« La Maison Tellier (recueil, Ollendorff 1891)/La Femme de Paul » : différence entre les versions
Contenu supprimé Contenu ajouté
m a déplacé La Femme de Paul vers La Maison Tellier (recueil)/La Femme de Paul : sous-page |
Aucun résumé des modifications |
||
Ligne 1 :
{{TextQuality|25%}}<div class="text">
{{DEFAULTSORT :Femme de Paul}}
[[Catégorie :Contes et Nouvelles de Maupassant]]
[[Catégorie :1881]]
{{ChapitreNav
|[[La Maison Tellier (recueil)|La Maison Tellier]]
|[[Auteur :Guy de Maupassant|Guy de Maupassant]]
|'''La Femme de Paul'''</br>mai 1881
|[[Au Printemps (Maupassant)|Au Printemps]]
Ligne 16 :
Le restaurant Grillon, ce phalanstère des canotiers, se vidait lentement.
Les femmes, en claire toilette de printemps, embarquaient avec précaution dans les yoles, et,
Les rameurs prenaient place à leur tour, bras nus et la poitrine bombée, posant pour la galerie, une galerie composée de bourgeois endimanchés,
Les bateaux, un à un, se détachaient du ponton. Les tireurs se penchaient en avant, puis se renversaient
Un couple seul était resté. Le jeune homme, presque imberbe encore, mince, le visage pâle, tenait par la taille sa maîtresse, une petite brune maigre avec des allures de sauterelle ; et ils se regardaient parfois au fond des yeux.
Le patron cria :
De tous les clients de la maison, M. Paul était le plus aimé et le plus respecté. Il payait bien et régulièrement, tandis que les autres se faisaient longtemps tirer
La mère Grillon, une brave femme, entendue au commerce, appelait le jeune homme et sa compagne :
Le couple
Quand ils arrivèrent, il allait être trois heures, et le grand café flottant regorgeait de monde.
M. Paul attacha son embarcation le long de
De
La berge était couverte de gens qui
Le bras de la rivière (
Il en arrivait
Un soleil de juillet flambait au milieu du ciel ;
Là-bas, en face,
Aux abords de la Grenouillère, une foule de promeneurs circulait sous les arbres géants qui font de ce coin
Dans
Un
Car on sent là, à pleines narines, toute
Ce lieu sue la bêtise, pue la canaillerie et la galanterie de bazar. Mâles et femelles
Quelques habitants des environs y passent en curieux, chaque dimanche ; quelques jeunes gens, très jeunes, y apparaissent chaque année, apprenant à vivre. Des promeneurs, flânant,
Sur une petite plate-forme, les nageurs se pressent pour piquer leur tête. Ils sont longs comme des échalas, ronds comme des citrouilles, noueux comme des branches
Malgré les arbres immenses penchés sur la maison flottante et malgré le voisinage de
Le spectacle était sur le fleuve, où le va-et-vient incessant des barques tirait les yeux. Les canotières
Quelquefois, quand une équipe lancée passait à toute vitesse, les amis descendus à terre poussaient des cris, et tout le public, subitement pris de folie, se mettait à hurler.
Au coude de la rivière, vers Chatou, se montraient sans cesse des barques nouvelles. Elles approchaient, grandissaient, et, à mesure
Un canot couvert
Un cri partit de la Grenouillère :
La rameuse, devant cette ovation,
Alors la vocifération redoubla, faisant trembler
La flotte nombreuse des barques acclamait aussi le canot des femmes, qui repartit de son allure somnolente pour aborder un peu plus loin.
M. Paul, au contraire des autres, avait tiré une clef de sa poche, et, de toute sa force, il sifflait. Sa maîtresse, nerveuse, pâlie encore, lui tenait le bras pour le faire taire et elle le regardait cette fois avec une rage dans les yeux. Mais lui, semblait exaspéré, comme soulevé par une jalousie
Mais Madeleine, brusquement,
Mais il lui coupa la parole.
Elle eut un soubresaut :
Alors elle haussa les épaules, et calmée tout à coup :
Il ne répondit pas et ils restèrent face à face, avec la bouche crispée et la respiration rapide.
A
Elles avaient loué toutes les quatre un petit chalet au bord de
Leur vice était public, officiel, patent. On en parlait comme
Un voisin, révolté de ces bruits scandaleux, avait prévenu la gendarmerie, et le brigadier, suivi
On en avait ri
Elles traversaient à petits pas, comme des reines,
Madeleine et son amant les regardaient venir, et dans
Lorsque les deux premières furent au bout de la table, Madeleine cria :
Paul crispa ses doigts sur le poignet de sa maîtresse ; mais elle lui dit
Alors elles causèrent tout bas, debout, toutes les trois. Des gaietés heureuses passaient sur leurs lèvres ; elles parlaient vite ; et Pauline, par instants, regardait Paul à la dérobée avec un sourire narquois et méchant.
A la fin,
Mais Pauline éleva la voix et se mit à
Il resta là, regardant
Et là, derrière son dos, il sentait
Il regardait fixement, sur la berge en face, un pêcheur à la ligne immobile.
Soudain le bonhomme enleva brusquement du fleuve un petit poisson
Une main se posa sur son épaule ; il eut un sursaut, se tourna ; sa maîtresse était à son côté. Ils ne se parlèrent pas ; et elle
Il cherchait ce
Enfin, au bout de quelques minutes, il lui demanda
Elle répondit :
Et il
Ils remontèrent le fleuve tout doucement, longeant la rive plantée de saules, couverte
Les grands foins, prêts à être fauchés, étaient remplis de fleurs. Le soleil qui baissait étalait dessus une nappe de lumière rousse, et, dans la chaleur adoucie du jour finissant, les flottantes exhalaisons de
Une molle défaillance venait aux cœurs, et une espèce de communion avec cette splendeur calme du soir, avec ce vague et mystérieux frisson de vie épandue, avec cette poésie pénétrante, mélancolique, qui semblait sortir des plantes, des choses,
Il sentait tout cela, lui ; mais elle ne le comprenait pas, elle. Ils marchaient côte à côte ; et soudain, lasse de se taire, elle chanta. Elle chanta de sa voix aigrelette et fausse quelque chose qui courait les rues, un air traînant dans les mémoires, qui déchira brusquement la profonde et sereine harmonie du soir.
Alors il la regarda, et il sentit entre eux un infranchissable abîme. Elle battait les herbes de son ombrelle, la tête un peu bissée, contemplant ses pieds, et chantant, filant des sons, essayant des roulades, osant des trilles.
Son petit front étroit,
Alors elle releva les yeux vers lui et sourit encore. Il fut remué
Comme il chiffonnait sa robe, elle finit par se dégager, en murmurant par compensation :
Mais il la saisit par la taille, et, pris de folie,
Ils revenaient en se tenant les deux mains, quand soudain, à travers les arbres, ils aperçurent sur la rivière le canot monté par les quatre femmes. La grosse Pauline aussi les vit, car elle se redressa, envoyant à Madeleine des baisers. Puis elle cria :
Madeleine répondit :
Paul crut sentir soudain son cœur enveloppé de glace.
Ligne 186 :
Et ils rentrèrent pour dîner.
Ils
Vers le dessert, Paul prenant tendrement la main de Madeleine, lui dit :
Mais elle avait compris la ruse et elle lui lança ce regard énigmatique, ce regard à perfidies qui apparaît si vite au fond de
Il eut un sourire lamentable, un de ces sourires dont on voile les plus horribles souffrances, mais il répondit
Il posa ses deux coudes sur la table, enferma son front dans ses mains, et resta là, rêvant douloureusement.
Ligne 198 :
Les canotiers redescendirent en braillant toujours. Ils repartaient dans leurs yoles pour le bal de la Grenouillère.
Madeleine dit à Paul :
Paul se leva :
Et ils partirent.
La nuit était noire, pleine
Les yoles se mettaient en route, portant à
La yole des deux jeunes gens glissait doucement. Parfois, quand un bateau lancé passait près
Toute cette illumination répandait une lueur alentour du café, éclairait de bas en haut les grands arbres de la berge dont le tronc se détachait en gris pâle, et les feuilles en vert laiteux, sur le noir profond des champs et du ciel.
Elle voulut tout de suite entrer. Paul désirait auparavant faire un tour dans
La grosse Pauline et ses compagnes
On dansait : les couples face à face cabriolaient éperdument, jetaient leurs jambes en
Les femelles, désarticulées des cuisses, bondissaient dans un enveloppement de jupes révélant leurs dessous. Leurs pieds
Les mâles
Une grosse bonne et deux garçons servaient les consommations.
Ce café-bateau, couvert seulement
Tout à coup le Mont-Valérien, là-bas, en face, sembla
Paul le regardait depuis longtemps, perdu dans cette contemplation, oubliant sa maîtresse. Quand il se retourna, elle avait disparu.
Il la chercha, mais ne la trouva pas. Il parcourait les tables
Il errait ainsi, martyrisé
Il comprit, et, comme un fou,
Il courut
Les crapauds, par tout
Vers Bougival un oiseau inconnu modulait quelques sons qui arrivaient affaiblis par la distance. Sur les larges gazons la lune versait une molle clarté, comme une poussière de ouate ; elle pénétrait les feuillages, faisait couler sa lumière sur
Il fut contraint de
La crise passée, il repartit.
Soudain il reçut comme un coup de couteau ; on
Il
Les ritournelles des quadrilles avec les solos déchirants du piston, les rires faux de la flûte, les rages aiguës du violon lui tiraillaient le cœur, exaspérant sa souffrance. La musique enragée, boitillante, courait sous les arbres, tantôt affaiblie, tantôt grossie dans un souffle passager de brise.
Tout à coup il se dit
Oui ! elle était revenue ! pourquoi pas ? Il avait perdu la tête sans raison, stupidement emporté par ses terreurs, par les soupçons désordonnés qui
Et, saisi par une de ces accalmies singulières qui traversent parfois les plus grands désespoirs, il retourna vers le bal.
Il se sauva, repartit dans
Deux voix murmuraient des paroles
Alors il eut une envie immense de fuir, de ne pas voir, de ne pas savoir, de se sauver pour toujours, loin de cette passion furieuse qui le ravageait. Il allait retourner à Chatou, prendre le train, et ne reviendrait plus, ne la reverrait plus jamais. Mais son image brusquement
On parlait de nouveau ; et il
Oh ! si
Alors, dans un éclair de pensée involontaire, il songea au petit poisson dont il avait vu arracher les
Mais Madeleine murmura :
Il heurta deux arbres, tomba sur une racine, repartit, et se trouva soudain devant le fleuve, devant le bras rapide éclairé par la lune. Le courant torrentueux faisait de grands tourbillons où se jouait la lumière. La berge haute dominait
Sur
Paul vit tout cela comme dans un songe, comme à travers un souvenir ; il ne songeait à rien, ne comprenait rien, et toutes les choses, son existence même, lui apparaissaient vaguement, lointaines, oubliées, finies. Le fleuve était là. Comprit-il ce
Son appel déchirant traversa le large silence du ciel, courut par tout
Puis,
Les deux femmes avaient entendu. Madeleine se dressa :
Un lourd bachot monté par deux hommes tournait et retournait sur place. Un des bateliers ramait,
Les deux femmes, serrées
Les recherches se prolongeaient.
Ensuite ils gagnèrent la terre, en cherchant une place éclairée et basse. Au moment où ils abordaient, les femmes arrivaient aussi.
Dès
Les deux hommes
Le premier reprit :
Madeleine sanglotait, tombée par terre. Pauline
Les hommes haussèrent les épaules :
Puis
Ils remontèrent dans leur bateau et repartirent,
Alors Pauline prit dans ses bras la pauvre Madeleine éplorée, la câlina,
Madeleine se releva, et pleurant toujours, mais avec des sanglots affaiblis, la tête sur
mai 1881
|