« Monsieur Parent (recueil, Ollendorff 1886)/Le Baptême » : différence entre les versions

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Allons, docteur, un peu de cognac.
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{{indentation}}- Oh ! le charmant poison ! Ou, plutôt, le
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séduisant meurtrier, le délicieux destructeur de peuples !
 
Vous ne le connaissez pas, vous autres. Vous avez lu, il est vrai, cet admirable livre qu’on nomme ''L’Assommoir'', mais vous n’avez pas vu, comme moi, l’alcool exterminer une tribu de sauvages, un petit royaume de nègres, l’alcool apporté par tonnelets rondelets que débarquaient d’un air placide des matelots anglais aux barbes rousses.
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Mais tenez, j’ai vu, de mes yeux vu, un drame de l’alcool bien étrange et bien saisissant, et tout près d’ici, en Bretagne, dans un petit village aux environs de Pont-l’Abbé.
 
J’habitais alors, pendant un congé d’un an, une maison de campagne que m’avait laissée mon père. Vous connaissez cette côte plate où le vent siffle dans les ajoncs, jour et nuit où l’on voit par places, debout ou couchées, ces énormes pierres qui furent des dieux et qui ont gardé quelque chose d’inquiétant dans leur posture, dans leur allure, dans leur forme. Il me semble toujours qu’elles vont
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s’animer, et que je vais les voir partir par la campagne, d’un pas lent et pesant, de leur pas de colosses de granit, ou s’envoler avec des ailes immenses, des ailes de pierre, vers le paradis des Druides.
 
La mer enferme et domine l’horizon, la mer remuante, pleine d’écueils aux têtes noires, toujours entourés d’une bave d’écume, pareils à des chiens qui attendraient les pêcheurs.
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Et eux, les hommes, ils s’en vont sur cette mer terrible qui retourne leurs barques d’une secousse de son dos verdâtre et les avale comme des pilules. Ils s’en vont dans leurs petits bateaux, le jour et la nuit, hardis, inquiets, et ivres. Ivres, ils le sont bien souvent. "Quand la bouteille est pleine, disent-ils, on voit l’écueil ; mais quand elle est vide, on ne le voit plus."
 
Entrez dans ces chaumières. Jamais vous ne trouverez le père. Et si vous demandez à la femme ce qu’est devenu son homme, elle tendra les bras sur la mer sombre qui grogne et
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crache sa salive blanche le long du rivage. Il est resté dedans un soir qu’il avait bu un peu trop. Et le fils aîné aussi. Elle a encore quatre garçons, quatre grands gars blonds et forts. A bientôt leur tour.
 
J’habitais donc une maison de campagne près de Pont-l’Abbé. J’étais là, seul avec mon domestique, un ancien marin, et une famille bretonne qui gardait la propriété en mon absence. Elle se composait de trois personnes, deux sœurs et un homme qui avait épousé l’une d’elles, et qui cultivait mon jardin.
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Le mari vint me demander d’être parrain. Je ne pouvais guère refuser, et il m’emprunta dix francs pour les frais d’église, disait-il.
 
La cérémonie fut fixée au deux janvier. Depuis huit jours la terre était couverte de neige, d’un immense tapis livide et dur qui
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paraissait illimité sur ce pays plat et bas. La mer semblait noire, au loin derrière la plaine blanche ; et on la voyait s’agiter, hausser son dos, rouler ses vagues, comme si elle eût voulu se jeter sur sa pâle voisine, qui avait l’air d’être morte, elle si calme, si morne, si froide.
 
A neuf heures du matin, le père Kérandec arriva devant ma porte avec sa belle-sœur, la grande Kermagan, et la garde qui portait l’enfant roulé dans une couverture.
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Nous arrivâmes devant l’église, mais la porte en demeurait fermée. Monsieur le curé était en retard.
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Alors la garde, s’étant assise sur une des bornes, près du seuil, se mit à dévêtir l’enfant. Je crus d’abord qu’il avait mouillé ses linges, mais je vis qu’on le mettait tout nu, tout nu, le misérable, tout nu, dans l’air gelé. Je m’avançai, révolté d’une telle imprudence.
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J’allais quitter ces brutes quand j’aperçus le curé arrivant par la campagne suivi du sacristain et d’un gamin du pays.
 
Je courus vers lui et je lui dis, avec violence, mon indignation. Il ne fut point surpris,
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il ne hâta pas sa marche, il ne pressa point ses mouvements. Il répondit :
 
— Que voulez-vous, monsieur, c’est l’usage. Ils le font tous, nous ne pouvons empêcher ça.
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La porte enfin s’ouvrit. Nous entrâmes. Mais l’enfant devait rester nu pendant toute la cérémonie.
 
Elle fut interminable. Le prêtre ânonnait les syllabes latines qui tombaient de sa bouche, scandées à contresens. Il marchait avec lenteur, avec une lenteur de tortue sacrée ; et son surplis blanc me glaçait le cœur, comme une autre neige dont il se fût enveloppé pour faire souffrir, au nom d’un Dieu
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inclément et barbare, cette larve humaine que torturait le froid.
 
Le baptême enfin fut achevé selon les rites, et je vis la garde rouler de nouveau dans la longue couverture l’enfant glacé qui gémissait d’une voix aiguë et douloureuse.
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Ayant donné dix francs au père, je refusai de payer de nouveau. Le curé menaça de déchirer la feuille et d’annuler la cérémonie. Je le menaçai à mon tour du Procureur de la République.
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La querelle fut longue, je finis par payer.
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J’ordonnai à mon domestique de les attendre, et je me couchai.
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Je m’endormis bientôt, car je dors comme un vrai matelot.
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— Comment, ils l’ont fait boire ?
 
— Oui, monsieur. Mais j’ai su ça seulement au matin, tout à l’heure. Comme Kérandec
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n’avait pu d’eau-de-vie et pu d’argent, il a pris l’essence de la lampe que monsieur lui a donnée ; et ils ont bu ça tous les quatre, tant qu’il en est resté dans le litre. Même que la Kérandec est bien malade.
 
J’avais passé mes vêtements à la hâte, et saisissant une canne, avec la résolution de taper sur toutes ces bêtes humaines, je courus chez mon jardinier.