crois-tu que j’aie un cœur si large ?… cette haine
«» Doit en sortir d’abord, pour que l’amour y vienne !
«» Tu sais tout : lui vivant, je ne te connais pas !…
 
«» Mais si l’on te disait qu’en baisers de ma bouche
«» Je payerai sa blessure et tous ses cris d’effroi !
«» Mais si l’on te disait, pour que cela te touche,
«» Que cet homme, après tout, est mon maître et mon roi !
«» Qu’il veille, gardien sombre, au chevet de ma couche !
«» Qu’il faut marcher sur lui pour arriver à moi !
 
«» Que lui mort, nous pouvons nous aimer sans partage,
«» Qu’il est de douces nuits, et des jours sans nuage !
«» Qu’il serait dur vraiment qu’un autre nous gênât,
«» Et que l’amour vaut bien qu’on ose l’attentat ! »
— Va, fit Pantabolus, j’accepte le message ! »
— Demain ? dit MelaenisMelænis. — Demain ! "» dit le soldat.
 
Elle tendit sa lèvre au gros légionnaire.
«» Nous nous verrons ici, dit-elle, c’est juré ! »
Puis glissant de ses bras, elle bondit à terre ;
L’hôtelier, sur le seuil, paraissait affairé,
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Il avait le nez rouge et le front balafré.
 
Quand MelaenisMelænis reprit le chemin de Suburre,
La lune, au fond du ciel, ébauchait sa figure,
Le soleil descendait, et ses derniers rayons
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Qui serpente et se tord au pied de l’Esquilin,
Une réflexion vint la frapper soudain :
«» Si le soldat tremblait, dit-elle, qui m’assure
«» Que le fer jusqu’au fond fouillera la blessure,
«» Et que Paulus, au cœur, sera percé demain ?… »
 
Mais elle tressaillit d’une joie inconnue,
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Un jeune esclave noir passait en ce moment,
Avec un vase plein sur son épaule nue :
«» Staphyla ! cria-t-elle. — En face ! "» dit l’enfant.
 
Staphyla ! Staphyla ! La vieille campanienne,
Qui va hochant la tête et murmure tout bas
Des mots mystérieux que l’on ne comprend pas !…
MelaenisMelænis y courut, puis, respirant à peine,
Elle frappa trois coups à la porte de chêne,
Et dans la grande salle on entendit des pas.
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Qu’en cette nuit fameuse, où Paulus vint la voir.
 
«» Qui frappe ? — Ouvre sans peur, dit la danseuse pâle,
«» C’est l’amour outragé !… c’est la vengeance aussi !… »
— Qu’ils entrent, fit la vieille, on les connaît ici ! »
Et, dans l’ombre, grinça la porte de la salle,
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Et tout l’antre gémir d’une immense douleur.
 
MelaenisMelænis s’arrêta : "» Toi, qui sais tout sur terre
«» Et dont l’art souverain marche au niveau des dieux,
«» Je l’aimais !… J’étais folle ! Il a ri de mes feux !…
«» Venge-moi !… "» Puis, soudain, pour aider sa prière,
Elle jeta de l’or, luisant dans la poussière ;
La vieille, à cet aspect, crispa ses doigts nerveux ;
 
Un feu rapide et clair jaillit de sa prunelle :
«» Ces philtres, ces onguents, tout est pour toi, dit-elle,
«» Parle ! "» Et sa main glacée entraînait MelaenisMelænis ;
«» Veux-tu voir, en un jour, ses jeunes ans ternis ?
«» Son front chauve, creusé d’une ride éternelle ?
«» Et tout son corps tremblant sur ses pieds engourdis ?…
 
«» J’ai le cumin sauvage et l’herbe de Colchide
«» Qui font pâlir la face et s’éteindre les yeux.
«» Du serpent Sepédon j’ai le venin fameux :
«» Quatre gouttes au plus de ce poison fluide
«» Changent l’adolescent en un vieillard livide,
«» Qui va, le dos courbé, sans barbe et sans cheveux.
 
«» S’il traverse les flots, si son coursier l’entraîne,
«» S’il tend, près du foyer, sa coupe à l’échanson,
«» Ma fille ! Avec trois mots j’arrêterai sans peine
«» Son vaisseau sur la mer, son cheval dans la plaine,
«» Ou d’un cercle fatal, fermant son horizon,
«» J’enchaînerai ses pieds au seuil de sa maison ! »
 
— Non ! Cria MelaenisMelænis, ce n’est point mon affaire !
«» Avant d’avoir sa mort il me faut son amour ! »
— Alors, je puis t’offrir, répliqua la sorcière,
«» Dans une peau de grue, un poumon de vautour,
«» Ou ce pourpier charnu, cueilli dans l’onde amère,
«» Qu’on mêle à l’orge blond et qu’on dessèche au four. »
 
Puis la vieille, joignant les gestes aux paroles,
De sa torche rougeâtre éclairait les fioles,
Les coupes, les bassins suspendus aux lambris :
«» Voici le sang caillé d’une chauve-souris,
«» Voici des dents d’aspic avec leurs alvéoles
«» (Mais ces charmes ne vont qu’aux femmes). Tout compris.»
 
«» C’est un philtre d’amour ?"» demanda la sibylle.
La danseuse reprit : "» Qu’il soit aussi de mort !
«» Et jetant sur la table une autre pièce d’or :
«» Je veux qu’il m’aime et puis qu’il meure ! — C’est facile,
«» Il faut, dit Staphyla, quelque recette habile,
«» Qui le pousse à la tombe en le brûlant d’abord !
 
«» Mais tu dois, avant tout, te guérir de ta peine ;
«» Je vais mêler, pour toi, dans une coupe pleine,
«» La cendre de vipère à l’huile de cyprès,
«» Puis la chèvre brûlée au feu d’un mort, après… »
— Non, reprit l’autre. — Après, "» dit la magicienne
Qui, pour toute infortune, avait des philtres prêts,
 
«» Tu prendras la clupée, une pierre assez belle,
«» Que cherchent les pêcheurs à la lune nouvelle,
«» Et qu’on trouve en fendant la tête d’un poisson ;
«» Puis tu regarderas avec attention
«» L’oiseau Charadrius, dont la puissance est telle,
«» Qu’on guérit, à le voir, de toute passion !… »
 
— Je ne veux pas guérir ! cria la jeune fille ;
«» Commençons !… l’heure échappe !… et le temps est compté !… »
La sorcière fait trêve à sa loquacité
Et plante, sur le banc, la torche qui pétille :
«» Quel est son nom d’abord, son âge et sa famille ?… »
— Son nom ?… dit MelaenisMelænis, je l’ai trop répété !
 
«» Son âge ? Il va mourir !… — Sa famille ? Qu’importe !…
«» Qu’il soit esclave ou roi, ma haine est assez forte
«» Pour briser, en tombant, sa couronne ou ses fers !
«» — Alors, dit la sibylle, agissons d’autre sorte :
«» Evoque-le toi-même, et, fût-il aux enfers,
«» Il viendra !… sur cette eau reste les yeux ouverts !
 
«» Penche-toi, sans parler, regarde au fond !… "» Staphyle,
Tout en disant ces mots, dans un coin ténébreux
Prit un baquet étrange, au ventre spacieux,
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Suivait, d’un doigt tremblant, mainte ligne bizarre,
Alphabet monstrueux d’un langage inconnu.
Près d’elle est MelaenisMelænis — le baquet les sépare —
Elle jette sur l’eau son regard éperdu,
Dans l’immobilité de l’aigle ou de l’avare
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L’une le commençait, l’autre l’avait fini…
 
«» Que vois-tu ? — Rien encore ! — Il viendra ! "» dit Staphyle.
Le silence se fit solennel et profond ;
Et de nouveau la vieille, avec sa voix tranquille :
«» Que vois-tu ?… — Je vois l’eau qui tourbillonne au fond… »
— Il viendra ! "» MelaenisMelænis se penchait immobile,
Et le doute à l’espoir se mêlait sur son front.
 
Mais soudain Staphyla vit pâlir son visage,
Un frisson secoua ses membres, et ses yeux
Brillèrent : "» L’eau se trouble !… et c’est comme un nuage
«» Qui tourne !… quelque chose a paru dans les feux !…
«» Dieux !… c’est lui !… cria-t-elle en se dressant, l’image !…
«» Là !… Mais tout fuit… le philtre ! Il le faut ! Je le veux !… »
 
Sa lèvre dédaigneuse essayait un sourire…
«» Je l’ai bien vu, ma mère, il me raillait encor !…
«» Allons !… "» Puis entraînant la vieille avec effort :
«» Plus de grâce, à présent, c’est l’heure qu’il expire ! »
On eût dit à la voir, la bacchante en délire,
Quand sonne le tambour et la cymbale d’or.
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Avec un bâton blanc, fait en bois d’olivier.
 
MelaenisMelænis à côté, regardait la fumée
Sortir en longs filets du philtre bouillonnant ;
Quand soudain Staphyla, pâle et l’oeil rayonnant,
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La toupie au flanc creux, qui bruit en tournant :
 
«» Va ! dit-elle, agitant les sifflantes lanières,
«» Dans ton cercle sonore enferme son destin,
«» Tourne, tourne toujours !… sur le mont Esquilin,
«» La lune aux pieds d’argent, glisse dans les bruyères,
«» Et les morts, inquiets sur leurs couches de pierres,
«» Se dressent, écoutant ton murmure lointain !
 
«» Qu’il tombe avant le jour ! Que dans la nuit glacée,
«» Il ait, pour tout linceul, comme un sombre inconnu,
«» L’aile du vautour fauve et l’ombre du ciel nu !
«» Tourne ! Tourne !… "» Et sa voix haletante, insensée,
Sa chevelure grise, à son front hérissée,
Ses yeux sanglants, ses doigts crispés, son bras tendu,
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Tout passait, tout grinçait, ainsi qu’un rêve étrange,
Devant la courtisane immobile d’effroi…
«» Tourne ! Tourne plus fort !… C’est l’amour qui se venge !
«» Le feu flambe au foyer ! L’air siffle autour de moi !
«» A la lèvre du vase écume le mélange !
«» O cieux, lancez la foudre ! ô terre, entr’ouvre-toi ! »
 
Mais sa voix s’éteignit, arrêtée au passage,
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Puis, sur les durs pavés s’affaissa lourdement.
 
«» A l’aide ! à moi ! "» cria la danseuse effarée.
L’écho seul répondit, et l’antre spacieux,
Ainsi qu’un grand tombeau, resta silencieux !
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Elle la réchauffait sous son souffle tremblant,
Et de ses doigts légers, soulevait sa paupière :
«» Pourquoi dormir toujours ?… Eveille-toi, ma mère ! »
— Où suis-je ? dit Staphyle, oh ! J’ai le front brûlant,
«» Les pieds glacés ! Enfant de la vieille sorcière,
«» Adieu !… je vais mourir ! Fantômes au pas lent,
 
«» Avec vous, sur les monts où le cyprès frissonne,
«» Je glisserai demain sous le pâle croissant.
«» O larves des tombeaux, préparez ma couronne !
«» D’un agneau nouveau-né faites couler le sang !
«» Terre, adieu ! J’ai vécu ! Durant les nuits d’automne,
«» Je ne m’assoirai plus au foyer rougissant !
 
«» Je n’écouterai plus le vent gémir dans l’ombre,
«» Je n’irai plus cueillir seule, au fond des grands bois,
«» L’herbe qui fait aimer. Adieu, retraite sombre
«» Où sur les maux passés j’ai pleuré tant de fois !
«» O nature ! Nature aux mystères sans nombre,
«» Je puis fermer mes yeux, ils ont surpris tes lois !
 
«» Je sens un souffle ardent qui m’arrache à la terre !
«» Je veux mêler mon âme à l’océan vermeil !
«» J’irai dans les rameaux du cèdre solitaire !
«» Dans la brume des nuits, dans les feux du soleil !…
«» Terre, adieu ! J’ai vécu ! "» la voix de la sorcière
Vibrait étrangement, et son regard, pareil
 
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Quelque chose de grand planait sur cette femme.
Enfin, se roidissant par un dernier effort :
«» Ma fille, approche-toi, voici venir la mort !
«» Je confie à ta foi le secret de mon âme ;
«» Sois discrète ! "»… fit-elle en hésitant encor.
 
— Pourquoi, dit MelaenisMelænis, chasser toute espérance ?…
«» J’appellerai, j’irai !… "» mais la vieille : "» Silence !
«» La destinée est sourde, on ne l’arrête pas !
«» Ce frisson de mon corps, c’est le froid du trépas.
«» C’est l’éternelle nuit qui sur mes yeux s’avance !… »
— Parle ! "» dit MelaenisMelænis, en se penchant si bas
Que ses cheveux bouclés frôlaient la moribonde.
 
La sorcière reprit : "» En quelque lieu du monde
«» Qu’il se cache à tes yeux, fût-ce chez l’empereur,
«» Tu chercheras demain Paulus gladiateur !…
(MelaenisMelænis tressaillit d’une angoisse profonde.)
«» Tu lui diras : ta mère est morte sur mon cœur !… »
— Toi, sa mère ! "» cria la danseuse en démence ;
 
Le front de Staphyla prit un air soucieux.
«» Tu connais donc Paulus ? — Je le connais. — Tant mieux !
«» Pour qu’il ne rougît point d’apprendre sa naissance,
«» Vingt ans, dis-lui cela, j’ai gardé le silence,
«» J’ai refoulé mon cœur, j’ai fait taire mes yeux !
 
«» Dis-lui que son regard, dis-lui que sa parole,
«» Quand il venait me voir, poussé par quelque ennui,
«» Me faisaient du bonheur pour tout un jour ! Dis-lui
«» Que mes pleurs ont lavé ma jeunesse frivole,
«» Et que ce dernier cri d’une âme qui s’envole
«» N’eut pour témoins que toi, le silence et la nuit ! »
 
Sa voix s’affaiblissait, et son souffle débile
Râlait, comme le vent dans les feuillages morts !
De longs frémissements lui parcouraient le corps ;
Enfin, elle reprit : "» S’il cherche par la ville
«» Son père, écoute bien, c’est Marcius l’édile !… »
MelaenisMelænis se dressa comme avec des ressorts.
 
«» Son père !… Marcius !… grands dieux ! L’ai-je entendu ?… »
La sorcière à sa voix se levait par degrés.
«» Oh ! fit-elle en ouvrant des yeux démesurés,
«» Achève !… — Je ne puis ! — Parle ! — Je t’ai perdue !
«» C’est ton fils que j’aimais !… — C’est mon fils que je tue !… »
Elle heurta son front entre ses poings serrés,
 
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Et relève son âme en lui tendant la main…
 
«» Des perles ! "» dit Bacca, courant par les cuisines,
Plus ardent que Vulcain au bord de ses fourneaux :
«» J’aime dans les pois gris l’éclat des perles fines !
«» Arrosez la polente avec le vin de Cos ;
«» Ces huîtres seraient mieux sous des herbes marines.
«» Pressez le feu ; Chrysale, a-t-on vu mes turbots ? »
 
— Non, maître ! — Par Bacchus ! C’est une raillerie !
«» Fiez-vous pour souper au vaisseau d’un préteur !
«» Jamais gabarre à flot n’eut pareille lenteur !
«» Herclé !… pas de turbots !… Le jour qu’on se marie ! »
Et le bon cuisinier tordait avec furie
Ses cheveux grisonnants, sur son front en sueur.
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De vaisselle sonore et de poêlons d’airain,
Frémissant sur le feu comme le flot marin :
«» Allons ! criait Bacca pour exciter son monde,
«» Vous boirez, à la noce, un tonneau de bon vin !…
 
«» A-t-on vu mes turbots ?… — Pas encor, dit Chrysale. »
— Bombax !… "» C’était le mot terrible et redouté ;
Les marmitons tremblaient et Bacca devint pâle :
«» S’ils arrivent trop tard, c’est une indignité !
«» Au Tibre !… il en est temps ! Courez sans intervalle !…
«» J’ai vécu cinquante ans par mon nom respecté ;
 
«» J’ai fait de grands repas et des fêtes splendides,
«» Où, couronnés de fleurs et la coupe à la main,
«» Cent convives joyeux mangeaient jusqu’au matin !
«» De la Bretagne froide aux régions torrides,
«» Quand nous avions soupé, trois mondes étaient vides !
«» Et les dieux, à Bacca devaient une autre fin !… »
 
— Les turbots ! "» dit Chrysale en enfonçant la porte
Plutôt qu’il ne l’ouvrit, tant sa joie était forte ;
Puis, auprès du vieux maître arrivant en deux bonds :
«» Je les ai vus moi-même ! Ils sont dodus et ronds !
«» Mais le préteur est mort en voyage ! — Qu’importe ! »
Dit Bacca radieux, si les turbots sont bons !… »
 
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Les matrones tiraient le voile de safran,
Avec la pièce d’or des fêtes nuptiales,
Et le fuseau qui dit : "» Travaillez en aimant ! »
 
Ainsi qu’un arc tendu, sur son oeil qui pétille,
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Et mille reflets d’or à troubler les regards.
 
«» Salut ! "» dit le bouffon en entrant dans la salle,
Avec une façon de tête triomphale,
Et portant, comme amour, la torche et le carquois :
«» Je me marie aussi, je viens faire mon choix ;
«» Celle-ci me plairait, mais elle est un peu pâle ;
«» Cette autre serait mieux plus haute de deux doigts ! »
 
Et Coracoïdès, comme un patron sans gêne,
Devant chaque suivante agitait son flambeau ;
Puis, saisissant le bras d’une esclave africaine :
«» Par Castor ! cria-t-il, c’est le meilleur morceau !
«» Je préfère aux seins blancs les poitrines d’ébène,
«» C’est le cœur, après tout, qui leur monte à la peau !
 
«» J’aime ces yeux d’argent, ce nez dont les deux ailes
«» S’étalent, cette bouche, aux bords gonflés et ronds,
«» Qui semble avoir mangé des mûres. Nous verrons
«» Des contrastes charmants et des choses nouvelles ;
«» Ensemble, ce sera superbe : nous ferons
«» Des enfants blancs et noirs, comme les hirondelles.»
 
Et vers sa sombre épouse il tendait, en parlant,
Une poire de coing, d’après l’antique usage :
«» Dans neuf mois la grenade !… ajouta le galant,
«» Je tente la fortune, et me voue au ménage ;
«» Tous les maris trompés ne font pas le tapage
«» De Ménélas. Pour moi, je suis moins pétulant !… »
 
La suivante, immobile, écoutait cette histoire,
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La pudeur libyenne est une fiction,
On ne saurait rougir, quand on a la peau noire
«» Hélas ! dit Marcia, joignant ses mains d’ivoire,
«» Quel malheur de quitter un si gentil bouffon !
 
«» Quand je t’aurai perdu, qui donc me fera rire ?
«» Mon pauvre petit nain, je ne te verrai plus
«» Imiter, en dansant, le faune ou le satyre !…
«» Mais, pourquoi, reprit-elle, abandonner Paulus ?
«» Viens avec nous !… "» Le nain se tenait, sans mot dire,
Et roulait au hasard, des yeux irrésolus.
 
Enfin, la tête basse, et d’une voix câline,
«» Bacca vient-il aussi ? — Non, dit-elle en riant. »
— C’est que… fit le bouffon, pâle et balbutiant,
«» J’aime le vieux Bacca ! C’est une âme divine !… »
Et Coracoïdès, qu’un double instinct domine,
Sentait sourdre en lui-même, un combat effrayant :
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On entendait, au loin, les jeunes gens heureux
Qui jetaient, tous en chœur, leurs chansons aux étoiles.
«» Il vient !… "» dit Marcia, baissant les riches toiles
Dont le mince tissu voltigeait sur ses yeux.
 
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Cinq enfants secouaient des flambeaux et des fleurs.
 
«» Caia !… Thalassius !… Hyménée !… Hyménée !… »
Ainsi chantaient cent voix montant à l’unisson ;
Des esclaves portaient la quenouille ordonnée,
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On entendit des cris dans l’ombre du jardin,
Et la voix des valets courant sous les portiques :
«» Elle est folle !… arrêtez !… "» Mais sur ses gonds d’airain
La porte tressaillit, et, cessant les cantiques,
La foule, comme un flot, se replia soudain…
 
Calme plein de terreur qui couve la tempête !
MelaenisMelænis, en silence, apparut sur le seuil ;
On eût dit une morte échappée au cercueil ;
Entre les rangs pressés, sans retourner la tête,
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L’or et la pourpre en feu sur les robes de fête :
 
«» Eteignez ces flambeaux ! Cessez vos chants joyeux !
«» Avant d’unir ici l’inceste à l’adultère,
«» Souvenez-vous des morts, et respectez les dieux ! »
Sa voix sur tous les fronts roulait comme un tonnerre :
«» Arrêtez ! "» et du bras les séparant tous deux :
«» Paulus, voici ta sœur ! Marcia, c’est ton frère ! »
 
— Son frère !… dit la foule, étrange événement !
«» Qui l’eût cru ? Qui l’eût dit ? Est-ce un fourbe ? Est-ce un traître ? »
— C’est faux ! hurla Paulus, cette danseuse ment !
«» J’arracherai son masque et la ferai connaître !… »
MelaenisMelænis, de la main, l’écarta gravement :
«» Ici, chez Marcius, je n’écoute qu’un maître !
 
«» Vois tous tes conviés, ils pâlissent d’effroi !
«» C’est que ta mère est morte ! Et la vieille sibylle
«» N’a pas de tombe encor sur son cadavre froid !… »
— Staphyla ! fit Paulus. — Ta mère ! "» Mais l’édile :
«» Ai-je bien entendu ! Qui parle de Staphyle ?… »
 
— Vieillard, dit MelaenisMelænis en s’avançant, c’est moi !
«» Moi, qui seule ai reçu sa parole dernière,
«» Moi, qui seule en mes bras soutins son front glacé,
«» Moi, dont les yeux ont vu comme au bord d’un cratère,
«» Les abîmes d’un cœur où l’amour a passé !…
«» Et je m’étonne encor que le fils et le père
«» N’aient pas frémi, dans l’âme, au cri qu’elle a poussé !
 
«» Donc, s’il te reste au cœur quelque trace incertaine,
«» Quelque écho du passé qui murmure tout bas,
«» Souviens-toi, Marcius, de cette Campanienne,
«» Qui partit en serrant son fils entre ses bras. »
— Dieux ! fit l’édile en pleurs, ma jeunesse lointaine
«» Accourt comme un fantôme au-devant de mes pas !
 
«» Je comprends maintenant ma haine et ma tendresse ;
«» Mon fils, embrasse-moi ! Cette femme a raison :
«» Quel que soit le transport dont l’aiguillon nous presse,
«» Le sang ne connaît pas de modération,
«» Et je fus, tour à tour, pardonne à ma faiblesse,
«» Ton père par l’amour et par l’aversion !…
 
«»Les gens qui soupent bien ont l’âme épanouie,
Rien n’est tendre et naïf comme un buveur joyeux ;
Ce fut, sur ma parole, un tableau curieux
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Il riait, il pleurait, et tournant par la salle,
De sa fille à son fils courait incessamment ;
MelaenisMelænis avait fui pendant cet intervalle, —
Et Marcia, sans voix comme sans mouvement,
Egalait en pâleur sa robe nuptiale :
«» O ma sœur ! Adieu donc !… "» dit Paulus tristement.
 
Il avait ce visage, à peindre difficile,
Qu’il est fin de cacher sous un pan du manteau.
Marcia, MelaenisMelænis, la sorcière, l’édile,
Tout s’agitait ensemble au fond de son cerveau,
Et chaque souvenir, fugitif et mobile,
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Sous ses pieds, en passant faisait craquer les noix
Dont on avait semé les routes tiburtines :
«» O Vénus !… cria-t-il, d’une tremblante voix,
 
«» A quoi bon dans les cieux, comme une raillerie,
«» Sur mon front abattu secouer ton fanal ?
«» Ne pouvais-tu du moins, refusant le signal,
«» Cacher pour cette nuit ta lumière chérie ?…
«» Hélas ! J’irai tout seul dans ma chambre fleurie,
«» M’étendre, en sanglotant, sur le lit nuptial !
 
«» Les gais musiciens, parmi les feux sans nombre,
«» Attendent le cortége et les époux nouveaux.
«» Les flûtes se tairont et la nuit sera sombre.
«» Marcia ! Marcia ! Devant les cinq flambeaux
«» Je ne déferai pas ta ceinture !… Et dans l’ombre
«» Je ne sentirai pas, de tes cheveux si beaux,
 
«» Rouler les flots épars !… Mon seul bien sur la terre,
«» Quoi ! Mort ! évanoui ! Disparu sans retour !
«» Que faire maintenant de ce cœur plein d’amour ?
«» De mon sang ? De ma vie ? O misère ! Misère !
«» Un autre sur son sein l’étreindra quelque jour ;
«» un autre quelque jour ne sera pas son frère !… »
 
— Paulus ! dit une voix, quelqu’un te reste encore !… »
Le jeune homme effaré fit un pas en arrière :
«» Oh ! Je le sais trop bien !… dit-il avec effort,
«» C’est mon mauvais génie envoyé sur la terre !
«» Parle ! Que te faut-il à cette heure dernière ?
«» Je suis tombé si bas, que je me ris du sort !… »
 
— Paulus, dit MelaenisMelænis, je t’aime avec démence !
«» Je t’aime avec fureur ! Ma haine et ma vengeance,
«» Tu n’as donc pas compris que c’était de l’amour ?
«» Hélas ! Courbant le front sous mon fardeau trop lourd,
«» J’ai baisé tes pieds nus, et tu fus sans clémence !
«» J’ai frappé ta poitrine, et ton cœur était sourd !…
 
«» Tu connais maintenant cette longue torture
«» Qui fait le jour sans joie et la nuit sans sommeil ;
«» Tu sais le sang qui bout, à la lave pareil,
«» La bouche qui frémit, la tempe qui murmure ;
«» Oh ! Tu peux mesurer mon mal à ta blessure,
«» Et dire ce qu’on souffre au moment du réveil ! »
 
Elle avait dans la voix une musique étrange ;
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Une puissance occulte envahissait son âme,
Des tonnerres lointains roulaient au fond des cieux :
«» Qu’es-tu donc ? lui dit-il en ouvrant de grands yeux,
«» Dù prends-tu cette voix qui charme et cette flamme
«» Qui, dans tes longs regards, brille comme une lame ?
«» Quel effrayant destin nous enchaîna tous deux ?… »
 
— Que t’importe, ô Paulus ! s’écria la danseuse,
«» Aimons-nous ! Aimons-nous ! Cela seul est réel !
«» Viens cacher nos baisers dans la nuit orageuse !
«» Notre torche d’hymen, c’est la tempête au ciel !
«» Nous fuirons ; nous aurons quelque retraite ombreuse
«» Pour y faire, à nos cœurs, un exil éternel !…
 
«» Viens ! Qu’attends-tu ? Partons ! Pour nos désirs immenses,
«» Paulus, la vie est courte, et le monde est étroit.
«» C’est un souffle fatal qui me pousse vers toi.
«» Notre bonheur est fait de pleurs et de vengeances,
«» Et cet amour terrible aura des violences
«» Pleines de volupté, de délire et d’effroi ! »
 
Sa voix tomba ; le vent soulevait la poussière,
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Mais tout à coup, le bruit d’un pas retentissant
Frappa l’ombre, un fer nu brilla près d’un visage.
«» A moi ! Je suis blessé !… "» dit Paulus frémissant.
Puis il tomba d’un bloc, sans parler davantage,
Et la danseuse vit, aux lueurs de l’orage,
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*
 
Ce que fit MelaenisMelænis, après cette aventure,
Je l’ignore ! O lecteur ! Vint-elle au cabaret
Trouver Pantabolus et payer la blessure ?